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âIl Ă©tait mon trĂ©sor ici-bas. En le regardant, je voyais la vie. Ces jours-ci, nous aurions dĂ» avoir les rĂ©sultats de ses [examens] de fin d'Ă©tudes, mais il nâa obtenu quâune place au paradisâ.
đâđš âLe sniper lâa abattu pour le funâ
Par Abubaker Abed pour The Electronic Intifada, le 22 août 2024
Abdul Karim Omar al-Ramlawi aurait eu 18 ans en mai.
Il s'habillait toujours bien, en jean et en veste, et rĂȘvait d'aller Ă l'universitĂ© pour Ă©tudier la mĂ©catronique.
Il aimait rouler Ă moto, jouer au foot et en regarder. Il soutenait le Real Madrid et considĂ©rait son joueur favori Luka ModriÄ comme une lĂ©gende du ballon rond, dont il faisait frĂ©quemment l'Ă©loge. Il aimait Ă©galement les animaux, en particulier les chats.
Ă l'Ă©cole, il racontait des blagues Ă ses copains de classe et Ă©tudiait pendant les pauses. AprĂšs l'Ă©cole, il aidait son pĂšre Ă l'usine de nylon et faisait des courses pour sa mĂšre.
âIl aimait sympathiser avec tout le monde et aider les gensâ, a dĂ©clarĂ© Hassan al-Ramlawi, le cousin d'Abdul Karim. âIl Ă©tait tellement enthousiaste et passionnĂ©. Tout le monde l'aimaitâ.
Mais lorsqu'IsraĂ«l a dĂ©clenchĂ© sa guerre contre Gaza, la vie et les rĂȘves d'Abdul Karim ont Ă©tĂ© rĂ©duits Ă nĂ©ant.
Abdul Karim venait d'entamer sa derniĂšre annĂ©e de lycĂ©e. Sa famille lui avait mĂȘme rĂ©servĂ© une piĂšce de leur maison de six Ă©tages, dans le quartier d'al-Tuffah, Ă Gaza, pour qu'il puisse Ă©tudier au calme pour ses examens. L'un de ses objectifs Ă©tait de figurer parmi les meilleurs Ă©lĂšves du secondaire en Palestine.
Pourtant, la famille al-Ramlawi, qui compte 15 membres, a été déplacée de force par les attaques israéliennes pour la premiÚre fois en octobre 2023.
Un sniper israélien a abattu Abdul Karim
En février, la famille al-Ramlawi a vécu 12 jours d'attaques incessantes par les forces d'occupation israéliennes dans leur maison en location, à l'ouest de la ville de Gaza.
âNos journĂ©es ont Ă©tĂ© marquĂ©es par la terreur et la mortâ, a dĂ©clarĂ© Khalil al-Ramlawi, le frĂšre d'Abdul Karim. âLes drones bourdonnaient au-dessus de nos tĂȘtes, les chars israĂ©liens bombardaient sans relĂąche autour de nous et les avions de combat F-16 rasaient les maisons au hasard.â
La famille Ă©tait Ă©galement sur le point de mourir de faim.
âNous jeĂ»nions toute la journĂ©e et pouvions Ă peine nous permettre d'acheter un demi-pain par jourâ, raconte Khalil, 36 ans.
Ils ont fait bouillir de l'eau contaminée pour avoir de quoi boire, et ont mangé leur pain détrempé.
Au cours de ces 12 jours d'attaques israéliennes, la matinée du 8 février a été particuliÚrement sombre et glaciale.
Khalil se souvient qu'Abdul Karim et lui s'étaient levés tÎt pour la priÚre du fajr, ou priÚre de l'aube, dans leur maison.
Ensuite, vers 9 heures, raconte Khalil, Abdul Karim s'est approchĂ© d'une fenĂȘtre.
âIl voulait voir par la fenĂȘtre si lâarmĂ©e israĂ©lienne s'Ă©taient retirĂ©e ou pasâ, a dĂ©clarĂ© Khalil. âUne fois quâil est arrivĂ© Ă la fenĂȘtre, un sniper installĂ© sur un char d'assaut lui a tirĂ© dessus. Deux balles lui ont traversĂ© la poitrine et la tĂȘte. Alors qu'il rendait son dernier souffle, il a levĂ© le doigt et m'a dĂ©signĂ© pour me dire de ne pas m'approcherâ.
âJ'Ă©tais dans la mĂȘme piĂšce, mais je n'ai rien pu faire pour lui.â
Khalil s'est mis à l'abri des balles du sniper, mais celui-ci a continué à tirer.
âLe snipere lui tirait dessus pour le funâ, a-t-il dĂ©clarĂ©. âIl y avait comme une fontaine de sang autour de luiâ.
Les heures ont passé, et chaque fois que la famille essayait d'aller voir Abdul Karim, les snipers israéliens faisaient feu.
âAlors que mon jeune frĂšre Ahmed et moi-mĂȘme nous apprĂȘtions Ă le ramener, une bombe a fait exploser la piĂšce et une balle a de nouveau atteint la poitrine d'Abdul Karimâ, raconte-t-il.
âQuelques minutes plus tard, un quadcopter est arrivĂ© pour s'assurer qu'Abdul Karim Ă©tait bien mort. MĂȘme s'il Ă©tait clairement [mort], le quadcoptĂšre a tirĂ© sans arrĂȘt sur son cadavreâ.
Finalement, le pÚre d'Abdul Karim a risqué sa vie pour récupérer le corps d'Abdul Karim. Il a rampé jusqu'à la chambre et l'a tiré dans le salon.
âNous avons comptĂ© 20 impacts de balle dans la poitrine et la tĂȘte [d'Abdul Karim]â, a dĂ©clarĂ© Khalil.
Les piÚces de la maison s'étaient pratiquement effondrées vers l'intérieur à cause des bombes.
âNous avons dĂ» rester dans l'escalier quatre jours consĂ©cutifs.â
âEn le regardant, je voyais la vieâ
âSon cadavre est restĂ© chez nousâ, a dĂ©clarĂ© Khalil Ă propos de son frĂšre. âJe vivais et dormais Ă cĂŽtĂ© d'un cadavre. Qui peut supporter cela ?â
Khalil a dormi à cÎté du cadavre d'Abdul Karim pendant deux jours. La famille pouvait encore sentir la présence d'Abdul Karim malgré la mort.
Israël a continué à bombarder le quartier et leur maison.
âNous vivions dans la terreur la plus totaleâ, raconte Khalil.
Au bout de deux jours, ils ont réussi à descendre les escaliers et à se faufiler dans l'arriÚre-cour. Ils ont creusé une tombe pour Abdul Karim, et l'y ont enterré.
à la mi-février, ils ont exhumé le corps d'Abdul Karim pour l'enterrer dans le cimetiÚre d'al-Tuffah.
Mona, la mÚre d'Abdul Karim, a pleuré plus d'un mois aprÚs son assassinat.
âIl Ă©tait nos jambes et nos bras. Il Ă©tait mon plus beau trĂ©sor ici-bas. En le regardant, je voyais la vieâ, a-t-elle dĂ©clarĂ©. âCes jours-ci, nous aurions dĂ» avoir les rĂ©sultats de ses [examens] de fin d'Ă©tudes secondaires, mais il nâa obtenu quâune place au paradisâ.
* Abubaker Abed est journaliste et traducteur au camp de réfugiés de Deir al-Balah, à Gaza.
Toutes les photos ont été prises avec l'aimable autorisation de la famille.
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