👁🗨 Le Yémen, maître de l'océan Indien
En soutenant Gaza sans équivoque, le front yéménite de l'axe de la résistance contribuera à saper l'influence américaine dans l'océan Indien, sauf si un cessez-le-feu durable est instauré à Gaza.
👁🗨 Le Yémen, maître de l'océan Indien
Par Khalil Harb, le 21 mars 2024
Ansarallah a perturbé à lui seul la dynamique du transport maritime mondial. Le Yémen lance des attaques contre des navires liés à Israël dans les profondeurs de l'océan Indien afin de couper la dernière voie d'accès à l'État d'occupation.
“Notre peuple est prêt à envoyer des centaines de milliers de moudjahidines en Palestine. D'accord, l'aspect géographique peut poser un problème. Notre peuple pourrait avoir du mal à s'y rendre en grand nombre. Néanmoins, et malgré tous les obstacles, nous n'hésiterons pas à faire tout ce qui est en notre pouvoir. Nous sommes entièrement alignés sur nos frères du front du djihad et de la résistance pour réaliser tout ce qu'il est possible d'entreprendre.”
— Abdul-Malik al-Houthi, le 10 octobre 2023
Depuis la proclamation d'Abdul-Malik al-Houthi, trois jours après le lancement de l'opération “Al-Aqsa Flood” de la résistance palestinienne, le 7 octobre, le mouvement Ansarallah du Yémen, sous sa direction, a connu une transformation remarquable.
La portée maritime d'Ansarallah a dépassé toutes les attentes initiales, s'étendant désormais aux côtes lointaines de l'océan Indien dans le cadre de son plan ambitieux visant à assiéger Israël en ciblant les intérêts maritimes de l'État d'occupation.
La stratégie du Yémen ne représente pas seulement une lueur d'espoir pour les Palestiniens qui subissent l'assaut militaire brutal d'Israël contre leurs vies, leurs maisons et leurs moyens de subsistance, mais elle est également devenue un pilier essentiel dans la lutte de l'Axe de la Résistance contre les machinations hégémoniques des États-Unis en Asie occidentale.
Fin février, al-Houthi a promis de développer la portée des attaques contre les navires liés à Israël, déclarant :
“Nous réservons des surprises auxquelles les ennemis ne s'attendent pas du tout”,
avant d'annoncer l'essai réussi d'un nouveau missile hypersonique.
Ces propos sont en contradiction flagrante avec le discours occidental qui vante ses initiatives visant à encercler le Yémen et à contrecarrer sa capacité à intercepter les navires à destination d'Israël. Au contraire, les opérations navales entreprises par les forces armées alignées sur Ansarallah se propagent largement, couvrant une distance considérable de plus de 6 000 kilomètres de la côte yéménite vers l'océan Indien.
L'échec de “Prosperity Guardian”
Le défi lancé par le Yémen a suscité un large soutien populaire de la part de ses ressortissants, autrefois en guerre, non seulement en faveur de Gaza et du blocus israélien, mais aussi contre les frappes aériennes américaines et britanniques incessantes lancées dans le cadre de l'opération “Prosperity Guardian”, un projet impérial extrajudiciaire visant à paralyser les capacités militaires d'Ansarallah sous prétexte de sécuriser le transport maritime international et les routes commerciales.
La déclaration sans équivoque d'al-Houthi sur l'interdiction faite aux navires associés à Israël, ou à ceux qui entretiennent des liens commerciaux avec lui, de traverser l'océan Indien et le cap de Bonne-Espérance montre que Washington et Londres ont essuyé une défaite stratégique cuisante.
En ciblant deux voies navigables critiques, le Yémen impose une nouvelle réalité aux routes maritimes mondiales. Cette phase de la bataille navale représente une menace importante pour les corridors maritimes établis dans le monde, obligeant les navires commerciaux voyageant vers et depuis l'Asie du Sud-Est à emprunter des itinéraires plus longs et plus coûteux autour de la pointe sud de l'Afrique pour atteindre la Méditerranée.
Partenaire de l'Iran, pas mandataire
Le message d'Al-Houthi est clair :
“Les Américains, les Britanniques et les sionistes espèrent-ils que toute action agressive contre le Yémen nous distraira de la défense de Gaza ?”
Ansarallah a récemment annoncé qu'il prendrait pour cible plus de 70 navires commerciaux ayant des liens avec Israël, ainsi que des cuirassés militaires dans la mer Rouge, la mer d'Arabie, le golfe d'Aden et l'océan Indien.
En outre, la position du Yémen remet en cause les rapports occidentaux faisant état de pourparlers secrets négociés par Oman entre les États-Unis et l'Iran, qui viseraient à contenir le conflit et à l'empêcher de s'étendre au-delà du “front yéménite”.
Malgré l'annonce par Washington du déblocage de 10 milliards de dollars de fonds iraniens gelés et ses manœuvres musclées d'intimidation et de séduction en coulisses, le positionnement stratégique de Sanaa vers l'océan Indien devrait faire taire toutes les rumeurs sur l'imminence d'un “accord entre les États-Unis et l'Iran”.
Au lieu de céder aux pressions américaines, Téhéran s'efforce de maintenir la stabilité et d'éviter une guerre totale par le biais de ses “fronts de soutien” en Irak, en Syrie, au Liban et au Yémen. L'escalade au Yémen constitue un défi régional majeur, éclipsant les trêves temporaires conclues par certaines factions en Irak.
Alors que l'administration Biden tente de présenter ses tentatives diplomatiques comme autant de succès, notamment par le biais de négociations indirectes avec Téhéran et de projets de construction d'un quai temporaire au large de la côte de Gaza, la situation au Yémen reste un obstacle humiliant pour la Maison Blanche, à la veille d'un processus électoral. Cette situation s'inscrit dans le cadre des efforts frénétiques déployés par la Maison Blanche pour gérer les scènes irakienne et libanaise, qui s'opposent également aux intérêts hégémoniques des États-Unis.
Le porte-parole du mouvement de résistance irakien Al-Nujaba, le Dr Hussein al-Musawi, déclare à The Cradle :
“Nos positions sont claires et nettes en ce qui concerne la présence américaine sur le sol irakien, à savoir un retrait total sans aucune ingérence dans nos affaires politiques, économiques et autres, la fin du contrôle américain sur tous les aspects de la politique irakienne, la libération des terres et des richesses, ainsi que l'indépendance politique et économique.”
Les répercussions économiques pour Israël
Les manœuvres stratégiques de Sanaa dans le corridor mer Rouge-golfe d'Aden-océan Indien ne se contentent pas de dérouter les forces navales américaines et britanniques, elles posent également des défis imprévus. Alors que le Secrétaire à la Défense américain Lloyd Austin se trouvait en Israël après avoir annoncé son opération “Guardian of Prosperity”, la résistance yéménite était occupée à ajouter des millions de kilomètres carrés à son périmètre opérationnel par missiles.
Les 12 % du commerce mondial qui transitent par le détroit de Bab al-Mandeb ont déjà subi un coup dur. Les perturbations qui en résultent, notamment l'augmentation des coûts d'expédition et des primes d'assurance, devraient alimenter l'inflation et risquent de paralyser les ports israéliens tels qu'Eilat et de réduire le trafic à Haïfa.
Bien que l'ampleur des répercussions sur le commerce extérieur d'Israël reste incertaine, les premières estimations font état de pertes dépassant les 180 milliards de dollars, compte tenu des données commerciales préexistantes de 2022.
Des capacités navales yéménites en pleine expansion
Parallèlement, une question se pose : comment la force “Guardian of Prosperity”, auparavant chargée de surveiller uniquement la mer Rouge et le golfe d'Aden pour contrer les menaces de missiles yéménites, va-t-elle gérer la vaste expansion requise pour surveiller les milliers de navires qui traversent l'océan Indien à destination et en provenance du cap de Bonne-Espérance ?
Si les États-Unis et le Royaume-Uni ne révèlent pas le nombre de navires de guerre affectés à leur mission quasi impossible, les chiffres qui circulent font état de la participation de plusieurs cuirassés américains, dont l'USS Laboon, l'USS Carney et l'USS Mason, ainsi que du destroyer britannique HM Diamond. La Grèce aurait également engagé une frégate, la France des navires de guerre sous commandement américain et l'Italie une frégate opérant en dehors du cadre de l'opération. Bien que la coalition ait annoncé publiquement la participation de plus de vingt pays à sa mission, l'engagement naval réel de ses membres est négligeable.
En outre, comment ne pas remarquer les lacunes fondamentales inhérentes à l'opération navale occidentale : les États-Unis “lancent des missiles de défense à 2 millions de dollars pour arrêter des drones houthis d'une valeur de 2 000 dollars.” Il n'est donc pas surprenant qu'un porte-parole du Pentagone ait reconnu il y a quelques jours que, malgré les frappes occidentales en cours au Yémen, les capacités d'Ansarallah n'ont pas été affaiblies.
Et voilà qu'Abdul-Malik al-Houthi vient ajouter l'océan Indien au scénario catastrophe des États-Unis, soit une superficie de plus de 70 millions de kilomètres carrés.
Ali al-Qahum, du bureau politique d'Ansarallah, qualifie cette expansion de “surprise choc et imprévisible” pour les adversaires de la résistance. Par ailleurs, elle renforce l'importance stratégique mondiale du Yémen en tant que force militaire capable de mener à bien le blocus total d'Israël.
On ignore si l'annonce de l'inclusion de l'océan Indien dans les opérations navales yéménites est liée aux essais du missile hypersonique. Cela ferait du Yémen l'un des rares pays à posséder cette capacité militaire unique - avec la Russie, la Chine, l'Iran et la Corée du Nord.
Quoi qu'il en soit, la capacité d'Abdul-Malik al-Houthi à prendre l'ennemi par surprise illustre la capacité du Yémen à perturber les dynamiques de pouvoir établies, en particulier dans la région de l'Asie occidentale. En soutenant Gaza sans équivoque, le front yéménite au sein de l'axe de la résistance contribue à réduire l'influence américaine dans les eaux de l'océan Indien, à moins qu'un cessez-le-feu durable ne soit instauré à Gaza.