👁🗨 L’empire s’autodétruit
Nous souffrons des mêmes pathologies que les empires moribonds, avec leur lot de bouffonnerie, de corruption endémique, de fiascos militaires, d'effondrement économique & de répression étatique féroce
👁🗨 L’empire s’autodétruit
Par Chris Hedges, le 7 février 2025
Les milliardaires, les fascistes chrétiens, les escrocs, les psychopathes, les imbéciles, les narcissiques et les déviants qui ont pris le contrôle du Congrès, de la Maison Blanche et des tribunaux, sont en train de cannibaliser les rouages de l'État. Ces blessures auto-infligées, caractéristiques de tous les empires révolus, paralyseront et détruiront les tentacules du pouvoir. Puis, comme un château de cartes, l'empire s'effondrera.
Aveuglés par l'hubris, incapables de comprendre le déclin du pouvoir de l'empire, les mandarins de l'administration Trump se sont retirés dans un monde imaginaire où les faits tangibles et déplaisants n'ont plus leur place. Ils bafouillent des absurdités incohérentes tout en détournant la Constitution pour remplacer la diplomatie, le multilatéralisme et la politique par des menaces et des serments de loyauté. Les agences et les ministères, créés et financés par des lois du Congrès, partent en fumée.
Ils suppriment les rapports et les données du gouvernement sur le changement climatique et se retirent de l'Accord de Paris sur le climat. Ils renoncent à l'Organisation mondiale de la santé. Ils sanctionnent les fonctionnaires de la Cour pénale internationale - qui a émis des mandats d'arrêt contre le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et l'ancien ministre de la Défense Yoav Gallant pour des crimes de guerre à Gaza. Ils ont suggéré que le Canada devienne le 51e État américain. Ils ont formé un groupe de travail pour “éradiquer les préjugés anti-chrétiens”. Ils appellent à l'annexion du Groenland et à la saisie du canal de Panama. Ils proposent la construction de stations balnéaires de luxe sur le littoral d'une Gaza dépeuplée sous contrôle américain qui, si elle a lieu, entraînera la chute des régimes arabes soutenus par les États-Unis.
Les dirigeants de tous les empires déchus, y compris les empereurs romains Caligula et Néron ou Charles Ier, le dernier souverain des Habsbourg, sont aussi incohérents que le Chapelier fou, proférant des propos absurdes, formulant des énigmes auxquelles il est impossible de répondre et débitent des chapelets d'insanités. Ils sont, comme Donald Trump, le reflet de la pourriture morale, intellectuelle et physique qui sévit dans une société malade.
J'ai passé deux ans à enquêter et à écrire sur les idéologues pervertis de ceux qui se sont emparés du pouvoir dans mon livre “American Fascists: The Christian Right and the War on America”. Lisez-le tant qu'il est encore temps. Je suis très sérieux.
Ces fascistes chrétiens, qui définissent l'idéologie principale de l'administration Trump, ne cachent pas leur haine pour les démocraties pluralistes et laïques. Ils aspirent, comme ils le détaillent de manière exhaustive dans de nombreux livres et documents “chrétiens” tels que le Projet 2025 de la Fondation Heritage, à dénaturer les organes judiciaires et législatifs du gouvernement, ainsi que les médias et le monde universitaire, pour en faire des appendices d'un État “christianisé” dirigé par un chef divinisé. Ils admirent ouvertement les apologistes nazis tels que Rousas John Rushdoony, un soutien de l'eugénisme qui soutient que l'éducation et la protection sociale doivent être confiées à l'Église et que la loi biblique doit prendre le pas sur le code juridique séculier, ainsi que les théoriciens du parti nazi tels que Carl Schmitt. Ce sont des racistes, des misogynes et des homophobes déclarés. Ils adhèrent à d'étranges théories du complot, allant de la théorie du remplacement des Blancs à un monstre obscur qu'ils appellent “the woke”. Autant dire qu'ils ne sont pas ancrés dans un univers fondé sur la réalité.
Les fascistes chrétiens sont issus d'une secte théocratique appelée dominionisme. Cette secte enseigne que les chrétiens américains ont été mandatés pour faire de l'Amérique un État chrétien et un agent de Dieu. Les opposants politiques et intellectuels à ce biblicisme militant sont condamnés comme des agents de Satan.
“Sous domination chrétienne, l'Amérique ne sera plus une nation pécheresse et perdue, mais une nation où les Dix Commandements constitueront la base de notre système juridique, où le créationnisme et les “valeurs chrétiennes” serviront de base à notre système éducatif, et où les médias et le gouvernement proclameront la Bonne Nouvelle à tous et à chacun”, ai-je noté dans mon livre. “Les syndicats, les lois protégeant les droits civiques et les écoles publiques seront abolis. Les femmes seront écartées du marché du travail pour être cantonnées au foyer, et tous ceux qui ne seront pas jugés suffisamment chrétiens se verront refuser la citoyenneté. En dehors de son mandat de prosélytisme, le gouvernement fédéral sera réduit à la protection des droits de propriété et à la sécurité du territoire”.
Les fascistes chrétiens et leurs bailleurs de fonds milliardaires, ai-je noté,
“parlent dans des termes et des tournures familiers et réconfortants pour la plupart des Américains, mais les mots qu'ils utilisent ne signifient plus ce qu'ils ont signifié dans le passé”.
Ils commettent un logocide, détruisant les anciennes définitions et les remplaçant par de nouvelles. Les mots - y compris la vérité, la sagesse, la mort, la liberté, la vie et l'amour - sont décortiqués et se voient attribuer des significations diamétralement opposées. La vie et la mort, par exemple, signifient la vie dans le Christ ou la mort au Christ, un signal de croyance ou de mécréance. La sagesse renvoie au niveau d'engagement et d'obéissance à la doctrine. La liberté n'est pas une question de liberté, mais la liberté que procure une adhésion à Jésus-Christ et une libération des diktats du sécularisme. L'amour est détourné pour désigner une obéissance sans faille à ceux, comme Trump, qui prétendent parler et agir au nom de Dieu.
À mesure que la spirale de la mort s'accélère, des ennemis fantômes, nationaux et étrangers, seront rendus responsables du déclin, persécutés et voués à l'anéantissement. Une fois le naufrage achevé, avec à la clé l'abrutissement des citoyens, l'effondrement des services publics et une rage larvée, il ne restera plus que l'instrument contondant de la violence d'État. Beaucoup souffriront, d'autant que la crise climatique infligera de plus en plus intensément son châtiment létal.
Le quasi-effondrement de notre système constitutionnel d'équilibre des pouvoirs a eu lieu bien avant l'arrivée de Trump. Le retour de Trump au pouvoir incarne le râle d'agonie de la Pax Americana. Le jour n'est pas loin où, comme le Sénat romain en 27 avant J.-C., le Congrès procédera à son dernier vote significatif et cédera le pouvoir à un dictateur. Le Parti démocrate, dont la stratégie semble consister à ne rien faire et à espérer que Trump implose, a déjà consenti à l'inévitable.
La question n'est pas de savoir si nous tomberons, mais combien de millions d'innocents nous emporterons dans notre chute. Au regard de la violence de notre empire, cela pourrait représenter beaucoup, surtout si les responsables décident de recourir à l'arme atomique.
Le démantèlement de l'Agence américaine pour le développement international (USAID) - dont Elon Musk affirme qu'elle est dirigée par “un nid de vipères de marxistes radicaux de gauche qui haïssent l'Amérique” - est un exemple de la méconnaissance qu'ont ces pyromanes du fonctionnement des empires.
La coopération internationale n'est pas bienveillante. Elle est instrumentalisée pour maintenir le contrôle sur les Nations unies et éliminer les gouvernements que l'empire juge hostiles. Les nations membres de l'ONU et d'autres organisations multilatérales dont le vote est conforme aux exigences de l'empire, qui abandonnent leur souveraineté aux entreprises mondiales et à l'armée américaine, reçoivent une assistance. Les autres n'en bénéficient pas.
Lorsque les États-Unis ont proposé de construire l'aéroport de Port-au-Prince, la capitale d'Haïti, rapporte le journaliste d'investigation Matt Kennard, ils ont exigé qu'Haïti s'oppose à l'admission de Cuba au sein de l'Organisation des États américains, ce qu'il a fait.
L'aide étrangère permet de construire des projets d'infrastructure permettant aux entreprises d'exploiter la main-d'œuvre à l'échelle mondiale et d'extraire des ressources. Elle finance la “promotion de la démocratie” et la “réforme judiciaire” qui contrecarrent les aspirations des dirigeants politiques et des gouvernements qui cherchent à préserver leur indépendance de l'emprise de l'empire.
L'USAID, par exemple, a financé un “projet de réforme des partis politiques” conçu pour “faire contrepoids” au Mouvement “radical” vers le socialisme (Movimiento al Socialismo) et visant à empêcher des socialistes comme Evo Morales d'être élus en Bolivie. Elle a ensuite financé des organisations et des initiatives, notamment des programmes de formation permettant d'enseigner à la jeunesse bolivienne les pratiques commerciales américaines, une fois que M. Morales a accédé à la présidence, afin d'affaiblir son emprise sur le pouvoir.
Dans son livre “The Racket : A Rogue Reporter vs The American Empire” , Matt Kennard montre comment les institutions américaines telles que la National Endowment for Democracy, la Banque mondiale, le Fonds monétaire international, la Banque interaméricaine de développement, l'USAID et la Drug Enforcement Administration travaillent en tandem avec le Pentagone et la Central Intelligence Agency pour soumettre et opprimer les pays du Sud.
Les États clients bénéficiaires de l'aide doivent briser les syndicats, imposer des mesures d'austérité, maintenir les bas salaires et soutenir des gouvernements fantoches. Les programmes d'aide massivement financés, conçus pour faire tomber Morales, ont finalement poussé le président bolivien à exclure l'USAID de son pays.
On fait croire au public que cette aide profite à la fois aux nécessiteux à l'étranger et à nous-mêmes dans notre pays. Mais les inégalités que ces programmes induisent à l'étranger ne sont que la réplique des inégalités qui nous sont imposées à l'intérieur de nos frontières. La richesse arrachée aux pays du Sud n'est pas équitablement répartie. Elle finit entre les mains de la classe des milliardaires, généralement dissimulée sur des comptes bancaires à l'étranger afin d'échapper à l'impôt.
Pendant ce temps, l'argent de nos impôts finance les forces armées de manière démesurée, véritable poigne de fer de ce système d'exploitation. Les 30 millions d'Américains victimes de licenciements massifs et de la désindustrialisation ont perdu leur emploi au profit de travailleurs d'ateliers clandestins à l'étranger. Comme le souligne M. Kennard, il s'agit d'un vaste “transfert de richesses des pauvres vers les riches, à l'échelle mondiale et nationale”, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du pays.
“Ceux-là mêmes qui conçoivent les mythes sur nos activités à l'étranger ont également élaboré un système idéologique similaire qui légitime le vol à l'intérieur du pays, le vol des plus pauvres par les plus riches”, écrit-il. “Les pauvres et les ouvriers de Harlem ont plus en commun avec les pauvres et les ouvriers d'Haïti qu'avec leurs élites, mais pour que l'escroquerie fonctionne, il faut l'occulter”.
L'aide étrangère finance des ateliers clandestins ou des “zones économiques spécifiques” dans des pays comme Haïti, où les travailleurs triment pour quelques centimes de l'heure, souvent dans des conditions dangereuses, pour le compte de multinationales.
“Si les zones économiques spécifiques sont une incitation pour les entreprises américaines, c'est parce qu'elles sont encore moins réglementées que l'État national quant à la main-d'œuvre, aux taxes et aux douanes”,
m'a expliqué M. Kennard lors d'une entrevue.
“On crée des ateliers clandestins dans les zones économiques spécifiques. Les travailleurs sont payés une misère. Les ressources sont exportées sans droits de douane ni taxes. L'État mexicain, haïtien ou autre, où cette production est délocalisée, n'en tire aucun bénéfice. C'est délibéré. Les coffres de l'État sont toujours ceux qui n'augmentent jamais. Ce sont les entreprises qui en profitent”.
Ces mêmes institutions et mécanismes de contrôle américains, écrit Kennard dans son livre, ont été utilisés pour saboter la campagne électorale de Jeremy Corbyn, un critique féroce de l'empire américain, à la fonction de Premier ministre en Grande-Bretagne.
Les États-Unis ont déboursé près de 72 milliards de dollars d'aide à l'étranger au cours de l'année fiscale 2023. Ils ont financé des initiatives en faveur de l'eau potable, des traitements contre le VIH/sida, la sécurité énergétique et la lutte contre la corruption. En 2024, ils ont fourni 42 % de l'ensemble de l'aide humanitaire recensée par les Nations unies.
L'aide humanitaire, souvent qualifiée de “soft power”, est conçue pour dissimuler le vol des ressources du Sud par les entreprises américaines, l'expansion de la présence de l'armée américaine, le contrôle étroit des gouvernements étrangers, la dévastation causée par l'extraction des combustibles fossiles, les abus systémiques des travailleurs dans les ateliers clandestins et l'exploitation des enfants dans des pays tels que le Congo, où ils sont enrôlés dans les mines de lithium.
Je doute que Musk et son armée de jeunes sous-fifres du ministère de l'Efficacité gouvernementale (DOGE) - qui n'est pas un ministère officiel au sein du gouvernement fédéral - aient la moindre idée du fonctionnement des organisations qu'ils détruisent, de leur raison d'être ou de ce que cela signifiera pour le déclin de l'empire américain.
Les saisies de dossiers du personnel du gouvernement et de documents classifiés, les mesures visant à mettre fin à des contrats gouvernementaux d'une valeur de centaines de millions de dollars - principalement ceux qui concernent la diversité, l'équité et l'inclusion (DEI), les offres de rachat pour « drainer le marais “ , y compris une offre de rachat à l'ensemble de la main-d'œuvre de l'Agence centrale de renseignement - maintenant temporairement bloquée par un juge - le licenciement de 17 ou 18 inspecteurs généraux et procureurs fédéraux, l'arrêt des financements et des subventions du gouvernement, leur permet de cancériser le léviathan qu'ils vénèrent.
Ils prévoient de démanteler l'Agence de protection de l'environnement, le ministère de l'Éducation et le service postal américain, qui font partie de la mécanique interne de l'empire. Plus l'État devient dysfonctionnel, plus il offre des opportunités commerciales aux entreprises prédatrices et aux sociétés de capital-investissement. Ces milliardaires feront fortune en “moissonnant” les vestiges de l'empire. Mais en fin de compte, ils tuent la bête qui a créé les richesses et le pouvoir américains.
Lorsque le dollar ne servira plus de monnaie de réserve mondiale, ce que garantit le démantèlement de l'empire, les États-Unis se verront dans l'incapacité de combler leurs énormes déficits en vendant des bons du Trésor. L'économie américaine sombrera dans une dépression dévastatrice. La société civile s'effondrera, les prix flamberont, surtout les produits importés, les salaires stagneront et le taux de chômage augmentera. Le financement d'au moins 750 bases militaires à l'étranger et de notre armée pléthorique ne pourra être maintenu. L'empire se contractera instantanément. Il ne sera plus que l'ombre de lui-même. L'hypernationalisme, alimenté par une rage larvée et un désespoir généralisé, se muera en un fascisme américain chargé de haine.
“La disparition des États-Unis en tant que première puissance mondiale pourrait survenir bien plus rapidement qu'on ne l'imagine”,
écrit l'historien Alfred W. McCoy dans son livre “In the Shadows of the American Century : The Rise and Decline of US Global Power” :
“Malgré l'aura de toute-puissance souvent projetée par les empires, la plupart d'entre eux sont étonnamment fragiles, dépourvus de la vigueur inhérente à un État-nation, même modeste. En effet, un coup d'œil sur leur histoire devrait nous rappeler que les plus grands d'entre eux sont exposés à l'effondrement pour diverses raisons, les pressions fiscales en étant généralement le principal facteur. Pendant près de deux siècles, la sécurité et la prospérité de la patrie ont été l'objectif principal de la plupart des États stables, reléguant les aventures extérieures ou coloniales au rang d'options superflues, auxquelles on n'alloue généralement pas plus de 5 % du budget national. Sans le financement inhérent à une nation souveraine, les empires se comportent en prédateurs dans leur chasse perpétuelle au pillage et au profit : la traite des esclaves outre-Atlantique, la soif de caoutchouc de la Belgique au Congo, le commerce de l'opium de l'Inde britannique, le pillage de l'Europe par le Troisième Reich ou l'exploitation de l'Europe de l'Est par l'Union soviétique en sont autant d'exemples”.
Lorsque les bénéfices diminuent ou s'effondrent, souligne M. McCoy, “les empires sont fragilisés”.
“Leur écologie du pouvoir est si ténue que, lorsque les choses commencent à se gâter pour de bon, les empires éclatent souvent à une vitesse inouïe : un an seulement pour le Portugal, deux ans pour l'Union soviétique, huit ans pour la France, onze ans pour les Ottomans, dix-sept ans pour la Grande-Bretagne et, selon toute vraisemblance, seulement vingt-sept ans pour les États-Unis, en partant de l'année cruciale de 2003 [lorsque les États-Unis ont envahi l'Irak]”.
La palette des instruments de domination mondiale - surveillance à grande échelle, disparition des libertés civiles, y compris du droit à un procès équitable, torture, police militarisée, système pénitentiaire à grande échelle, drones et satellites militarisés - sera appliquée aux populations rétives et révoltées.
Dévorer la carcasse de l'empire pour nourrir l'avidité et l'égo démesurés de ces charognards présage d'un nouvel âge sombre.