đâđš Le théùtre de l'absurde s'invite Ă Washington
âBiden espĂšre qu'IsraĂ«l acceptera une mission amĂ©ricaine formant une AutoritĂ© palestinienne ârevitalisĂ©eââ. Ah oui - la formule collaborationniste qui a si bien fonctionnĂ© en Afghanistan, c'est ça ?!

đâđš Le théùtre de l'absurde s'invite Ă Washington
Par Alastair Crooke pour Al Mayadeen English, le 6 février 2024 à 15:01
Les Ătats-Unis ont un prodigieux naufrage sur les bras : les principes mĂȘmes qui sous-tendent le sionisme ont volĂ© en Ă©clats le 7 octobre 2023. Il en est rĂ©sultĂ© une psychose de masse en IsraĂ«l, faite de peur, de colĂšre, et mĂȘme de soif de sang.
De nombreux Ă©crivains, et notamment James Hillman dans son livre âA Terrible Love of Warâ, ont tentĂ© d'aborder la question de la soif de sang : une pulsion si terrible, qui dĂ©clenche une fureur martienne unissant les hommes dans la bataille. âJe me sentais comme un dieuâ, dĂ©clare le gĂ©nĂ©ral Patton (dans le film Ă©ponyme). Le gĂ©nĂ©ral marche sur le terrain aprĂšs une bataille. Terre brĂ»lĂ©e, chars incendiĂ©s, hommes morts. Il prend un officier mourant dans ses bras, l'embrasse, contemple les dĂ©gĂąts et dĂ©clare : âJ'aime ça. Que Dieu me vienne en aide, j'aime vraiment cela. Plus que ma vieâ. En d'autres termes, les sociĂ©tĂ©s ont trouvĂ© - et continuent de trouver - un sens Ă la vie Ă travers la guerre.
C'est ce que fait IsraĂ«l, qui cherche en quelque sorte un âsensâ Ă ses racines bibliques dans le chaos qu'il a infligĂ© Ă Gaza : une passion encore attisĂ©e par les âbarriĂšresâ rĂ©gionales qui se referment sur son âprojetâ de Sion.
Dans le mĂȘme temps, une civilisation riche en histoire - la âcivilisation de l'Islamâ, qui a insufflĂ© Ă la Renaissance europĂ©enne sa science, sa mĂ©decine, son astronomie, sa philosophie et son mysticisme - est animĂ©e par des souvenirs Ă demi oubliĂ©s d'une histoire millĂ©naire, et regarde âsauter les boulonsâ de la âweltanschauungâ [âconception du mondeâ] dominante.
MĂȘme les Ătats arabes postmodernes sentent souffler le vent de l'histoire et se demandent de quel cĂŽtĂ© celle-ci finira par basculer. Car en effet, nous Ă©voluons dans les sables mouvants du temps.
Deux courants de l'histoire entrent en collision, et la raison en est claire : le monde occidental est en train de décliner, de s'enfoncer dans une phase d'épuisement lent et régressif.
Ce fait est Ă©vident pour tous, sauf pour les dĂ©tenteurs du pouvoir Ă Washington. Pour l'Ă©quipe de la Maison Blanche, il n'y a pas de âcollisionâ, pas de âdĂ©fiâ fondamental pour IsraĂ«l, pas plus que pour les structures de pouvoir nationales en AmĂ©rique, dont la portĂ©e dĂ©pend de la survie d'un mode particulier de projection du pouvoir sioniste (tel qu'il a Ă©tĂ© lĂ©guĂ© par Jabotinsky).
Que fait donc âMonsieur Bidenâ ?
Son Ă©quipe joue les âidiotsâ. L'Ă©quipe Biden prĂ©tend que le grand dĂ©fi n'est pas vraiment ce qu'il âestâ, qu'il s'agit plutĂŽt d'une chose que l'on peut âeffleurer et caresserâ par le biais de théùtres palliatifs absurdes - tant que l'on s'en tient fermement Ă notre narration amĂ©ricaine.
Tom Friedman, du New York Times (qui aurait une ligne directe avec la Maison-Blanche), nous raconte son histoire :
âLe premier scĂ©nario consisterait Ă adopter une position forte et rĂ©solue Ă l'Ă©gard de l'Iran...â (hmm, celui-lĂ n'ira pas trĂšs loin). âLe second scĂ©nario consisterait en une initiative diplomatique amĂ©ricaine sans prĂ©cĂ©dent pour promouvoir un Ătat palestinien - MAINTENANT. Il impliquerait une forme de reconnaissance par les Ătats-Unis d'un Ătat palestinien dĂ©militarisĂ© en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, qui ne verrait le jour qu'une fois que les Palestiniens auraient dĂ©veloppĂ© un ensemble d'institutions dĂ©finies et crĂ©dibles ainsi que des capacitĂ©s de sĂ©curitĂ© pour garantir que cet Ătat soit viable et qu'il ne puisse jamais menacer IsraĂ«lâ. (C'est moi qui souligne)
Et le troisiĂšme âpilierâ serait la chimĂšre amĂ©ricaine perpĂ©tuelle de normalisation saoudienne avec Netanyahou - dont le Beltway en est venu Ă croire qu'elle changerait âtoutâ. (En 2002, avec l'Initiative de paix arabe, cela aurait pu produire un certain effet. Mais aujourd'hui, le monde islamique n'est plus ce qu'il Ă©tait).
Martin Indyk a dĂ©clarĂ© que le âraisonnementâ qui sous-tend l'approche d'un âaccord palestinienâ est comme une vieille maxime de la mafia :
âBiden aimerait faire avaler la grenouille Ă Bibi (et conclure l'accord), ou bĂąillonner la grenouille (et faire place Ă un autre gouvernement). Dans tous les cas, les Ătats-Unis espĂšrent sortir de l'impasseâ,
c'est-Ă -dire faire une offre (comme on dit dans la mafia) qui ne peut ĂȘtre refusĂ©e - sauf que, fait gĂȘnant, Netanyahou peut refuser et refuse, effectivement, parce qu'il a derriĂšre lui l'Ă©crasante majoritĂ© de son Ă©lectorat qui demeure sceptique Ă l'Ă©gard d'un quelconque âĂtat palestinienâ.
Et ce n'est pas tout : David Ignatius, dans le Washington Post, nous dit que le principal obstacle Ă l'idĂ©e d'un grand Ătat palestinien est de mettre fin Ă la violence des colons et de relocaliser jusqu'Ă 200 000 IsraĂ©liens hors d'un futur Ătat palestinien. Vraiment ?
On peut vraiment parler de âstupiditĂ©â. Il n'y a pas 200 000 colons en Cisjordanie, mais environ 700 000. Qui, exactement, va ârelocaliserâ ces fanatiques ? (Pas les Forces israĂ©liennes dâoccupation, c'est Ă©vident : beaucoup sont eux-mĂȘmes des colons).
Netanyahou avalera-t-il la grenouille d'un Ătat palestinien Ă©tabli en Cisjordanie et Ă Gaza ? Ignatius postule :
âS'il [le Premier ministre] refuse, son gouvernement pourrait ĂȘtre renversĂ© par des rivaux qui adoptent la formule amĂ©ricaine pour mettre fin Ă la guerreâ.
Ce serait probablement aussi le début de la fin du sionisme.
Et MbS [Mohammed ben Salmane, prince hĂ©ritier et Premier ministre dâArabie saoudite] avalerait âla grenouilleâ en lĂ©gitimant un âbantoustanâ de mosaĂŻques se prĂ©sentant comme âun Ătatâ ? Comme le note Ignatius :
âLes responsables amĂ©ricains espĂšrent qu'IsraĂ«l finira par reconnaĂźtre que le seul plan valable est une mission soutenue par les Ătats-Unis pour former les forces de sĂ©curitĂ© d'une AutoritĂ© palestinienne ârevitalisĂ©eâ - que les responsables commencent Ă dĂ©crire comme lââAPRââ.
Ah oui - la formule de formation d'une force de sĂ©curitĂ© collaborationniste qui a si bien fonctionnĂ© en Afghanistan, câest ça ?
En fin de compte, que reste-t-il de cette initiative ? Une âcampagne d'informationâ menĂ©e par le Qatar et l'Ăgypte pour pousser le Hamas Ă accepter les propositions amĂ©ricaines de nĂ©gociation sur les otages, alors qu'ils savent que 96 % des IsraĂ©liens s'opposent Ă un accord prĂ©voyant la libĂ©ration de tous les otages en Ă©change de la cessation des combats, du retrait des forces armĂ©es israĂ©liennes de la bande de Gaza et de la garantie de l'immunitĂ© pour les dirigeants du Hamas. (34% du public israĂ©lien n'est pas favorable Ă un âaccordâ - Matan Wasserman dans Ma'ariv, 1er fĂ©vrier 2024 - hĂ©breu):
âL'opinion publique israĂ©lienne est partagĂ©e entre le dĂ©sir de voir les otages rentrer chez eux et le sentiment que le prix Ă payer va ĂȘtre trĂšs Ă©levĂ©. Si le talon d'Achille de l'accord est une condition non nĂ©gociable du Hamas exigeant l'immunitĂ© pour ses dirigeants, il sera trĂšs difficile pour le gouvernement d'accepter ... Le sondage ne laisse aucune place au doute - sur le fait que presque personne en IsraĂ«l n'est prĂȘt Ă accorder l'immunitĂ© aux dirigeants du Hamas, mĂȘme au prix d'un accord pour libĂ©rer les otages ...â.
On dirait bien que Washington a du mal à se défaire du tempo singulier et répétitif de la musique narrative. Le statu quo ante est toujours valable - si seulement nous parvenons à faire tenir le méta-narratif. S'en tenir à la monotonie du rythme. Il n'y a aucune créativité là -dedans, aucune nouveauté dont la musique pourrait s'emparer.
La âstupiditĂ©â (et l'ignorance) dominent. Cela pourrait ĂȘtre l'objet d'une curiositĂ© passagĂšre quant Ă leurs causes psychologiques prĂ©cises, si ce n'Ă©tait pas si grave. Les Ă©vĂ©nements d'aujourd'hui ne forment-ils pas, en grande part, le pĂŽle autour duquel s'articulera l'avenir de notre monde ?
https://english.almayadeen.net/articles/opinion/theatre-of-the-absurd-playing-out-in-washington