👁🗨 Le très ancien projet israélien d'expulser la population de Gaza vers le Sinaï est désormais à portée de main.
Alors que Royaume-Uni & USA soutiennent le carnage à Gaza, y compris l’invasion terrestre imminente, vont-ils aussi favoriser le plan de nettoyage ethnique d'Israël pour un “Grand Gaza” - en Égypte ?
👁🗨 Le très ancien projet israélien d'expulser la population de Gaza vers le Sinaï est désormais à portée de main.
Par Jonathan Cook, le 27 octobre 2023
Alors que Royaume-Uni & USA soutiennent le carnage à Gaza y compris l’invasion terrestre imminente, sont-ils aussi sur le point de favoriser le plan de nettoyage ethnique d'Israël pour un “Grand Gaza” - en Égypte ?
Alors qu'Israël masse ses forces le long de la barrière qui encercle Gaza, en attendant le feu vert des États-Unis pour une invasion terrestre, la question que peu de gens se posent est la suivante : quelle est la solution ultime pour Israël ?
Les hommes politiques britanniques et américains, soutenus par leurs médias, se sont plutôt contentés d'amplifier les justifications mensongères d'Israël pour bombarder sans discernement hommes, femmes et enfants de la minuscule enclave côtière et de préparer l'envoi de troupes. Seuls quelque 80 députés britanniques, sur 650, ont jusqu'à présent appelé à un cessez-le-feu.
On sait que les frappes israéliennes ont tué plus de 7 000 Palestiniens, dont près de la moitié sont des enfants, et qu'elles ont fait de nombreux blessés graves. Ils sont soignés dans des hôpitaux dépourvus de médicaments et d'électricité. Les Nations unies estiment qu'au moins 600 000 Palestiniens sont sans abri du fait des bombardements.
Dans un premier temps, les institutions occidentales ont justifié le carnage par le “droit d'Israël à se défendre”, un droit dont les Palestiniens ont été privés au cours des 16 dernières années, alors qu'Israël imposait un siège militaire brutal à l'enclave, empêchant l'entrée des produits de première nécessité et des médicaments.
Le prétendu “droit à l'autodéfense” d'Israël - la ligne officielle des deux côtés de la scène politique britannique - sert à couvrir les crimes contre l'humanité commis par Israël et à s'en rendre complice : massacres et destructions gratuites, “blocus complet” de Gaza, la privant de nourriture et d'eau, et attaques contre les infrastructures communautaires telles que les hôpitaux, les écoles, les mosquées et les bâtiments de l'ONU.
Mais aujourd'hui, alors que le nombre de morts devient de plus en plus obscène, le discours a changé. En chœur, les politiciens britanniques et américains affirment qu'il faut donner à Israël le temps et l'espace nécessaires pour “détruire le Hamas”.
Cela nécessite une invasion terrestre par les troupes israéliennes - dont beaucoup sont des extrémistes religieux des colonies illégales de Cisjordanie - qui chercheront assurément à se venger de l'attaque du Hamas du 7 octobre. Les atrocités ne peuvent que s'intensifier.
Folie militaire
Mais il y a une méthode à cette folie militaire d'Israël. Et l'objectif principal n'est pas celui qui est mis en avant. Les ambitions d'Israël sont bien plus vastes que la “destruction du Hamas”.
Israël connaît suffisamment l'histoire pour comprendre que les peuples occupés et opprimés ne se résignent jamais à accepter leur soumission. Ils continuent à trouver des moyens de résister. Même si le Hamas peut être éliminé, un nouvel adversaire, plus redoutable, émergera parmi la nouvelle génération actuellement traumatisée par les bombes israéliennes.
En fait, après avoir supprimé sa présence physique à Gaza en retirant colons et soldats en 2005, Israël a commencé à comprendre qu'il s'était enfermé dans une impasse stratégique.
Israël occupait toujours l'enclave, mais à distance. C'est la raison d'être du blocus qui limite étroitement les entrées et sorties de la bande de Gaza. Gaza a été transformée en une prison à ciel ouvert, contrôlée par Israël au moyen d'une surveillance intensive par drones, de l'écoute des communications et de collaborateurs locaux.
Dans la pratique, cependant, Israël a rencontré beaucoup plus de difficultés à contrôler Gaza à distance. Le Hamas a réussi à créer un mouvement de résistance nettement plus sophistiqué dans les minces interstices non surveillés par Israël à l'intérieur de la prison, comme un réseau de tunnels souterrains.
Le résultat s'est pleinement manifesté lors de la préparation et de l'exécution de l'attaque du Hamas le 7 octobre.
Le problème stratégique d'Israël a été aggravé par la crise humanitaire qu'il a créée en enfermant une population aussi nombreuse et en constante augmentation dans une zone minuscule sans ressources.
La pauvreté, la malnutrition, l'eau insalubre, la surpopulation et le manque de logements, ainsi que le traumatisme lié à l'enfermement et aux bombardements intermittents d'Israël pour mater toute résistance, ont lentement transformé Gaza d'une prison en un camp de la mort. Les Nations unies avaient averti que l'enclave serait effectivement “inhabitable” d'ici 2020.
La solution à ce problème, qui correspondait aux ambitions coloniales de longue date d'Israël de se substituer aux Palestiniens dans leur propre patrie, était claire. Israël devait créer un consensus en Occident pour justifier l'expulsion des Palestiniens de Gaza.
Et le seul endroit réaliste où aller était le territoire égyptien voisin du Sinaï.
Le “Grand Gaza”
En coulisses, les responsables israéliens qualifient leur dernière proposition de nettoyage ethnique de “plan pour le Grand Gaza”. Des détails ont été divulgués pour la première fois dans les médias israéliens en 2014, bien que des rapports indiquent que les origines remontent à 2007, lorsque l'administration Bush a apparemment été mise à contribution après la victoire électorale du Hamas à Gaza un an plus tôt.
À l'époque, le plan secret d'Israël misait davantage sur la carotte que sur le bâton. L'idée était de rattacher Gaza au Sinaï, en supprimant la frontière entre les deux. Washington contribuerait à assurer le financement international d'une zone de libre-échange dans le Sinaï.
Avec un taux de chômage de plus de 60 %, une surpopulation massive dans l'enclave et peu d'eau potable, on s'attendait à ce que les Palestiniens de Gaza déplacent progressivement le centre de leur vie vers le Sinaï, en s'y installant ou en déménageant dans des villes égyptiennes plus lointaines.
À la suite de la diffusion de ce projet, les responsables égyptiens et palestiniens se sont empressés de le dénoncer comme étant “créé de toutes pièces”. Cependant, de nombreux indices montrent que l'Égypte a commencé à subir des pressions à partir de 2007.
En réponse aux fuites des médias israéliens en 2014, un responsable proche de l'ancien président Hosni Moubarak [président égyptien de 1981 à 2011] a admis que des pressions avaient été exercées sur les autorités égyptiennes en 2007 pour qu'elles acceptent d'annexer la bande de Gaza.
Cinq ans plus tard, selon la même source, Mohamed Morsi [président égyptien de 2012 à 2013], qui dirigeait un éphémère gouvernement des Frères musulmans, a envoyé une délégation à Washington. Les Américains y ont proposé que “l'Égypte cède un tiers du Sinaï à Gaza dans un processus en deux étapes s'étalant sur quatre à cinq ans”. Morsi a lui aussi refusé.
Les rumeurs selon lesquelles l'actuel président égyptien, Abdel Fattah el-Sisi, était sur le point de céder en 2014 ont été alimentées à l'époque par le dirigeant de l'Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas. Dans une interview à la télévision égyptienne, il a déclaré que le plan israélien pour le Sinaï avait été “malheureusement accepté par certains en Égypte. Ne me posez pas d'autres questions sur ce thème. Il a été abandonné.”
Le plan du Grand Gaza a reçu un nouveau coup de pouce en 2018 lorsqu'on a envisagé de l'inclure dans le plan de “paix” pour le Moyen-Orient de Donald Trump, considéré comme l’“accord du siècle”. L'espoir était qu'il soit financé par les États du Golfe dans le cadre de leur normalisation avec Israël.
Cet été-là, le Hamas a même envoyé une délégation au Caire pour se renseigner sur les propositions.
Éliminer le Hamas
Pour Israël, l'intérêt de déplacer les Palestiniens de Gaza vers le Sinaï, que ce soit volontairement dans le cadre du plan “du Grand Gaza” ou par la force lors d'une invasion terrestre, est évident.
La dictature militaire égyptienne hériterait du problème lié à la destruction des groupes de résistance palestiniens tels que le Hamas - en grande partie à l'abri des regards - plutôt qu'Israël. Le Hamas s'en sortirait probablement mal, compte tenu de la répression exercée par l'armée égyptienne sur les mouvements politiques islamistes du pays.
Le coût de la surveillance et du maintien de l'ordre à Gaza serait transféré d'Israël au monde arabe et à la communauté internationale.
Une fois dans le Sinaï, on peut s'attendre à ce que les Palestiniens ordinaires cherchent à soulager leur pauvreté et leurs souffrances en s'intégrant dans la société égyptienne au sens large, pour finalement s'installer dans les grandes villes comme Le Caire et Alexandrie. Ils seraient privés par le droit international de leur liberté de retourner sur leurs terres d'origine.
Et dans une génération ou deux, leurs enfants s'identifieraient à l'Égypte et non à la Palestine.
Pendant ce temps, la Cisjordanie serait encore plus isolée et vulnérable aux attaques des colons juifs, soutenus par les soldats israéliens. Et Abbas ne pourrait plus prétendre représenter la cause palestinienne, sapant ainsi sa campagne visant à obtenir la reconnaissance du statut d'État.
Une énorme puissance de frappe
Le problème est qu'aucun dirigeant égyptien n'a osé accepter un tel plan, quelles que soient les pressions internationales et les pots-de-vin.
Aucun ne voulait être perçu comme complice du nettoyage ethnique et de la dépossession définitive du peuple palestinien par Israël, l'un des griefs les plus graves et les plus anciens partagés par les populations de tout le Moyen-Orient.
Ce qui nous amène à la campagne de bombardements actuelle d'Israël, qui ne respecte aucun principe de proportionnalité, et à son invasion terrestre imminente. Loin de cibler le Hamas, Israël a tout intérêt à utiliser l'attaque du Hamas du 7 octobre comme prétexte pour causer le plus de dégâts possible à Gaza.
L'objectif d'Israël est d'accélérer le processus visant à rendre Gaza inhabitable.
Israël attend des Palestiniens de Gaza qu'ils soient si désespérément désireux de partir qu'ils procèdent d’eux-mêmes au nettoyage ethnique, et que l'Égypte subisse un tel opprobre pour ne pas avoir ouvert la frontière avec le Sinaï qu'elle finisse par céder.
Avec sa campagne de bombardements actuelle, Israël est passé de la carotte au bâton.
Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou est conscient qu'il ne dispose que d'un temps limité pour provoquer un carnage suffisant pour réaliser l'objectif d'Israël.
En 2018, le journaliste israélien chevronné Ron Ben-Yishai a notamment révélé que l'armée israélienne envisageait une nouvelle stratégie à l'égard de Gaza impliquant son invasion et son découpage en deux, Israël occupant la moitié nord.
Dans le même temps, les États-Unis semblent être prêts à aggraver la crise humanitaire de Gaza en retenant les fonds de l'UNRWA, l'agence de secours des Nations unies.
Israël réalise actuellement ces deux objectifs par le biais de ses bombardements et de sa demande d’“évacuation” de la population du nord de la bande de Gaza, soi-disant pour sa propre sécurité, vers le sud de l’enclave.
L'objectif semble être d'entasser les Palestiniens dans le minuscule espace du sud de Gaza, à côté de la frontière avec le Sinaï, de détruire toutes les infrastructures civiles, et de bombarder et terroriser également les Palestiniens au sud.
Les Palestiniens réclament déjà à cor et à cri l'autorisation d'entrer dans le Sinaï, tandis que Sisi subit vraisemblablement les pressions les plus intenses en coulisses pour faire marche arrière, et ouvrir la frontière.
Selon les calculs glacés et cyniques d'Israël, ses forces armées enroulent fermement le tube de dentifrice, avant de dévisser le bouchon pour voir le contenu se déverser.
Si Gaza peut être nettoyée, Israël espère créer un précédent que la communauté internationale approuvera. Les Palestiniens de Cisjordanie seront poussés à rejoindre leur famille ou leurs compatriotes dans le Sinaï.
Après avoir été confrontés à la plaie béante de la dépossession des Palestiniens depuis plus de 75 ans, l'Occident et le monde arabe ne seront que trop heureux d'enterrer définitivement la cause palestinienne.