đâđš Les armes testĂ©es par IsraĂ«l sur les Palestiniens seront utilisĂ©es contre nous tous
âGrĂące Ă la technologie de surveillance, un pays est en mesure d'identifier et de procĂ©der Ă la surveillance du prochain Nelson Mandela avant mĂȘme qu'il ne sache qu'il est Nelson Mandelaâ.
đâđš Les armes qu'IsraĂ«l teste sur les Palestiniens seront utilisĂ©es contre nous tous
Par Chris Hedges, le 11 décembre 2023
Comme l'explique Antony Loewenstein, la Palestine a été laboratoire pour les technologies répressives exportées dans le monde entier, des logiciels d'espionnage aux drones tueurs.
Qu'il s'agisse de technologie des drones ou du tristement célÚbre logiciel d'espionnage Pegasus, Israël a longtemps développé et affiné les technologies répressives utilisées par les gouvernements du monde entier en les testant sur les Palestiniens. Antony Loewenstein, journaliste et auteur de The Palestine Laboratory : How Israel Exports the Technology of Occupation Around the World, rejoint le Chris Hedges Report pour une plongée dans les liens troublants entre l'apartheid israélien, l'industrie de l'armement et la répression mondiale des populations civiles.
Production studio : David Hebden, Adam Cole, Cameron Granadino
Post-production : Adam Coley, Kayla Rivara
Séquence d'ouverture par : Cameron Granadino
Chris Hedges : Les Palestiniens sont des rats de laboratoire humains pour les services de renseignement militaire israĂ©liens et les industries de l'armement et de la technologie. Les drones israĂ©liens, la technologie de surveillance, y compris les logiciels espions, les logiciels de reconnaissance faciale et l'infrastructure de collecte biomĂ©trique, ainsi que les clĂŽtures intelligentes, les bombes expĂ©rimentales et les mitrailleuses contrĂŽlĂ©es par l'intelligence artificielle sont tous testĂ©s sur la population captive de Gaza, souvent avec des rĂ©sultats mortels. Ces armes et technologies sont ensuite certifiĂ©es âtestĂ©es au combatâ et vendues dans le monde entier.
Israël est le dixiÚme plus grand marchand d'armes de la planÚte et vend sa technologie et ses armes à environ 130 nations, y compris des dictatures militaires en Asie et en Amérique latine. Les ventes d'armes israéliennes ont totalisé 12,5 milliards de dollars l'année derniÚre. Ses relations étroites avec ces agences militaires de surveillance de la sécurité interne, de collecte de renseignements et d'application de la loi expliquent le soutien inconditionnel que les alliés d'Israël apportent à sa campagne génocidaire à Gaza.
Lorsque le prĂ©sident colombien, Gustavo Petro, a refusĂ© de condamner l'attentat du 7 octobre perpĂ©trĂ© par des groupes de rĂ©sistance palestiniens en le qualifiant d'attentat terroriste et a dĂ©clarĂ© : âLe terrorisme tue des enfants innocents en Palestineâ, IsraĂ«l a immĂ©diatement interrompu toutes les ventes d'Ă©quipements de dĂ©fense et de sĂ©curitĂ© Ă la Colombie. Cette cabale mondiale dĂ©diĂ©e Ă la guerre permanente et au maintien de la surveillance et du contrĂŽle de ses populations rĂ©alise des ventes de centaines de milliards de dollars par an.
Ces technologies cimentent la mise en place d'un totalitarisme supranational et corporatiste : un monde oĂč les populations sont rĂ©duites en esclavage d'une maniĂšre que les rĂ©gimes totalitaires du passĂ© ne pouvaient qu'imaginer. Il n'y a pas loin de Gaza aux camps et centres de dĂ©tention mis en place pour les migrants fuyant l'Afrique et le Moyen-Orient vers l'Europe. Il n'y a pas loin du tapis de bombes Ă Gaza aux guerres sans fin au Moyen-Orient et dans le Sud. Il n'y a pas loin des lois antiterroristes utilisĂ©es pour criminaliser la dissidence en IsraĂ«l aux lois antiterroristes introduites en Europe et aux Ătats-Unis. Antony Loewenstein, auteur de The Palestine Laboratory : How Israel Exports the Technology of Occupation Around the World.
Votre livre, qui est un excellent ouvrage, dĂ©crit l'essor de cette industrie de l'armement, Ă l'origine une industrie d'Ătat avant d'ĂȘtre privatisĂ©e. L'un des points que vous soulevez Ă la fin du livre, qui est fascinant, est l'importance du dispositif destinĂ© Ă maintenir les Palestiniens sous contrĂŽle, qui est aujourd'hui essentiellement confiĂ© Ă des entreprises privĂ©es. Je voudrais citer Elliott Abrams, que j'ai interviewĂ© : âLe rĂŽle d'IsraĂ«l est de servir de modĂšle, d'exemple en matiĂšre de puissance militaire, d'innovation, d'encouragement Ă la natalitĂ©â. C'est l'un des thĂšmes de votre livre : une grande partie du soutien et du pouvoir d'IsraĂ«l dĂ©coule de ses liens avec ce rĂ©seau mondial d'armement. Voyons donc quelques-unes des innovations dont IsraĂ«l a Ă©tĂ© le pionnier. Commençons par Pegasus et les drones. Ils sont Ă la pointe de certaines des technologies et des systĂšmes d'armes les plus avancĂ©s utilisĂ©s pour contrĂŽler les populations.
Antony Loewenstein : D'une certaine maniĂšre, la genĂšse de ce livre est en partie due Ă certains reportages sur Pegasus il y a quelques annĂ©es. Les auditeurs ou les tĂ©lĂ©spectateurs savent que Pegasus est un logiciel espion fabriquĂ© par NSO Group, une sociĂ©tĂ© israĂ©lienne, qui a commencĂ© Ă ĂȘtre utilisĂ© il y a une quinzaine d'annĂ©es par un certain nombre de pays. Le pays oĂč il a Ă©tĂ© le plus utilisĂ© est le Mexique, car les diffĂ©rents gouvernements de ce pays Ă©taient prĂȘts Ă tout pour lutter contre une guerre de la drogue qui avait Ă©chouĂ©, et cela n'a fait qu'aggraver la violence. Mais ce qui est intĂ©ressant, Ă l'Ă©poque comme aujourd'hui, c'est que le Mexique reste, Ă ce jour, le plus grand et le plus obsessionnel utilisateur de Pegasus au monde.
Qu'il s'agisse d'un gouvernement de droite ou d'un gouvernement de gauche, Pegasus est aujourd'hui prĂ©sent dans des dizaines de pays. Je ne sais mĂȘme pas combien, je pense Ă 70, 80 ou 90. D'une certaine maniĂšre, si j'ai Ă©crit ce livre, c'est en partie pour dire que les mĂ©dias Ă©taient obsĂ©dĂ©s par Pegasus. Pegasus est une enquĂȘte importante ; c'est un outil placĂ© dans les tĂ©lĂ©phones des activistes et des travailleurs des droits de l'homme dans d'innombrables pays. Et il viole les droits de l'homme. C'est terrible. Mais le problĂšme, c'est qu'il a trop souvent Ă©tĂ© prĂ©sentĂ© comme une entreprise israĂ©lienne malhonnĂȘte faisant des choses terribles. Comme je le montre dans mon livre, ce n'est pas le cas : il s'agit d'un bras de l'Ătat, au mĂȘme titre que Lockheed Martin et Raytheon sont des bras du gouvernement amĂ©ricain. Lockheed Martin est une entreprise privĂ©e. Elle a un conseil d'administration, bien sĂ»r, et elle fait des bĂ©nĂ©fices, ou non. Mais il s'agit essentiellement d'un bras armĂ© de l'Ătat. Elle est utilisĂ©e par le gouvernement dans le cadre de divers programmes ou objectifs de politique Ă©trangĂšre.
Il en va de mĂȘme pour Pegasus. J'ai commencĂ© Ă examiner cette question en disant qu'aujourd'hui, IsraĂ«l est probablement le numĂ©ro un ou deux dans le monde pour les logiciels espions, et que Pegasus et NSO Group sont d'une certaine maniĂšre un Ă©cran de fumĂ©e. Parce qu'il y a tellement d'autres entreprises qui font la mĂȘme chose. Ainsi, si NSO Group fait faillite demain - et il a quelques problĂšmes financiers en ce moment - cela ne changera rien. Il y a tellement d'autres entreprises qui font la mĂȘme chose en utilisant l'attrait de la capacitĂ© Ă espionner Ă peu prĂšs n'importe qui, et c'est pourquoi, Ă ce jour, aucun pays ne veut rĂ©glementer cela, aucun. Ils sont tous obsĂ©dĂ©s par cela. C'est le problĂšme fondamental du moment.
Chris Hedges : Expliquez-nous le fonctionnement de Pegasus. Nous devrions noter qu'il a également été utilisé sur la fiancée de Jamal Khashoggi, un journaliste saoudien démembré dans l'ambassade saoudienne et dans un consulat en Turquie. Mais expliquez-nous comment cela fonctionne.
Antony Loewenstein : Pegasus est un outil silencieux. Il peut ĂȘtre installĂ© sur votre iPhone ou votre Android. Peu importe le tĂ©lĂ©phone que vous avez. Il y a quelques annĂ©es, beaucoup d'entre nous recevaient des SMS au hasard. On cliquait sur le lien, on l'oubliait et on passait Ă autre chose. C'est ainsi que cela fonctionnait. Le pays X ou l'agence de renseignement Y disposait de cet outil, disons en Inde ou dans un autre pays. Ils envoyaient alors un message sur le tĂ©lĂ©phone d'un activiste, d'un dĂ©fenseur des droits de l'homme ou d'un avocat, cette personne cliquait sur un lien, son tĂ©lĂ©phone Ă©tait infectĂ© et elle ne le savait pas.
Il n'y a aucun moyen de le savoir sans une vĂ©rification judiciaire. De nos jours, il n'est mĂȘme pas nĂ©cessaire d'envoyer un SMS. Il suffit que quelqu'un connaisse votre numĂ©ro. C'est tout. Et il peut accĂ©der Ă toutes vos informations. Il peut mĂȘme accĂ©der Ă votre tĂ©lĂ©phone et Ă votre micro lorsque le tĂ©lĂ©phone est Ă©teint. Il peut donc ĂȘtre utilisĂ© comme une arme contre vous. Comme je le montre dans le livre, j'ai interrogĂ© un grand nombre de personnes au Mexique, en Inde et ailleurs. Il s'agit souvent d'avocats qui contestent l'Ătat.
Au Mexique, j'ai interviewĂ© une femme dont le mari a Ă©tĂ© assassinĂ© par les Narcos. AprĂšs sa mort, son tĂ©lĂ©phone a Ă©tĂ© surveillĂ© par l'Ătat mexicain. Aujourd'hui encore, on ne sait pas trĂšs bien pourquoi son tĂ©lĂ©phone a Ă©tĂ© surveillĂ©. Mais cela montre que les diffĂ©rents services de renseignement sont totalement obsĂ©dĂ©s par l'accĂšs Ă toutes ces informations personnelles. Il est important de noter qu'une chose est apparue clairement lors des recherches sur cet outil particulier : Pegasus et les outils de ce type sont devenus - et cela a Ă©tĂ© dit dans le New York Times il y a quelques annĂ©es, et j'ai remis en question certaines de ces informations dans le livre, mais deux journalistes ont Ă©crit - l'arme la plus puissante au monde depuis l'invention de la bombe nuclĂ©aire.
Je m'interroge sur ce point, car les bombes nuclĂ©aires peuvent manifestement causer un carnage, pour ne pas dire plus. Pegasus ne tue personne en soi, mais cela signifie que la vie privĂ©e est presque inexistante. On assiste actuellement Ă une prolifĂ©ration massive de ces outils. Bien entendu, IsraĂ«l - c'est lĂ le point essentiel - utilise Pegasus et d'autres outils dans le cadre de son programme de politique Ă©trangĂšre. Je montre dans le livre que Netanyahu et le Mossad, au cours de la derniĂšre dĂ©cennie, se rendaient dans des pays oĂč IsraĂ«l n'avait pas de relations Ă©troites : le Rwanda et l'Inde Ă l'arrivĂ©e de Modi, et d'autres : Arabie saoudite, Ămirats arabes unis. Ils ont brandi Pegasus comme une carotte diplomatique en disant : âNous allons vous vendre cet outil extraordinaire qui vous permettra de surveiller vos citoyens. Mais en Ă©change, nous aimerions que vous votiez d'une certaine maniĂšre aux Nations unies ou que vous achetiez certaines armesâ. C'est ainsi que cela fonctionne. Lorsque Netanyahu se rend en Hongrie pour rendre visite Ă Orban ou Ă Modi en Inde, et 6 Ă 12 mois plus tard, Pegasus y est utilisĂ©. Ce n'est pas un hasard. C'est un Ă©lĂ©ment clĂ© de la politique Ă©trangĂšre israĂ©lienne aujourd'hui.
Chris Hedges : Parlons du programme de drones. Les IsraĂ©liens ont Ă©tĂ© les premiers Ă utiliser des drones. Si je me souviens bien du livre, l'Inde est peut-ĂȘtre leur plus gros client en matiĂšre de drones. Ces drones sont utilisĂ©s contre les migrants qui fuient vers l'Europe, en particulier la GrĂšce, ainsi qu'Ă la frontiĂšre entre les Ătats-Unis et le Mexique.
Antony Loewenstein : J'ai des documents déclassifiés intéressants datant des années 80 dans lesquels Israël utilisait des drones dans sa guerre au Liban. Lorsqu'Israël a envahi le Liban en 1982, avant l'Úre numérique, Israël utilisait des drones. Dans cet étonnant document de la CIA dans le livre, ils sont choqués et stupéfaits de voir à quel point ces drones sont incroyables - ce sont leurs mots -, à quel point ils sont efficaces, et ils se demandent - dans les années 80 - comment Israël va devenir le pionnier mondial en matiÚre de drones. J'ai passé beaucoup de temps à Gaza en tant que reporter. Depuis une quinzaine d'années, on assiste à une prolifération des essais de drones, en particulier autour de Gaza.
Je mets de cĂŽtĂ© ce qui s'est passĂ© depuis le 7 octobre, bien que cela se produise Ă©galement depuis cette date. Mais au cours des 15 derniĂšres annĂ©es, d'Ă©normes quantitĂ©s de drones ont Ă©tĂ© testĂ©s au-dessus de Gaza, certains armĂ©s, d'autres non, utilisĂ©s lors des diffĂ©rentes invasions, incursions, ou quel que soit le nom qu'on leur donne, menĂ©es par IsraĂ«l Ă Gaza. Ces drones sont ensuite qualifiĂ©s de âtestĂ©s au combatâ et sont vendus Ă un grand nombre de nations dans le monde entier. Ce qui m'a le plus choquĂ©, c'est leur utilisation par l'UE. L'UE achĂšte des drones israĂ©liens. Ils ne sont pas armĂ©s. Les tĂ©lĂ©spectateurs savent que depuis une dizaine d'annĂ©es, on assiste Ă un afflux massif de migrants en provenance d'Afrique et du Moyen-Orient, aprĂšs 2015, lorsque les EuropĂ©ens ont dĂ©clarĂ© qu'ils ne voulaient pas revivre cet afflux massif de personnes. Bien sĂ»r, si vous ĂȘtes Ukrainien et blanc, ils vous accueilleront. Et je n'ai aucun problĂšme Ă ce que les Ukrainiens soient accueillis. Mais il est clair que si vous ĂȘtes noir ou brun, ce ne sera pas la mĂȘme chose.
L'UE a créé cette forteresse, et les drones europĂ©ens et israĂ©liens en font partie. Frontex, la force frontaliĂšre europĂ©enne, utilise des drones israĂ©liens 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, qui tournent autour de la MĂ©diterranĂ©e et envoient Ă Frontex, basĂ©e Ă Varsovie, en Pologne, des images en temps rĂ©el de ce qui se passe. L'UE a clairement dĂ©cidĂ© de laisser les gens se noyer, c'est Ă©vident. Elle fournit Ă peine quelques bateaux de sauvetage, et criminalise ceux qui tentent de secourir les migrants. Les drones israĂ©liens sont un Ă©lĂ©ment clĂ© de cette infrastructure et de cet Ćil dans le ciel, et les drones israĂ©liens sont apparus en Inde et dans plusieurs autres pays. Ces derniĂšres annĂ©es, IsraĂ«l est restĂ© l'un des principaux fabricants de drones au monde, tout comme la Turquie. Elle fabrique une version moins chĂšre de ce qu'IsraĂ«l a dĂ©veloppĂ©, et les drones turcs apparaissent donc maintenant dans de nombreux pays du monde, dans de nombreux conflits.
Chris Hedges : Parlons de ceux à qui Israël vend. Il est plus facile de cocher la liste de ceux à qui ils ne vendent pas. J'ai couvert les conflits au Guatemala et au Salvador dans les années 1980. Israël fournissait des armes, y compris du napalm, aux Salvadoriens et aux GuatémaltÚques. Israël a été l'un des plus fervents soutiens du régime d'apartheid en Afrique du Sud, il a collaboré avec le Chili de Pinochet, et le génocide rwandais a été perpétré à l'aide d'armes israéliennes. Ils fourniront des équipements militaires aux régimes les plus odieux, y compris le dernier nettoyage ethnique au Nagorny-Karabakh. Vous avez mentionné trois pays : l'Iran, la Corée du Nord, et je ne sais pas qui est l'autre.
Antony Loewenstein : Je crois que j'ai dit la Syrie.
Chris Hedges : Peut-ĂȘtre la Syrie
Antony Loewenstein : Pour autant que nous le sachions. Il est toutefois intĂ©ressant de noter qu'avant 1979 et la rĂ©volution islamique, IsraĂ«l et l'Iran Ă©taient incroyablement proches. Le fait que l'Iran soit dirigĂ© par un dictateur n'a pas empĂȘchĂ© la vente d'armes. Ils craignaient que la montĂ©e de la rĂ©volution islamique n'entrave leurs ventes, ce qui s'est produit. Je n'aurais pas dĂ» ĂȘtre si surpris. Il est important de noter que l'AmĂ©rique reste le plus grand vendeur d'armes au monde. 45 % des armes vendues dans le monde proviennent des Ătats-Unis, qui sont donc de loin les premiers. IsraĂ«l est dixiĂšme. L'une des choses qui n'aurait pas dĂ» me choquer, mais qui l'a fait, c'est que le Myanmar, ces derniĂšres annĂ©es, a commis un gĂ©nocide contre sa population rohingya - beaucoup d'entre eux ont Ă©tĂ© tuĂ©s et beaucoup ont Ă©tĂ© expulsĂ©s vers le Bangladesh - MĂȘme aprĂšs que l'ONU a constatĂ© que le Myanmar commettait un gĂ©nocide, IsraĂ«l continuait Ă vendre de la surveillance et des armes au rĂ©gime du Myanmar.
Comme vous le dites, il est difficile de dresser une liste. Il y en a tellement. Il convient Ă©galement de dire que l'Inde - et l'Inde est au cĆur du livre parce que l'Inde est aujourd'hui le plus grand pays du monde en termes de population, la plus grande dĂ©mocratie qui se dĂ©crit elle-mĂȘme comme telle. Bien que je remette cela en question. AlliĂ© clĂ© des Ătats-Unis et certainement de mon pays, l'Australie, et de la plupart des nations occidentales, l'Inde est en train de construire un domaine fondamental hindou sous Modi, une nation fiĂšrement chauvine oĂč les musulmans font l'objet d'une discrimination ouverte. Il y a des pogroms contre les musulmans. L'Inde et IsraĂ«l n'entretenaient pas de bonnes relations avant l'arrivĂ©e de Modi. Modi arrive en 2014 en tant que Premier ministre, et le courant passe entre Netanyahu et Modi. Certains tĂ©lĂ©spectateurs ont peut-ĂȘtre vu cette image d'eux deux marchant sur la plage, se mouillant les pieds, se disant combien ils s'aiment, enfin qui sait, aucun son n'a Ă©tĂ© enregistrĂ©.
Mais cette relation est au cĆur de la raison pour laquelle j'ai Ă©crit ce livre. On assiste Ă une poussĂ©e ethno-nationaliste mondiale croissante, dont l'Inde est l'exemple le plus Ă©vident, de nations qui discriminent fiĂšrement les populations non majoritaires. En Inde, c'est contre les hindous, contre les musulmans. En IsraĂ«l, ce sont les juifs contre tous ceux qui ne sont pas juifs. IsraĂ«l est devenu une source d'inspiration pour de nombreux pays et pour l'extrĂȘme droite et la droite dans le monde entier, en mettant de cĂŽtĂ© les sionistes libĂ©raux qui, au fil des ans, ont Ă©tĂ© attirĂ©s par IsraĂ«l. Je parle de l'Inde, de la Hongrie et de plusieurs autres pays, qui ne vendent pas d'armes, mais qui vendent l'idĂ©e de s'en sortir.
Je parle beaucoup dans le livre de l'idĂ©e qu'IsraĂ«l peut s'en tirer Ă bon compte, qu'il s'agisse de l'occupation, de la colonisation sans fin, de la brutalitĂ© du traitement contre les Palestiniens, de la vente d'armes Ă Dieu sait qui et Dieu sait oĂč, et câest au cĆur de la raison pour laquelle IsraĂ«l est, Ă mes yeux, un danger. Pas seulement pour les Palestiniens, ce qui est dĂ©jĂ assez grave en soi, mais comme modĂšle. Aux Ătats-Unis, en Australie et ailleurs, le drapeau israĂ©lien est constamment prĂ©sent. Ce n'est pas inhabituel et il ne s'agit pas de groupes qui aiment traditionnellement les Juifs. Ce n'est pas le cas. Je cite dans le livre Richard Spencer, cet affreux leader de l'alt-right aux Ătats-Unis qui a dĂ©clarĂ© il y a quelques annĂ©es : âJe suis un sioniste blancâ. Il n'aime pas les juifs, mais il adore l'idĂ©e de crĂ©er, pour lui et beaucoup d'autres comme lui, un Ătat ethno-nationaliste chrĂ©tien.
Vous avez Ă©crit beaucoup de choses incroyablement importantes sur la thĂ©ocratie chrĂ©tienne aux Ătats-Unis et sur son potentiel de croissance et de domination. IsraĂ«l est un point de contact pour bon nombre de ces groupes. Pas tous, mais beaucoup. Et ce n'est pas parce que les groupes de pression aiment les Juifs ; beaucoup d'entre eux ne les aiment pas. Mais ils aiment ce qu'IsraĂ«l fait aux Palestiniens pour les dominer et les contrĂŽler. Et ils sont fiers d'ĂȘtre des chauvins juifs. Ce sont des suprĂ©macistes juifs. C'est ce qu'ils veulent crĂ©er pour les chrĂ©tiens en AmĂ©rique ou les hindous en Inde. Pour moi, c'est lĂ que rĂ©side le danger.
Chris Hedges : L'Ă©crivain juif Peter Beinarr explique que âl'avenir n'appartient pas au libĂ©ralisme tel qu'Obama le dĂ©finit - tolĂ©rance, Ă©galitĂ© des droits et primautĂ© du droit - mais au capitalisme autoritaire : des gouvernements qui combinent un nationalisme agressif et souvent raciste avec une puissance Ă©conomique et technologique. L'avenir, a laissĂ© entendre M. Netanyahou, produira des dirigeants qui ne ressembleront pas Ă Obama, mais Ă luiâ. Cela va dans le sens de ce que vous Ă©voquez. Et malheureusement, je crains qu'il ait raison.
Antony Loewenstein : Je le crains aussi parce qu'il faut dire qu'Obama n'était pas vraiment un adepte de la...
Chris Hedges : Non, il ne l'était pas.
Antony Loewenstein : - la dĂ©mocratie et les droits de l'homme non plus. Cette question mise Ă part, je crains que ce ne soit exact. Et Netanyahou, je le soupçonne, n'a peut-ĂȘtre plus beaucoup de temps en tant que dirigeant d'IsraĂ«l.
Le 7 octobre, comme je l'évoque dans le livre ou l'implique, bien que le livre ait été publié avant le 7 octobre, est sans doute une illusion. Si vous croyez, en tant que nation, que vous pouvez réprimer les gens à l'aide de la technologie pour toujours, c'est un mensonge qui ne fonctionnera pas. Gaza en est un exemple clé. Bien que Gaza ait été le principal laboratoire d'Israël, on a dépensé des milliards et des milliards pour construire des murs, des drones et des dispositifs de surveillance. Le Hamas a pu les franchir relativement facilement. Il a fallu des années de planification pour y parvenir, mais je crains que la leçon ne soit pas retenue.
Gideon Levy, un de mes bons amis et un excellent journaliste israĂ©lien, a dĂ©clarĂ© qu'il craignait qu'IsraĂ«l et d'autres dirigeants ne tirent pas encore les leçons de cette expĂ©rience. Ce qu'il veut dire par lĂ , c'est que la leçon qu'IsraĂ«l tire du 7 octobre, et que les Ătats-Unis ont tirĂ©e du 11 septembre, n'Ă©tait pas la bonne. Il s'agit de la nĂ©cessitĂ© d'envahir, de bombarder et de dominer toujours plus, ce qui est le fruit de l'insĂ©curitĂ© et non de la force. NĂ©anmoins, c'est la leçon qu'IsraĂ«l retient, et pas qu'il faut parler aux Palestiniens ou nĂ©gocier avec eux. Certains IsraĂ©liens le disent, mais il s'agit d'une infime minoritĂ©.
Chris Hedges : Dans votre livre, vous parlez du Sri Lanka. Vous pouvez expliquer ce qui s'est passé ? Ils ont détruit les Tigres tamouls et les Israéliens ont été des partenaires à part entiÚre dans ce projet. Cela m'a fasciné parce que je me demandais si c'était ce qui était prévu pour Gaza.
Antony Loewenstein : Un peu d'histoire : 2009 a marqué la fin de la guerre civile au Sri Lanka. Elle dure depuis des décennies entre la majorité de la population cinghalaise et les Tigres tamouls qui constituent un mouvement de résistance pour plus de droits et une patrie tamoule au Sri Lanka depuis des années. Israël a soutenu le gouvernement sri-lankais en lui vendant des avions de chasse et d'autres formes d'armes technologiques. En 2009, comme certains téléspectateurs s'en souviennent, le gouvernement sri-lankais a pu cibler les Tamouls dans une partie de plus en plus petite du nord du Sri Lanka.
Environ 40 000 Tamouls ont été tués. Nous ne connaissons pas le nombre exact. Il n'y a jamais eu de véritable obligation de rendre des comptes à ce sujet. En regardant ce qui se passe à Gaza, j'ai beaucoup pensé au Sri Lanka depuis le 7 octobre. Je ne pense pas qu'il y ait un plan unitaire, mais il y a dans une certaine mesure une discussion, bien que dans des limites trÚs étroites au sein de l'establishment politique et militaire israélien. Le nord de Gaza est anéanti. C'est apocalyptique. Il est trÚs probable que les combats reprendront à Gaza. Je ne sais pas quand, mais bientÎt. J'ai, comme vous sans doute, Chris, des amis palestiniens à Gaza qui se réfugient dans des camps de réfugiés dans leur propre pays et maintenant dans la partie sud de Gaza, et qui luttent. Leurs maisons ont été détruites. Ils n'ont aucun lien avec le Hamas.
Ce sont des civils qui vivent Ă Gaza. Si l'infrastructure de Gaza est complĂštement dĂ©truite, il ne reste qu'une poignĂ©e d'options : des villes de tentes permanentes Ă Gaza, ou le rĂȘve d'une grande partie de l'Ă©lite politique israĂ©lienne - et aussi, soyons clairs, d'une grande partie du public israĂ©lien, si l'on en croit les sondages d'opinion - expulser les Palestiniens. Vers lâĂgypte, la Jordanie, le Liban. Jusqu'Ă prĂ©sent, l'Ăgypte n'a pas donnĂ© son accord. Elle n'a pas suffisamment ouvert les frontiĂšres pour permettre Ă autant de Palestiniens d'entrer dans le SinaĂŻ. Cela pourrait changer. L'Ă©conomie Ă©gyptienne est Ă genoux. Accepteront-ils beaucoup d'argent et de pots-de-vin ? J'espĂšre vraiment que non, mais nous n'en savons rien. Je crains que le plan pour Gaza ne soit pas trĂšs diffĂ©rent de ce que le Sri Lanka a fait dans la partie nord de ce pays. Au Sri Lanka, la guerre est terminĂ©e, mais les Tamouls sont toujours considĂ©rĂ©s comme des citoyens de seconde zone dans leur propre pays.
Chris Hedges : Parlons des Alpha Gun Angels. C'est une petite parenthĂšse, mais c'est quelque chose dâĂ©coeurant dont j'ignorais l'existence jusqu'Ă ce que vous l'Ă©criviez et jusqu'Ă ce que je le lise.
Antony Loewenstein : Oui. Il existe une industrie parallĂšle, si l'on peut dire, des femmes israĂ©liennes et juives. Elles ont souvent fait l'armĂ©e. Elles ont fĂ©tichisĂ© ou sexualisĂ© l'armĂ©e israĂ©lienne. Vous avez, ces groupes de femmes lĂ©gĂšrement vĂȘtues, souvent armĂ©es, qui posent dans des sĂ©ances de photos comme si elles Ă©taient en guerre Ă Gaza ou ailleurs, dans le but de montrer deux choses : d'une part, l'armĂ©e de dĂ©fense israĂ©lienne est favorable aux femmes. On peut ĂȘtre une femme incroyablement sexy, faire partie des FDI et tuer des Palestiniens. C'est ce que l'on sous-entend. DeuxiĂšmement, les femmes israĂ©liennes sont cool. C'est le message qu'ils essaient de faire passer. Je ne sais pas si c'est particuliĂšrement efficace, mais c'est le message. Cela fait des annĂ©es que je suis cette histoire et que l'armĂ©e israĂ©lienne fait pression pour montrer Ă quel point elle est respectueuse des sexes, des homosexuels, des transgenres et des vĂ©gĂ©taliens.
Un grand chapitre du livre Ă©voque cette partie clĂ© des messages israĂ©liens, ce que l'on appelle la Hasbara. Je ne suis pas tout Ă fait convaincu de son succĂšs. Les gens peuvent argumenter dans un sens ou dans l'autre, mais une grande partie des rĂ©seaux sociaux israĂ©liens depuis une dizaine d'annĂ©es s'est concentrĂ©e sur cette question. Nous donnons des repas vĂ©gĂ©taliens aux soldats qui le souhaitent. Nous sommes favorables aux transgenres, aux femmes et aux homosexuels. Vous pouvez agiter le drapeau arc-en-ciel. Environ deux semaines aprĂšs l'invasion israĂ©lienne de Gaza, un soldat israĂ©lien se trouvait Ă Gaza, dans un dĂ©cor apocalyptique, et brandissait le drapeau arc-en-ciel. Cette image est devenue virale. J'en ai fait un article. Le message Ă©tait trĂšs clair : nous voulons libĂ©rer les Palestiniens de Gaza qui sont homosexuels et leur permettre d'ĂȘtre eux-mĂȘmes.
Les moqueries qu'elle a suscitĂ©es, Ă juste titre, Ă©taient Ă©videntes. Comme si les gens disaient, d'accord, vous avez dĂ©cimĂ© Gaza et c'est apocalyptique, mais bon sang, vous pouvez ĂȘtre un Palestinien gay et libre Ă Gaza. Ces derniĂšres annĂ©es, ces femmes ont voyagĂ© en IsraĂ«l et dans le monde entier pour promouvoir une image d'IsraĂ«l Ă la fois libĂ©rale et militariste. Pro-fĂ©ministe, mais aussi favorable aux armes Ă feu. C'est pourquoi de nombreux groupes pro-armes aux Ătats-Unis - surtout des hommes, soyons honnĂȘtes - sont favorables Ă la sexualisation des femmes israĂ©liennes portant des armes Ă feu.
Chris Hedges : Nous devrions noter que l'une des utilisations de Pegasus ou du logiciel espion était de piéger des hommes palestiniens homosexuels, comme vous l'écrivez dans votre livre, et d'en faire des informateurs.
Antony Loewenstein : En effet. Avec 8200, qui est l'Ă©quivalent de la NSA amĂ©ricaine. Son principe de base consiste Ă surveiller les Palestiniens 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, dans l'ensemble du territoire occupĂ©. Notamment pour essayer de trouver ce qu'on appelle les points faibles : un homme mariĂ© Ă une femme qui pourrait ĂȘtre homosexuel, un homme qui pourrait avoir une liaison avec une femme. En d'autres termes, quelqu'un qui âfait quelque chose de non conventionnelâ. J'utilise ce terme au sens large. Lorsqu'ils obtiennent ces informations, ils essaient de transformer cette personne en espion. Nous ne savons pas combien de Palestiniens ont collaborĂ©. Une infime minoritĂ©.
J'ai parlĂ© Ă des Palestiniens Ă qui l'on lâa, mais qui ont refusĂ©. On leur a dit qu'ils pouvaient partir Ă©tudier Ă l'Ă©tranger ou se rendre dans un hĂŽpital en IsraĂ«l ou ailleurs, mais qu'ils devaient espionner pour eux, pour IsraĂ«l. C'est ainsi qu'ils font chanter les gens parce qu'ils recueillent des informations Ă partir de ce rĂ©seau de surveillance mondial fonctionnant 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Il est intĂ©ressant de noter que le 7 octobre montre que non seulement les services de renseignement israĂ©liens ont Ă©chouĂ©, par arrogance et hubris, mais que les services de renseignement amĂ©ricains ont Ă©galement Ă©chouĂ©. Environ 3-400 employĂ©s de la NSA aux Ătats-Unis travaillent au quotidien Ă l'espionner IsraĂ«l. C'est leur travail. IsraĂ«l est donc un alliĂ©, mais l'AmĂ©rique ne lui fait pas entiĂšrement confiance. Je suis sĂ»r que cela fonctionne dans les deux sens, mais l'AmĂ©rique n'a pas particuliĂšrement âaidĂ©â IsraĂ«l Ă dĂ©tecter les soi-disant menaces terroristes.
Je voudrais ajouter que je suis co-Ă©diteur et co-fondateur d'un groupe appelĂ© Declassified Australia, qui est une organisation de collecte d'informations. Il y a quelques semaines, nous avons publiĂ© un article montrant que Pine Gap, qui est un centre clĂ© de collecte de renseignements amĂ©ricains dans mon pays, l'Australie, est utilisĂ© par les Ătats-Unis en Irak et en Afghanistan pour cibler de soi-disant terroristes, tout en tuant un grand nombre de civils. Depuis le 7 octobre, les Ătats-Unis l'utilisent pour fournir des renseignements Ă IsraĂ«l dans son soi-disant ciblage du Hamas. Outre le fait qu'il existe une Ă©norme base de renseignement amĂ©ricaine au centre de l'Australie, cette base est en train d'ĂȘtre dĂ©veloppĂ©e dans le cadre de l'expansion amĂ©ricaine dans cette rĂ©gion du monde pour cibler la Chine. Et l'Australie, malheureusement, est un alliĂ© clĂ© dans cette folie - avoir une base d'espionnage amĂ©ricaine et australienne au centre de l'Australie, utilisĂ©e pour acheminer des informations Ă IsraĂ«l. La façon dont ils utilisent ces informations n'est pas tout Ă fait claire - Cela rend la culpabilitĂ© juridique trĂšs claire.
Du cĂŽtĂ© amĂ©ricain et australien, comme c'Ă©tait le cas lorsque les Ătats-Unis ciblaient de soi-disant terroristes en Irak, en Afghanistan, en Syrie ou ailleurs - je dis soi-disant parce que d'Ă©normes quantitĂ©s de civils ont Ă©tĂ© tuĂ©s - cette infrastructure mondiale de renseignement amĂ©ricain est utilisĂ©e, tout comme le F-35A. Le F-35A est une arme qu'IsraĂ«l utilise au-dessus de Gaza. La chaĂźne d'approvisionnement mondiale implique de nombreux pays. Dans Declassified Australia, nous avons Ă©galement publiĂ© un article montrant qu'une piĂšce maĂźtresse, celle qui permet d'ouvrir la porte Ă la base du F-35 pour larguer des armes sur Gaza, est fabriquĂ©e ici, Ă Melbourne, en Australie. Il y a donc une chaĂźne d'approvisionnement mondiale d'entreprises directement complices de ce que fait IsraĂ«l, ce qui semble indiquer, si la CPI est Ă l'Ă©coute, qu'il y a beaucoup Ă faire.
Chris Hedges : Parlons de la privatisation. Vous parlez du nĂ©olibĂ©ralisme qui a transformĂ© IsraĂ«l, autrefois un Ătat socialiste, dont les principales entreprises publiques ont Ă©tĂ© vendues et privatisĂ©es, en particulier dans les annĂ©es 1990. L'inĂ©galitĂ© des revenus est trĂšs forte en IsraĂ«l : le taux de pauvretĂ© est de 23 % en IsraĂ«l et de 36 % pour la population arabe. Et vous Ă©crivez : âDe nombreux Palestiniens ne sont pas conscients de la façon dont l'occupation a Ă©tĂ© privatisĂ©e, car cela ne fait aucune diffĂ©rence si un agent de l'Ătat ou un particulier les harcĂšle ou les humilieâ. Vous poursuivez en Ă©crivant : âDe nombreux points de contrĂŽle par lesquels les Palestiniens sont obligĂ©s de passer pour accĂ©der Ă leurs Ă©coles, Ă leurs lieux de travail ou Ă IsraĂ«l - s'ils ont la chance d'obtenir l'un des rares permis de travail dĂ©livrĂ©s par l'Ătat juif - utilisent la technologie de la reconnaissance faciale et des donnĂ©es biomĂ©triques pour documenter chacun de leurs mouvementsâ. Mais il s'agit d'entreprises privĂ©es. Expliquez-nous cela. Qu'en est-il de la façon dont les entreprises privĂ©es Ă but lucratif gĂšrent l'occupation ?
Antony Loewenstein : Il convient de prĂ©ciser qu'IsraĂ«l Ă©tait un pays qui se dĂ©crivait lui-mĂȘme comme socialiste, mais un pays socialiste pour les Juifs. Il est Ă©vident de le dire.
Chris Hedges : Oui. C'est vrai.
Antony Loewenstein : Comme certains tĂ©lĂ©spectateurs plus ĂągĂ©s le savent, il est Ă©tonnant de penser aujourd'hui qu'une si grande partie de la gauche mondiale Ă©tait amoureuse d'IsraĂ«l pendant les 20 premiĂšres annĂ©es de son existence. Quoi qu'il en soit, il s'agit lĂ d'un aveuglement dont nous pourrons parler une autre fois. Mais Netanyahou a Ă©tĂ© un facteur clĂ© dans cette affaire, car oui, IsraĂ«l avait un passĂ© quasi-socialiste. Depuis une vingtaine d'annĂ©es, on assiste Ă un changement, non seulement des politiques nĂ©olibĂ©rales au sein mĂȘme d'IsraĂ«l, mais aussi de l'externalisation de l'occupation. D'une certaine maniĂšre, cela va de pair avec l'expansion massive des colonies. Aujourd'hui, prĂšs de trois quarts de million de colons juifs vivent en territoire occupĂ©, en Cisjordanie et Ă JĂ©rusalem-Est. Une grande partie des gardes ou des agents de sĂ©curitĂ© qui travaillent aux points de contrĂŽle des colons, mais aussi aux points de contrĂŽle israĂ©liens, sont gĂ©rĂ©s par des sociĂ©tĂ©s privĂ©es. J'ai vĂ©cu Ă JĂ©rusalem-Est entre 2016 et 2020 et je m'y rends depuis prĂšs de 20 ans. J'ai passĂ© beaucoup de temps Ă Ă©tudier ces questions et tout a Ă©tĂ© externalisĂ©, et l'obligation de rendre des comptes est nulle. MĂȘme si un soldat israĂ©lien commet un abus, et Ă plus forte raison si c'est un intĂ©rĂȘt privĂ© qui le fait.
Beaucoup de ces entreprises sont israĂ©liennes, mais beaucoup d'entre elles sont Ă©trangĂšres et internationales. C'est important parce que l'ONU a essayĂ© pendant des annĂ©es de publier une liste d'entreprises internationales et d'entreprises israĂ©liennes directement complices de l'occupation et devant donc ĂȘtre boycottĂ©es. Une liste a Ă©tĂ© publiĂ©e il y a plusieurs annĂ©es, ce qui a provoquĂ© un grand scandale dans certains milieux, et une vingtaine de ces entreprises se sont alors retirĂ©es de la gestion de l'occupation. Mais il reste encore une centaine d'entreprises, israĂ©liennes et Ă©trangĂšres, directement impliquĂ©es au quotidien dans ce que l'on appelle la gestion de l'occupation. Pour moi, ce n'est pas seulement illĂ©gal et immoral, c'est aussi une bonne raison de lancer une campagne de boycott, qui, je pense, va s'intensifier dans les annĂ©es Ă venir aprĂšs ce que nous avons vu au cours des six derniĂšres semaines.
Chris Hedges : Pouvez-vous nous parler d'AnyVision ? Elle a changé de nom pour devenir Oosto, puis Unit 8200.
Antony Loewenstein : AnyVision, qui a changĂ© de nom, est une sociĂ©tĂ© de reconnaissance faciale, une sociĂ©tĂ© israĂ©lienne qui testait ce systĂšme aux points de contrĂŽle israĂ©liens. Cela signifie que lorsque les Palestiniens veulent, par exemple, se dĂ©placer en Cisjordanie, s'ils veulent potentiellement passer de la Cisjordanie Ă IsraĂ«l, ils doivent faire vĂ©rifier leurs coordonnĂ©es, leur iris est souvent vĂ©rifiĂ© maintenant, et ils recueillaient toutes ces informations. Nous ne savons pas exactement oĂč allaient ces informations. Toujours est-il qu'elles Ă©taient envoyĂ©es en IsraĂ«l dans une gigantesque base de donnĂ©es utilisĂ©e pour recueillir des donnĂ©es personnelles sur chaque Palestinien dans les territoires occupĂ©s. Ces outils sont ensuite commercialisĂ©s dans le monde entier. Ils sont apparus dans d'Ă©normes quantitĂ©s d'infrastructures, des aĂ©roports Ă d'autres endroits dans le monde. Et lorsque ces entreprises en font la promotion, je ne sais pas si AnyVision utilise l'expression âtestĂ© au combatâ, mais elles affirment que ces outils ont Ă©tĂ© testĂ©s en Palestine âavec succĂšsâ.
Et cela est liĂ© Ă l'unitĂ© 8200, qui est, comme je l'ai dit, la NSA israĂ©lienne. C'est l'organisme qui recueille des renseignements sur les IsraĂ©liens et les Palestiniens. Il y a de nombreuses preuves que la collecte de renseignements se pratique aussi en IsraĂ«l, et que beaucoup de juifs israĂ©liens qui ont cru pendant des annĂ©es que cela n'arrivait qu'aux Palestiniens, sont de plus en plus surveillĂ©s eux-mĂȘmes. Et je ne parle pas de ce qui s'est passĂ© depuis le 7 octobre, mais intensivement depuis cette date. Il y a une tendance en IsraĂ«l Ă criminaliser entiĂšrement la dissidence, qu'elle soit le fait d'Arabes ou de Juifs.
Et l'UnitĂ© 8200 est devenue cet infĂąme vivier de personnes qui ont travaillĂ© dans l'armĂ©e pendant des annĂ©es, dĂ©veloppant tous ces outils et ces mĂ©thodes pour surveiller les Palestiniens, qui passent ensuite au secteur privĂ© pour dĂ©velopper diverses formes de rĂ©pression susceptibles dâĂȘtre vendues dans le monde entier. Le groupe NSO Ă©tait essentiellement un bras armĂ© de l'Ătat. Nombre de ces sociĂ©tĂ©s, ces sociĂ©tĂ©s de surveillance, ces outils de rĂ©pression et ces sociĂ©tĂ©s biomĂ©triques opĂ©rant dans les territoires occupĂ©s ou Ă Gaza, sont ensuite utilisĂ©s par IsraĂ«l comme un argument de vente clĂ© pour se faire de nouveaux alliĂ©s. Une amitiĂ© transactionnelle.
C'est pourquoi je pense que l'industrie armĂ©e israĂ©lienne est une police d'assurance. C'est une police d'assurance au regard des pays qui s'opposent Ă ce que fait IsraĂ«l. Pas beaucoup, pas assez, mais mĂȘme les pays qui s'opposent publiquement Ă ce que font les IsraĂ©liens, continuent d'acheter la technologie rĂ©pressive israĂ©lienne. Le Mexique en est un exemple parmi d'autres. Ce que dit un gouvernement, un premier ministre ou un prĂ©sident n'est pas sans importance, mais ce qui compte le plus, c'est ce que vous faites, ce que vous achetez, ce que vous dĂ©ployez dans votre propre pays. Ainsi, lorsque 130 ou 140 nations dans le monde ont achetĂ©, au cours des derniĂšres dĂ©cennies, une forme ou une autre de technologie de dĂ©fense israĂ©lienne, drones, missiles, logiciels espions, peu importe, c'est ce qui compte. IsraĂ«l pense, probablement Ă juste titre, que ces nations, du moins pour l'instant, ne sont pas susceptibles de se retourner contre IsraĂ«l tant qu'elles sont dĂ©pendantes de ces outils de rĂ©pression.
Chris Hedges : Parlons de Blue Wolf ou de la base de données Wolf Pack.
Antony Loewenstein : Il s'agit d'un systĂšme qui a Ă©tĂ© dĂ©veloppĂ© au cours des cinq derniĂšres annĂ©es et dont chaque soldat israĂ©lien opĂ©rant dans les territoires occupĂ©s est Ă©quipĂ©. L'objectif est d'obtenir des informations personnelles et des donnĂ©es sur chaque Palestinien, homme, femme et enfant. Ces informations sont saisies dans une Ă©norme base de donnĂ©es. Cette base de donnĂ©es est ensuite utilisĂ©e pour exercer une discrimination potentielle Ă l'encontre de ces personnes. Qu'est-ce que cela signifie concrĂštement ? Une personne X veut aller de Cisjordanie en IsraĂ«l pour travailler et obtenir des soins mĂ©dicaux. Un Palestinien ne sait pas quelles informations ont Ă©tĂ© recueillies Ă son sujet, car câest obtenu sans consentement.
Il y a des tĂ©moignages, gĂ©nĂ©ralement anonymes, de soldats israĂ©liens, oĂč c'est cette pratique revient presque Ă un jeu. Combien d'informations personnelles sur les Palestiniens pouvons-nous obtenir lors de notre mission de ce soir, alors que nous servons dans les territoires occupĂ©s ? Il va sans dire qu'il n'y a aucune transparence dans ce processus. Aucune. Les Palestiniens qui vivent Ă HĂ©bron, Ă Naplouse ou ailleurs ne savent donc pas quelles informations sont recueillies, mais nous savons que cela a un impact sur leur libertĂ© de mouvement en Cisjordanie et potentiellement en IsraĂ«l ou Ă l'Ă©tranger.
Chris Hedges : Vous Ă©crivez qu'âIsraĂ«l innove en matiĂšre de contrĂŽle des foulesâ. Avec Sea of Tears, un drone qui largue des grenades lacrymogĂšnes sur une large zone, ou de l'eau nausĂ©abonde, une sorte de liquide Ă©mis par un canon Ă eau qui laisse une odeur nausĂ©abonde sur les vĂȘtements et le corps pendant une longue pĂ©riode. Ils ont Ă©tĂ© utilisĂ©s lors de la Grande Marche du Retour, un mouvement de protestation largement non violent Ă Gaza, oĂč les manifestants se sont rendus jusqu'Ă la frontiĂšre. Beaucoup d'entre eux, bien sĂ»r, ont Ă©tĂ© abattus. Parlez-nous de certaines formes de contrĂŽle des foules mises au point par IsraĂ«l, que nous avons vues dans des endroits comme Ferguson.
Antony Loewenstein : On a l'impression qu'IsraĂ«l utilise la Cisjordanie, en particulier JĂ©rusalem-Est et Gaza, comme terrain d'essai. Certains de ces exemples sont parlants. La Grande marche du retour, comme vous l'avez dit, Ă©tait le fait de Palestiniens de marcher pour leur libertĂ© et pour le droit de retourner en IsraĂ«l, lĂ oĂč vivaient leurs ancĂȘtres. Le Sea of Tears Ă©tait un drone qui larguait des gaz lacrymogĂšnes sur les gens. Il ne les a pas tuĂ©s, mais il a certainement causĂ© d'Ă©normes dĂ©gĂąts. Et littĂ©ralement, au fur et Ă mesure que la Marche du retour se dĂ©roulait et que ce drone, le Sea of Tears Ă©tait utilisĂ©, d'autres pays voulaient l'acheter parce qu'il Ă©tait testĂ©, pour ainsi dire, en temps rĂ©el.
Le lien entre les Ătats-Unis et IsraĂ«l est essentiel ici. Peu aprĂšs le 11 septembre, le lobby pro-israĂ©lien aux Ătats-Unis, la Ligue anti-diffamation en particulier, mais aussi d'autres groupes, ont massivement tentĂ© de mettre en place un partage d'informations. De trĂšs nombreuses forces de police ont donc Ă©tĂ© envoyĂ©es en IsraĂ«l et aux Ătats-Unis, et vice versa, pour ĂȘtre formĂ©es aux outils de âgestion des personnesâ. Des officiers de police ont Ă©tĂ© citĂ©s, qui se sont rendus en IsraĂ«l aprĂšs le 11 septembre, inspirĂ©s par ce qu'IsraĂ«l fait aux Palestiniens. Soyons clairs, la police amĂ©ricaine n'a pas besoin d'une formation israĂ©lienne pour ĂȘtre rĂ©pressive Ă l'Ă©gard des Noirs et des minoritĂ©s. Ce n'est pas ce que je prĂ©tends. Mais ce que je dis, c'est qu'ils acquiĂšrent de nouveaux outils de rĂ©pression, Ă tel point que, tout rĂ©cemment, d'importantes personnes chargĂ©es de la sĂ©curitĂ© des frontiĂšres israĂ©liennes se sont rendues Ă la frontiĂšre entre les Ătats-Unis et le Mexique pour examiner la maniĂšre dont les Ătats-Unis âtiennentâ leurs frontiĂšres.
Et Ă la frontiĂšre amĂ©ricano-mexicaine, une part considĂ©rable de cette infrastructure, lancĂ©e par Obama, approfondie par Trump, et poursuivie par Biden maintenant, est issue de la surveillance israĂ©lienne. Il y a d'Ă©normes tours de surveillance Albert tout au long de la frontiĂšre amĂ©ricano-mexicaine. Elbit est la plus grande entreprise de dĂ©fense israĂ©lienne. La raison pour laquelle les Ătats-Unis Ă©taient initialement intĂ©ressĂ©s par cette technologie Ă©tait qu'elle avait Ă©tĂ© testĂ©e et Ă©prouvĂ©e en Palestine, et qu'elle âfonctionnaitâ. L'objectif est Ă la fois de surveiller les migrants potentiels qui traversent la frontiĂšre et les AmĂ©rindiens qui vivent sur leur territoire ancestral. Dans mon livre, je cite des personnes qui disent qu'elles ne peuvent pas vivre en sĂ©curitĂ© sur leur territoire Ă cause de ces tours de surveillance.
Encore une fois, il existe un alignement idĂ©ologique entre de nombreux AmĂ©ricains qui considĂšrent qu'IsraĂ«l est presque sur la ligne de front, le Far West du contrĂŽle des foules, de la gestion des foules, de l'Ă©crasement de toute rĂ©sistance par une force Ă©crasante. Et ils rapportent ces exemples aux Ătats-Unis et vice-versa. C'est comme une boucle de rĂ©troaction. Cela fonctionne dans les deux sens. Comme vous l'avez dit, de nombreuses preuves ont attestĂ© que certains policiers, en particulier Ă Ferguson, Ă©taient allĂ©s en IsraĂ«l. Ce n'est pas toujours le cas. Mais une partie de la formation utilisĂ©e par les forces de police aux Ătats-Unis, y compris Ă Ferguson, provient en partie d'IsraĂ«l.
Chris Hedges : Parlez-nous de Frontex et de la maniÚre dont cette technologie israélienne est utilisée pour pénétrer dans les applications de messagerie cryptées, en particulier sur les téléphones portables des réfugiés.
Antony Loewenstein : Oui. Frontex est la âforce de sĂ©curitĂ©â des frontiĂšres de l'UE. Et il y a eu un vĂ©ritable traumatisme au sein de Frontex, non pas que je sois dĂ©solĂ© pour eux, mais un traumatisme aprĂšs l'afflux de rĂ©fugiĂ©s en 2015, principalement en provenance de Syrie et d'ailleurs. Et cela ne doit pas se reproduire. Aujourd'hui, nous nous trouvons donc dans une situation oĂč d'Ă©normes quantitĂ©s de migrants tentent toujours de venir d'Afrique et du Moyen-Orient, fuyant les murs, les conflits ou les catastrophes climatiques. Et leurs tĂ©lĂ©phones, des smartphones - qui livrent des dĂ©tails personnels, et des photos - sont souvent pris sur les gens aux postes frontiĂšres de l'UE. Des informations leur sont demandĂ©es. Nous ne savons pas exactement quelles informations sont prĂ©levĂ©es, dans le but d'essayer de briser ce qu'ils appellent les rĂ©seaux de passeurs, les chemins humanitaires vers une vie meilleure - et la technologie israĂ©lienne en fait partie. Les drones israĂ©liens font partie de cette infrastructure, mais aussi l'UE, le plus grand partenaire commercial d'IsraĂ«l.
Il faut le souligner. Ces derniĂšres annĂ©es, toutes les nations europĂ©ennes ont exprimĂ©, de temps Ă autre, leur inquiĂ©tude au sujet de l'occupation et des colonies. Cette semaine, l'un des dirigeants de l'UE a dĂ©clarĂ©, et je paraphrase, qu'en temps de guerre, il est scandaleux qu'IsraĂ«l dĂ©pense d'Ă©normes sommes d'argent pour construire davantage de colonies, parce qu'IsraĂ«l a publiĂ© son dernier budget et que d'Ă©normes sommes d'argent sont budgĂ©tĂ©s aux colonies. J'ai rĂ©pondu sur Twitter, et qu'allez-vous faire Ă ce sujet ? Ils ne feront rien. Outre le fait que je suis citoyen allemand et australien, il est Ă©vident qu'en Allemagne, cette question est toxique : l'Allemagne utilise la calamitĂ© historique et ses actions rĂ©pugnantes pendant l'Holocauste - y compris une grande partie de ma famille tuĂ©e pendant l'Holocauste - pour soutenir l'absolution historique d'IsraĂ«l, et dire en quelque sorte qu'ĂȘtre follement pro-IsraĂ«l, c'est expier nos pĂ©chĂ©s des 12 annĂ©es de l'Allemagne nazie.
IsraĂ«l vend non seulement beaucoup d'armes Ă l'Allemagne, mais les Allemands vendent Ă©galement d'Ă©normes quantitĂ©s de technologie Ă IsraĂ«l. Depuis le 7 octobre, le nombre d'armes vendues par l'Allemagne Ă IsraĂ«l a Ă©tĂ© multipliĂ© par dix, afin de l'aider dans son effroyable attaque Ă Gaza. VoilĂ ce que cela signifie. Le soutien de l'UE Ă IsraĂ«l. Gideon Levy, le journaliste de Haaretz dont j'ai parlĂ© prĂ©cĂ©demment, a assistĂ© Ă une rĂ©union avec Netanyahou il y a plusieurs annĂ©es. Netanyahou regardait une carte, et a dĂ©clarĂ© que le monde entier soutient IsraĂ«l. Quelques nations en Europe, comme la Belgique, nous posent quelques problĂšmes, mais dans l'ensemble, tout va bien. Il arrive que les autoritĂ©s belges expriment leur inquiĂ©tude au sujet des colonies, ce dont IsraĂ«l se moque, mais en fin de compte, l'UE a dĂ©cidĂ© de ne pas s'opposer Ă IsraĂ«l, mĂȘme si les infrastructures de l'UE sont constamment dĂ©truites en Cisjordanie. Je me demande quand et comment cela changera.
Chris Hedges : Je voudrais clore sur le dernier chapitre de votre livre. Vous avez citĂ© un avocat israĂ©lien spĂ©cialisĂ© dans les droits de l'homme : âGrĂące Ă la technologie de surveillance, un pays peut dĂ©sormais Ă©viter de massacrer des manifestants. Aujourd'hui, nous sommes en mesure d'identifier et de procĂ©der Ă la surveillance du prochain Nelson Mandela avant mĂȘme qu'il ne sache qu'il est Nelson Mandelaâ. Ce que vous dĂ©crivez est la formation d'un monde effrayant, dystopique, orwellien, qui s'Ă©tend bien au-delĂ des frontiĂšres israĂ©liennes. Mais que, bien sĂ»r, IsraĂ«l contribue Ă crĂ©er.
Antony Loewenstein : Je ne veux certainement pas dire qu'IsraĂ«l n'est pas capable de commettre des massacres. De toute Ă©vidence oui, nous le voyons depuis le 7 octobre. Cette citation provient d'Eitay Mack, un grand avocat israĂ©lien spĂ©cialisĂ© dans les droits de l'homme. Il a passĂ© beaucoup de temps Ă essayer de dĂ©couvrir ce quâest l'industrie israĂ©lienne de l'armement. Une grande partie de son travail se trouve dans mon livre. J'ai des citations de Togolais, par exemple, et dâautres personnes de divers autres pays du monde souvent dirigĂ©s par des dictatures soutenues par les Ătats-Unis ou par IsraĂ«l, qui attestent que des rĂ©gimes rĂ©pressifs peuvent surveiller les gens sous diverses formes. Bien sĂ»r, cela a toujours existĂ©. Mais la diffĂ©rence aujourd'hui, c'est que nous sommes tellement dĂ©pendants des tĂ©lĂ©phones et dâinternet que toute cette technologie est surveillĂ©e 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Cela ne signifie pas que les informations sont toujours toutes ponctionnĂ©es. Le problĂšme des Ătats-Unis aprĂšs le 11 septembre consistait en une masse d'informations telle qu'ils ne pouvaient pas les traiter. IsraĂ«l a eu un problĂšme similaire, comme nous l'avons vu le 7 octobre, mais IsraĂ«l est en train de devenir, et ce depuis des annĂ©es, l'une des sources d'inspiration mondiale en matiĂšre de technologie rĂ©pressive. Bien avant le 11 septembre, et bien aprĂšs.
Le danger de cette situation est Ă©vident : elle devient un modĂšle de rĂ©pression. IsraĂ«l montre aux pays comment faire. Vous pouvez Ă©galement rĂ©primer votre peuple si vous achetez cette technologie, ce logiciel espion, ce drone, etc. La technologie n'est pas parfaite - ils ne le disent pas, bien sĂ»r, c'est ce que je dis - mais elle peut crĂ©er une architecture de contrĂŽle globale presque imbattable, avec un impact Ă©norme Ă une Ă©poque oĂč la dĂ©mocratie est en dĂ©clin. On peut dire que mĂȘme les dĂ©mocraties qui se dĂ©crivent comme telles n'en sont pas, mais les nations qui se prĂ©tendent dĂ©mocratiques s'orientent de plus en plus vers un modĂšle de type israĂ©lien. Je ne parle pas d'occupation. Je parle du discours, et aussi de la surveillance. Toute la rhĂ©torique amĂ©ricaine aprĂšs le 11 septembre, la soi-disant guerre contre le terrorisme, Ă©tait le livre de jeu israĂ©lien. Pas tout Ă fait identique, mais remarquablement inspirĂ© de ce qu'IsraĂ«l avait fait au Liban dans les annĂ©es 80 et suivantes.
Une rhĂ©torique similaire sur le soi-disant terrorisme, qu'ils appellent dommages collatĂ©raux, mais que j'appellerais plutĂŽt meurtres collatĂ©raux. Ce que Julian Assange, un ami commun - un compatriote australien, un grand hĂ©ros pour moi, je connais Julian depuis 2006, au tout dĂ©but de Wikileaks - et ce que des gens comme lui et beaucoup d'autres disent depuis des annĂ©es, c'est qu'il s'agit d'une menace, cette idĂ©e d'une architecture complĂšte de surveillance mondiale presque imbattable. IsraĂ«l est un leader mondial dans ce domaine. Alerter les gens Ă ce sujet est la premiĂšre Ă©tape. L'Ă©tape suivante consiste Ă savoir comment s'y opposer. Une grande partie de la rĂ©ponse mondiale au 7 octobre, Ă la fois l'attaque du Hamas mais aussi les crimes de guerre insensĂ©s, Ă©crasants et brutaux qu'IsraĂ«l commet Ă Gaza, fait Ă©merger des actions de la sociĂ©tĂ© civile jamais vues de mon vivant sur cette question, dâamis palestiniens-israĂ©liens, et je parle surtout au niveau mondial, pas tellement en Palestine, en IsraĂ«l mĂȘme, y compris des compatriotes juifs et de nombreux Palestiniens. Pour moi, c'est la seule lueur d'espoir dans cette pĂ©riode trĂšs sombre.
Chris Hedges : C'était Antony Loewenstein, auteur de The Palestine Laboratory : How Israel Exports the Technology of Occupation Around the World (Le laboratoire de la Palestine : comment Israël exporte la technologie de l'occupation dans le monde entier). Je tiens à remercier The Real News Network et son équipe de production : Cameron Granadino, Adam Coley, David Hebden et Kayla Rivara. Vous pouvez me trouver sur chrishedges.substack.com.