👁🗨 Les couleurs & la joie ont disparu : Retour à Khan Younis, ville sinistrée
Les destructions sont massives, c'est dur de trouver les mots. Mon quartier est rasé, un champ de ruines. Je n'ai même pas pu retrouver ma maison. Même les cimetières ont été défoncés au bulldozer.
👁🗨 Les couleurs & la joie ont disparu : Retour à Khan Younis, ville sinistrée
Par Ruwaida Kamal Amer, le 11 avril 2024
Après le retrait des troupes israéliennes, les Palestiniens déplacés sont revenus en masse dans la ville pour voir ce qu'il restait. Beaucoup ont été choqués par ce qu'ils ont trouvé.
Des milliers de Palestiniens sont revenus dans la ville de Khan Younis ces derniers jours après le repli soudain des forces israéliennes dimanche. Ce qui les attendait était un spectacle de dévastation totale, à tel point que beaucoup n'ont même pas pu reconnaître leurs anciennes maisons et rues. Des quartiers entiers ont été ravagés par les bombardements, les tirs d'obus et les bulldozers, laissant à peine quelques vestiges. Khan Younis n'est plus qu'une ville de cendres et de ruines.
Avant la guerre, la ville et ses environs comptaient environ 400 000 habitants, soit la deuxième plus grande municipalité après la ville de Gaza. Ce chiffre a plus que doublé au cours des premières semaines de la guerre, après qu’Israël a ordonné à tous d'évacuer vers le sud, tout en bombardant la ville. Lorsque les troupes israéliennes ont intégralement assiégé la ville au début du mois de février, beaucoup ont été contraints de s'enfuir par un “couloir de sécurité”, lieu d’abus et d’humiliations pour ceux qui s'y aventuraient.
L'armée ayant évacué Khan Younis ces derniers jours, les habitants étaient impatients de revenir après deux mois ou plus pour découvrir à quoi ressemblait la ville. En parcourant les rues autrefois animées et aujourd'hui pratiquement inexistantes, beaucoup ont été choqués par ce qu'ils ont découvert.
“Je suis né dans cette ville, mais je ne reconnais plus les rues”, a déclaré Ahmed Suleiman, 35 ans, originaire du camp de réfugiés de Khan Younis, au magazine +972. “Je suis arrivé au rond-point Bani Suhaila [l'une des principales intersections de la ville] et je n'ai trouvé qu'un amoncellement de sable - on aurait dit un désert”.
Suleiman, qui s’est réfugié à Rafah après avoir fui Khan Younis, a décrit ce qu'il a découvert lorsqu'il est arrivé au camp de réfugiés :
“Toutes les maisons de plain-pied ont totalement disparu, il ne reste que quelques bâtiments de plusieurs étages gravement endommagés par les tirs d'artillerie et les incendies. Lorsque je suis arrivé devant mon immeuble, j’ai vu que la porte avait été détruite et certaines fenêtres étaient brûlées et cassées. Je suis entré dans l'immeuble et j'ai vérifié les étages les uns après les autres. Ils étaient tous intégralement calcinés. Mon appartement se trouve au quatrième et dernier étage ; en le voyant de la rue, j'espérais que tout irait bien. Mais en arrivant, je n'ai trouvé que beaucoup de dégâts.
“Je me suis remémoré les moments vécus avec mes enfants dans cette maison”, a-t-il poursuivi. “J'ai longuement cherché leurs jouets. Je n'en ai trouvé que quelques-uns, dont certains étaient brûlés, d'autres cassés. J'ai pris ce que j'ai pu pour leur rapporter quelque chose”.
En examinant sa maison, Suleiman a rencontré plusieurs voisins revenus eux aussi pour se rendre compte des dégâts.
“Beaucoup d'entre eux étaient en état de choc et abattus par l'ampleur des destructions”, raconte-t-il. “Nous nous sommes demandés à qui est telle ou telle maison ? Où est passé ce magasin ? Comment retrouver telle ou telle rue ? En regardant des vidéos de la ville sur les réseaux sociaux, je m'étais dit que les destructions n'étaient pas si graves . Mais la réalité est toute autre. C'est vraiment terrifiant. On a l'impression de vivre un horrible cauchemar.
“La ville est désormais grise de destruction et de gravats”, a poursuivi M. Suleiman. “Les couleurs et la joie ont disparu. Je ne me vois pas revenir ici avec mes enfants et vivre sans maison. Mon appartement est complètement détruit. Il n'y a plus d'infrastructures dans le quartier. Je vais attendre un peu jusqu'à ce que les conditions de vie de base réapparaissent, puis j'installerai une tente à côté de la maison jusqu'à ce qu'elle soit reconstruite.”
Du sable à la place des rues
“La ville ressemble maintenant à une zone désertique”, a déclaré Hanadi Al-Astal, 40 ans, à +972 lors de son retour à Khan Younis. Elle a fui la ville en décembre et s'est installée à proximité de l'hôpital européen où elle et son mari travaillent, avec leurs cinq enfants.
“Je me suis dit tous les jours que j'allais bientôt rentrer chez moi”, a-t-elle raconté. “J'attendais le jour où l'armée se retirerait, et c'est donc avec beaucoup d'impatience que je suis allée sur place après leur départ dimanche. Je priais pour que tout se passe bien, que je puisse à nouveau dormir chez moi. Mais en marchant le long de la route, je n'ai découvert que destruction. Les rues sont réduites à un tas de poussière. J'ai pu retrouver quelques traces de la station-service, mais elle a été entièrement détruite au bulldozer.
“Lorsque je suis arrivée près de chez moi, j'ai constaté les horribles ravages et j'ai eu très peur de ce que j'allais trouver à l'intérieur”, a poursuivi Mme Al-Astal. “J'ai été choquée. Je suis entrée, et tout était brûlé. Il n'y avait plus rien. La cuisine est partie en fumée. J'ai cherché dans ce qui restait de la chambre de mes enfants quelques vêtements et tout ce que je pouvais trouver d'utile. J'ai beaucoup pleuré. Mon cœur battait la chamade devant tant de destruction. Je n'arrivais pas à y croire. Khan Younis est devenu un cauchemar. Ce n'est plus une ville habitable”.
Lorsque Mme Al-Astal est revenue à l'hôpital européen avec les quelques vêtements qu'elle avait réussi à récupérer, sa fille était aux anges.
“Elle était si contente, comme si c'étaient des vêtements qu'elle voyait pour la première fois”, raconte-t-elle. “C'étaient pourtant des vêtements qu'elle a beaucoup porté, mais elle avait perdu l'espoir de les revoir un jour. Elle m'a demandé de chercher quelques autres affaires, mais je ne sais pas si je pourrai y retourner. La maison n'est pas habitable.”
“Ma tête va exploser à force de penser à l'avenir”, a ajouté Mme Al-Astal. “Je ne sais pas ce que nous allons faire. Retourner là-bas et y monter une tente ? Est-ce que nous pourrons sortir de la bande de Gaza ? Il me faudrait beaucoup d'argent pour pouvoir partir. Je ne sais pas ce que nous allons faire”.
Mamdouh Khader, 33 ans, raconte que lorsqu'il est revenu à Khan Younis après un déplacement de deux mois à Rafah, il a déambulé trois jours pour voir ce qui pouvait encore rester de la ville.
“Je n'arrivais pas à croire à tant de destructions”, a-t-il déclaré à +972. “Beaucoup de bâtiments emblématiques de la ville ont été détruits . Mon quartier a été complètement rasé, un champ de ruines. Je n'ai même pas réussi à retrouver ma maison.
“Il y avait un terrain de jeu en face de chez nous, rasé au bulldozer et transformé en véritables montagnes de sable”, a-t-il poursuivi. “J'ai cherché la mosquée près de chez nous, mais ce n'était plus qu'un tas de pierres. J'ai marché vers l'hôpital Nasser le long d'une rue rasée au bulldozer, et le sable a obstrué les portes des écoles à proximité de l'hôpital. Les cimetières à proximité de l'hôpital ont aussi été défoncés au bulldozer. En marchant, je me demandais : ‘Qu'est-ce que c'est que cet endroit ? Où se trouve tel ou tel bâtiment ?’”
Malgré l'ampleur des destructions, Khader est déterminé à retourner vivre dans le quartier qui fut autrefois le sien.
“Le déplacement à Rafah m'a épuisé, je n'attendais que le moment de pouvoir rentrer chez moi”, explique-t-il. “Malheureusement, l'occupation ont dénaturé cette merveilleuse ville. Je ne sais pas comment elle s'en remettra et retrouvera sa dynamique. Les destructions sont massives, c'est difficile de trouver les mots pour exprimer ce qu'on ressent. Mais j'attendrai que le réseau de canalisations d'eau soit réalimenté dans le quartier, je monterai une tente et j'y dormirai avec mes enfants”.