đâđš Les capitales de l'UE pour une dĂ©rogation Ă la loi sur les mĂ©dias pour espionner les journalistes
"Les Etats membres, champions de la garantie de la liberté d'expression, devraient réfléchir sérieusement à la nature du précédent en train de créer & aux normes qu'ils s'engagent à respecter".
đâđš Les capitales de l'UE pour une dĂ©rogation Ă la loi sur les mĂ©dias pour espionner les journalistes
Par Mathieu Pollet, le 20 juin 2023
Les gouvernements de l'Union europĂ©enne veulent pouvoir espionner les journalistes au nom de la sĂ©curitĂ© nationale, alors mĂȘme que les lĂ©gislateurs les exhortent Ă lutter contre les logiciels espions.
Lors d'une réunion du Conseil mercredi, les ambassadeurs adjoints des gouvernements devraient donner leur aval à une exemption de sécurité nationale dans un nouveau rÚglement sur les médias dont l'objectif initial était de sauvegarder l'indépendance et le pluralisme des médias.
Les défenseurs de la vie privée et les organisations de journalistes soutiennent que cette nouvelle clause donnerait aux pays un laissez-passer pour espionner les journalistes.
Ce premier projet de réglementation des médias, proposé par la Commission européenne en septembre, couvre un large éventail de domaines, notamment la surveillance, la concentration des médias, les radiodiffuseurs publics et les plateformes en ligne.
La proposition initiale visait Ă garantir que les gouvernements ne puissent pas "dĂ©tenir, sanctionner, intercepter, soumettre Ă surveillance ou perquisitionner et saisir" des journalistes afin de dĂ©couvrir leurs sources, Ă moins que cela ne soit "justifiĂ© par une exigence impĂ©rieuse d'intĂ©rĂȘt public".
Ils ne devraient pas non plus dĂ©ployer de logiciels espions sur les appareils des journalistes, Ă moins que ce ne soit Ă des fins de sĂ©curitĂ© nationale, "au cas par cas", ou qu'une telle surveillance soit nĂ©cessaire pour enquĂȘter sur des "crimes graves", que la Commission a Ă©numĂ©rĂ©s comme le terrorisme, le trafic d'ĂȘtres humains ou d'armes, l'exploitation d'enfants, les meurtres ou les viols, par exemple.
Mais les capitales de l'UE, sous l'impulsion de la France, souhaitent une dérogation plus étendue.
Pas touche !
Le mois dernier, dans un document rapporté par POLITICO, Paris a demandé une clause "explicite et inconditionnelle" dans le texte pour préserver les prérogatives des pays membres en matiÚre de sécurité et de défense, ainsi qu'une immunité plus restreinte pour les journalistes dans le cadre des nouvelles rÚgles de l'UE sur les médias.
"Le caractÚre particuliÚrement excessif de cette immunité soulÚve des questions, tant en termes de nécessité que de proportions", lit-on dans le document, tout en soulignant "l'attachement" de la France à la confidentialité des sources des journalistes et en reconnaissant "l'émotion suscitée par l'affaire Pegasus [logiciel espion]".
Il est "essentiel de trouver un juste équilibre entre la nécessité de protéger la confidentialité des sources des journalistes, et celle de protéger les citoyens et l'Etat contre des menaces graves [...] quels qu'en soient les auteurs", ajoute la France dans le document.
La SuÚde, qui préside le Conseil jusqu'à la fin du mois et est chargée de piloter les négociations, a accepté la liste des desiderata de la France.
Elle a proposĂ© un texte qui stipule que les dispositions protĂ©geant les journalistes des interfĂ©rences et de la surveillance doivent ĂȘtre "sans prĂ©judice de la responsabilitĂ© des Ătats membres en matiĂšre de sauvegarde de la sĂ©curitĂ© nationale".
La liste des "crimes graves" Ă©tablie par la Commission a Ă©galement Ă©tĂ© supprimĂ©e du texte original. Les logiciels espions peuvent ĂȘtre dĂ©ployĂ©s pour enquĂȘter sur les infractions visĂ©es dans la dĂ©cision-cadre du Conseil de 2002 relative au mandat d'arrĂȘt europĂ©en, ce qui fait passer de 10 Ă 32 le nombre d'infractions autorisant une telle surveillance. Ils peuvent Ă©galement ĂȘtre utilisĂ©s pour enquĂȘter sur des dĂ©lits passibles d'une peine d'emprisonnement d'au moins cinq ans.
Dans le dernier texte faisant l'objet du compromis, daté du 16 juin et obtenu par POLITICO, et destiné à devenir la position officielle du Conseil avant les négociations tripartites avec la Commission et le Parlement, l'expression "logiciel espion" a été remplacée par "logiciel de surveillance intrusif". Les Suédois ont également souligné qu'"une délégation" continuait à faire pression pour que l'article premier fasse référence à la responsabilité exclusive des Etats membres en matiÚre de sécurité nationale.
La présidence suédoise et la représentation permanente de la France auprÚs de l'UE se sont refusées à tout commentaire, les négociations n'étant pas clÎturées.
Une boĂźte de Pandore
Sans surprise, les journalistes et les défenseurs de la vie privée rejettent les modifications proposées par le Conseil.
"La sécurité nationale est la plus classique des exceptions. Elle ouvre la porte à toutes sortes d'abus", a déclaré Julie Majerczak, responsable du bureau bruxellois de Reporters sans frontiÚres (RSF), à POLITICO, la qualifiant de "boßte de Pandore".
Avec 59 autres organisations signataires issues de la sociĂ©tĂ© civile, dont RSF, l'EDRi a Ă©crit une lettre ouverte aux ambassadeurs adjoints de l'UE lundi, les exhortant Ă reconsidĂ©rer leur position. Le compromis actuel "affaiblit non seulement les garanties contre le dĂ©ploiement de logiciels espions, mais incite Ă©galement fortement Ă leur utilisation sur la seule base du pouvoir discrĂ©tionnaire des Ătats membres", ont dĂ©clarĂ© les signataires.
M. Majerczak demande des garanties juridiques strictes - à défaut du retrait de la clause de sécurité nationale - telles que l'implication des autorités judiciaires, si un gouvernement décide d'espionner un journaliste.
Rien n'est gravĂ© dans le marbre. Une fois que le Conseil se sera mis d'accord sur son projet, il devra nĂ©gocier avec le Parlement - qui n'a pas encore arrĂȘtĂ© sa position - et la Commission avant que les nouvelles dispositions n'entrent en vigueur.
Au Parlement, les dispositions relatives à la surveillance des journalistes relÚvent de la seule compétence de la commission des libertés civiles et de la justice, sous la direction du rapporteur, la députée roumaine libérale Ramona Strugariu de Renew Europe.
"Les Etats membres, champions de la garantie de la liberté d'expression, devraient réfléchir sérieusement à la nature du précédent qu'ils sont en train de créer et aux normes qu'ils s'engagent à respecter", a-t-elle déclaré à POLITICO, s'engageant à "renforcer la proposition de la Commission et à obtenir un accord équitable avec le Conseil".
Dans son projet de rapport, Mme Strugariu a suggéré que le déploiement de logiciels espions soit ordonné par un tribunal ou un juge - ce qui promet des discussions animées entre le Parlement et le Conseil lors de l'élaboration du texte final.
Cet article a été mis à jour pour préciser que l'EDRi a écrit la lettre ouverte aux ambassadeurs adjoints de l'UE, tandis que RSF en était signataire.
https://www.politico.eu/article/eu-capitals-want-media-law-carve-out-to-spy-on-reporters/