👁🗨 Les BRICS écrivent l'Histoire - Tiendront-ils le cap ?
Des coups du destin peu anodins ont permis à certaines villes de marquer l'Histoire à jamais. Yalta. Bretton Woods. Bandung - l'incontournable de la décolonisation de 1955. Et maintenant Kazan.
👁🗨 Les BRICS écrivent l'Histoire - Tiendront-ils le cap ?
Par Pepe Escobar, le 28 octobre 2024
La Déclaration de Kazan n'est rien de moins qu'un manifeste diplomatique détaillé visant à proposer de véritables réformes, s'orientant vers des changements institutionnels en profondeur et le rejet de l'hégémon, en particulier des leviers anglo-américains de contrôle mondial de l'après-Deuxième Guerre mondiale.
Le sommet des BRICS qui s'est tenu à Kazan, capitale du Tatarstan, sous la présidence russe, a été historique à plus d'un titre. Il a été suivi avec beaucoup d'attention par l'ensemble de la Majorité Mondiale et avec circonspection par une grande part de l'ordre occidental en déclin.
Il n'a pas changé le monde - pas encore. Mais Kazan devrait être considéré comme le point de départ d'un voyage en train à grande vitesse vers l'émergence d'un nouvel ordre multi-nodal. La métaphore est également spatiale : les halls de la “gare” du parc des expositions de Kazan, qui accueillait le sommet, étaient simultanément reliés à l'aéroport et au train aéro-express qui dessert la ville.
Les effets des BRICS 2024 à Kazan seront perceptibles dans les semaines, les mois et les années à venir. Commençons par les avancées.
Le Manifeste de Kazan
1. La Déclaration de Kazan.
Il s'agit ni plus ni moins d'un manifeste diplomatique détaillé. Mais comme les BRICS ne constituent pas une force révolutionnaire - puisque leurs membres ne partagent pas d'idéologie - la meilleure stratégie consiste sans doute à proposer de véritables réformes, de l'Agenda 2030 de l'ONU au FMI, en passant par la Banque mondiale, l'OMC, l'OMS et le G20 (dont le sommet se tiendra le mois prochain à Rio).
“Le cœur de la déclaration de Kazan - qui a été débattue pendant des mois - vise à mettre en pratique des changements institutionnels profonds et à rejeter l'Hégémon. La déclaration sera présentée au Conseil de sécurité des Nations unies.Il ne fait aucun doute que l'Hégémon la rejettera.”
Ce paragraphe résume bien la dynamique de réforme :
“Nous condamnons les tentatives visant à soumettre le développement à des pratiques discriminatoires à motivation politique, y compris, mais sans s'y limiter, les mesures coercitives unilatérales incompatibles avec les 5 principes de la Charte des Nations Unies, la subordination politique explicite ou implicite de l'aide au développement, les activités destinées à compromettre la multiplicité des fournisseurs de l'aide internationale au développement.”
2. Session d'information des BRICS
C'était le Bandung 1955 sous macro-stéroïdes : un microcosme illustrant la façon dont le nouveau monde, réellement décolonisé et non unilatéral, est en train de naître. [La conférence de Bandung, du 18 au 24 avril 1955 à Bandung en Indonésie, réunissait pour la première fois les représentants de vingt-neuf pays africains et asiatiques, marquant l'entrée sur la scène internationale des pays décolonisés du “tiers monde”, non désireux d’intégrer les deux blocs menés par les États-Unis et l'URSS et choisissent le non-alignement].
Le président Poutine a ouvert la séance et donné la parole aux dirigeants et chefs de délégation des 35 autres nations, la plupart au plus haut niveau, y compris la Palestine, ainsi qu'au secrétaire général des Nations unies. Plusieurs discours ont été tout simplement impressionnants. La session a duré 3h25. Elle circulera dans l'ensemble de la Majorité Mondiale pendant des années.
La session était liée à l'annonce des 13 nouveaux partenaires des BRICS : Algérie, Biélorussie, Bolivie, Cuba, Indonésie, Kazakhstan, Malaisie, Nigeria, Thaïlande, Turquie, Ouganda, Ouzbékistan, Vietnam. Un tour de force stratégique comprenant 4 puissances d'Asie du Sud-Est, les deux premiers pays d'Asie centrale, 3 Africains, 2 Latino-Américains et la Turquie, membre de l'OTAN.
3. La présidence russe des BRICS proprement dite
On peut dire qu'aucune autre nation n'aurait été en mesure d'organiser un sommet aussi complexe et impeccablement organisé, après plus de 200 réunions liées aux BRICS tout au long de l'année dans toute la Russie par des anonymes, des membres de groupes de travail et le Conseil économique des BRICs. La sécurité était maximale, pour des raisons évidentes, compte tenu des risques d'opération sous faux drapeau ou encore d'attentat terroriste.
4. Les couloirs de connectivité
C'est le principal thème géoéconomique de l'intégration de l'Eurasie et de l'Afro-Eurasie. Poutine a explicitement nommé, à plusieurs reprises, les nouveaux moteurs de croissance de l'avenir proche : l'Asie du Sud-Est et l'Afrique. Il se trouve que ces deux régions sont des partenaires clés de plusieurs projets très médiatisés de l'initiative chinoise “Belt and Road Initiative” (BRI). En outre, Poutine a nommé les deux principaux couloirs de connectivité du futur : la Northern Sea Route - que les Chinois décrivent comme la Route de la soie arctique - et l'International North-South Transportation Corridor (INSTC), dont les trois moteurs sont la Russie, l'Iran et l'Inde, membres des BRICS.
Ainsi, la Chine des BRICS traverse l'Eurasie d'est en ouest, tandis que la Russie, l'Iran et l'Inde des BRICS la traversent du nord au sud, avec des ramifications sous toutes les latitudes. Et grâce à tous les prolongements énergétiques, l'Iran se positionne comme un centre de ressources crucial, ouvrant la possibilité enfin envisageable de construire l'oléoduc Iran-Pakistan-Inde (IPI), l'une des sagas inachevées de ce que j'ai décrit au début des années 2000 sous le nom de Pipelineistan.
Le triangle Primakov de retour
Dans toute la Majorité Mondiale, on s'attendait à une percée majeure à Kazan dans le domaine des systèmes de paiement alternatifs. Les experts russes et chinois des technologies financières réalistes ont déclaré qu'ils ne voient
“rien du tout, si ce n'est une nouvelle série d'initiatives concernant la bourse des céréales, des métaux précieux et une plateforme d'investissement. BRICS Clear est en train de se développer d'une manière ou d'une autre, mais le reste ne fonctionnera pas sans une infrastructure souveraine appropriée” [Brics Clear : système de dépôt indépendant];
Ce qui nous ramène au projet UNIT - une forme de “monnaie apolitique”, indexée sur l'or et les monnaies BRICS+, qui a fait l'objet de discussions approfondies au sein des groupes de travail et a été présenté au ministère russe des Finances. La prochaine étape requise est une phase d'essai par un grand conglomérat d'entreprises. Elle pourrait avoir lieu prochainement et, en cas de succès, incitera d'autres grandes entreprises des pays des BRICS à suivre le mouvement.
Quant à la plateforme d'investissement numérique des BRICS, elle est déjà en place. Parallèlement à la Banque nationale de développement - la banque des BRICS - M. Poutine encourage à maintenir à sa tête l'ancienne présidente brésilienne Dilma Rousseff - elle facilitera l'accès des pays du Sud au financement sans les redoutables conditions d'“ajustement structurel” du FMI et de la Banque mondiale. La bourse aux céréales des BRICS, qui établira des règles strictes et transparentes, jouera un rôle essentiel pour garantir la sécurité alimentaire des pays du Sud.
Les BRICS ont clairement indiqué que l'évolution complexe vers une nouvelle infrastructure de colonisation/règlement est inévitable, mais qu'il s'agit d'un long processus déjà en cours, en particulier lorsque le G7 - qui, en pratique, détourne l'ordre du jour du G20 le mois prochain à Rio - veut financer au moins 20 milliards de dollars sur un plan de 50 milliards de dollars en faveur de l'Ukraine avec des recettes provenant d'actifs russes volés.
Venons-en aux difficultés les plus flagrantes des BRICS
Il est extrêmement difficile de parvenir à un consensus sur des dossiers difficiles - et cela pourrait, à long terme, amener les BRICS à s'orienter vers un mécanisme de majorité absolue pour faire avancer les choses.
Le cas du Brésil, qui a exercé son droit de veto sur le Venezuela en tant que partenaire des BRICS, n'a pas été bien accueilli par les membres, les partenaires et l'ensemble des pays du Sud. L'actuel gouvernement Lula subit peut-être d'énormes pressions de la part de l'establishment démocrate de l'hégémon, mais cela n'explique pas en soi la décision.
Il existe un lobby anti-BRICS massif dans les plus hautes sphères du gouvernement brésilien, “soutenu”, comme d'habitude, par des ONG américaines ainsi que par la Commission européenne (CE), fortement infiltrée parmi les proverbiales élites compradores. Cette année, Brasilia a fait passer le G20 avant les BRICS. Cela laisse présager d'importants problèmes pour l'année prochaine, alors que le Brésil devrait assurer la présidence des BRICS.
Les perspectives ne sont pas vraiment brillantes. Le sommet des BRICS de l'année prochaine est prévu pour juillet - et la décision semble être définitive. Cela n'a pas de sens - récapituler un programme de travail au milieu de l'année. L'excuse officielle est que le Brésil doit également organiser la conférence sur le climat Cop-30 en novembre. L'économiste brésilien Paulo Nogueira Batista Jr va donc suggérer d'organiser une session de synthèse des BRICS en parallèle du sommet du G20 de 2025, qui se tiendra en Afrique du Sud, pays membre des BRICS.
Le président Poutine s'est montré très conciliant, proposant même à Dilma Rousseff de rester à la tête de la NDB. Pourtant, la présidence russe de la NDB commence techniquement l'année prochaine ; un candidat plus approprié à la tête de la NDB serait Aleksei Mozhin, encore récemment représentant de la Russie au FMI.
Tout ceci nous amène à une conclusion majeure : Kazan a prouvé que la force motrice des BRICS est bien le fameux triangle Primakov - ou RIC (Russie, Inde, Chine). On peut désormais y ajouter l'Iran, ce qui en ferait le RIIC. L'ensemble des processus interconnectés d'intégration des BRICS et de l'Afro-Eurasie dépendent du RIIC.
L'Arabie saoudite reste une proposition ouverte. Même Poutine n'a pas donné de réponse concernant la participation, la non participation ou les limites de l'Arabie saoudite. Des sources diplomatiques laissent entendre que MbS attend le résultat des élections présidentielles aux États-Unis. Si les richesses de l'Arabie saoudite ont été investies dans la sphère anglo-américaine - et peuvent y être pillées en un rien de temps, les relations avec le partenariat stratégique Russie-Chine au plus haut niveau restent excellentes.
Le RIC a marqué un grand coup juste avant le sommet de Kazan avec l'annonce par Pékin et New Delhi de la normalisation de leurs relations au Ladakh. Ce résultat a été obtenu grâce à la médiation russe. Erdogan a tenu à souligner son enthousiasme pour les BRICS pendant les quelques heures qu'il a passées à Kazan. Plus tard, à Istanbul, les universitaires ont confirmé qu'il était tout à fait sérieux quant au statut partenaire de la Turquie et à son admission éventuelle en tant que membre à part entière.
En termes de symboles, les minarets de la mosquée Kul Sharif, dans le Kremlin de Kazan, ont été de facto une des images clés du sommet : la multipolarité graphique en action. Les terres d'Islam ont bien reçu le message, avec des répercussions concrètes et de bon augure. Quant aux conducteurs du train multi-nodal à grande vitesse en partance, leurs regards devraient converger vers le RIIC. Puissent tous les pays du Sud faire bon voyage.
https://globalsouth.co/2024/10/28/brics-make-history-can-they-keep-the-momentum/
Oui attendons 2025....Restons réalistes! Et pour ma part, quelque peu pessimiste....
Quand le Sud global va comprendre que Trump fera tout pour torpiller les BRICS par le chantage, la corruption ou carrément la guerre, certains vont se précipiter dans la Bergerie américaine et oublier leur promesse...Les BRICS (ou autre appellation) ne sera pas pour demain...mais plutôt pour après-demain!