đâđš Lâempire sans fin
L'Empire britannique est toujours là , des avant-postes insulaires aux bases militaires, dans le pillage des ressources de pays tiers et la mentalité impériale des responsables britanniques.

đâđš Lâempire sans fin
Par Mark Curtis, le 19 mai 2025
On dĂ©bat depuis longtemps pour savoir si l'Empire britannique â le plus grand que le monde ait jamais connu â a Ă©tĂ© une bonne ou une mauvaise chose. Mais une autre question se pose : a-t-il vraiment pris fin ?
à certains égards, c'est évident. Quelque 62 territoires ont obtenu leur indépendance du Royaume-Uni au cours des derniÚres décennies, principalement durant la période qui a suivi la lutte pour l'indépendance de l'Inde en 1947 jusqu'à celle du Zimbabwe en 1980.
Mais le roi Charles est toujours le chef d'Ătat de 14 territoires du Commonwealth, de l'Australie Ă Sainte-Lucie, et le Royaume-Uni contrĂŽle 14 autres âterritoires d'outre-merâ, tels que Gibraltar et l'Ăźle de Chypre.
Le ComitĂ© spĂ©cial des Nations unies sur la dĂ©colonisation a dressĂ© une liste de 17 territoires ânon autonomesâ, ou colonies Ă tous Ă©gards - sauf de nom. Dans 10 d'entre eux, le Royaume-Uni exerce encore actuellement son pouvoir administratif.
Bon nombre des bases militaires les plus importantes du Royaume-Uni se trouvent dans d'anciennes colonies, comme au Kenya et au Belize.
Les multinationales basĂ©es au Royaume-Uni, en particulier les sociĂ©tĂ©s miniĂšres et pĂ©troliĂšres, continuent de piller les richesses des pays anciennement colonisĂ©s et aujourd'hui indĂ©pendants. On observe une forte corrĂ©lation entre les lieux oĂč elles opĂ©raient autrefois et ceux oĂč elles opĂšrent aujourd'hui.
Et les fonds qui continuent d'ĂȘtre dĂ©tournĂ©s de ces territoires transitent rĂ©guliĂšrement par des paradis fiscaux insulaires contrĂŽlĂ©s par le Royaume-Uni, tels que les Ăźles Vierges britanniques et les Ăźles CaĂŻmans. Ces territoires sont les vĂ©ritables vestiges de l'Ă©norme puissance commerciale de la City de Londres Ă l'Ă©poque du colonialisme officiel.
La culture interventionniste qui imprĂšgne encore les couloirs de Whitehall est tout aussi vive : une mentalitĂ© bureaucratique empreinte d'une supĂ©rioritĂ© morale qui trouve tout Ă fait normal que la Grande-Bretagne envoie des navires de guerre ou des avions bombarder des pays Ă©trangers â comme le YĂ©men le mois dernier â avec le soutien des mĂ©dia nationalistes.
La puissance mondiale du Royaume-Uni a certes décliné depuis cette période de suprématie mondiale, comprise entre la défaite des marines française et espagnole en 1805 et la Seconde Guerre mondiale.
Mais la Grande-Bretagne reste l'une des principales puissances militaires et des puissances douces du monde, et l'un des pays les plus influents de la planĂšte, selon certains classements.
Ce que fait le Royaume-Uni revĂȘt donc toujours une importance considĂ©rable pour des millions de personnes Ă travers le monde. Et une grande partie de cette influence reste pernicieuse.
Le nouvel empire
Le âfardeau de l'homme blancâ, qui justifiait les brutalitĂ©s coloniales souvent ouvertement racistes, a Ă©tĂ© remplacĂ© par le maintien d'un âordre international fondĂ© sur des rĂšglesâ fictif, qui sert de couverture Ă la poursuite d'objectifs bien plus terre-Ă -terre.
Il s'agit notamment d'intervenir Ă volontĂ© dans d'autres pays (le plus souvent aujourd'hui en tant que vassal des Ătats-Unis), de s'accaparer leurs ressources dans le cadre d'accords commerciaux avantageux, de faire passer les intĂ©rĂȘts gĂ©opolitiques avant les droits humains, de soutenir les dictateurs infĂ©odĂ©s Ă Whitehall et d'afficher sa puissance militaire.
Et tout cela s'accomplit tandis que les dĂ©cideurs politiques Ă Londres, en 2025 comme en 1925, prĂ©tendent sans cesse occuper le haut du pavĂ© moral â avec le soutien invariable des mĂ©dias nationaux britanniques.
Des millions de personnes vivent encore sous le joug de l'Empire. Plusieurs des conflits frontaliers parmi les plus tenaces dans le monde opposent des populations qui souffrent encore des frontiÚres tracées il y a des décennies par les fonctionnaires coloniaux britanniques.
La Palestine en est un exemple. La politique britannique consistant à soutenir le génocide perpétré par Israël et son projet colonial au détriment des droits des habitants indigÚnes de la région est tout droit issue du XIXe siÚcle.
Remettre en cause les aspects insidieux de la politique Ă©trangĂšre actuelle du Royaume-Uni â et ils sont nombreux â revient ni plus ni moins Ă mettre vĂ©ritablement fin Ă l'Empire britannique.
L'empire des bases
Mon collÚgue Phil Miller a découvert en 2020 que le Royaume-Uni exploite pas moins de 145 bases militaires dans 42 pays à travers le monde. C'est un véritable empire. Mais c'est un empire méconnu de la plupart des gens en dehors du ministÚre de la Défense.
De nombreuses bases situĂ©es dans d'anciennes colonies servent de terrains d'entraĂźnement aux forces militaires britanniques, pour lesquelles la Grande-Bretagne ne paie pas un centime â comme au Belize â ou abuse en toute impunitĂ© de la population locale â comme au Kenya.
D'autres sites militaires britanniques de premier plan sont situĂ©s dans d'anciens âprotectoratsâ (des colonies Ă tous Ă©gards sauf de nom), en particulier dans les dictatures du Golfe que sont l'Arabie saoudite, Oman et BahreĂŻn. La Grande-Bretagne a contribuĂ© Ă la crĂ©ation du rĂ©gime saoudien dans les annĂ©es 1920 et 1930, tandis que les mĂȘmes familles rĂšgnent sur Oman et BahreĂŻn depuis le XVIIIe siĂšcle, soutenues par les troupes britanniques.
L'Ă©quilibre des pouvoirs entre la Grande-Bretagne et ces rĂ©gimes a certes changĂ© depuis l'Ă©poque coloniale, oĂč les dictateurs de pacotille faisaient ce que Londres leur dictait sous peine d'ĂȘtre renversĂ©s. Mais le fond reste le mĂȘme : Londres aide ces Ă©lites rĂ©pressives Ă se maintenir au pouvoir afin de protĂ©ger ses intĂ©rĂȘts militaires et commerciaux.
âSurveillance secrĂšteâ
Ă partir de la colonie britannique de Chypre (qui a obtenu son indĂ©pendance en 1960), les autoritĂ©s ont créé un nouveau territoire, dĂ©sormais dĂ©crit par les autoritĂ©s britanniques comme une âzone souveraineâ. Ce territoire comprend deux parties de l'Ăźle, connues sous les noms d'Akrotiri et de Dhekelia, reprĂ©sentant 3 % de la superficie de Chypre et abritant des bases secrĂštes des services secrets britanniques que le Government Communications Headquarters (GCHQ) refuse toujours de reconnaĂźtre publiquement.
Le maintien de ces bases militaires a été décrit par des responsables britanniques dans des dossiers déclassifiés dans les années 1990 comme relevant
âd'un intĂ©rĂȘt national supĂ©rieurâ, car âleur prĂ©sence contribue de maniĂšre significative aux relations transatlantiquesâ,
c'est-Ă -dire qu'elles constituent Ă©galement une base avancĂ©e pour les Ătats-Unis.
Akrotiri sert actuellement de site de décollage à des centaines de vols espions britanniques qui fournissent des renseignements à Israël durant son génocide à Gaza. Elle remplit cette fonction de longue date.
Le ministÚre de la Défense a décrit Akrotiri dans une analyse autrefois secrÚte de 1971 comme
âune base Ă partir de laquelle mener des opĂ©rations de surveillance, y compris la collecte de renseignementsâ, en plus de soutenir âles opĂ©rations navales et amphibies britanniques en MĂ©diterranĂ©e orientaleâ.
âOn peut tirer de grands avantages Ă pouvoir mener des opĂ©rations de surveillance secrĂštes Ă partir du territoire souverain britanniqueâ,
notait le ministÚre de la Défense.
Ă travers le monde
Une autre colonie actuelle est le soi-disant Territoire britannique de l'ocĂ©an Indien â ou Ăźles Chagos, dans l'ocĂ©an Indien â illĂ©galement dĂ©tachĂ© de l'Ăźle Maurice par la Grande-Bretagne dans les annĂ©es 1960 pour permettre l'installation d'une base militaire amĂ©ricano-britannique.
Les dĂ©putĂ©s conservateurs s'insurgent actuellement contre la dĂ©cision de la Grande-Bretagne de ârenoncerâ Ă ce territoire au profit de Maurice, alors qu'ils savent pertinemment que l'occupation britannique est illĂ©gale. Mais le droit international importait peu au XIXe siĂšcle, et il importe peu aujourd'hui, sauf devant les camĂ©ras.
Gibraltar, conquis en 1704 à l'Espagne par les Britanniques qui ne l'ont jamais quitté, est également vital pour Whitehall. Ce territoire stratégiquement situé à l'embouchure de la Méditerranée abrite plusieurs installations militaires britanniques sur moins de sept kilomÚtres carrés.
Une analyse autrefois secrÚte du ministÚre de la Défense britannique note que
âla valeur stratĂ©gique de Gibraltar dĂ©coule de sa position dominante Ă l'entrĂ©e de la MĂ©diterranĂ©eâ et qu'il est âidĂ©alement situĂ©â
comme base pour les activitĂ©s maritimes et aĂ©riennes dans la rĂ©gion, y compris les âopĂ©rations de frappe/d'attaqueâ.
Le Territoire britannique de l'Antarctique (BAT) est un autre territoire, peut-ĂȘtre peu connu, parmi les 14 territoires d'outre-mer britanniques sur lesquels le Royaume-Uni revendique la souverainetĂ©, mais qui font l'objet de revendications concurrentes de l'Argentine et du Chili. La superficie du BAT, principalement recouverte de glaces, est environ sept fois plus grande que celle du Royaume-Uni.
Le BAT ne compte aucune population indigÚne et la présence britannique sur le territoire est assurée par le British Antarctic Survey, qui exploite trois stations scientifiques. La Royal Navy maintient un navire de patrouille dans la zone durant l'été austral et le territoire dispose de son propre systÚme juridique et de ses propres administrations juridique et postale.
Les Malouines, situées dans l'Atlantique Sud, ont été conquises par la Grande-Bretagne en 1833 et font toujours l'objet d'un litige à l'ONU ainsi qu'avec l'Argentine.
Le Comité spécial de la décolonisation de l'ONU, composé de 24 pays et principal organe chargé des questions de décolonisation, appelle réguliÚrement le gouvernement britannique à négocier une résolution du différend avec l'Argentine sur le statut des ßles.
Le gouvernement britannique rejette systématiquement ces appels, affirmant que le choix des insulaires de rester britanniques est primordial.
En 2016, cependant, la Commission des Limites du Plateau Continental des Nations Unies a publié un rapport concluant que les ßles Falkland sont situées dans les eaux territoriales de l'Argentine.
âLe deuxiĂšme empireâ
La Grande-Bretagne a transformĂ© un empire territorial en un empire commercial mondial, dont la City de Londres est le centre nĂ©vralgique. En tĂ©moigne le rĂŽle prĂ©pondĂ©rant que joue actuellement le Royaume-Uni dans le facilitation de l'Ă©vasion fiscale mondiale, que le Tax Justice Network (TJN) qualifie de âdeuxiĂšme empireâ.
Le TJN publie un indice des paradis fiscaux pour les entreprises, qui classe les juridictions en fonction de leur complicité dans l'aide apportée aux multinationales pour réduire leurs impÎts sur les sociétés. Son dernier classement place aux trois premiÚres places les ßles Vierges britanniques, les ßles Caïmans et les Bermudes, toutes des territoires d'outre-mer du Royaume-Uni.
Selon le TJN, les pertes fiscales infligées au reste du monde par ces trois territoires britanniques s'élÚvent à plus de 87 milliards de dollars par an, soit plus de cinq fois le montant du programme d'aide internationale du Royaume-Uni.
Le TJN note
quââavec son rĂ©seau de territoires dĂ©pendants de la Couronne et d'outre-mer, le Royaume-Uni est le plus grand facilitateur mondial d'Ă©vasion fiscale transfrontaliĂšre. En effet, la âtoile d'araignĂ©eâ britannique, comme on l'appelle souvent, a Ă©tĂ© dĂ©veloppĂ©e comme un systĂšme mondial de spoliation Ă©conomique durant le dĂ©clin de son empire colonial officielâ.
Des documents dĂ©classifiĂ©s montrent Ă quel point les ministres britanniques apprĂ©cient, depuis bien longtemps, les âservicesâ financiers fournis par ces paradis fiscaux.
Par exemple, Tony Blair a écrit à Pamela Gordon, alors Premier ministre des Bermudes, en novembre 1997, déclarant que
âles Bermudes nous sont chĂšres et nous admirons pleinement leur rĂ©ussite, qui leur a permis de devenir l'un des principaux centres financiers et commerciaux du mondeâ.
Les ressources de pays tiers
Il y a quelques annĂ©es, j'ai Ă©tudiĂ© de prĂšs les activitĂ©s des sociĂ©tĂ©s cotĂ©es Ă la Bourse de Londres (LSE) ayant des intĂ©rĂȘts miniers en Afrique.
Cette étude a révélé que 101 entreprises, principalement britanniques, tirent des revenus d'activités miniÚres dans 37 des 49 pays d'Afrique subsaharienne. Ces entreprises contrÎlent des ressources estimées à 1 050 milliards de dollars pour cinq matiÚres premiÚres seulement : pétrole, or, diamants, charbon et platine.
Pour ne rien arranger, un quart de ces 101 entreprises cotĂ©es Ă la Bourse de Londres sont enregistrĂ©es dans des paradis fiscaux, ce qui leur permet de transfĂ©rer leurs bĂ©nĂ©fices vers des juridictions oĂč la fiscalitĂ© est faible, voire inexistante.
Londres est le centre de l'industrie miniÚre mondiale, accueillant des géants tels que Rio Tinto, Glencore et Anglo American. Les banques d'affaires et d'investissement, les fonds de pension et les compagnies d'assurance britanniques investissent chaque année des centaines de millions de livres sterling dans des dizaines de projets miniers à travers le monde.
Ces projets peuvent, dans certaines circonstances, profiter aux pays en développement, mais beaucoup sont tristement célÚbres pour avoir provoqué des catastrophes environnementales tout en générant des profits pour les actionnaires, au détriment des populations locales.
Le pétrole britannique
Ă l'Ă©poque coloniale, des sociĂ©tĂ©s privĂ©es telles que la Compagnie des Indes orientales, qui a conquis et gouvernĂ© une grande partie de l'Inde en l'exploitant massivement, ont largement influencĂ© la politique Ă©trangĂšre britannique. Aujourd'hui, les intĂ©rĂȘts du gĂ©ant pĂ©trolier britannique BP, mais aussi de Shell, sur lequel Declassified a beaucoup travaillĂ©, influencent considĂ©rablement les choix du gouvernement britannique.
De l'Iran à l'Azerbaïdjan, de l'Irak au Nigeria, de la Russie au Venezuela, le Royaume-Uni fait passer les profits de BP avant une politique étrangÚre qui, avec d'autres priorités et d'autres institutions, pourrait promouvoir les droits humains ou la gouvernance démocratique.
Plusieurs guerres et coups d'Ătat britanniques de l'aprĂšs-guerre s'expliquent notamment par les intĂ©rĂȘts pĂ©troliers dĂ©fendus par le gouvernement au profit de BP.
Il n'est donc pas surprenant que BP et les services gouvernementaux se livrent à un véritable va-et-vient de personnel et que l'entreprise entretienne des liens étroits avec les services du renseignement britanniques, comme Sir John Sawers, ancien directeur du MI6, qui siÚge au conseil d'administration de BP depuis 2015.
Pillage des ressources
Ă combien s'Ă©lĂšve le pillage des ressources des pays pauvres au profit des pays riches ? Jason Hickel, de la London School of Economics, calcule que les pays du Sud ont perdu la somme astronomique de 62 000 milliards de dollars durant la pĂ©riode 1960-2018 en raison de âl'inĂ©galitĂ© des transfertsâ.
Des milliards de tonnes de matiĂšres premiĂšres et des milliards d'heures de main-d'Ćuvre par an, sous forme de produits bruts, de produits industriels de haute technologie tels que les smartphones, les ordinateurs portables, les puces informatiques et les voitures, sont dĂ©sormais fabriquĂ©s en grande majoritĂ© dans les pays du Sud.
Un transfert de richesse occulte a lieu, car les prix payés pour ces produits sont systématiquement plus bas dans le Sud que dans le Nord.
âLe transfert depuis le Sud reste une caractĂ©ristique majeure de l'Ă©conomie mondiale dans l'Ăšre postcoloniale ; les pays riches continuent de miser sur des formes impĂ©rialistes d'appropriation pour maintenir leurs niveaux Ă©levĂ©s de revenus et de consommationâ, affirme Hickel.
Il est difficile d'estimer la part de responsabilitĂ© de la Grande-Bretagne dans ce phĂ©nomĂšne, mais compte tenu de son rĂŽle commercial mondial, on pourrait conclure qu'elle est âsignificativeâ.
Quelques tracés sur les cartes
L'empire perdure sous d'autres formes. Certains des conflits frontaliers les plus persistants au monde trouvent leur origine dans le dĂ©coupage du monde effectuĂ© par les autoritĂ©s britanniques en fonction de leurs intĂ©rĂȘts impĂ©riaux.
Au début de l'année 2023, prÚs de 200 000 personnes ont fui une ville du Somaliland, en Afrique de l'Est, à la suite de combats liés à la résistance d'un groupe contre une frontiÚre coloniale créée par la Grande-Bretagne en 1960.
En 2020, un affrontement sanglant a opposé les troupes indiennes et chinoises dans la vallée de Galwan, dans l'Himalaya, au sujet d'une frontiÚre tracée entre le Raj britannique et la Chine par les planificateurs coloniaux.
La ligne McMahon, tracée en 1914 par Henry McMahon, ministre des Affaires étrangÚres de l'Inde britannique, n'a jamais été reconnue par la Chine.
Bien que la derniÚre guerre frontaliÚre à grande échelle entre l'Inde et la Chine remonte à 1962, les tensions et les sources potentielles de conflits futurs persistent, comme c'est le cas ailleurs, notamment le long de la ligne Durand qui marque la frontiÚre entre le Pakistan et l'Afghanistan, tracée en 1893 par un diplomate britannique et l'émir afghan.
D'autres conflits majeurs, comme celui qui oppose l'Inde et le Pakistan, notamment au sujet du territoire divisé du Cachemire, trouvent également leur origine en partie dans les délimitations frontaliÚres britanniques.
La création d'Israël et l'expropriation forcée et le nettoyage ethnique de 750 000 Palestiniens en 1948 sont en grande partie dus à la déclaration de 1917 de la Grande-Bretagne promettant une patrie aux Juifs et à son soutien ultérieur au sionisme.
Comme Rashid Khalidi et beaucoup d'autres le soutiennent, IsraĂ«l est un projet colonialiste â essentiellement une continuitĂ© de l'expansion coloniale europĂ©enne dans une Ăšre de dĂ©colonisation officielle â qui continue d'ĂȘtre soutenu par Whitehall.
Plus prĂšs de chez nous, le statut futur de l'Irlande â sans parler de l'Ăcosse â reste une question Ă©pineuse pour les annĂ©es Ă venir.
Plus de 100 ans aprÚs la création de l'Irlande du Nord, un nombre croissant d'habitants de la province (mais pas la majorité) soutiennent la réunification de l'Irlande : 34 % en 2024 contre 27 % en 2022, selon un sondage.
Héritages
L'Empire a eu un impact énorme sur le monde et ses héritages ont été maintes fois évoqués. Les plus tangibles sont les structures physiques telles que les villes, les écoles, les hÎpitaux, les gares et les tribunaux à travers le monde.
Mais l'impact le plus extrĂȘme a Ă©tĂ© le massacre de masse. Mike Davis a Ă©crit un texte cĂ©lĂšbre sur les âholocaustes de la fin de l'Ă©poque victorienneâ. Une Ă©tude rĂ©cente calcule que la domination britannique en Inde a entraĂźnĂ© la mort de plus de 100 millions de personnes entre 1881 et 1920, en drainant les richesses du pays et provoquant une famine.
Certains auteurs affirment que la présence d'institutions parlementaires, de l'ordre public et des progrÚs en matiÚre de santé dans les anciennes colonies sont autant d'héritages de l'Empire, mais ces affirmations sonnent souvent creux.
Une étude montre que la domination britannique établit une corrélation directe avec la démocratie lorsque les pays ont accédé à l'indépendance, mais pas 30 ans plus tard. Dans d'autres pays, comme l'Inde, Amartya Sen note que la démocratie multipartite et la liberté de la presse n'ont été possibles qu'aprÚs le départ des Britanniques.
D'autres études montrent que la domination coloniale britannique en Afrique a favorisé la corruption persistante des chefs locaux, et que les guerres civiles nationalistes sont trois fois plus fréquentes dans les anciennes colonies britanniques que dans les autres anciennes colonies d'outre-mer.
Culture interventionniste
Caroline Elkins, Ă©minente historienne amĂ©ricaine, Ă©crit que l'Empire britannique Ă©tait essentiellement fondĂ© sur l'asservissement et la coercition, laissant derriĂšre lui un âhĂ©ritage de violencesâ.
En effet, âla force fait le droitâ selon beaucoup Ă Whitehall, il y a deux cents ans comme aujourd'hui. Mes recherches pour Declassified ont recensĂ© 83 interventions militaires britanniques dans 47 pays depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Ces Ă©pisodes vont des guerres coloniales brutales et des opĂ©rations secrĂštes aux tentatives de soutien Ă des gouvernements privilĂ©giĂ©s ou de rĂ©pression de troubles civils.
En outre, le Royaume-Uni a planifié ou exécuté 42 tentatives de renversement de gouvernements étrangers dans 27 pays depuis 1945. Ces tentatives ont impliqué les agences du renseignement, des interventions militaires secrÚtes et officielles, ainsi que des assassinats.
à l'apogée de l'Empire, les figures coloniales britanniques croyaient posséder une supériorité innée sur les peuples des autres pays, comme en témoignent les nombreuses lois, attitudes et politiques racistes qui ont prévalu pendant des décennies. C'est ce qui justifiait, dans leur esprit, la répression de leurs victimes.
Ces attitudes méprisantes persistent encore aujourd'hui et se manifestent sous plusieurs formes, notamment par la conviction que la Grande-Bretagne peut faire cavalier seul en Europe, qu'elle a gagné à elle seule la Seconde Guerre mondiale ou que les pays en voies de développement seraient mieux lotis dans un Empire 2.0.
Elkins note que
âle nationalisme impĂ©rial britannique a perdurĂ© et sous-tend la conviction de la Grande-Bretagne que cette petite nation insulaire est un gĂ©ant prĂȘt Ă revendiquer son droit historique sur le monde.
âDans aucun autre Ătat-nation contemporain le nationalisme impĂ©rialiste nâa perdurĂ© avec des consĂ©quences sociales, politiques et Ă©conomiques aussi explicitesâ, ajoute-t-elle.
Légitime défense
Les responsables britanniques affichent de multiples façons leur mentalitĂ© impĂ©rialiste dans leur politique Ă©trangĂšre. La Grande-Bretagne vient de bombarder le YĂ©men en prĂ©tendant agir en âlĂ©gitime dĂ©fenseâ, un droit qu'elle s'est octroyĂ© et qui ne s'applique qu'aux responsables de Whitehall et Ă leurs alliĂ©s.
Ils dénoncent un pays comme l'Iran pour tenter de se doter de l'arme nucléaire, alors qu'ils continuent d'augmenter l'arsenal nucléaire britannique, et passent sous silence celui d'Israël.
L'ancien chef de l'armĂ©e britannique, le gĂ©nĂ©ral Sir Nick Carter, s'est rĂ©cemment interrogĂ© : âEst-ce le moment de mettre fin aux aspirations nuclĂ©aires de l'Iran par une action militaire ?â TĂ©hĂ©ran se verrait refuser ce droit.
La Grande-Bretagne vient d'envoyer l'un de ses porte-avions patrouiller en Asie afin d'envoyer un âmessage fortâ sur la puissance navale et aĂ©rienne du Royaume-Uni, selon les termes du commandant du groupe de frappe, le commodore James Blackmore :
âIl s'agit de soutenir les routes commerciales clĂ©s entre la rĂ©gion indo-pacifique et le Royaume-Uni, ainsi que nos partenaires et alliĂ©s dans la rĂ©gion, en montrant que nous sommes prĂ©sents en tant que puissance fiable et crĂ©dible si cela s'avĂšre nĂ©cessaireâ.
Le commentaire de Blackmore pourrait avoir été fait dans les années 1850, lorsque les forces navales royales bombardaient les ports chinois pendant les guerres de l'opium.
C'est également ce sentiment de supériorité, ancré dans l'esprit des élites et dans l'histoire, qui explique la culture du secret qui rÚgne en Grande-Bretagne et le mépris du droit du public à connaßtre ne serait-ce que les grandes lignes de l'action des ministres.
La fin de l'empire
Combien de temps les vestiges de l'empire peuvent-ils encore perdurer ? Dans plusieurs pays, des voix s'Ă©lĂšvent pour rĂ©clamer la destitution du roi Charles en tant que chef de l'Ătat et l'instauration d'une rĂ©publique.
La Jamaïque prévoit d'organiser un référendum en vue de se doter d'une république dans le courant de l'année, tandis que des votes similaires pourraient avoir lieu au Belize et aux Bahamas. Des responsables politiques de la Grenade et de Saint-Kitts-et-Nevis ont également évoqué la possibilité pour leurs pays de rompre tout lien avec la monarchie britannique.
L'opposition à la présence militaire britannique à Chypre s'intensifie, en raison de son recours à la Royal Air Force pour soutenir Israël pendant un génocide. Au Kenya, des députés et des avocats contestent les actions de l'armée britannique coupables de meurtres de populations locales et de destruction de l'environnement.
L'ONU continue d'appeler réguliÚrement les empires à céder leurs derniers territoires afin que ces pays puissent accéder à une véritable gouvernance.
L'Irak en 2003 et Gaza aujourd'hui ont politisé plusieurs générations de Britanniques, qui perçoivent désormais plus clairement la véritable nature de la politique étrangÚre du Royaume-Uni. Ils ont été aidés par Twitter et des médias indépendants de plus en plus influents, qui contournent la servilité des médias mainstream vis-à -vis des versions officielles.
L'empire britannique a toujours eu ses dĂ©tracteurs et ses adversaires, mĂȘme Ă son apogĂ©e, et c'est certainement toujours le cas aujourd'hui. Il est possible d'y mettre fin et d'instaurer, pour la premiĂšre fois de notre histoire, une politique Ă©trangĂšre dĂ©cente, fondĂ©e sur les valeurs universelles et des rĂšgles internationales Ă©quitables.
Traduit par Spirit of Free Speech
* Mark Curtis est codirecteur de Declassified UK et auteur de cinq livres et de nombreux articles sur la politique étrangÚre britannique.
Un Empire tentaculaire fondĂ© lui aussi sur le racisme et le suprĂ©macisme vouĂ© , nous lâespĂ©rons, au dĂ©membrement total grĂące Ă lâĂ©veil des peuples!