đâđš Le silence de lâOccident sur Gaza
Quel serait le prix à payer pour les grands journalistes occidentaux, les politiciens, les professeurs ou les PDG d'entreprises renommées s'ils accusaient Israël de commettre un génocide à Gaza ?

đâđš Le silence de lâOccident sur Gaza
De la âpanne moraleâ et du courage dans le discours
Par Ilan Pappé, le 24 avril 2025
Les réactions du monde occidental aux violations des droits humains dans la bande de Gaza et en Cisjordanie soulÚvent une question troublante : pourquoi l'Occident officiel, et l'Europe occidentale officielle en particulier, est-il si indifférent à la souffrance des Palestiniens ?
Pourquoi le Parti dĂ©mocrate amĂ©ricain est-il complice, directement et indirectement, de cette inhumanitĂ© quotidienne en Palestine â une complicitĂ© si flagrante qu'elle a probablement Ă©tĂ© l'une des causes de sa dĂ©faite Ă©lectorale, les Ă©lecteurs arabes amĂ©ricains et progressistes des Ătats clĂ©s n'ayant pu, et Ă juste titre, pardonner Ă l'administration Biden son rĂŽle dans le gĂ©nocide de la bande de Gaza ?
C'est une question pertinente, car nous sommes confrontés à un génocide médiatisé que l'on voit s'intensifier sur le terrain. La situation est différente des phases précédentes, marquées par l'indifférence et la complicité de l'Occident, que ce soit durant la Nakba ou pendant les longues années d'occupation depuis 1967.
Durant la Nakba et jusqu'en 1967, il n'était pas aisé d'obtenir des informations, et l'oppression aprÚs 1967 a été plutÎt progressive et, à ce titre, ignorée des médias et de la politique occidentaux, qui ont refusé de reconnaßtre sa portée cumulative sur les Palestiniens.
Mais ces dix-huit derniers mois sont trĂšs diffĂ©rents. Ignorer le gĂ©nocide dans la bande de Gaza et le nettoyage ethnique en Cisjordanie ne peut ĂȘtre motivĂ© que par l'intention, non par ignorance. Les agissements des IsraĂ©liens et le discours qui les accompagne sont bien trop Ă©vidents pour ĂȘtre ignorĂ©s, Ă moins que les politiciens, les universitaires et les journalistes ne choisissent de le faire.
Cette ignorance est avant tout le rĂ©sultat d'un lobbying israĂ©lien trĂšs efficace, qui a prospĂ©rĂ© sur le terreau fertile du complexe de culpabilitĂ© europĂ©en, du racisme et de l'islamophobie. Dans le cas des Ătats-Unis, elle rĂ©sulte aussi d'un lobbying efficace et impitoyable menĂ© depuis tant d'annĂ©es, que trĂšs peu de gens dans le monde universitaire, les mĂ©dias et, surtout, la politique osent dĂ©fier.
Ce phĂ©nomĂšne, connu dans les Ă©tudes rĂ©centes sous le nom de âpanique moraleâ, est particuliĂšrement caractĂ©ristique des couches les plus conscientisĂ©es des sociĂ©tĂ©s occidentales : intellectuels, journalistes et artistes.
La panique morale, c'est la peur de suivre ses convictions morales et de faire preuve de courage, car les consĂ©quences peuvent ĂȘtre graves. Tout le monde, ne se retrouve pas un jour ou l'autre confrontĂ© Ă une situation qui nĂ©cessite du courage, ou au moins de l'honnĂȘtetĂ©.
C'est ce qui explique le silence de tant d'Allemands lorsque les Juifs ont été envoyés dans les camps d'extermination, et que les Américains blancs soient restés passifs lorsque les Afro-Américains étaient lynchés ou, auparavant, réduits en esclavage et victimes d'abus.
Quel serait le prix à payer pour les grands journalistes occidentaux, les politiciens chevronnés, les professeurs titulaires ou les PDG d'entreprises renommées s'ils accusaient Israël de commettre un génocide dans la bande de Gaza ?
Ils semblent s'inquiĂ©ter de deux consĂ©quences possibles. La premiĂšre est d'ĂȘtre qualifiĂ©s d'antisĂ©mites ou de nĂ©gationnistes de l'Holocauste, et la seconde de craindre qu'une rĂ©ponse sincĂšre ne dĂ©clenche un dĂ©bat sur la complicitĂ© de leur pays, de l'Europe ou de l'Occident en gĂ©nĂ©ral dans le gĂ©nocide et toutes les politiques criminelles menĂ©es contre les Palestiniens qui l'ont prĂ©cĂ©dĂ©.
Cette panique morale engendre des phĂ©nomĂšnes Ă©tonnants. En gĂ©nĂ©ral, elle mĂ©tamorphose des personnes cultivĂ©es, intelligentes et bien informĂ©es en imbĂ©ciles absolus dĂšs qu'elles s'expriment sur la Palestine. Elle empĂȘche les membres les plus sensĂ©s et les plus rĂ©flĂ©chis des services de sĂ©curitĂ© de remettre en question les exigences israĂ©liennes d'inscrire toute la rĂ©sistance palestinienne sur une liste terroriste, et elle dĂ©shumanise les victimes palestiniennes dans les mĂ©dias mainstream.
L'absence de compassion et de solidaritĂ© Ă©lĂ©mentaire envers les victimes du gĂ©nocide est clairement mise en Ă©vidence par le double langage des mĂ©dias grand public occidentaux, en particulier des journaux amĂ©ricains les plus influents, tels que The New York Times et The Washington Post. Lorsque le rĂ©dacteur en chef de The Palestine Chronicle, le Dr Ramzy Baroud, a perdu 56 membres de sa famille, tuĂ©s par la campagne gĂ©nocidaire israĂ©lienne dans la bande de Gaza, aucun de ses collĂšgues journalistes amĂ©ricains n'a pris la peine de lui parler ou de manifester le moindre intĂ©rĂȘt pour cette atrocitĂ©. En revanche, une allĂ©gation israĂ©lienne fabriquĂ©e de toutes piĂšces selon laquelle il existerait un lien entre The Chronicle et une famille dont l'immeuble abritait des otages a suscitĂ© un vif intĂ©rĂȘt de la part de ces mĂ©dias et retenu leur attention.
Cette absence de considĂ©ration Ă©lĂ©mentaire pour l'humanitĂ© et la solidaritĂ© n'est qu'un exemple parmi d'autres des dĂ©rives que peut entraĂźner cette frĂ©nĂ©sie moralisatrice. Les actions menĂ©es contre les Ă©tudiants palestiniens ou pro-palestiniens aux Ătats-Unis, contre des militants connus en Grande-Bretagne et en France, ainsi que l'arrestation en Suisse du rĂ©dacteur en chef d'Electronic Intifada, Ali Abunimah, sont autant de manifestations de ce comportement moral pervers.
Un cas similaire s'est produit rĂ©cemment en Australie. Mary Kostakidis, cĂ©lĂšbre journaliste australienne et ancienne prĂ©sentatrice du journal tĂ©lĂ©visĂ© SBS World News Australia diffusĂ© en prime time en semaine, a Ă©tĂ© traduite devant la cour fĂ©dĂ©rale pour avoir rapportĂ©, de maniĂšre assez modĂ©rĂ©e, la situation dans la bande de Gaza. Le fait mĂȘme que la cour n'ait pas rejetĂ© cette accusation dĂšs son dĂ©pĂŽt montre Ă quel point la paranoĂŻa morale est profondĂ©ment enracinĂ©e dans le Nord global.
Cependant, on peut y voir un autre aspect. Fort heureusement, un groupe bien plus conséquent de citoyens n'hésite pas à prendre le risque de soutenir ouvertement les Palestiniens, et affiche sa solidarité tout en sachant qu'il s'expose à un licenciement, à l'expulsion, voire à une peine de prison. Ils sont rares dans les milieux universitaires, médiatiques ou politiques traditionnels, mais ils constituent pourtant la conscience de nombreuses sociétés occidentales.
Les Palestiniens ne peuvent se permettre le luxe de laisser la psychose morale occidentale s'exprimer ou exercer son influence. Ne pas céder à cette psychose est une étape modeste mais essentielle dans la mise en place d'un réseau mondial de soutien à la Palestine, dont nous avons cruellement besoin, d'abord pour mettre fin à la destruction de la Palestine et de son peuple, mais aussi pour créer les bases d'une Palestine décolonisée et libre, à l'avenir.
Traduit par Spirit of Free Speech
Oui, PappĂ© a raison...il faut crĂ©er un rĂ©seau de solidaritĂ© assez solide comme une sorte dâInternationale. Mais quelle puissance pourrait soutenir dans le monde comme lâa fait naguĂšre lâURSS Ă la dĂ©colonisation ? Pas lâIran , fragilisĂ©e par lâislamophobie . Pas la Russie, diabolisĂ©e par lâoccident mortifĂšre et ridiculisĂ©e par son Ă©chec en Syrie. La Chine ? Elle mĂ©nage ses intĂ©rĂȘts et rĂ©pugne Ă se mettre en avant. Alors comptons que sur notre coeur et nos voix...
đ€źđ€źđ€źđ€źđ€ź