đâđš Le vieillard sâest Ă©criĂ© : âL'empire amĂ©ricain se porte Ă merveille !â Mais en fait, pas vraiment
On peut se demander qui conduit le bus aprÚs un discours aussi insipide que celui de Biden, visage de l'imperium américain s'obstinant à se perpétuer. Ce qui n'a rien d'original, ni de visionnaire.
đâđš Le vieillard sâest Ă©criĂ© : âL'empire amĂ©ricain se porte Ă merveille !â Mais en fait, pas vraiment
Par Patrick Lawrence pour ScheerPost, le 11 mars 2024
Les Ă©lites dĂ©mocrates et les journalistes qui les servent ont approuvĂ© avec ferveur le discours de Joe Biden sur âl'Ă©tat de l'Unionâ jeudi soir dernier, non pas tant pour ce qu'il a dit, qui nâapportait rien de nouveau, que pour l'attitude de notre prĂ©sident diminuĂ©. Peu importe que Joe Biden ait rĂ©duit une occasion de s'adresser Ă tous les AmĂ©ricains sur l'Ă©tat de leur nation Ă un vulgaire discours de campagne. Il a Ă©vitĂ© de s'effondrer pendant l'heure passĂ©e sur le podium, tout en enchaĂźnant des phrases cohĂ©rentes (pour la plupart) dans l'intĂ©rĂȘt de sa survie politique. C'est ce qui a comptĂ©.
âCe n'Ă©tait pas le vieux Joeâ, a dĂ©clarĂ© Peter Baker dans le New York Times de vendredi matin. âC'Ă©tait Joe l'Ănergique. C'Ă©tait Joe le ColĂ©rique. C'Ă©tait Joe le tapageur. C'Ă©tait Joe le joueur.â
Wow. J'ai l'impression d'avoir raté ça, Joe.
J'ai vu un Joe qui se contente des apparences creuses. C'était le Joe exhortant les deux chambres du CongrÚs et 32 millions de téléspectateurs à se joindre à nous pour faire croire que nous vivons encore au 20e siÚcle. Le Joe qui fait croire que la primauté mondiale de l'Amérique est intacte. Le Joe qui refuse de reconnaßtre l'émergence de nouveaux pÎles de pouvoir et le lourd tribut à payer pour ce refus.
âUne nation qui se dresse comme un phare pour lâensemble du monde. Une nation dans une nouvelle Ăšre des possiblesâ : impossible de croire qu'un personnage public amĂ©ricain, sans mĂȘme parler d'un prĂ©sident, puisse encore faire commerce de ce genre de baratin Ă©culĂ©. Un tel dĂ©ni, ne manquons pas de le rappeler, a un coĂ»t.
On est en droit de se demander qui conduit le bus aprÚs avoir écouté un discours aussi insipide que celui de Biden, et je tenterai de répondre à cette question.
Voici le passage du discours de Biden qui a le plus excité tous les Peter Baker libéraux désireux de le voir réélu en novembre :
âMes chers compatriotes, le problĂšme auquel notre nation est confrontĂ©e n'est pas liĂ© Ă lâĂąge, mais aux idĂ©es.... [Vous ne pouvez pas diriger l'AmĂ©rique avec des idĂ©es anciennes qui ne font que nous ramener en arriĂšre. Pour diriger l'AmĂ©rique, le pays des possibles, il faut avoir une vision de l'avenir et de ce qui peut et doit ĂȘtre fait.â
Ces remarques - que M. Biden a rĂ©citĂ©es Ă plusieurs reprises au cours des jours prĂ©cĂ©dents - nous ramĂšnent Ă des constats trĂšs douloureux, mĂȘme si les rĂ©dacteurs du discours de M. Biden ont voulu qu'il en soit autrement. Aucun prĂ©sident rĂ©cent ne s'est avĂ©rĂ© plus dĂ©pourvu d'idĂ©es nouvelles que Joe Biden.
Le soutien inconsidĂ©rĂ© Ă âl'Ătat juifâ, la guerre par procuration en Ukraine, la russophobie obsessionnelle, les provocations dans le dĂ©troit de Taiwan, les opĂ©rations secrĂštes en Syrie et ailleurs, les rĂ©gimes de sanctions imposĂ©s Ă trop de nations pour qu'on puisse les compter, la vassalisation de l'Europe : rien de tout cela n'est nouveau. Ce sont des idĂ©es si anciennes qu'elles plongent les Ătats-Unis dans un Ă©tat d'isolement de plus en plus extrĂȘme dans un monde impatient d'entrer dans le XXIe siĂšcle. Joseph R. Biden Jr. est le visage de l'imperium amĂ©ricain s'obstinant Ă se perpĂ©tuer. Ce qui n'a rien d'original, ni de visionnaire.
Jeudi soir, Biden a livré aux chambres du CongrÚs et aux millions de téléspectateurs qui l'ont suivi une performance, ainsi que Peter Baker et de nombreux autres l'ont célébré. Et son discours a été une performance à la mesure précise de sa vacuité. L'image a toujours été importante en politique. Mais ceux qui prétendent nous diriger, n'ayant rien de nouveau à dire et beaucoup à occulter quant aux agissements de l'Amérique, nous entraßnent dans ce qu'il convient d'appeler une culture des apparences. Voilà tout ce qui compte, alors que l'imperium poursuit ses activités généralement criminelles.
Nous en arrivons Ă l'un des nombreux constats troublants dâaujourd'hui. Les dirigeants de cette nation, et de l'Occident en gĂ©nĂ©ral, ont succombĂ© Ă un Ă©tat de paralysie qui les rend incapables de faire ce que notre Ă©poque exige le plus de la part des dirigeants. Il s'agit de leur capacitĂ© Ă prendre les dĂ©cisions audacieuses qui s'imposent si nous voulons nous engager sur une nouvelle voie, et tirer notre Ă©pingle du jeu dans un siĂšcle de transformations historiques.
Quel a été le dernier président à avoir prouvé qu'il ne craignait pas les idées novatrices et les actions décisives ?
Kennedy lorsqu'il a rĂ©solu la crise de la Baie des Cochons ? Ou lorsqu'il a appelĂ© Ă un nouvel ordre mondial et Ă la paix dans le monde - âun sujet sur lequel l'ignorance abonde trop souvent et la vĂ©ritĂ© est trop rarement perçue, alors qu'il s'agit du sujet le plus important au mondeâ - dans son cĂ©lĂšbre discours Ă l'American University au printemps 1963 ? Nixon lorsqu'il s'est ouvert Ă la Chine ?
Pour ne prendre qu'un exemple parmi tant d'autres, il faut mettre cela en parallĂšle avec la rĂ©ponse de M. Biden Ă la barbarie qui sĂ©vit Ă Gaza. Au lieu de promouvoir une nouvelle politique Ă l'Ă©gard de l'IsraĂ«l de l'apartheid que ces atrocitĂ©s exigent, il a envoyĂ© plus de 100 cargaisons d'armes Ă IsraĂ«l depuis le 7 octobre - secrĂštement pour Ă©viter de demander l'approbation du CongrĂšs, comme l'a rapportĂ© le Washington Post la semaine derniĂšre, tout en transportant par avion des palettes de âdĂźners prĂ©parĂ©sâ pour une population affamĂ©e de 2,3 millions de personnes. Dans son Ă©dition dominicale, le Times, dans un langage typiquement ouatĂ©, a qualifiĂ© cette situation de âdifficile posture des Ătats-Unisâ. L'expression âhypocrisie notoireâ aurait Ă©tĂ© plus concise et plus appropriĂ©e. Rien n'a changĂ© dans le solide soutien de Biden Ă un rĂ©gime dont les pratiques ne sont pas sans rappeler celles du Reich - il s'agit simplement d'une nouvelle performance au service du paraĂźtre.
â
Le soutien des Ătats-Unis au gĂ©nocide de Gaza, la guerre par procuration qu'ils ont passĂ© de nombreuses annĂ©es Ă provoquer en Ukraine : ces dĂ©sastres reflĂštent l'hypothĂšse erronĂ©e du rĂ©gime Biden selon laquelle l'AmĂ©rique vit dans un monde inchangĂ©. Ces politiques ont profondĂ©ment aliĂ©nĂ© la vaste majoritĂ© des habitants de la planĂšte, que ce soit en termes de population ou de nombre de nations. Cette majoritĂ© n'est plus avec l'AmĂ©rique comme elle l'aurait Ă©tĂ© autrefois. La âcommunautĂ© internationaleâ, cette expression de plus en plus creuse, se rĂ©sume aujourd'hui au Groupe des Sept et Ă quelques clients et partisans du G-7. C'est ce que j'appelle le coĂ»t du dĂ©ni.
Il y a beaucoup d'autres erreurs de calcul Ă noter dans ce domaine. L'invasion de l'Irak, l'Afghanistan, les opĂ©rations secrĂštes en cours en Syrie, la destruction de la Libye - autant d'Ă©checs qui reflĂštent une surestimation de la puissance amĂ©ricaine au XXIe siĂšcle et une sous-estimation de ses faiblesses accumulĂ©es. La destruction des pipelines Nord Stream il y a deux Ă©tĂ©s est un succĂšs en tant qu'opĂ©ration secrĂšte bien planifiĂ©e. En tant qu'expression de la politique Ă©trangĂšre amĂ©ricaine, elle tĂ©moigne soit de la faillite de Washington en matiĂšre de rĂ©flexion novatrice, soit de son dĂ©sespoir, peut-ĂȘtre les deux.
La vitalitĂ© Ă©conomique est essentielle Ă la conduite d'un empire, comme le montre clairement l'histoire. Ceux qui prĂ©tendent diriger les Ătats-Unis semblent ne pas savoir comment aborder cette question trop Ă©vidente pour ĂȘtre ignorĂ©e. Il n'est pas nĂ©cessaire de s'Ă©tendre sur le dĂ©sespoir croissant de nombreux travailleurs amĂ©ricains, consĂ©quence directe de l'hypertrophie impĂ©riale. La dette nationale, qui s'Ă©lĂšve aujourd'hui Ă 34 500 milliards de dollars, reprĂ©sente 129 % du produit intĂ©rieur brut. La comparaison avec la Chine, le BrĂ©sil, l'Ăgypte, la Sierra Leone et de nombreux autres pays Ă©mergents ou Ă revenu intermĂ©diaire est trĂšs dĂ©favorable. Pour mesurer le dĂ©clin de l'AmĂ©rique, il suffit de rappeler que le ratio dette/PIB a atteint en moyenne la moitiĂ© de son niveau actuel entre 1940 et 2022, alors qu'il n'Ă©tait que de 32 % en 1981.
On n'entend plus beaucoup parler de mondialisation, n'est-ce pas ? C'est parce que l'AmĂ©rique ne peut plus ĂȘtre compĂ©titive dans de nombreux secteurs de pointe. Le nationalisme Ă©conomique et le protectionnisme pur et dur sont la nouvelle idĂ©ologie Ă©conomique. Le rĂ©gime Biden est Ă mi-chemin de sa stratĂ©gie de contrĂŽle des exportations et d'autres entraves destinĂ©es Ă nuire aux industries chinoises de haute technologie. Ă la fin du mois dernier, il a annoncĂ© son intention d'interdire l'accĂšs au marchĂ© amĂ©ricain aux vĂ©hicules Ă©lectriques fabriquĂ©s en Chine, sous prĂ©texte qu'ils reprĂ©sentent une menace pour la sĂ©curitĂ©.
Tout cela est pitoyable.
Il n'est pas trĂšs compliquĂ© d'expliquer cette Ă©numĂ©ration (trĂšs partielle) d'erreurs d'apprĂ©ciation en matiĂšre de politique, de diplomatie, d'armĂ©e et d'Ă©conomie. Il suffit de regarder la prestation du prĂ©sident Biden lors du sommet des chefs d'Ătat et de gouvernement (SOTU), oĂč l'obstacle majeur est Ă©vident. Il ne veut pas reconnaĂźtre l'Ă©mergence de puissances non occidentales, notamment, mais pas seulement, surtout celles qui forment le groupe des BRICS. En consĂ©quence, il est incapable d'agir de maniĂšre sensĂ©e, avisĂ©e et imaginative face aux rĂ©alitĂ©s du XXIe siĂšcle, dont les deux plus Ă©videntes sont la montĂ©e en puissance des pays non occidentaux et le dĂ©clin relatif, voire absolu, de l'AmĂ©rique.
Réfléchissez encore une fois à ce discours et à toutes les pom-pom girls venues s'époumoner dans les mégaphones par la suite. Ces gens ne sont que des nostalgiques, et je considÚre depuis longtemps que la nostalgie est une forme de dépression qui s'empare de ceux qui sont incapables d'affronter la réalité. En tant que négationnistes, ils sont directement responsables de l'inhibition de toute chance pour l'Amérique de changer véritablement de cap pour emprunter une nouvelle voie.
Pour le dire autrement, nous ne sommes pas en train de crĂ©er et de recrĂ©er sans cesse notre monde Ă la maniĂšre d'une civilisation dynamique. Nous vivons dans un monde diminuĂ©, dĂ©pourvu de cet Ă©lan vital que Bergson considĂ©rait comme essentiel Ă toute sociĂ©tĂ© dynamique : les circonstances actuelles ne nous permettent pas d'aller de l'avant. Au lieu de cela, nos dirigeants imposent un prĂ©sent Ă©ternel, un âce qui estâ dont on ne peut s'Ă©chapper parce que personne ne nous guide vers un nouvel avenir dynamique.
Nous devrions ĂȘtre prudents, car ces Ă©checs nous incitent Ă conclure qu'il n'y a personne pour conduire le bus. L'inaptitude de Joe Biden encourage certainement cette pensĂ©e, mais elle masque une rĂ©alitĂ© plus globale encore plus dĂ©courageante que les autres. En fin de compte, Joe Biden est un symptĂŽme, et non une cause.
De nombreux prĂ©sidents avant Joe Biden se sont rendus coupables de vendre la politique Ă©trangĂšre amĂ©ricaine Ă ceux qui se proposaient de l'acheter. Dans le cas d'IsraĂ«l, cela provient d'un lobby devenu terriblement puissant qui n'hĂ©site pas Ă utiliser sa fortune pour dĂ©truire le processus politique amĂ©ricain, rĂ©duire au silence les critiques de l'Ătat sioniste et ainsi dĂ©manteler complĂštement ce qui reste de notre dĂ©mocratie. Quant Ă l'Ukraine, elle n'est que le dernier d'une longue sĂ©rie de conflits menĂ©s, Ă l'instar des systĂšmes de blanchiment d'argent, au profit du complexe militaro-industriel.
Le capital, pour finir, est le moteur de notre bus. Et de tout ce qui ne doit pas ĂȘtre critiquĂ© dans la nation que nous avons créée, le pouvoir du capital est certainement en tĂȘte de liste.
â
Josep Borrell, l'Espagnol au franc-parler qui occupe actuellement le poste de ministre des Affaires Ă©trangĂšres de l'Union europĂ©enne, a fait Ă la fin du mois dernier des observations qui se distinguent par leur honnĂȘtetĂ© implacable. Celles-ci ont Ă©tĂ© publiĂ©es le 25 fĂ©vrier sur le site web des Affaires Ă©trangĂšres de l'Union europĂ©enne, External Action, oĂč M. Borrell a repris pour le grand public sa prĂ©sentation lors de la confĂ©rence sur la sĂ©curitĂ© de Munich qui vient de se terminer.
Dans son discours de Munich et, par la suite, dans son essai sur l'Action extĂ©rieure, M. Borrell a identifiĂ© âles quatre tĂąches principales de l'agenda gĂ©opolitique de l'Union europĂ©enneâ. Trois d'entre elles sont facilement prĂ©visibles : le soutien Ă l'Ukraine, la fin de la crise de Gaza et le ârenforcement de notre systĂšme de DĂ©fense et de SĂ©curitĂ©â. N'importe quel technocrate europĂ©en aurait pu Ă©tablir cette liste. C'est la âtĂącheâ Ă laquelle les EuropĂ©ens sont confrontĂ©s - la troisiĂšme, telle que l'a ordonnĂ©e M. Borrell - qui retient l'attention. Il s'agit de ânos relations avec les pays dits du Sudâ.
Voici le franc-parler de M. Borrell Ă ce sujet :
âSi les tensions gĂ©opolitiques mondiales actuelles continuent d'Ă©voluer dans le sens de "l'Occident contre le âresteâ, l'avenir de l'Europe risque d'ĂȘtre bien sombre. L'Ăšre de la domination occidentale est en effet dĂ©finitivement rĂ©volue. Si cela a Ă©tĂ© thĂ©oriquement compris, nous n'avons pas toujours tirĂ© toutes les conclusions pratiques de cette nouvelle rĂ©alitĂ©.
... Nombreux sont ceux qui, dans le âSud Globalâ, nous accusent de pratiquer le âdeux poids, deux mesuresâ. ... Nous devons nous opposer Ă ce discours, mais aussi ne pas nous contenter de mots pour rĂ©soudre ce problĂšme : au cours des prochains mois, nous devrons dĂ©ployer des efforts considĂ©rables pour regagner la confiance de nos partenaires.â
Depuis qu'il a pris ses fonctions au sein de l'Union européenne il y a cinq ans, en juillet prochain, M. Borrell n'a cessé de s'exprimer sur la question de l'évolution des relations de l'Occident avec les pays non occidentaux. S'adressant au public à Bruges il y a deux ans, il a commis une gaffe aussi célÚbre que celle de Joe Biden :
âL'Europe est un jardin. Nous avons construit un jardin. Tout se passe bien. C'est la meilleure combinaison de libertĂ© politique, de prospĂ©ritĂ© Ă©conomique et de cohĂ©sion sociale que l'humanitĂ© ait pu construire - les trois choses ensemble.
Le reste du monde n'est pas exactement un jardin. La majeure partie du reste du monde est une jungle, et la jungle pourrait bien envahir le jardin.â
Borrell s'est rapidement excusé pour ses remarques et semble avoir parcouru un chemin considérable dans les années qui ont suivi, si l'on en croit son discours à Munich et le texte qu'il a écrit par la suite. Malgré son inconstance, il est l'une des rares personnes influentes - des rares dirigeants occidentaux, dois-je dire - à comprendre que le monde atlantique est arrivé à un point de rupture, à une étape d'une ampleur historique. Et il a raison de dire ce qui a amené l'Occident à ce stade. Dans l'aprÚs-Gaza et l'aprÚs-Ukraine, on commence déjà à s'en rendre compte, l'Occident constatera qu'il a redéfini ses relations avec le reste du monde. Mais pour définir un nouveau cap, les dirigeants occidentaux - tous, et pas seulement M. Biden - ne peuvent pas encore admettre un certain renoncement.
Alors que les Ătats-Unis ont finalement rĂ©ussi Ă provoquer l'intervention de la Russie en Ukraine il y a deux ans, le mois dernier, et que le rĂ©gime Biden a amenĂ© l'ensemble de l'alliance atlantique Ă soutenir sans rĂ©serve IsraĂ«l alors qu'il commençait - ou reprenait, pour mieux dire - son blocus du peuple palestinien Ă Gaza et en Cisjordanie, l'Occident se reposait encore sur une prĂ©somption de supĂ©rioritĂ© mondiale que nous pouvons dater de 1498, lorsque Vasco de Gama est arrivĂ© sur la cĂŽte indienne. Depuis, cette supĂ©rioritĂ© a Ă©tĂ© interprĂ©tĂ©e comme une supĂ©rioritĂ© matĂ©rielle, certes, mais elle s'est Ă©galement Ă©tendue aux sphĂšres culturelle, morale et institutionnelle. Il y a l'Occident et le reste du monde, comme l'a notĂ© Borrell, le jardin et la jungle, la lĂ©galitĂ© et l'anarchie, le premier et le tiers monde. Pour ĂȘtre moderne, il faut ĂȘtre occidental.
Cela fait quelques annĂ©es que ce paradigme a commencĂ© Ă perdre de sa crĂ©dibilitĂ©. Nous pourrions dater cela des luttes de libĂ©ration des dĂ©cennies qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale et que l'on appelle l'Ăšre de l'indĂ©pendance. En se montrant prudent, il est certain que la prĂ©tention de l'Occident Ă la supĂ©rioritĂ© en toutes choses a semblĂ© de plus en plus vacillante depuis que le mur de Berlin est tombĂ©, et que les peuples et les nations ont Ă©tĂ© libĂ©rĂ©s du carcan de la guerre froide que les Ătats-Unis imposaient Ă la planĂšte. Ă moins d'ĂȘtre un charlatan primitif comme Robert Kagan [politologue amĂ©ricain, chef de file des nĂ©o-conservateurs et cofondateur avec William Kristol du think tank Project for the New American Century (PNAC)], il faut considĂ©rer qu'il s'agit lĂ d'un tournant exceptionnel dans l'histoire de l'humanitĂ©.
L'échec dramatique de l'alliance atlantique en Ukraine et son soutien complaisant aux barbaries commises par Israël à Gaza selon l'Ancien Testament (voir, par exemple, la section 31 : 1-54) ont réduit en miettes ce qui subsistait des prétentions de l'Occident. On ne peut désormais plus prétendre à une moralité supérieure ou à la primauté du droit occidental. Tout ce qui reste, c'est la supériorité matérielle, principalement par le biais des armes de guerre, comme c'était le cas lorsque Vasco De Gama est arrivé dans le sud de l'Inde.
Comme beaucoup l'ont fait remarquer, IsraĂ«l et les Ătats-Unis ne s'en relĂšveront pas et j'ajouterais que l'Occident ne s'en relĂšvera pas non plus. Nous sommes donc confrontĂ©s Ă de nombreuses rĂ©alitĂ©s que la plupart d'entre nous, en Occident, avons longtemps ignorĂ©es. Les implications sont nombreuses.
Je dirais que la question la plus importante est de savoir si l'Occident assiĂ©gĂ© peut maintenir sa cohĂ©sion. Ă l'heure actuelle, l'Europe manifeste deux tendances contradictoires. La premiĂšre consiste Ă Ă©largir la zone Atlantique, afin de rĂ©cupĂ©rer une partie de l'indĂ©pendance abandonnĂ©e dans les premiĂšres dĂ©cennies de l'aprĂšs-guerre. Les EuropĂ©ens ne partent pas du principe que le passage de l'AmĂ©rique de la mondialisation au nationalisme Ă©conomique n'aura pas de consĂ©quences pour eux et pour d'autres. L'opĂ©ration Nord Stream Ă©tait en grande partie motivĂ©e par la gĂ©opolitique, mais les Ătats-Unis avaient Ă©galement une motivation Ă©conomique qui n'a pas Ă©chappĂ© Ă l'Europe. Ă l'inverse, de nombreux EuropĂ©ens, dont Borrell, prĂ©conisent un nouveau rapprochement avec les Ătats-Unis, perpĂ©tuant ainsi la longue et malheureuse habitude du continent de s'abriter sous le âparapluie sĂ©curitaire amĂ©ricainâ au dĂ©triment de sa souverainetĂ© et de son identitĂ©.
Une question partagĂ©e des deux cĂŽtĂ©s de l'Atlantique implique la plus grande tĂąche Ă laquelle le monde occidental a Ă©tĂ© confrontĂ© depuis longtemps - peut-ĂȘtre depuis des siĂšcles, selon la façon dont on compte. Elle consiste Ă renoncer aux prĂ©tentions Ă la supĂ©rioritĂ© dont la conscience occidentale a tirĂ© son identitĂ© au cours du dernier demi-millĂ©naire. Ce serait un immense progrĂšs pour l'Occident et pour tous ceux qui y vivent. Cela n'est pas synonyme de dĂ©faite, mais d'un immense allĂšgement : cela pourrait ouvrir la voie Ă de nombreuses possibilitĂ©s rĂ©elles - par rapport au âpays des possiblesâ que M. Biden a fait surgir de nulle part jeudi soir.
Mais les dirigeants occidentaux, et surtout américains, n'ont pas la moindre idée de la capitulation que notre époque exige d'eux. Pour parvenir à cette reddition, il faudra que les nations occidentales fassent preuve d'un leadership comme elles en ont rarement connu, et rien de tel n'est en vue à l'heure actuelle.