đâđš Le temps des sophistes
âJamais auparavant la loi & la justice n'ont Ă©tĂ© aussi dĂ©tournĂ©es, coupĂ©es des valeurs morales du peuple, et exclusivement soumises aux intĂ©rĂȘts d'une clique au pouvoir & de ses objectifs de guerreâŠâ

đâđš Le temps des sophistes
Par Patrick Lawrence pour ScheerPost, le 15 mars 2025
Mahmoud Khalil, 30 ans, dĂ©tenteur d'une carte verte lui permettant de vivre et de travailler de maniĂšre permanente aux Ătats-Unis, mariĂ© Ă une AmĂ©ricaine, diplĂŽmĂ© dans son domaine aprĂšs des Ă©tudes dans une universitĂ© de l'Ivy League, sans aucun antĂ©cĂ©dent suggĂ©rant une activitĂ© criminelle quelconque, est maintenant en Ă©tat d'arrestation et en attente d'expulsion dans un centre de dĂ©tention de l'Immigration and Customs Enforcement Ă Jena, une ville de 4 100 habitants au fin fond de la Louisiane.
Mahmoud Khalil a Ă©tĂ© arrĂȘtĂ© samedi soir dernier Ă son appartement prĂšs de l'universitĂ© de Columbia, oĂč il a rĂ©cemment obtenu un diplĂŽme d'Ă©tudes supĂ©rieures. Le crime de Mahmoud Khalil - dĂ©solĂ©, pas de crime, je recommence - l'infraction de Mahmoud Khalil - non, toujours pas - Mahmoud Khalil a simplement exercĂ© son droit Ă la libertĂ© d'expression en participant Ă des manifestations, Ă partir du printemps 2024, contre la campagne terroriste du sioniste IsraĂ«l Ă Gaza. Mahmoud Khalil est palestinien, nĂ© et Ă©levĂ© dans un camp de rĂ©fugiĂ©s en Syrie. Il est officiellement citoyen algĂ©rien.
AprĂšs son arrestation, la famille de Mahmoud Khalil n'a pas pu le contacter avant un certain temps, et ne savait pas oĂč il se trouvait. Maintenant, la famille le sait, mais ne peut pas le voir. S'il s'agissait de l'une des dictatures latino-amĂ©ricaines des annĂ©es 1970 et 1980 (Pinochet au Chili, Videla et sa junte de colonels en Argentine), nous dirions que Mahmoud Khalil est portĂ© âdisparuâ. Au moment oĂč jâĂ©cris ces lignes, il n'a toujours pas Ă©tĂ© autorisĂ© Ă consulter son avocat.
Voici ce que le président Trump a publié sur Truth Social, son réseau social sulfureux, juste aprÚs l'arrestation de Mme Khalil :
âC'est la premiĂšre arrestation d'une longue sĂ©rie. Nous savons que d'autres Ă©tudiants de Columbia et d'autres universitĂ©s du pays se sont engagĂ©s dans des activitĂ©s pro-terroristes, antisĂ©mites et anti-amĂ©ricaines, et l'administration Trump ne le tolĂ©rera pasâ.
Et voici Michelle Goldberg, la âgauchisteâ prĂ©tentieuse du New York Times, dans une tribune parue dans les Ă©ditions de mardi sous le titre âLa plus grande menace Ă la libertĂ© d'expression depuis la chasse aux rougesâ :
âSi un citoyen lĂ©galement Ă©tabli aux Ătats-Unis peut ĂȘtre arrĂȘtĂ© chez lui pour avoir participĂ© Ă une activitĂ© politique protĂ©gĂ©e par la Constitution, alors nous vivons dans un pays radicalement diffĂ©rent de celui que nous connaissions avant l'investiture de Trumpâ.
On ne peut qu'approuver. Mme Goldberg a immédiatement fait suivre cette observation d'une citation tirée d'un entretien avec Brian Hauss, avocat à l'American Civil Liberties Union :
âIl semble que ce soit l'une des plus grandes menaces, si ce n'est la plus grande [sic] depuis 50 ans, pour les libertĂ©s du Premier Amendement. C'est une tentative directe de rĂ©primer la libertĂ© d'expression pour le point de vue dĂ©fenduâ.
Ces deux Ă©lĂ©ments confĂšrent Ă l'arrestation de M. Khalil l'ampleur qu'elle mĂ©rite, mĂȘme si Mme Goldberg devrait nous dire de quelle âmenace rougeâ elle parle : la premiĂšre, dans les annĂ©es 20, ou la version des annĂ©es 50, nĂ©e de la paranoĂŻa maccarthyste de la guerre froide ? L'arrestation et le placement en dĂ©tention de Mahmoud Khalil dĂ©passent de loin les nombreux excĂšs de Trump. Tous les avocats des libertĂ©s civiles de New York et de Washington devraient s'occuper de cette affaire. Si Trump met effectivement Mahmoud Khalil dans un avion pour on ne sait oĂč, sans parler des nombreuses autres expulsions promises, nous sommes dans un pĂ©trin bien plus grave que George H. W. ne l'avait imaginĂ© lorsqu'il a inventĂ© cette expression au milieu de ses pĂ©rils politiques Ă la fin des annĂ©es 1980. Nous assistons en temps rĂ©el Ă un abus de pouvoir flagrant de la part du pouvoir exĂ©cutif, qui bafoue ouvertement la loi et les institutions fondamentales chargĂ©es de l'interprĂ©ter et de la faire respecter. J'espĂšre que l'affaire Khalil sera la goutte d'eau qui fera dĂ©border le vase pour Trump et marquera le dĂ©but de la fin pour un incompĂ©tent aussi dĂ©testable.
Mais s'opposer à la réaction brutale et draconienne du régime Trump contre Mahmoud Khalil, c'est comme tirer en l'air. Cela rappelle l'idée fasciste que se faisait le Reich de l'application de la loi dans les années 30, ou celle des Israéliens en Cisjordanie à l'heure actuelle. Ce qui est bien est bien, ce qui est mal est mal : nous en sommes témoins. L'ambivalence n'a pas sa place ici. L'affaire est claire.
Et puis l'esprit commence Ă envisager toutes les nuances de gris et s'aventure dans cette ambivalence familiĂšre.
â
Vendredi dernier, la veille de l'arrestation de Mahmoud Khalil, un autre article d'opinion publiĂ© dans le New York Times a attirĂ© mon attention. La prĂ©occupation d'Erwin Chemerinsky, professeur de droit constitutionnel et doyen de la facultĂ© de droit de l'universitĂ© de Californie Ă Berkeley, concernait, et concerne certainement toujours, l'Ă©tat du systĂšme judiciaire amĂ©ricain. Aujourd'hui plus encore qu'Ă l'Ă©poque oĂč il l'a Ă©crit, c'est une question qui mĂ©rite toute notre attention. Le texte sâintitule âLa seule question pertinente : si Trump dĂ©fie les tribunaux, que se passera-t-il ensuite ?â
C'est une bonne question. Et elle est encore plus pertinente aujourd'hui qu'elle ne l'était vendredi dernier, car l'arrestation de M. Khalil, ainsi que le programme d'expulsion de Trump récemment annoncé, ont déjà été portés devant les tribunaux. Que Trump ignore les autorités judiciaires américaines dans cette affaire montre à quel point cette question pÚse sur la plus essentielle de toutes nos institutions gouvernementales. L'affaire Khalil, compte tenu de l'illégalité apparente de la décision de Trump, nous fait prendre conscience de cette vérité.
Mais un instant, doyen Chemerinsky. Que Trump respecte ou non la loi et les tribunaux amĂ©ricains n'est pas âl'unique questionâ, la seule question âpertinenteâ. Je m'oppose vivement Ă ces affirmations. Dans quel Ă©tat Ă©tait notre systĂšme judiciaire avant l'arrivĂ©e au pouvoir de Donald Trump, il y a Ă peine deux mois ? Comment le doyen des juristes ose-t-il omettre cette question ? Comment et grĂące Ă qui notre systĂšme judiciaire en est-il arrivĂ© lĂ avant Trump ? VoilĂ une question qui ne devrait pas ĂȘtre nĂ©gligĂ©e. Cela fait trois questions en plus de celle de Chemerinsky.
Et maintenant, voyons ce que Michelle Goldberg a Ă dire sur l'affaire Khalil. Relisez l'extrait citĂ© plus haut de sa chronique : â[...] nous vivons dans un pays radicalement diffĂ©rent de celui que nous connaissions avant l'investiture de Trumpâ. Ah bon ? Si diffĂ©rent que ça, Mme Goldberg ? Et puis, selon l'avocat de l'ACLU : la dĂ©cision de Trump concernant M. Khalil est l'attaque la plus grave contre le Premier Amendement depuis un demi-siĂšcle. Un demi-siĂšcle ? Rien de fĂącheux ne se serait produit entre-temps, disons pendant le premier mandat de Trump, et le premier et dernier de Joe Biden ?
Voici trois cas, parmi d'innombrables autres comme eux, relevant du pur sophisme. On entend aujourd'hui beaucoup de choses de ce genre de la part de la classe libĂ©rale, le syndrome de l'aliĂ©nation de Trump ayant fait son retour parmi nous. Le prĂ©sident Trump fait des choses trĂšs inquiĂ©tantes, c'est certain. Et s'il n'y avait pas Trump, tout irait pour le mieux - ce que nous sommes du moins invitĂ©s Ă croire - et nous devons le croire, car personne nâa jamais rien fait dâinquiĂ©tant avant l'arrivĂ©e de Trump.
On retrouve ce type de glissement malhonnĂȘte et cynique sur l'histoire rĂ©cente, et dans toutes sortes de contextes. Le recours standard des libĂ©raux. La Russie a dĂ©clenchĂ© la guerre en Ukraine, qui n'a commencĂ© qu'en 2022 : voilĂ un exemple qui brille dans le noir. Chemerinsky, Goldberg et consorts, et on peut multiplier les consorts Ă l'infini, tentent le mĂȘme coup, bien que de maniĂšre plus subtile, lorsqu'ils font remonter la menace qui pĂšse sur le pouvoir judiciaire amĂ©ricain et les agissements de Donald Trump.
Le doyen Chemerinsky est suffisamment influent pour faire la une de la page d'opinion du Times, harmonieusement cadrée, dont voici le premier paragraphe :
âL'avenir de la dĂ©mocratie constitutionnelle amĂ©ricaine ne repose plus que sur une seule et unique question : le prĂ©sident Trump et son administration vont-ils dĂ©fier les dĂ©cisions de justice ?â
L'avenir de la dĂ©mocratie constitutionnelle amĂ©ricaine ? Non, rien d'exagĂ©rĂ© Ă suggĂ©rer que c'est la question clĂ©, abstraction faite de la prĂ©tention histrionique de Chemerinsky Ă la gravitĂ©. Deux mois Ă peine aprĂšs son entrĂ©e en fonction, Trump fait Ă nouveau preuve d'un mĂ©pris effarant du droit, de la procĂ©dure judiciaire et, plus gĂ©nĂ©ralement, de la Constitution. Elon Musk, le monstre crypto-fasciste que Trump laisse se pavaner comme secrĂ©taire d'Ătat lors des rĂ©unions du cabinet, ne fait qu'accroĂźtre la crainte des direction prise par l'AmĂ©rique.
Mais il n'est pas non plus exagĂ©rĂ© de dire que Chemerinsky se livre au tour de passe-passe insidieux mentionnĂ© ci-dessus : l'omission de l'histoire, qui (comme Hannah Arendt nous l'a rappelĂ© Ă de nombreuses reprises) se rĂ©sume toujours Ă une forme de mensonge. Et mĂȘme les doyens des facultĂ©s de droit sâavĂšrent ĂȘtre des idĂ©ologues plus enclins au rĂ©flexe qu'Ă la rĂ©flexion. MĂȘme eux peuvent ĂȘtre enclins Ă dĂ©tourner la responsabilitĂ© de ce qui a mal tournĂ© afin de soustraire le monstre que constitue l'Ă©lite libĂ©rale Ă tout examen minutieux (et parfois pour Ă©viter que certains de ses Ă©minents membres ne soient mis en cause).
Les DĂ©mocrates â et bien que le bilan de Dean Chemerinsky comporte quelques Ă©lĂ©ments louables, car il est sans aucune ambiguĂŻtĂ© un DĂ©mocrate conventionnel â font grand bruit autour de Donald Trump en le prĂ©sentant comme une menace pour la dĂ©mocratie amĂ©ricaine depuis leurs tentatives avortĂ©es de le mettre en prison, et le flop de poursuites judiciaires trĂšs peu convaincantes. Ces manĆuvres dĂ©gagent une forte odeur de supercherie intellectuelle. C'est sournoisement malhonnĂȘte, la vĂ©ritĂ© n'y apparait que partiellement. Je n'aime pas ce terme, mais, par souci de concision : le Parti dĂ©mocrate et ses alliĂ©s institutionnels ont instrumentalisĂ© le pouvoir judiciaire ces dix derniĂšres annĂ©es, et tant que les personnes prĂ©tendument autorisĂ©es affirmeront que ce problĂšme nâa commencĂ© que le 20 janvier, l'indispensable travail de reconstruction n'aboutira pas.
Les Américains méritent des réponses aux questions posées ci-dessus. Et le premier impératif veut que les individus occupant des postes influents, comme Chemerinsky, s'abstiennent de faire de la politique dans le cadre de notre débat public sur la question, et agissent de maniÚre responsable au nom de notre république en lambeaux plutÎt que de leurs affinités idéologiques.
La corruption de nos tribunaux et de nos organes chargés de l'application de la loi au cours des derniÚres années est trÚs préoccupante. Voilà une conclusion qui ne manque pas de pertinence. Voici pourquoi. Et ce, pour deux raisons.
PremiĂšrement, l'Ă©lite du Parti dĂ©mocrate a soumis les plus hautes institutions judiciaires et policiĂšres du pays Ă des abus sans vergogne dĂšs que Donald Trump a annoncĂ©, en 2015, qu'il se prĂ©senterait Ă la prĂ©sidence. En peu de temps, les DĂ©mocrates ont fait cause commune avec l'appareil du renseignement, le ministĂšre de la Justice lui-mĂȘme et le Federal Bureau of Investigation. (Laissons de cĂŽtĂ© pour l'instant lâauto-dĂ©gradation pitoyable des grands mĂ©dias.)
Du fatras du Russiagate Ă l'enquĂȘte Mueller, en passant par les opĂ©rations illĂ©gales de la CIA sur le sol amĂ©ricain, et la complicitĂ© manifeste de hauts responsables du FBI au profit de la campagne d'Hillary Clinton : autant dâopĂ©rations qui ont compromis l'impartialitĂ© du systĂšme judiciaire amĂ©ricain, et les dĂ©gĂąts ne vont pas ĂȘtre simples Ă rĂ©parer. Une fois Trump Ă©lu, cette cabale diabolique s'est mise Ă subvertir le pouvoir exĂ©cutif au point quâon aurait parfois cru Ă un coup d'Ătat sans effusion de sang. Les AmĂ©ricains ont notamment Ă©tĂ© tĂ©moins de vastes opĂ©rations de censure dĂ©guisĂ©es en âmodĂ©ration de contenuâ. Les dĂ©fenseurs du Premier Amendement ont Ă©tĂ© qualifiĂ©s d'âabsolutistes de la libertĂ© d'expressionâ, la toute nouvelle dĂ©nomination.
Puis vinrent les annĂ©es Biden, du mĂȘme acabit. Ce qui n'Ă©tait au dĂ©part qu'une opĂ©ration de sabotage visant Ă renverser un prĂ©sident a virĂ© Ă lâopĂ©ration soutien du successeur, dont le niveau de corruption Ă©tait criant, tout en instrumentalisant la loi, pour maintenir le prĂ©dĂ©cesseur-concurrent Ă l'Ă©cart de la politique. Avant que le pourrissement ne soit complĂštement maĂźtrisĂ©, il a atteint Merrick Garland, le procureur gĂ©nĂ©ral de Biden, et Christopher Wray, le directeur du FBI. L'opĂ©ration de censure, finalement rĂ©vĂ©lĂ©e dans les Twitter Files et ailleurs, s'est Ă©tendue de la Maison Blanche aux bureaux de direction de la Silicon Valley en passant par le ministĂšre de la Justice et le FBI.
Je ne suis pas trĂšs fan des Ăąges d'or, et je ne prĂ©tends pas que le systĂšme judiciaire amĂ©ricain ait jamais Ă©tĂ© irrĂ©prochable. LĂ n'est pas la question. Ce que je veux dire, c'est qu'en refusant de reconnaĂźtre les dĂ©rives des DĂ©mocrates et de leurs alliĂ©s dans un passĂ© rĂ©cent, ceux qui s'Ă©meuvent aujourd'hui des abus de la justice par Trump font et feront obstacle Ă tout effort de rĂ©forme ou de reconstruction. Cette attitude tĂ©moigne de lâirresponsabilitĂ© flagrante de ceux qui se targuent de la droiture des anciens prĂ©dicateurs de la Nouvelle-Angleterre.
Une seule question doit ĂȘtre posĂ©e, âLa seule question pertinenteâ ? Non, celles qui comptent vraiment, et au pluriel, commencent par ce que des individus du genre de Chemerinsky ont dĂ©clenchĂ©s il y a dix ans. Ils veulent un systĂšme judiciaire propre et irrĂ©prochable, mais refusent d'admettre qu'ils ont contribuĂ© Ă le corrompre.
DeuxiĂšmement, on peut y voir un enjeu plus Ă©tendu. J'ai appris, il y a bien longtemps, que lorsque le systĂšme judiciaire d'une nation sombre lentement dans le chaos, cette nation fonce tout droit vers lâĂ©tat de faillite. J'ai dĂ©veloppĂ© cet argument dans un livre aprĂšs avoir Ă©tĂ© rapporteur spĂ©cial au Sri Lanka pour une commission asiatique des droits de l'homme. C'Ă©tait dans les annĂ©es 2000, lorsque les juges et les tribunaux de cette nation insulaire avaient troquĂ© leur dĂ©ontologie pour une corruption inouĂŻe. Lorsque le pouvoir judiciaire s'effondre et que les institutions de mĂ©diation disparaissent, le chaos est inĂ©vitable : tel Ă©tait l'argument prĂ©sentĂ© dans Conversations in a Failing State.
Ainsi dĂ©rive notre siĂšcle, et ce que je considĂ©rais autrefois comme un mal propre aux nations les plus dĂ©favorisĂ©es du Sud â prĂ©somption tout Ă fait injuste â a fini par gagner le Nord. C'est lâargument que jâai avancĂ©, il y a deux ans, en voyant les DĂ©mocrates intenter ces poursuites bidon pour empĂȘcher Trump de se lancer en politique, donc de concurrencer Biden aux Ă©lections de 2024. Ce fut une nouvelle Ă©tape dans l'instrumentalisation abusive de la justice, comme celle que j'ai observĂ©e il y a bien des annĂ©es, lorsque les avocats et les procureurs se terraient dans leurs cabinets Ă Colombo.
Encore un de ces moments oĂč l'on se dit que ça ne peut pas arriver ici, quand mĂȘme ? Chassez cette pensĂ©e, si tant est quâelle vous effleure. MĂȘme pour ceux qui n'ont que faire de Donald Trump, assister Ă la instrumentalisation de la loi par le ministĂšre de la Justice pour attaquer un candidat Ă la prĂ©sidence est dĂ©jĂ suffisamment grave. Et maintenant, nous devons affronter la dure rĂ©alitĂ© : ces annĂ©es d'abus institutionnels ont permis Ă Trump et ses collaborateurs de se livrer Ă des excĂšs de pouvoir en matiĂšre judiciaire. L'affaire Khalil, aussi choquante soit-elle, ne reprĂ©sente pas tant une nouvelle tendance que la consĂ©quence effroyablement logique des abus passĂ©s. L'Ă©lite DĂ©mocrate d'hier, autrement dit, sert aujourd'hui les intĂ©rĂȘts de Trump. Le pas est franchi.
Ă cet Ă©gard, nombreux sont ceux qui louent la dĂ©termination affichĂ©e par Pam Bondi et Kash Patel, respectivement procureure gĂ©nĂ©rale adjointe et nouveau directeur du FBI, Ă faire le mĂ©nage au sein du ministĂšre de la Justice et du FBI. Paul Street, l'essayiste de Chicago Ă l'Ćil affĂ»tĂ©, qualifie ces personnes de âTrumpistes de gaucheâ - merveilleuse formule... On peut concevoir la tentation d'approuver le projet de l'administration, mĂȘme si Paul Street ne le soutient pas, mais il ne faut pas. Les partisans de Trump s'attaquent clairement Ă l'instrumentalisation de la justice pour la rĂ©instrumentaliser Ă leurs propres fins. Pour l'instant, RAS.
L'un des livres que nous lisons actuellement chez nous est tout à fait singulier, et je vais terminer là -dessus. Il se passe à une autre époque, dans un autre lieu et dans d'autres circonstances, mais attendez.
Ella Lingens-Reiner Ă©tait mĂ©decin en Autriche. Elle a passĂ© deux ans et deux mois au camp dâAuschwitz-Birkenau, arrĂȘtĂ©e pour avoir tentĂ© de mettre des Juifs Ă lâabri. Prisoners of Fear, son rĂ©cit magnifiquement Ă©crit de son temps en captivitĂ©, a Ă©tĂ© publiĂ© en 1948 par Victor Gollancz, une petite maison d'Ă©dition littĂ©raire et politique londonienne. (Il n'a malheureusement pas survĂ©cu longtemps Ă son fondateur, dĂ©cĂ©dĂ© en 1967.) Le livre de Lingens-Reiner est aujourd'hui une raretĂ© et nous l'avons dĂ©couvert rĂ©cemment.
L'autre soir, nous sommes tombés sur un passage d'une pertinence stupéfiante et inattendue pour ce qu'est devenu, ou, pour garder un brin d'optimisme, ce vers quoi dérive le systÚme judiciaire américain. Il est éloquent :
âMa propre incarcĂ©ration dans une prison de la police nazie confirme une condamnation gĂ©nĂ©ralisĂ©e corroborĂ©e par des centaines de cas. Jamais auparavant on n'avait autant parlĂ© de âla loi et la justice proches du peupleâ. Jamais auparavant la loi et la justice n'ont Ă©tĂ© aussi dĂ©tournĂ©es, aussi profondĂ©ment coupĂ©es des valeurs morales du peuple, et jamais auparavant elles ne se sont aussi exclusivement soumises aux intĂ©rĂȘts d'une clique au pouvoir et de ses objectifs de guerreâŠâ
* Correspondant à l'étranger pendant de nombreuses années, principalement pour l'International Herald Tribune, Patrick Lawrence est critique des médias, essayiste, auteur et conférencier. Son nouveau livre, Journalists and Their Shadows, est maintenant disponible chez Clarity Press. Son site web est Patrick Lawrence. Soutenez son travail via son site Patreon.
https://scheerpost.com/2025/03/15/patrick-lawrence-season-of-the-sophists/
On assiste aussi en France à des arrestations abusives, ne serait-ce que des gardes à vue, si l'on donne un avis "défavorable" concernant le sale type qui gouverne notre pays. Ce dernier a déjà prévu de mettre à l'écart certains candidats politiques qui ne "correspondraient" pas au profil européiste à la prochaine élection de 2027, appliquant ce qui a été fait recemment en Roumanie (dont l'ingérence française a été prouvée.)