👁🗨 L'Empire du Chaos relooké
L'Empire du Chaos - sans parler de Tel-Aviv - veut une Syrie en perpétuel chaos & sûrement pas un gouvernement stable & représentatif se battant contre le pillage de leur pétrole, leur gaz & leur blé.
👁🗨 L'Empire du Chaos relooké
Par Pepe Escobar, le 10 janvier 2025
“Toute guerre est basée sur la tromperie. Ainsi, lorsque nous sommes en mesure d'attaquer, nous devons en paraître incapables; lorsque nous déployons nos forces, nous devons paraître inactifs; lorsque nous sommes proches, nous devons faire croire que nous sommes loin et lorsque nous sommes loin, nous devons faire croire à l'ennemi que nous sommes tout près”.
— Sun Tzu, L'art de la guerre
L'Empire du chaos est implacable. Guerre juridique, déstabilisations, sanctions, kidnappings, révolutions de couleur, faux drapeaux, annexions : 2025 sera l'année des BRICS - et de leurs partenaires - en tant que cibles de choix sous le feu de l'ennemi.
L'inestimable professeur Michael Hudson a fait du “chaos” la politique officielle des États-Unis. Il s'agit d'une politique bipartite, qui s'étend à tous les niveaux de l'État profond.
En l'absence de vision stratégique à long terme, et dans un contexte d'expulsion impériale progressive de l'Eurasie, il ne reste plus à l'hégémon qu'à répandre le chaos de l'Asie occidentale à l'Europe et à certaines parties de l'Amérique latine - une tentative concertée de diviser (pour régner) les BRICS, et de contrecarrer leur volonté collective d'affirmer la souveraineté et la primauté des intérêts nationaux.
Il y a un an et demi, un groupe de réflexion américain a déjà introduit la notion d'“État clé” [swing state], non pas dans sa version électorale américaine, mais transposée au domaine géopolitique.
Les six candidats de l'époque étaient tous membres des BRICS (Brésil, Inde, Afrique du Sud), ou membres ou partenaires potentiels des BRICS (Indonésie, Arabie saoudite, Turquie).
Le message pour les “états clé” était sans équivoque : tous ces pays doivent être des cibles de déstabilisation, car si vous ne respectez pas “l'ordre international fondé sur des règles”, vous finirez par vous effondrer.
L'Arabie saoudite, qui se méfie de ses richesses sur les marchés financiers de Londres et de New York, continue de protéger prudemment ses paris : en théorie, Riyad est un membre des BRICS, mais en pratique, il ne l'est pas vraiment. La Turquie a été invitée en tant que partenaire (sans réponse officielle pour l'instant).
Et puis il y a la grande puissance d'Asie du Sud-Est, l'Indonésie, qui vient d'être admise comme membre à part entière cette semaine - sous la présidence brésilienne des BRICs. Appelons-les BRIIICS, principal vecteur d'un recalibrage sismique des plaques tectoniques géopolitiques, destiné à remodeler le commerce, la finance et la gouvernance.
Les BRIIICS et certains de leurs partenaires sont en train de constituer un formidable réseau, déterminé à réécrire les règles du jeu : actuellement 10 membres à part entière et 8 partenaires à part entière - et ce n'est pas fini - représentant 41,4 % du PIB mondial en parité de pouvoir d'achat (PPA), et environ la moitié de la population mondiale. Voilà ce à quoi l'Empire du Chaos doit faire face.
Les pays concernés, la Chine, l'Inde, la Russie, l'Iran, l'Indonésie, l'Afrique du Sud, le Brésil, l'Égypte et l'Arabie Saoudite, sont les joyaux transcontinentaux du monde multi-nodal émergent. Des populations imposantes, des ressources naturelles et une puissance industrielle considérables, et une myriade de perspectives de développement.
Les élites dirigeantes de l'Empire du Chaos n'ont rien à offrir pour contrebalancer cette puissance géopolitique grandissante - dotée de sa propre banque de développement (avec encore beaucoup de travail), d'un engagement total pour développer et tester des systèmes de paiement alternatifs, et d'une alliance commerciale transcontinentale étendue, déterminée à contourner progressivement le dollar américain.
Au lieu de miser sur la diplomatie, le dialogue et la coopération, l'Empire du Chaos - et l'Occident collectif vassalisé - “offrent” néanmoins quelque chose à la Majorité Mondiale : leur soutien total à un génocide par nettoyage ethnique, et leur soutien total à un gang terroriste en costard-cravate composé de coupeurs de têtes “modérés” prenant le pouvoir dans une ancienne nation arabe souveraine.
Bienvenue dans le monde de la terreur et du génocide.
En cas de doute, annexez tout
Dans le prolongement de ce qu'ils ont accompli lors du sommet d'octobre dernier à Kazan, les BRICS appliquent essentiellement une stratégie à la Sun Tzu. Pas de grandes proclamations. Et aucune menace directe envers l'Empire du Chaos, si ce n'est l'objectif clair de se débarrasser de l'emprise du FMI et de la Banque mondiale - en augmentant les transactions dans les monnaies locales.
Le mouvement des BRICS, lentement mais sûrement, déplace déjà d'autres éléments plurilatéraux de l'échiquier, de l'Organisation de coopération de Shanghai (OCS) à l'ANASE [Association des nations de l'Asie du Sud-Est].
Le top des BRICS, la Chine, va se concentrer sur une triade : la guerre technologique contre les États-Unis, l'augmentation de sa part du commerce mondial et le recalibrage des projets de la Belt and Road Initiative (BRI). À plusieurs égards, la BRI est la pièce maîtresse de l'approche de la Chine pour les BRICS.
L'objectif de Pékin englobe les marchés de l'ensemble du Sud, les BRICS, les accords de libre-échange de l'ANASE et l'APEC (clé du commerce et de l'investissement dans la région Asie-Pacifique). Il se trouve que l'APEC est étroitement liée à la BRI. La priorité donnée par le président Xi à la construction et au renforcement d'un marché à l'échelle de l'Eurasie a été conceptualisée pour la première fois par la BRI, lancée en 2013.
Parallèlement, depuis 2022, le ministre des Affaires étrangères Wang Yi n'a cessé de relayer l'appel de Xi en faveur d'une “nouvelle architecture de sécurité au Moyen-Orient”.
Pour la Chine, cela signifie un équilibre classique des pouvoirs : l'Iran est un pilier très solide, associé à la Chine en Asie de l'Ouest pour contrer les États-Unis. En 2021, la Chine et l'Iran ont signé un plan crucial de coopération économique sur 25 ans.
Et puis vient l'énergie. Environ 50 % des importations chinoises de pétrole brut proviennent d'Asie occidentale. Les fournisseurs de la Chine - pour le pétrole et le gaz - sont très diversifiés : Arabie saoudite, Irak, Émirats arabes unis, Oman, Koweït, Qatar et Iran (via la Malaisie).
Parallèlement, Pékin n'aura aucun problème à maintenir le QUAD [Quadrilateral Security Dialogue : coopération informelle entre les États-Unis, le Japon, l'Australie et l'Inde] et l'AUKUS [accord de coopération militaire entre les Etats-Unis, le Royaume-Uni et l'Australie] au rang de nuisances mineures. La stratégie de l'OTAN vers l'Asie est vouée à l'échec : la Chine est en train d'élaborer à grands pas une stratégie complexe de déni de zone.
En Afrique, l'Alliance des États du Sahel poursuivra son expansion - et la France, en tant que puissance néocoloniale, cessera d'exister. Dans le reste de l'Afrique, la nouvelle résistance décolonisatrice ne fait que commencer.
L'Amérique latine, quant à elle, est promise à de graves ennuis. L'Empire du Chaos sous Trump 2.0 pourrait adopter la Doctrine Monroe - en plus du délire d'annexion du Canada, du Groenland, du canal de Panama et de toutes les autres latitudes qui ne se doutent encore de rien. Dans l'ensemble, la situation sera difficile pour certains pays de l'“arrière-cour”, à l'exception de l'Argentine, néo-colonie dévastée.
Gestion de la défaite américaine contre la Russie
Le suicide collectif de l'Europe connaîtra un paroxysme - en raison du délabrement total d'un modèle social, industriel et culturel.
Le catalogue des fléaux comprend la démence absolue pratiquée à Bruxelles, la fin de l'énergie bon marché, une désindustrialisation accélérée, des économies en chute libre, une dette publique et privée insolvable et, enfin et surtout, dans la prétendue démocratie de l'OTAN, un mépris absolu des “dirigeants” de l'OTAN-UE pour le citoyen/contribuable européen moyen, lorsqu'il s'agit d'imposer des coupes sombres dans les budgets sociaux au profit d'une militarisation accrue.
La guerre commerciale tout à fait vraisemblable de Trump 2.0 contre l'UE ne fera qu'accélérer l'effondrement de l'économie européenne.
Prenons l'exemple de la France, qui connaît déjà une situation critique. La dette française se négocie maintenant avec des différentiels du niveau de ceux de la Grèce de 2012 par rapport aux obligations allemandes. Plus de 50 % des 2 500 milliards d'euros du marché des obligations d'État françaises sont détenus par des charognards internationaux et des capitaux spéculatifs. Pas de Mario Draghi équipé de bazooka de la Banque centrale européenne (BCE) pour sauver l'euro de sa nouvelle crise existentielle. Et le Petit Roi n'est qu'un pauvre hère, détesté y compris par les rats des égouts parisiens.
L'historien, anthropologue et démographe Emmanuel Todd, auteur de l'ouvrage révolutionnaire La Défaite de l'Occident (dont voici la première critique en anglais), est l'un des rares intellectuels français à comprendre les nouvelles règles du jeu.
Dans une interview étonnante accordée au porte-parole privilégié de la haute bourgeoisie française, Todd souligne l'absurdité d'un Trump victorieux “au milieu d'une économie en lambeaux”, et de surcroît alors que “les États-Unis sont en train de perdre une guerre, à l'échelle mondiale, contre la Russie”.
Ainsi, au milieu de tout le battage médiatique sur “l'hyperpuissance de Trump en tant qu'individu aux pouvoirs magiques”, Todd a trouvé une formulation stupéfiante et limpide : “Le travail de Trump consistera à gérer la défaite des États-Unis contre la Russie”.
La Syrie, une Libye 2.0
Tous les accros de pop culture que nous sommes savent que les États-Unis continueront à “gagner” - façon Hollywood, plutôt façon World Wrestling Federation [WWF : entreprise américaine spécialisée dans l'organisation d'événements de divertissement, principalement de catch et dans la gestion des droits de médias télévisuels et cinématographiques, musicaux et sur internet, et des produits dérivés]. Ce qui est sûr, c'est que quels que soient les missiles largués par Trump 2.0 dans les guerres commerciales contre l'Europe et l'Asie, les élites acculées et autorisées de l'Empire du Chaos seront incitées à infliger d'énormes préjudices à la Majorité Mondiale.
La domination de la Syrie les a plongés dans une stupeur éthylique - et l'état d'esprit “Les véritables héros rejoignent Téhéran” revient en force (l'Iran, et ce n'est pas un hasard, est l'un des principaux membres des BRICS).
Toutes les conditions sont réunies pour que la Syrie devienne la Libye 2.0. Pourtant, il ne s'agit pas du principe selon lequel “on gagne toujours”, tout d'abord parce qu'il n'y a pas de “on gagne”. Au Liban voisin, le Hezbollah s'est déjà réorganisé. Après s'être regroupés et avoir élaboré de nouvelles stratégies, le Hezbollah, Ansarullah au Yémen, la nouvelle opposition syrienne et le Corps des gardiens de la révolution islamique en Iran vont former une nouvelle entité et reprendre la vraie bataille, celle contre Israël.
Personne ne sait ce que le salafiste jihadiste en costard-cravate Ahmad Al-Sharaa, anciennement Abu Mohammad Al-Jolani, gouverne réellement. La communauté occidentale, les monarchies du golfe Persique et Israël ne lui feront jamais confiance, à différents égards, et le considèreront comme jetable. Il n'est rien d'autre qu'un pigeon utile et transitoire.
Al-Jolani était à la fois l'émir de l'État islamique* à Ninive, l'émir de Jabhat Al-Nusra* et le premier émir d'Al-Qaïda* au Levant. Il concentre à lui seul toute la gamme de la propagande occidentale fabriquée sur le “terrorisme”. Ses disciples sont déjà très mécontents qu'il n'ait pas instantanément transformé la Syrie en un émirat islamique.
S'il ne transmet pas le pouvoir en 2025 - et non dans quatre ans - à un parlement, un gouvernement et un président nouvellement élus, il faudra oublier la levée des sanctions contre la Syrie.
L'Empire du Chaos - sans parler de Tel-Aviv - veut en fait une Syrie en perpétuel chaos, et certainement pas un gouvernement stable et représentatif qui se battrait contre le pillage de leur pétrole, de leur gaz et de leur blé.
On peut aussi évoquer le choc frontal imminent entre Israël et le néo-ottomanisme turc. Le projet turc de contrôler la Syrie est pour le moins bancal. L'Empire du Chaos ne renoncera pas aux Kurdes, et le ministère des Affaires étrangères turc évoque déjà la possibilité d'une “opération militaire”. Parallèlement, les fonds arabes n'afflueront pas pour reconstruire la Syrie tant que Damas ne sera pas totalement inféodée aux monarchies du golfe Persique.
Tout est question de dette - et de production industrielle
Les BRICS sont bien sûr traversés par de graves contradictions internes, qui seront exploitées sans pitié par l'Empire du Chaos. À commencer par l'Iran, les Émirats arabes unis, l'Égypte et l'Arabie saoudite (quand les Saoudiens se présentent aux réunions) qui s'efforcent de parvenir à un consensus autour d'une même table.
À cela s'ajoutent les contradictions internes d'un puissant lobby anti-BRICS au Brésil, y compris au sein du ministère des Affaires étrangères, reflétant le conflit interne iranien entre les soutiens inconditionnels de l’Axe de la Résistance et les partisans de l'atlantisme.
Ce qui importe le plus, au niveau institutionnel, c'est que la Chine et la Russie, dans la plus haute sphère des BRICS, mais aussi dans la sphère du soft power, continuent de privilégier des valeurs politico-économiques cruciales telles que l'égalité, l'harmonie et le développement humain - en totale synchronisation avec la Majorité Mondiale.
Ce qui ne changera pas, même sous la pression incessante de l'Empire du Chaos, c'est la volonté des BRICS d'instaurer un système parallèle, réellement démocratique, de relations internationales. Ceci n'implique pas la création d'un équivalent BRICS de l'OTAN : même l'OCS [Organisation de Coopération de Shangaï] fonctionne sous forme d'alliance souple. Après l'inéluctable défaite américaine en Ukraine, l'OTAN implosera tôt ou tard - de concert avec son bras armé de propagande politique, l'UE.
Le professeur Michael Hudson a, une fois de plus, mis le doigt sur le problème (collectif). Le nœud de cette affaire, c'est la dette extérieure :
“Les pays des BRICS ne peuvent en aucun cas se développer et en même temps payer les dettes étrangères qui les accablent depuis 100 ans et surtout depuis 1945”.
Ces obligations en dollars sont détenues par des compradores et des élites oligarchiques
“qui ne veulent plus détenir leurs propres devises parce que les pays du Sud et leurs élites se rendent compte que les dettes ne peuvent pas être remboursées”. Ainsi, “les pays BRICS, pour se développer, doivent annuler leurs dettes”
et résoudre le conflit entre intérêts particuliers et intérêts nationaux.
Le professeur Hudson est catégorique :
“Il faut se débarrasser des parasites locaux” pour que les BRICS puissent “créer une nouvelle structure internationale de commerce et de finance”. L'Empire du Chaos, bien sûr, “s'alliera aux parasites locaux”
pour fomenter - quoi d'autre - le chaos, les changements de régime et le terrorisme.
Même si les BRICS sont appelés à proposer une philosophie économique concertée - disons, de manière réaliste, au cours des quatre prochaines années environ -, la réalité géoéconomique est d'ores et déjà évidente. Depuis le début du millénaire, la production industrielle américaine n'a augmenté que de 10 % et, depuis 2019, de 0 %.
En comparaison, depuis 2000, la production industrielle de la Chine a augmenté de près de 1000 %, celle de l'Inde de plus de 320 % et celle de la Russie de plus de 200 %.
Les pays industrialisés de l'OTAN n'ont pas connu de croissance depuis la période pré-Covid 2019. L'Europe occidentale a atteint son apogée en 2007-8 - et l'Allemagne en 2017. Quant à l'Italie, son sort est bien sombre : la production industrielle y a diminué de 25 % depuis 2000.
Ajoutez à cela que l'Empire du Chaos, comparé à la Russie, n'est absolument pas compétitif dans la production d'armements, et franchement risible en matière d'hypersonique et de défense antimissile.
Une feuille de route réalisable pour les BRICS+ et la Majorité mondiale, afin de contrecarrer la “stratégie” impériale du chaos incontrôlé, consisterait à accélérer l'intégration dans tous les domaines, à recourir à Sun Tzu pour augmenter le taux de rétroaction des actions de Trump 2.0, et à forcer les sphères de l'État profond à multiplier les décisions erronées.
Cette approche devra progresser en phase avec la stratégie “La diversité fait la force” élaborée par les BRICS, où chaque nation et partenaire apporte son lot de richesses en termes de matières premières, de ressources énergétiques, de savoir-faire manufacturier, de logistique et, enfin et surtout, de “soft power” : en somme, les linéaments d'un nouvel ordre équitable à même de résorber le chaos incontrôlé.
* Les organisations terroristes sont interdites en Russie et dans de nombreux autres pays.
https://sputnikglobe.com/20250109/pepe-escobar-empire-of-chaos-reloaded-1121393521.html
Implacable analyse - même si peu réjouissante, surtout pour notre pauvre Europe -