đâđš Les accusations qui pourraient faire tomber Bibi
Netanyahu a transformĂ© son gouvernement, comme me l'a dit un ami israĂ©lien, âen un bureau du crime organisĂ©. Il a pris le pays en otage et est prĂȘt Ă sacrifier son peuple pour Ă©viter la prisonâ.

đâđš Les accusations qui pourraient faire tomber Bibi
Une histoire digne des tabloïds des années 1920
Par Seymour Hersh, le 12 novembre 2024
Menachem Mizrahi est un juge extrĂȘmement respectĂ© en IsraĂ«l, un juriste conservateur qui siĂšge au tribunal de premiĂšre instance, le plus fondamental dans la hiĂ©rarchie des tribunaux du pays, compĂ©tent pour les affaires pĂ©nales et les litiges familiaux. Il a actuellement fait incarcĂ©rer cinq hauts responsables de l'armĂ©e et du gouvernement dans le cadre d'une enquĂȘte criminelle en pleine expansion qui pourrait entraĂźner la fin du troisiĂšme mandat de Benjamin Netanyahu en tant que Premier ministre. Et il a ordonnĂ© que l'affaire soit mise sous scellĂ©s.
En dehors des médias, rares sont ceux qui remettent en question le sérieux de Mizrahi, compte tenu des questions soulevées par l'affaire. Il s'agit essentiellement d'actions entreprises par Netanyahu, qui cherche désespérément à rester au pouvoir. Il aurait été impliqué dans le chantage, le vol de documents hautement secrets et la falsification de transcriptions de réunions secrÚtes du gouvernement, tout cela à la suite de la publication de l'un des documents les plus sensibles de l'armée israélienne sur le contrÎle opérationnel du Hamas sur les otages du 7 octobre, qui, s'ils sont toujours en vie, sont en captivité depuis treize mois.
Ces questions ont suscitĂ© l'enthousiasme et la colĂšre de la presse israĂ©lienne, parfois - mais pas toujours - conciliante, consciente que sous le battage mĂ©diatique se cache un fait : une fois Ă©lucidĂ©e, cette enquĂȘte pourrait rĂ©vĂ©ler aux familles des otages, dĂ©semparĂ©es et frustrĂ©es, qu'elles avaient raison depuis le dĂ©but : Netanyahu n'a pas conclu d'accord de libĂ©ration d'otages avec le Hamas lorsqu'il Ă©tait possible de le faire, car cela aurait mis en pĂ©ril sa position auprĂšs de l'extrĂȘme droite religieuse d'IsraĂ«l. Son objectif ouvertement dĂ©clarĂ© consiste Ă prendre le contrĂŽle de Gaza et de la Cisjordanie, conformĂ©ment Ă une vision fanatique de la Bible. Et au diable le sort des Palestiniens de Gaza et de Cisjordanie qui subissent en permanence les attaques meurtriĂšres de l'armĂ©e israĂ©lienne.
Les dĂ©cisions du juge ont fait la une des journaux du monde entier. L'accent a d'abord Ă©tĂ© mis sur un collaborateur de Netanyahu qui a divulguĂ© au Jewish Chronicle, un journal britannique, une version dĂ©formĂ©e, favorable au Premier ministre, de ce que les services de renseignement israĂ©liens avaient appris sur le sort des otages restants. Une version encore plus dĂ©formĂ©e a Ă©tĂ© fournie au Bild Zeitung, un tabloĂŻd allemand de droite connu pour son soutien au gouvernement de Netanyahu. L'article britannique soutenait l'affirmation de Netanyahu selon laquelle les pourparlers avec le Hamas n'aboutiraient jamais Ă un cessez-le-feu parce que Yahya Sinwar, le chef du Hamas assassinĂ© le mois dernier, aurait Ă©tĂ© prĂȘt Ă fuir Gaza pour l'Iran, via l'Ăgypte, et qu'il emmĂšnerait les otages avec lui.
Un AmĂ©ricain bien informĂ© m'a mis en garde en me disant que l'administration Biden, bien qu'elle continue Ă fournir des renseignements et des armes Ă IsraĂ«l, âne peut donner de conseils politiques aux dirigeants israĂ©liens sans avoir accĂšs Ă tous les dossiers de l'affaireâ. Il a reconnu que les implications du soutien passĂ© et prĂ©sent de Biden aux guerres de Netanyahu âsont effectivement graves. Elles sont telles que tous les faits doivent ĂȘtre connusâ avant d'accuser un dirigeant alliĂ© de ne pas avoir conclu d'accord sur la prise d'otages alors qu'il y en avait un sur la table.
Les familles des otages encore en vie sont allĂ©es beaucoup plus loin dans leurs dĂ©marches et manifestations incessantes contre Netanyahu, qu'elles dĂ©clarent coupable de ce qu'elles ont qualifiĂ© Ă plusieurs reprises de âmeurtreâ des otages encore en vie, en raison de sa rĂ©ticence Ă conclure un cessez-le-feu, cessez-le-feu exigĂ© par le Hamas en Ă©change de toute nouvelle libĂ©ration d'otages.
Le 4 septembre, Netanyahu a donnĂ© une confĂ©rence de presse tĂ©lĂ©visĂ©e Ă des journalistes Ă©trangers pour expliquer pourquoi l'accord sur les otages et le cessez-le-feu avec le Hamas n'auraient pas lieu. Le Premier ministre a expliquĂ© les dangers encourus par Tsahal si le Hamas accĂšde Ă une Ă©troite bande de terre Ă la frontiĂšre de l'Ăgypte, connue sous le nom de âcorridor Philadelphieâ. Il y a dix ans, l'Ăgypte contrĂŽlait une sĂ©rie de tunnels bordant la bande de Gaza sur prĂšs de 15 km, nommĂ©e en rĂ©fĂ©rence Ă l'accord de Philadelphie de 2005 .
âSi nous sortons [de Gaza], si nous quittons le couloir de Philadelphieâ, a dĂ©clarĂ© M. Netanyahu Ă la presse Ă©trangĂšre, âl'Iran pourrait mettre en Ćuvre un plan visant Ă transformer Gaza en une base, une enclave terroriste qui mettrait en danger Tel-Aviv, JĂ©rusalem [...] le pays tout entierâ.
Les tunnels ont fait l'objet de nombreux trafics aprĂšs le retrait d'IsraĂ«l de la bande de Gaza en 2005. Ils ont Ă©tĂ© condamnĂ©s il y a une dizaine d'annĂ©es et l'Ăgypte est toujours responsable du contrĂŽle de son cĂŽtĂ© de la frontiĂšre. Mais Netanyahu n'en avait pas fini avec ses propos dĂ©lirants. Un peu plus tard, il s'est approchĂ© d'un pupitre sur lequel se trouvait une photographie agrandie d'une page en arabe. Il n'a pas prĂ©cisĂ© que cette page provenait de l'un des documents les plus secrets des archives des services du renseignement israĂ©lien.
âVous devriez voir çaâ, a-t-il dit en montrant la page. âVoilĂ leur tactique. Il s'agit d'ordres du Hamas concernant la guerre psychologique, trouvĂ©s dans un commandement clandestin du Hamas le 29 janvier. . . . Et voici le document original en arabeâ.
Reprenant l'affirmation du Jewish Chronicle, Netanyahu a dĂ©clarĂ© que le document prouvait que Sinwar prĂ©voyait de transfĂ©rer certains ou tous les otages restants en Ăgypte pour les faire passer en Iran via le corridor de Philadelphie si Tsahal Ă©tait sur le point de le capturer.
C'est la prĂ©sentation par le Premier ministre de l'un des documents les plus confidentiels des services de renseignement israĂ©liens qui a dĂ©clenchĂ© l'enquĂȘte judiciaire. Ă l'Ă©poque, ce document faisait partie des secrets les mieux gardĂ©s d'IsraĂ«l; et ne pouvait ĂȘtre consultĂ© que dans un lieu sĂ©curisĂ© sous Ă©troite surveillance, dans les archives du quartier gĂ©nĂ©ral du renseignement militaire israĂ©lien - connu en IsraĂ«l sous ses initiales hĂ©braĂŻques d'Aman. Un IsraĂ©lien bien informĂ© m'a dit que les pages actuelles du document contredisent totalement les propos de Netanyahu, qui prĂ©tendait qu'il s'agissait d'un stratagĂšme de derniĂšre minute pour empĂȘcher les otages de tomber entre les mains de Tsahal et de fuir avec eux vers l'Ăgypte. Les deux pages suivantes du document de douze pages montrent clairement que Sinwar avait catĂ©goriquement rejetĂ© cette idĂ©e. L'analyse ultĂ©rieure du document par des experts du quartier gĂ©nĂ©ral des services du renseignement a permis de conclure que le document n'avait sans doute pas Ă©tĂ© rĂ©digĂ© par Sinwar, mais par un haut commandant du Hamas.
La divulgation et l'exposition publiques par Netanyahu des documents secrets provenant des archives des services de renseignement de l'armĂ©e ont dĂ©clenchĂ© l'inĂ©vitable enquĂȘte. Une question s'impose : si Netanyahu a pu avoir accĂšs aux documents de Sinwar, quels sont les autres documents soustraits ou partagĂ©s sans qu'aucun rapport officiel n'ait Ă©tĂ© Ă©tabli ? L'accĂšs Ă de tels documents sans autorisation officielle est passible d'une peine de quinze ans de prison.
Le tribunal a ordonné au cabinet du Premier ministre de restituer tous ces documents top secret, et a rappelé que toute tentative d'altération ou de modification du libellé de ces documents est également passible d'une condamnation. C'est apparemment la publication des documents classifiés dans le Jewish Chronicle au Royaume-Uni qui a incité le juge Mizrahi à ordonner dans un premier temps la mise sous scellés de ce dossier.
C'est Ă ce moment-lĂ , m'a dit l'un des IsraĂ©liens bien informĂ©s, que les choses ont commencĂ© Ă Ă©chapper Ă tout contrĂŽle et Ă devenir beaucoup plus scabreuses. Le chef de cabinet de Netanyahu, Tzachi Braverman, tenait Ă ce que d'autres documents hautement confidentiels se trouvent dans son bureau, traitant vraisemblablement dans certains cas des liens de Netanyahu avec l'extrĂȘme droite, modifiĂ©s afin de protĂ©ger Netanyahu d'accusations potentielles. M. Braverman a appris que l'un des officiers supĂ©rieurs en service Ă Aman avait une liaison avec une subordonnĂ©e de 21 ans. L'officier a ensuite dĂ©clarĂ© aux enquĂȘteurs qu'il a Ă©tĂ© contactĂ© par un membre du cabinet du Premier ministre qui l'a averti que le cabinet disposait d'informations compromettantes Ă son sujet et que, pour Ă©viter toute fuite, il devait remettre divers documents secrets et transcriptions au cabinet de Netanyahu, manifestement pour qu'ils soient Ă©ventuellement falsifiĂ©s ou supprimĂ©s. L'officier n'a pas mordu Ă l'hameçon et a organisĂ© une rĂ©union avec le gĂ©nĂ©ral Herzi Halevi, chef d'Ă©tat-major de l'armĂ©e, pour lui faire part de la tentative de chantage. L'officier n'a remis aucun document au bureau du Premier ministre.
La question qui se pose encore est la suivante : comment Netanyahu a-t-il eu accĂšs au document top secret sur les otages de Sinwar qu'il a rendu public lors de sa confĂ©rence de presse du 4 septembre ? Les mĂ©dias israĂ©liens ont rapportĂ©, avant que ce document ne soit placĂ© sous scellĂ©s par dĂ©cision de justice, qu'il a Ă©tĂ© obtenu par un attachĂ© de presse de Netanyahu, Eli Feldstein, dont le nom a Ă©tĂ© rendu public par les mĂ©dias. Cet adepte de l'extrĂȘme droite religieuse en IsraĂ«l Ă©tait auparavant l'attachĂ© de presse de l'extrĂ©miste Itamar Ben-Gvir, aujourd'hui ministre de la SĂ©curitĂ© nationale. C'est M. Feldstein qui aurait fourni au Jewish Chronicle , au Royaume-Uni, deux jours avant la confĂ©rence de presse de Bibi pour les journalistes Ă©trangers, des informations hautement confidentielles sur les documents des otages du Hamas. De nombreux mĂ©dias israĂ©liens pensent que Feldstein Ă©tait en contact avec des extrĂ©mistes religieux au sein des archives top secrĂštes d'Aman - quelque 40 % des membres de Tsahal s'identifient Ă l'extrĂȘme droite - qu'il a impliquĂ©s pour s'assurer que les documents les plus sensibles conservĂ©s Ă Aman prĂ©sentent Netanyahu sous le meilleur jour possible. Les imprudences et le caractĂšre illĂ©gal du rĂ©seau de trafic de documents organisĂ© par les religieux font actuellement l'objet d'une enquĂȘte par le tribunal.
Avec l'assassinat de Hassan Nasrallah, le chef du Hezbollah au Liban, et la prĂ©tendue destruction d'une partie du systĂšme antimissile iranien Ă Ispahan, Netanyahu est de nouveau en tĂȘte des sondages dans un IsraĂ«l profondĂ©ment traumatisĂ©.
Il y a cependant peu de raisons de croire que le Premier ministre israĂ©lien et le cortĂšge de fanatiques religieux qui le soutiennent seront en mesure d'influencer les conclusions du juge Mizrahi, qui serait prĂȘt Ă rendre publiques d'autres informations, peut-ĂȘtre dans le courant de la semaine.
PrĂ©cisons ici que certains membres des mĂ©dias israĂ©liens, opĂ©rant en temps de guerre, ont Ă©tĂ© en premiĂšre ligne pour rendre compte des problĂšmes d'Ă©thique au sein du cabinet du Premier ministre. Les quotidiens, Yedioth Ahronot en tĂȘte, ont rĂ©vĂ©lĂ© des mois avant le scandale actuel que des fonctionnaires du bureau de Netanyahu ont falsifiĂ© des documents officiels portant partiellement sur la pĂ©riode prĂ©cĂ©dant la guerre de Gaza, afin de prĂ©senter Netanyahu sous un jour plus favorable. L'un des objectifs de ces falsifications tendait Ă minimiser la responsabilitĂ© du Premier ministre dans les manquements de l'armĂ©e en matiĂšre de renseignement et de prĂ©vention du 7 octobre.
Les informations dĂ©jĂ disponibles montrent clairement que Netanyahu a transformĂ© son gouvernement, comme me l'a dit un ami israĂ©lien, âen un bureau du crime organisĂ©. Il a pris le pays en otage et est prĂȘt Ă sacrifier son peuple pour Ă©viter la prisonâ.
Ok. Mais cela ne répond pas à la question...comment le Mossad ou les renseignements de Tsahal ont pu se procurer ce document? Une taupe au Hamas ou un malheureux hasard qui a fait tomber Tsahal sur une cache abandonnée à la hùte par des combattants lors d'une offensive terrestre sur Gaza ? On ne le saura probablement jamais...