👁🗨 Le soutien de Londres & Washington à HTS, ou la fabrique des rebelles
Un examen fouillé des liens entre Royaume-Uni/USA & HTS expose les stratégies occidentales calculées & secrètes de soutien au groupe estampillé terroriste lié à Al-Qaïda qui dirige désormais la Syrie.
👁🗨 Le soutien de Londres & Washington à HTS, ou la fabrique des rebelles
Par Kit Klarenberg, le 26 décembre 2024
Le 18 décembre, The Telegraph a publié une enquête extraordinaire sur la manière dont le Royaume-Uni et les États-Unis ont entraîné et “préparé” les combattants de l'Armée commando révolutionnaire (RCA), une force “rebelle” qui a collaboré avec Hayat Tahrir al-Sham (HTS) dans l'offensive massive qui a renversé le président syrien Bachar el-Assad quelques semaines plus tôt.
Par une divulgation sans précédent, l'organe de presse a révélé que Washington était non seulement “au courant de l'offensive” longtemps à l'avance, mais qu'il disposait également de “renseignements très précis sur son ampleur.” L'“ alliance effective” désormais confirmée de Washington avec HTS a été décrite comme l” “un des nombreux paradoxes” émergeant de la guerre par procuration qui dure depuis une décennie et demie.
The Telegraph a suggéré que cette collaboration était fortuite - un simple symptôme de la façon dont la guerre civile de longue durée en Syrie a donné naissance à “un ensemble déconcertant de milices et d'alliances, dont la plupart sont soutenues par des puissances étrangères”.
Le soutien des États-Unis à HTS
Les alliances ont été fluctuantes, les groupes se scindant souvent, fusionnant et variant leurs allégeances. Les combattants changeaient souvent de camp, brouillant ainsi les lignes entre factions. Pourtant, de nombreux éléments indiquent que le Royaume-Uni et les États-Unis ont entretenu des liens délibérés et de longue date avec les principaux rebelles d'HTS.
Par exemple, en mars 2021, l'ancien principal envoyé du président élu Donald Trump en Syrie, James Jeffrey, a accordé une interview révélatrice à la chaîne PBS [réseau de télévision public à but non lucratif comptant plus de 330 stations de télévision membres aux États-Unis], au cours de laquelle il a révélé que Washington avait obtenu une “dérogation” spéciale de la part du secrétaire d'État de l'époque, Mike Pompeo, pour aider HTS.
Bien que cela ne permette pas de financer ou d'armer directement l'organisation désignée terroriste par l'ONU et les États-Unis, la dérogation garantissait que si les ressources fournies par les États-Unis devaient “d'une manière ou d'une autre” se retrouver entre les mains d'HTS, les acteurs occidentaux “[ne pourraient] pas être incriminés”.
Washington misait beaucoup le caractère interchangeable des armes sur le champ de bataille syrien. Dans une interview de 2015 , le porte-parole du CENTCOM, le lieutenant-commandant Kyle Raines, a été interrogé sur les raisons pour lesquelles les armes des combattants contrôlés par le Pentagone se retrouvaient entre les mains du Front Nusra (précurseur de HTS). Raines a répondu :
“Nous ne commandons ni ne contrôlons ces groupes, nous nous contentons de les former et de leur donner les moyens d'agir. Quant à savoir avec qui elles disent s'allier, c'est leur affaire”.
Ce vide juridique a permis à Washington de soutenir “indirectement” HTS, en veillant à ce que le groupe ne s'effondre pas tout en maintenant sa désignation en tant qu'organisation terroriste - un statut complété par une prime de 10 millions de dollars aujourd'hui annulée sur le chef Abu Mohammad al-Julani, qui se fait maintenant appeler par son vrai nom, Ahmad al-Sharaa.
Jeffrey a rationalisé cette stratégie en qualifiant HTS de “moins mauvaise option” pour préserver “un système de sécurité géré par les États-Unis dans la région”, et qui mérite donc d'être “épargné”. La domination de HTS, à son tour, a fourni à la Turquie une plateforme pour opérer à Idlib. Pendant ce temps, HTS a envoyé des messages sans équivoque à leurs patrons américains, plaidant :
“Nous voulons être vos amis. Nous ne sommes pas des terroristes. Nous ne faisons que combattre Assad”.
Un sanctuaire
Depuis la chute d'Assad, les responsables londoniens ont nettement pris les devants en légitimant l'administration intérimaire dirigée par HTS en tant que nouveau gouvernement de la Syrie. Le groupe a été ajouté à la liste britannique des organisations terroristes proscrites en 2017, son inscription indiquant que HTS doit être considéré parmi les “appellations alternatives” pour Al-Qaïda, interdit depuis des lustres.
Alors que le Premier ministre britannique Keir Starmer a déclaré qu'il est encore “trop tôt” pour annuler la désignation terroriste du groupe, des responsables britanniques ont rencontré des représentants d'HTS le 16 décembre - en dépit du caractère illégal de telles rencontres.
Cela signale probablement l'imminence d'une réhabilitation occidentale hautement politisée d'HTS. Tout au long de la guerre sale en Syrie, les renseignements britanniques ont mené de vastes opérations psychologiques pour promouvoir les “rebelles modérés”, en élaborant des récits de propagande sur les atrocités et des témoignages d'intérêt collectif.
Ces initiatives visaient ostensiblement à affaiblir des groupes comme HTS, État islamique et l'État islamique. Pourtant, des documents divulgués par les services de renseignement britanniques révèlent comment HTS est resté étroitement lié à Al-Qaïda après 2016, contredisant directement les récits des médias.
En d'autres termes, tout au long de la crise qui a duré une décennie et demie, HTS a été officiellement considéré comme étant à égalité avec les éléments les plus fondamentalistes et génocidaires du pays.
Les documents britanniques tournent également en dérision la thèse communément admise selon laquelle HTS aurait rompu tout lien avec Al-Qaïda en 2016. Un dossier de 2020 décrit comment Al-Qaïda “coexiste” avec HTS sur le territoire syrien occupé, l'utilisant comme rampe de lancement pour des attaques transnationales.
Le document avertit que la domination de HTS a créé un “sanctuaire” pour qu'Al-Qaïda s'entraîne et se développe, alimenté par l'instabilité. Les opérations psychologiques britanniques contre HTS ont duré des années, mais ont finalement échoué. Au lieu de cela, les dossiers divulgués déplorent l'influence croissante de HTS, ses conquêtes territoriales et sa nouvelle image en tant que gouvernement alternatif.
“Al-Qaïda reste un groupe transnational explicitement salafiste et djihadiste dont les objectifs et les cibles s'étendent au-delà des frontières de la Syrie. La priorité [d'Al-Qaïda] est de maintenir en Syrie un abri sûr alimenté par l'instabilité, grâce auquel le groupe peut s'entraîner et se préparer à une expansion future.
“La domination d'HTS sur le nord-ouest de la Syrie fournit un cadre à l'existence de groupes et d'individus alignés sur [Al-Qaïda]”.
Une propagande britannique toute dévouée à HTS
Les opérations psychologiques du renseignement britannique visant à freiner HTS ont fonctionné depuis la fondation du groupe jusqu'à récemment. Pourtant, il semble qu'elles soient restées sans effet. De nombreux dossiers ayant fait l'objet de fuites et examinés par The Cradle déplorent que “l'influence et le contrôle territorial” d'HTS se soient “considérablement accrus” au fil des ans.
Ses victoires ont permis au groupe extrémiste “de consolider sa position, de neutraliser ses adversaires et se positionner en tant qu'acteur clé dans le nord de la Syrie”. Mais la “domination” d'HTS a été assurée en partie par la nouvelle image que le groupe s'est forgée en tant que gouvernement alternatif.
Le territoire occupé par HTS abritait divers prestataires de services et institutions parallèles, notamment des hôpitaux, des forces de l'ordre, des écoles et des tribunaux. La propagande nationale et internationale de ce groupe a spécifiquement présenté ces ressources comme étant la preuve d'une Syrie “alternative” en attente d'être déployée dans tout le pays.
Ironiquement, beaucoup de ces structures et organisations - comme les tristement célèbres Casques blancs, qui ont également opéré dans les territoires dirigés par l'État islamique - sont le fruit de la collaboration directe des services du renseignement britannique, créés à des fins de propagande en faveur d'un changement de régime. En outre, Londres a fait une promotion agressive de ces structures et organisations à grands frais.
Des fuites de documents des renseignements britanniques font référence à plusieurs reprises à l'importance de “[sensibiliser] aux services fournis par l'opposition modérée” et de fournir aux publics nationaux et internationaux “des récits convaincants et la démonstration d'une alternative crédible au régime [d'Assad]”. Les dossiers ne mentionnent pas clairement que ces activités pourraient grandement aider HTS à se présenter comme une “alternative crédible” au régime d'Assad.
Néanmoins, ils indiquent de manière irréfutable que les Syriens vivant dans les territoires occupés pourraient aider HTS, “en particulier s'ils bénéficient de ses services”. De façon encore plus inquiétante, les documents notent que “HTS et d'autres groupes armés extrémistes sont nettement moins enclins à attaquer les entités de l'opposition qui reçoivent un soutien” du Conflict, Stability, and Security Fund (CSSF) du gouvernement britannique.
C'est via ce dispositif qu'ont été financés la guerre de propagande syrienne de la Grande-Bretagne et des organisations comme les Casques blancs, ainsi que la Police syrienne libre liée à l'extrémisme.
Ces structures de gouvernance et les éléments de l'opposition gérés par le Royaume-Uni, prétendument destinés à “saper” HTS, opéraient dans des zones contrôlées par le groupe à l'abri de représailles violentes pour les activités financées par l'étranger, car ils “fournissent manifestement des services essentiels” aux résidents des territoires occupés.
On peut également penser qu’HTS savait pertinemment que ces “entités d'opposition” étaient financées par les renseignements britanniques, et qu'elles n'ont pas été inquiétées pour cette raison.
Une offensive concertée
Comme l'explique l'article de The Telegraph, “la première preuve que Washington avait déjà connaissance” de l’offensive d’HTS réside en ce que ses mandataires de la RCA ont bénéficié trois semaines auparavant d’un discours d’encouragement de la part de leurs responsables américains.
Lors d'une réunion secrète sur la base aérienne d'Al-Tanf, contrôlée par les États-Unis et située près des frontières de la Jordanie et de l'Irak, les militants ont été invités à étoffer leurs effectifs et à “se tenir prêts” pour une attaque qui “pourrait entraîner la fin” d'Assad. Un capitaine de la RCA cité dans l'article a déclaré à la presse :
“Ils ne nous ont pas dit comment cela se passerait. On nous a juste dit : ‘Tout est sur le point de bouger. C'est le moment ou jamais. Soit Assad tombe, soit vous tombez’. Mais ils n'ont pas dit quand ni où, ils nous ont juste dit d'être prêts”.
Des officiers américains ont ensuite rejoint la base, gonflant les rangs de la RCA en fusionnant le groupe avec d'autres unités sunnites du désert et unités rebelles entraînées, financées et dirigées par le Royaume-Uni et les États-Unis, et opérant à partir d'Al-Tanf sous un commandement commun.
Selon The Telegraph, “la RCA et les combattants de HTS ... ont coopéré, et la communication entre les deux entités a été coordonnée par les Américains”. Cette collaboration a eu un effet dévastateur lors de l'“offensive éclair”, la RCA occupant rapidement des territoires clés dans tout le pays sur ordre explicite des États-Unis.
La RCA a même joint ses troupes à une autre faction rebelle dans la ville méridionale de Deraa, qui a atteint Damas avant le HTS. La RCA occupe désormais environ un cinquième du pays, des poches de territoire à Damas et la cité antique de Palmyre.
Jusqu'à présent “solidement défendue” par la Russie et le Hezbollah, la base locale de Moscou a été reprise par la RCA. “Tous les membres de cette unité ont continué à être armés par les États-Unis”, recevant des salaires de 400 dollars par mois, soit près de 12 fois le salaire des soldats de l'Armée arabe syrienne (AAS).
Il n'est pas certain que ce financement direct de la RCA et d'autres milices extrémistes ayant renversé le gouvernement Assad se poursuive aujourd'hui. Ce qui est clair, en revanche, c'est que le Royaume-Uni et les États-Unis ont soutenu HTS dès la création du groupe, même de manière “indirecte”. Ce soutien secret a joué un rôle essentiel dans le positionnement d’HTS sur les plans financier, géopolitique, matériel et militaire, en vue de sa prise d'assaut “éclair” de Damas et de son accession au pouvoir aujourd'hui.
Confortant l'interprétation que tel était l'objectif de Londres et de Washington dès le départ, Starmer a rapidement déclaré, après l'éviction d'Assad, que le Royaume-Uni “jouera de ce fait un rôle plus important et plus cohérent” dans l'Asie de l'Ouest.
Alors que les capitales occidentales et certaines capitales régionales célèbrent le succès apparent de leur campagne grassement subventionnée et meurtrière de démantèlement de décennies de régime baasiste, les renseignements britanniques ont toutefois depuis longtemps mis en garde contre le risque d'accorder à Al-Qaïda un “sanctuaire alimenté par un climat d'instabilité”, d'une ampleur encore plus grande, en vue d'une “expansion future”.
https://thecradle.co/articles/manufacturing-rebels-how-the-uk-and-us-empowered-hts