👁🗨 Le silence des ours
L'époque où Trump était considéré comme quelqu'un qui “dit ce qu'il pense et fait ce qu'il dit” est probablement révolue. Les Russes sont en colère. On ignore encore ce que l'avenir nous réserve.
👁🗨 Le silence des ours
Par Alastair Crooke, le 9 juin 2025
Le silence des ours va bientôt prendre fin, et nous en saurons davantage sur la détermination de la Russie.
Les dirigeants russes sont en “conclave” pour déterminer leur riposte.
Trump est silencieux depuis quelques jours. Du jamais vu. Ces derniers jours, l'Ukraine et ses complices ont tenté une attaque massive contre la force stratégique de bombardiers nucléaires russes. Ils ont réussi à détruire deux ponts sur lesquels circulaient des trains civils en direction de Moscou, ils ont attaqué le pont de Kertch, et ils ont assassiné un général russe à l'aide d'une bombe corporelle.
Comme Clausewitz l'a fait remarquer il y a deux siècles, l'usage de la puissance militaire a pour but d'imposer un résultat, c'est-à-dire de contraindre l'adversaire à faire ce qu'on veut qu'il fasse. C'est pourquoi, en matière d'aventures militaires, il faut avoir les idées claires dès le départ. L'objectif politique doit être réalisable et susceptible d'être mis en œuvre.
Quel était donc l'objectif derrière ces attaques “irrégulières” ukrainiennes ? L'un d'entre eux était certainement d'ordre démonstratif : une opération de relations publiques visant à montrer que l'Ukraine et ses alliés sont toujours capables de mener des opérations innovantes de type forces spéciales. Et qu'ils méritent donc d'être soutenus. Le colonel Doug Macgregor met en garde :
“Il s'agissait principalement d'un coup de pub visant à donner l'impression que l'Ukraine est capable de poursuivre la guerre. Tout ce que vous entendez dans les médias occidentaux [...] est probablement faux ou, à tout le moins, grossièrement exagéré [...] Nous n'avons fait que nous nuire et nuire à nos relations – ce qu'il en reste – avec Moscou [...] voilà les véritables conséquences de cette affaire”.
D'accord. Mais les coups de pub ne constituent pas une stratégie, et les attaques n'ont aucune chance d'entraîner un changement de paradigme militaire stratégique global. L'Occident ou l'Ukraine n’ont pas soudainement découvert une stratégie politique à l'égard de la Russie en tant que telle. Elle n'existe pas. Les innombrables déclarations occidentales sont principalement un méli-mélo de fantasmes.
Le deuxième objectif, en revanche, avait peut-être un but stratégique clair – et a démontré sa faisabilité et la possibilité d'obtenir le résultat souhaité : les attaques multiples ont imposé à Trump la réalité inconfortable qu'en tant que président, il ne contrôle pas la politique étrangère américaine. L'État profond collectif vient de le montrer clairement.
Comme l'a déclaré le général Mike Flynn :
“L'État profond agit désormais sans le contrôle des dirigeants élus de notre nation... Ces personnes au sein de notre État profond s'efforcent délibérément de provoquer une confrontation majeure entre la Russie et l'Occident, y compris les États-Unis”.
En effet, des généraux tels que Keith Kellogg et Jack Keane, avec leurs discours infantiles selon lesquels seule la pression, toujours plus de pression et de souffrance, contraindra Poutine (toujours présumé vulnérable) à accepter un conflit gelé dans l'espoir d'éviter une défaite américaine en Ukraine.
Les Britanniques, durant la Seconde Guerre mondiale, croyaient eux aussi que le régime nazi ne pouvait pas résister et serait balayé par des bombardements stratégiques censés provoquer l'effondrement de la société allemande. Aujourd'hui, le général Kellogg préconise de “bombarder” la Russie de sanctions, illustrant la conviction britannique que de telles tactiques “sont forcément mauvaises pour le moral”.
Les conseils donnés à Trump par ses généraux ne répondent pas à l'exigence du réalisme politique, car ils reposent sur des fantasmes d'effondrement imminent de la Russie et sur une lecture totalement erronée de la Russie et de son armée. Ou peut-être que ses conseillers, par inadvertance ou délibérément, ont “saboté” Trump et son programme de normalisation des relations avec la Russie.
Que va maintenant pouvoir raconter Trump à Poutine ? Qu'il était en effet prévenu (rappelons-nous ses propos d'il y a quelques jours : “Sans moi, des choses terribles, je veux dire VRAIMENT terribles, seraient déjà arrivées à la Russie”) et clamer que ses conseillers ne lui ont pas fourni tous les détails ? Ou admettra-t-il franchement qu'ils l'ont berné ? Ou encore, affirmera-t-il que la CIA n'a fait que suivre une ancienne “directive présidentielle” autorisant des attaques en profondeur dans l'arrière-pays russe ?
Toutes ces réponses hypothétiques ne signifieraient qu’une chose : que Trump n'est pas aux commandes. Que lui et ses alliés européens (tels que la Grande-Bretagne) ne sont pas dignes de confiance.
Quoi qu'il en soit, les conseillers de Trump auront compris que Zelensky et, par extension, ses complices de l'OTAN, ont exploité la vulnérabilité des traités SALT/START afin d'utiliser des drones dissimulés dans des conteneurs civils pour attaquer les bombardiers protégés par les traités entre les États-Unis et la Russie : l'article XII du traité START exige spécifiquement “la présentation à découvert de tous les bombardiers lourds se trouvant sur la base aérienne”. Cette disposition constituait un acte de confiance (surveillance visible) visant à prévenir une attaque nucléaire surprise de “première frappe”.
Le traité START 1 a réduit les arsenaux nucléaires stratégiques ou à longue portée de 30 à 40 %. Le nouveau traité START a réduit de trois quarts supplémentaires les armes stratégiques déployées et déclarées. En 2021, les présidents Biden et Poutine ont prolongé le nouveau traité START jusqu'en février 2026.
Bien sûr, ces complices non identifiés ont compris toute la gravité de frapper la force nucléaire stratégique d'une grande puissance nucléaire rivale.
Comment les États-Unis réagiraient-ils si un adversaire (peut-être une entité non étatique) lançait une attaque contre des bombardiers stratégiques à longue portée capables de transporter des armes nucléaires aux États-Unis à l'aide de drones bon marché et facilement accessibles dissimulés dans des conteneurs ? Nous sommes entrés dans une nouvelle ère à haut risque, où les beepers et les téléphones portables peuvent être transformés en bombes, et où des drones “dormants” peuvent être activés à distance pour attaquer des aérodromes civils ou militaires.
Larry Johnson a observé qu’après l'attaque japonaise sur Pearl Harbour en décembre 1941, dont le but était de détruire les porte-avions américains stationnés là-bas, l'amiral japonais Yamamoto aurait déclaré ce qui suit au lendemain de la grande victoire du Japon à Pearl Harbour :
“Je crains que tout ce que nous ayons fait, c'est réveiller un géant endormi et lui insuffler une terrible détermination... Nous avons remporté une grande victoire tactique à Pearl Harbour, mais nous avons perdu la guerre”.
Le silence des ours va bientôt prendre fin et nous en saurons plus sur la détermination de la Russie. Mais l'époque où Trump était considéré comme quelqu'un qui “dit ce qu'il pense et fait ce qu'il dit” est probablement révolue. Les Russes sont en colère.
On ignore ce que l'avenir nous réserve.
Traduit par Spirit of Free Speech
https://strategic-culture.su/news/2025/06/09/silence-of-bears/