đâđš Les atrocitĂ©s admises
En Occident, tout se fait selon la valeur de l'expédient choisi pour un résultat escompté. Une dépravation générant celle dont nous sommes témoins devant Israël & sa volonté d'anéantir tout un peuple.
đâđš Les atrocitĂ©s admises
Par Patrick Lawrence pour Consortium News, le 21 mars 2024
L'anarchie d'IsraĂ«l a une histoire commune Ă l'Occident et Ă l'Ătat d'apartheid.
On remarque assez souvent, y compris sur ce site, que la sauvagerie d'Israël dans sa détermination à exterminer les Palestiniens de Gaza - et nous ferions mieux de nous préparer à ce qui va suivre sur la rive occidentale du Jourdain - marque un tournant pour l'humanité tout entiÚre.
L'Ătat sioniste entraĂźne l'ensemble de l'Occident dans sa descente aux enfers de la dĂ©pravation.
Il nous faut resituer dans son contexte les agissements criminels d'Israël, qui mériteraient à ce stade un nouveau procÚs de Nuremberg.
Ce faisant, nous dĂ©couvrons que l'anarchie d'IsraĂ«l a une histoire, une Ă©tymologie, et s'il existe une planche de salut pour l'Occident, elle passera par la reconnaissance d'un passĂ© que les Occidentaux partagent avec l'Ătat d'apartheid.
Nous pouvons affirmer que les crimes commis par IsraĂ«l contre les 2,3 millions d'enfants, de femmes et d'hommes de Gaza sont innommables, mais serait inexact. Ces crimes sont au contraire tout Ă fait descriptibles, et il nous incombe maintenant d'en parler si nous voulons comprendre oĂč rĂ©side la responsabilitĂ© de cette tache sur l'histoire de l'humanitĂ©.
Pankaj Mishra vient de publier un article complet et remarquable sur ces questions dans la London Review of Books.
L'auteur, essayiste et chroniqueur indien aborde de nombreux points dans âLa Shoah aprĂšs Gazaâ, principalement le degrĂ© de saturation de la âculture liĂ©e Ă la prise de conscience de l'Holocausteâ - excellente expression - par les sionistes pour dĂ©fendre une nation qui, pour citer Primo Levi, âa Ă©tĂ© une erreur dâun point de vue historiqueâ.
Voici un passage de l'article de Mishra qui nous intéresse ici :
âIsraĂ«l dynamite aujourd'hui l'Ă©difice des normes mondiales Ă©rigĂ©es aprĂšs 1945, qui vacille depuis la guerre catastrophique et toujours impunie contre le terrorisme et la guerre revancharde de Vladimir Poutine en Ukraine. La rupture profonde ressentie aujourd'hui entre passĂ© et prĂ©sent constitue une rupture dans l'histoire morale du monde depuis ce point zĂ©ro de 1945, histoire dont la Shoah a Ă©tĂ© pendant de nombreuses annĂ©es l'Ă©vĂ©nement central et la rĂ©fĂ©rence universelleâ.
Je ne suis pas d'accord avec Mishra sur tout ce qu'il écrit dans l'article du LRB. La guerre revancharde de Vladimir Poutine en Ukraine ? Absolument pas. à moins que vous ne soyez adepte du stratagÚme de diabolisation auquel les propagandistes ont généralement recours, il s'agit de la guerre de la Fédération de Russie, et non de celle du président russe.
Poutine revanchard ? C'est tout simplement faux, une bien piÚtre interprétation d'une guerre par procuration délibérément provoquée qui n'a laissé à Moscou d'autre choix que d'intervenir.
Mais âdynamiter l'Ă©difice des normes mondiales Ă©rigĂ©es aprĂšs 1945â et âune rupture dans l'histoire morale du monde depuis le point zĂ©ro de 1945â : on ne peut pas faire beaucoup plus concis dans le genre.
En mĂȘme temps, nous ne devons pas dĂ©duire de ces phrases que l'Ă©difice Ă©tait solide avant qu'IsraĂ«l ne mette le feu aux poudres, ou que la rupture morale que nous pouvons maintenant clairement percevoir nous est tombĂ©e dessus sans prĂ©venir, ou Ă la suite d'une coupe chirurgicale.
J'ai vu ce matin des images de soldats israéliens se photographiant déguisés tout en se moquant de la lingerie que des femmes palestiniennes ont laissée derriÚre elles lorsque les Forces de défense israéliennes les ont chassées.
âC'est le langage qui m'a glacĂ©eâ, Ă©crit Nina Berman en commentaire. âLe langage et le rictus carnassier sur le visage du soldat alors que lui et son copain se moquent devant la camĂ©raâ.
Mondoweiss a publié un article et les photos.
Les soldats de l'armĂ©e israĂ©lienne ont commis des exactions bien pires cĂ Gaza, mais ces âselfiesâ m'ont fait rĂ©flĂ©chir. Comme le dit Mme Berman,
âils s'inscrivent dans une longue tradition d'images de conquĂȘte, depuis les images d'Abu Ghraib jusqu'au spectacle des lynchages de l'Ă©poque de Jim Crowâ.
Qui condamnons-nous ?
C'est tout à fait exact, Nina. Vous nous immergez dans le contexte historique adéquat avant de condamner avec désinvolture - paradant sur un piédestal dorique - le comportement des troupes des Forces de défense israéliennes (FDI) qui prennent d'assaut Gaza comme lors d'un Blitzkrieg.
Condamnable, câest sĂ»r. Mais nous ferions mieux de faire attention Ă la question de savoir qui nous condamnons.
Au cours de la dĂ©cennie qui a prĂ©cĂ©dĂ© la dĂ©faite amĂ©ricaine en Indochine, les Ătats-Unis et leurs alliĂ©s ont larguĂ© plus de 7,5 millions de tonnes de bombes sur le ViĂȘt Nam, le Laos et le Cambodge.
Si nous voulons remonter plus loin dans l'histoire de l'aprÚs-guerre, nous pouvons penser à Hiroshima et Nagasaki. Ensuite, nous pouvons penser à Israël à Gaza : au début de l'année - il y a donc plus de trois mois - Israël avait largué plus de 70 000 tonnes de munitions sur un territoire de la taille de Manhattan.
La torture des prisonniers palestiniens - les coups, les mutilations, le waterboarding, les aveux forcĂ©s : en quoi cela diffĂšre-t-il de la maniĂšre dont les Ătats-Unis ont menĂ© la âguerre contre le terrorismeâ ?
DĂ©tentions de longue durĂ©e dans des cachots, sans inculpation ni recours Ă un avocat : n'y a-t-il pas lĂ un Ă©cho des agissements Ă GuantĂĄnamo en ce moment mĂȘme ?
Ces soldats de Tsahal sur les photos ne sont rien d'autre que des voyous armés de fusils, des crapules sans une once d'humanité. Peut-on décrire différemment les atrocités des troupes américaines à Abou Ghraib ?
IsraĂ«l ignore la Cour internationale de justice ? D'oĂč sort cette audace ?
Cette liste n'est pas exhaustive, loin s'en faut. L'Afghanistan mĂ©rite d'y figurer. Il y a aussi la destruction de la Libye par l'Occident en 2011, un âretour Ă l'Ăąge de pierreâ. Je me limite aux dĂ©cennies d'aprĂšs-guerre pour nous permettre de jeter un regard lucide sur cet âĂ©difice de normes mondialesâ dont parle Mishra.
Nous constatons alors que l'Occident a délivré un permis aux Israéliens. Ils disposent d'une pré-autorisation via de nombreux précédents. Il en existe un pour plus ou moins chaque acte honteux perpétré par les Israéliens contre la population palestinienne - en Cisjordanie comme à Gaza.
C'est ainsi que nous dĂ©couvrons - ou que nous nous rappelons, selon notre degrĂ© dâattention portĂ©e aux Ă©vĂ©nements - que lâĂ©difice post-1945 a ressemblĂ© dĂšs le dĂ©part Ă ce qu'il est aujourd'hui. IsraĂ«l n'est au fond qu'une rĂ©sultante, et non la cause premiĂšre de quoi que ce soit.
Un mythe insidieux
Il est certain que le spectacle Ă©pouvantable des massacres et des destructions en masse dont nous sommes les tĂ©moins au quotidien a marquĂ© une rupture, pour reprendre le terme de Mishra. Mais affirmer que cette rupture nâest que le fait d'IsraĂ«l, c'est entretenir le mythe insidieux de l'innocence de l'Occident.
Non, la véritable rupture se situe au niveau de ceux qui, en Occident, sont contaminés par la profonde immoralité d'Israël et se trouvent maintenant confrontés à leur morale arbitraire ou, pour les meilleurs d'entre eux, à découvrir toute l'étendue de leur impuissance en dépit de la sincérité de leurs intentions.
En ce qui concerne IsraĂ«l, je suis d'accord avec Primo Levi, citĂ© par Mishra. L'âĂtat juifâ s'Ă©tait dĂ©jĂ avĂ©rĂ© ĂȘtre une erreur lorsqu'il a fait cette remarque trĂšs contestĂ©e en 1985.
Depuis, la vĂ©ritĂ© a Ă©tĂ© dĂ©montrĂ©e mille fois. IsraĂ«l n'est qu'une expĂ©rience ratĂ©e, coupable de ne pas se comporter comme un Ătat-nation lĂ©gitime.
Mais d'oĂč vient l'erreur israĂ©lienne ? C'est l'Occident, la Grande-Bretagne en tĂȘte, qui a crĂ©Ă© IsraĂ«l en cĂ©dant aux sionistes aux dĂ©pens des autochtones palestiniens. Telle est la rĂ©alitĂ© du pouvoir qui devrait nous peser le plus lourdement sur les Ă©paules. IsraĂ«l, cââestâ nous.
La renonciation de la Grande-Bretagne au mandat de 1920 nous renvoie à l'une des caractéristiques les plus profondes de notre époque, de la société d'aprÚs-guerre. Il s'agit du mépris de plus en plus marqué des détenteurs du pouvoir pour les principes, normes et rÚgles éthiques communément admises qui donnent forme et cohérence à une civilisation stable et garantissent une société saine et éclairée.
Dans notre édifice en ruine, tout se fait suivant la valeur de l'expédient choisi pour un résultat escompté. Il s'agit là aussi d'une forme de dépravation. Et c'est cette dépravation qui engendre celle dont nous sommes témoins en observant les agissements d'Israël dans sa volonté d'anéantir tout un peuple.
* Patrick Lawrence, correspondant à l'étranger pendant de nombreuses années, principalement pour l'International Herald Tribune, est critique des médias, essayiste, auteur et conférencier. Son nouveau livre, Journalists and Their Shadows, vient de paraßtre chez Clarity Press.
https://scheerpost.com/2024/03/21/patrick-lawrence-authorized-atrocities/