👁🗨 Le temps presse pour Julian Assange. Sans agir, comment les députés peuvent-ils affirmer tenir à la liberté d'expression ?
Si nos juges & hommes politiques sont incapables de mettre fin à cette mascarade, pourriez-vous au moins nous épargner l'hypocrisie des grands discours sur l'importance de la liberté d'expression ?
👁🗨 Le temps presse pour Julian Assange. Sans agir, comment les députés peuvent-ils affirmer tenir à la liberté d'expression ?
Par Duncan Campbell, le 27 juin 2023
Le fondateur de WikiLeaks risque l'extradition, et une issue incertaine aux États-Unis. Nos juges et nos hommes politiques se doivent d’intervenir
Une sculpture de bronze grandeur nature à son effigie a pris place à Parliament square ce week-end, mais le véritable Julian Assange pourrait très bientôt être emmené, protestant et résistant mais menotté, de la prison de Belmarsh à Londres vers une prison de haute sécurité aux États-Unis.
Le personnage d’Assange, créé par le sculpteur italien Davide Dormino, se dressait aux côtés de ceux de Chelsea Manning et d'Edward Snowden, lors d'un événement organisé pour nous rappeler que l'extradition de Julian Assange peut désormais intervenir sous peu. Manning est l'ancien soldat américain qui a divulgué des informations accablantes qu'Assange a publiées par l'intermédiaire de WikiLeaks. Edward Snowden attend toujours, en Russie, de savoir si tous les discours sur le caractère sacré de la liberté d'expression dans son pays ne sont que du vent.
Le tout dernier message que j'ai reçu de Daniel Ellsberg avant sa mort au début du mois concernait Assange. Ayant courageusement risqué sa propre liberté en 1971 avec ses révélations sur la guerre du Viêt Nam, Ellsberg était l'un des plus fervents partisans d'Assange, notamment parce qu'il s'identifiait à ce qu'il avait fait pour révéler les faits liés aux guerres d'Afghanistan et d'Irak. Il a fait valoir que si le procès contre Assange était mené à son terme, "n'importe quel journaliste, où qu'il soit dans le monde, pourrait désormais être extradé vers les États-Unis pour avoir divulgué des informations confidentielles dans ce pays".
Avec Alice Walker et Noam Chomsky, Ellsberg avait demandé au président américain, Joe Biden, de mettre un terme à l'extradition : "Le ministère de la Justice de Joe Biden, qui a proclamé un engagement renouvelé en faveur de la liberté de la presse, pourrait mettre fin à cette procédure sur-le-champ". Après tout, c'est Joe Biden, alors encore sénateur démocrate, qui a fait campagne contre l'extradition de suspects de l'IRA vers le Royaume-Uni pour qu'ils y soient jugés. Il l'a fait au motif qu'autoriser l'extradition reviendrait à "admettre que le système judiciaire d'Irlande du Nord est équitable - idée qui m'est absolument odieuse".
M. Biden pourrait certes agir, mais il en va de même pour nos propres responsables politiques. Stella Assange, épouse de Julian et mère de ses deux jeunes enfants, a déclaré lors des prises de parole sur Parliament Square : "Nous en sommes vraiment à la fin du processus... il faut le libérer. Sa vie en dépend". Les députés travaillistes John McDonnell, ancien chancelier fantôme, et Apsana Begum ont pris la parole lors du rassemblement, mais seuls quelques autres élus ont fait campagne en sa faveur. Richard Burgon, député de Leeds East, affirme que M. Assange est "persécuté pour avoir dénoncé les crimes de guerre américains [...] une attaque flagrante contre le journalisme". Où sont passés tous les députés qui ont voté le mois dernier pour l'adoption de la loi sur la liberté d'expression dans l'enseignement supérieur [Higher Education (Freedom of Speech)Act] du gouvernement conservateur, destinée à lutter contre ce qui est décrit comme la "culture de l'annulation" dans les universités ? Qu'est-ce que l'extradition si ce n'est une forme extrême d'annulation ?
Les députés conservateurs susceptibles de penser qu'il ne s'agit que d'un sujet de préoccupation pour les gauchistes et les libéraux devraient lire le récent article de Peter Hitchens dans le Mail on Sunday, dans lequel il reprend sa puissante attaque de 2020 contre ce qu'il décrit comme un "enlèvement sans foi ni loi" et une "violation fondamentale de notre souveraineté nationale". Et d'ajouter : "Il est inimaginable que les États-Unis nous livrent l'un de leurs citoyens accusé d'avoir divulgué des documents secrets britanniques... Pourtant, si M. Assange est jugé aux États-Unis, n'importe quel journaliste britannique en possession de documents classifiés en provenance des États-Unis, même s'il n'a commis aucun crime selon notre droit national, court le même danger". Pour les députés qui estiment que la Grande-Bretagne se doit de "reprendre le contrôle", voici un excellent moyen d'y parvenir.
M. Assange a déjà passé quatre années à Belmarsh sans procès, sans compter les années à l'ambassade d'Équateur où sa vie privée avec sa femme et sa famille a été filmée et espionnée sans vergogne. On ne sait pas encore quelles conditions de détention il aurait à subir s'il était extradé, mais la publication dans le Guardian le mois dernier des illustrations d'Abu Zubaydah sur la torture et la dégradation auxquelles lui et d'autres détenus ont été soumis à Guantánamo Bay devrait nous rappeler avec effroi ce qui peut encore arriver à des prisonniers politiques sous la juridiction des États-Unis.
Parliament Square est un site célébrant sous forme de statues des figures héroïques telles que Mahatma Gandhi et Nelson Mandela. La statue la plus proche de celle du trio exposé ce week-end est celle de la suffragette Millicent Fawcett, avec la célèbre citation : " Le courage, en tous lieux, appelle au courage ". Alors que se profile le dernier acte de ce drame, les magistrats pourraient encore faire preuve du courage qui leur a tant fait défaut jusqu'à présent. S'ils échouent, le ministre de l'Intérieur, Suella Braverman, peut encore intervenir et témoigner de la même indépendance affirmée par Theresa May en empêchant l'extradition du hacker Gary McKinnon en 2012. Mais si nos juges et nos hommes politiques sont incapables de mettre fin à cette mascarade, pourriez-vous, je vous prie, nous épargner l'hypocrisie des préoccupations relatives à la "culture de l'annulation" et les grands discours sur l'importance de la liberté d'expression ?
* Duncan Campbell est un écrivain indépendant qui a travaillé pour le Guardian comme correspondant pour les affaires criminelles et pour Los Angeles.
https://www.theguardian.com/commentisfree/2023/jun/27/julian-assange-extradition-mps-free-speech