đâđš Les droits de Julian Assange et la libertĂ© de la presse en pĂ©ril
Des lueurs d'espoir apparaissent çà et là . La justice engendre la justice. Ce serait un excellent dénouement pour Assange, pour une presse libre et pour nous tous.
đâđš Les droits de Julian Assange et la libertĂ© de la presse en pĂ©ril
Par Eve Ottenberg, le 5 janvier 2024
La date butoir pour la lutte de Julian Assange contre l'extradition vers les Ătats-Unis approche, puisque les juges britanniques statueront sur son cas le 21 fĂ©vrier. En attendant, la requĂȘte amĂ©ricaine de juger l'Ă©diteur de Wikileaks en Virginie sur la base d'accusations forgĂ©es de toutes piĂšces âjustifieâ l'enfermement de ce journaliste dans la prison britannique de haute sĂ©curitĂ© de Belmarsh depuis presque cinq ans, et de sa rĂ©clusion dans l'ambassade de l'Ăquateur Ă Londres pendant les sept annĂ©es prĂ©cĂ©dentes. Ă l'Ă©poque, M. Assange avait prĂ©dit que Washington essaierait de l'extrader, mais ses bons amis de la presse avaient balayĂ© cette inquiĂ©tude d'un revers de main. Et devinez qui a Ă©valuĂ© correctement l'agression judiciaire des Ătats-Unis ? Refuser de se soumettre Ă l'Empire Ă©tait la bonne dĂ©cision Ă prendre. Mais il en a payĂ© le prix fort. En gros, Assange a Ă©tĂ© emprisonnĂ© dans des conditions dĂ©plorables pendant plus d'une dĂ©cennie - tout cela pour le crime d'avoir publiĂ© des informations si honnĂȘtes qu'elles ont mis les Ă©lites politiques amĂ©ricaines dans tous leurs Ă©tats.
Alors qui, dans le panthĂ©on pathĂ©tique des cĂ©lĂšbres mĂ©diocritĂ©s amĂ©ricaines, Assange a-t-il offensĂ© ? Eh bien, il a particuliĂšrement irritĂ© deux gros bonnets incroyablement narcissiques et privilĂ©giĂ©s, Hillary âĂ mon tour d'ĂȘtre prĂ©sidenteâ Clinton et Mike âBombarder la Chineâ Pompeo. Il ne faut pas rĂ©vĂ©ler de secrets qui vous placent en porte Ă faux avec l'un ou l'autre de ces deux personnages, du moins si l'on en juge par leurs projets pour Assange. La cĂ©lĂšbre Clinton s'est exclamĂ©e âOn ne peut pas simplement le droner ?â lorsque Assange est restĂ© hors de portĂ©e de Washington dans l'ambassade d'Ăquateur, tandis que Pompeo aurait envisagĂ© de demander Ă la CIA de kidnapper ou d'empoisonner, c'est-Ă -dire d'assassiner, Assange. Quels sont les secrets rĂ©vĂ©lĂ©s par Assange qui ont tant exaspĂ©rĂ© ce duo ? Ils sont nombreux. Et de taille.
Assange s'est retrouvĂ© en porte Ă faux avec la candidate Ă la prĂ©sidence Clinton grĂące Ă une vĂ©ritĂ© si horrible qu'elle lâa rĂ©vĂ©lĂ©e comme Ă©tant une crĂ©ature anti-dĂ©mocratique hideusement autoritaire. Pourquoi ? M. Assange a publiĂ© des fuites de courriels rĂ©vĂ©lant que la campagne de Mme Clinton et le ComitĂ© national dĂ©mocrate avaient truquĂ© les primaires prĂ©sidentielles de 2016 pour Ă©carter le candidat de gauche Bernie Sanders de la course. Dans n'importe quelle dĂ©mocratie en Ă©tat de marche, cette nouvelle aurait fait honte Ă la classe dirigeante et l'aurait contrainte Ă un nouveau scrutin. Mais pas dans l'AmĂ©rique du XXIe siĂšcle. Ici, nos dirigeants ont concentrĂ© leur colĂšre sur le messager, Assange, et ont laissĂ© la reine illĂ©gitimement dĂ©signĂ©e conserver sa couronne pour la campagne des primaires. Cette affaire a prouvĂ© de maniĂšre axiomatique que la dĂ©mocratie Ă©tait bien morte aux Ătats-Unis, mais cela n'a pas fait grincer des dents Ă Washington. Les tenants de l'ordre interne avaient le candidat qu'ils voulaient, et aucun organe de presse mal dĂ©grossi n'allait modifier ce fait immuable.
Mais ne croyez pas qu'en faisant comme si rien ne s'Ă©tait passĂ©, la candidate Ă la prĂ©sidence et ses nombreux parasites auraient eu l'intention de prendre au pied de la lettre les rĂ©vĂ©lations d'Assange. Je serais trĂšs Ă©tonnĂ©e que la campagne mĂ©diatique, et en particulier l'hystĂ©rie des gros titres concernant les fausses accusations de viol portĂ©es par la SuĂšde contre Assange, ne remonte pas de maniĂšre trĂšs indirecte aux Clintonistas offensĂ©es. Non pas que notre presse servile doive ĂȘtre poussĂ©e Ă attaquer un grand journaliste Ă terre. Mais de nombreux laquais d'Hillary se sont sans doute subrepticement prĂȘtĂ©s au jeu, eux aussi.
La façon dont Assange a offensé Pompeo concerne la sécurité nationale - bien entendu, car Pompeo était le directeur de la CIA du président Trump en 2017, lorsque Assange a enfreint les rÚgles en mettant en lumiÚre les secrets de l'agence. Selon le Guardian du 27 septembre 2021 à propos d'événements survenus quatre ans plus tÎt,
âPompeo et ses hauts fonctionnaires Ă©taient enragĂ©s par la publication par Wikileaks de âVault 7â, un ensemble d'outils de piratage de la CIA, une brĂšche que l'agence a considĂ©rĂ©e comme la plus grande perte de donnĂ©es de son histoire.â
Un ancien fonctionnaire de Trump a dĂ©clarĂ© en 2017 âqu'ils voyaient rougeâ. De hauts responsables de la CIA et certains membres de la Maison Blanche ont rĂ©clamĂ© des croquis et des options pour tuer Assange. Un ancien haut responsable de la lutte contre le terrorisme aurait dĂ©clarĂ© : âIl ne semblait plus y avoir de limitesâ.
Pompeo semble donc avoir pris pour lui les rĂ©vĂ©lations d'Assange. La CIA, c'est moi. Comme Mme Clinton, tous deux faisant preuve d'une suffisance vraiment stupĂ©fiante. Ces deux valets politiques se sont laissĂ©s emporter au point de ne plus distinguer oĂč s'arrĂȘtaient leurs sphĂšres privĂ©es, et oĂč commençait l'Empire. Ils ont agi comme s'ils se considĂ©raient comme des incarnations, voire des avatars de l'Empire. Et en vĂ©ritĂ©, leur narcissisme Ă©tait peut-ĂȘtre justifiĂ©. Peut-ĂȘtre que les personnages que sont Hilary Clinton et Mike Pompeo ne sont en rĂ©alitĂ© que des fictions - leur vĂ©ritable nature, leur forme, leur substance et leur destin se rĂ©sumant au mieux Ă des Ă©pouvantails impĂ©riaux officiels, destinĂ©s Ă tourmenter toute personne qu'ils pourraient condamner au nom de pseudo dĂ©cence, d'honnĂȘtetĂ© ou de rĂ©bellion, au nom de la justice contre leur propre pouvoir trĂšs personnel.
Malgré ces spéculations douteuses, des lueurs d'espoir apparaissent çà et là . En décembre, le juge du district sud de New York, John Koeltl, a donné raison à quatre Américains, journalistes et avocats, qui ont intenté un procÚs à la CIA dans l'affaire Assange. Selon RT du 20 décembre, ces Américains
âaffirment que leurs appareils Ă©lectroniques ont Ă©tĂ© illĂ©galement fouillĂ©s pour le compte de l'agence lorsqu'ils ont rendu visite au fondateur de Wikileaks, Julian Assange, Ă l'ambassade de l'Ăquateur Ă Londresâ.
La plainte contre l'agence de sécurité de l'ambassade, aujourd'hui disparue, Mike Pompeo et la CIA n'a pas entiÚrement abouti. M. Koeltl a estimé
âque les plaignants ne pouvaient pas tenir Pompeo personnellement responsable des violations allĂ©guĂ©es de leur protection constitutionnelle contre les perquisitions et saisies abusivesâ.
On peut se demander pourquoi, étant donné que Pompeo semble avoir abordé tout ce qui concerne Assange avec la furie d'un gangster assoiffé de vengeance.
Mais qu'un procÚs contre la CIA et son ancien directeur pour avoir abrogé les droits du QuatriÚme Amendement puisse avoir lieu en ces temps sombres est quelque chose de tout à fait inoffensif et dérisoire.
âNous sommes heureux que le tribunal ait rejetĂ© les tentatives de la CIA de rĂ©duire au silence les plaignants, qui cherchent simplement Ă dĂ©noncer la tentative de la CIA de mener Ă bien la vendetta de Pompeo contre Wikileaksâ,
a dĂ©clarĂ© Richard Roth, l'avocat des quatre AmĂ©ricains. Les plaignants sont ravis et vous devriez l'ĂȘtre aussi. C'est l'un des rares moments oĂč la CIA a Ă©tĂ© appelĂ©e Ă rendre compte de ses actions monstrueuses. D'ailleurs, Ă part Politico, aucun mĂ©dia d'entreprise n'a jugĂ© bon de faire Ă©tat de ce dĂ©veloppement et de ses implications pour la DĂ©claration des droits dont on a tant abusĂ© et bien souvent rejetĂ©e.
Ces quatre plaignants ont allĂ©guĂ©, selon Kevin Gosztola dans The Dissenter du 19 dĂ©cembre, qu'ils avaient dĂ» remettre leurs appareils Ă©lectroniques Ă la sociĂ©tĂ© de sĂ©curitĂ© de l'ambassade, UC Global. Les quatre AmĂ©ricains accusent cette sociĂ©tĂ© d'ĂȘtre de mĂšche avec la CIA. Koeltl a jugĂ© que la question de savoir si la sociĂ©tĂ© a agi en tant qu'agent
âde Pompeo et de la CIA est une question de fait qui ne peut ĂȘtre tranchĂ©e par une motion de rejetâ. Plus tĂŽt, rapporte Gosztola, âlors d'une audience en novembre, Koeltl s'est intĂ©ressĂ© au fait que le gouvernement n'avait pas obtenu de mandat pour accĂ©der au contenu des appareils Ă©lectroniques des avocats ou des journalistesâ.
Ah ! Avec son espionnage sans mandat, la CIA s'est déchaßnée pendant des années sur le terrain constitutionnel soigneusement aménagé par les fondateurs. Mais quelqu'un, dans les couloirs de la justice, a fini par s'en apercevoir. Se pourrait-il que les abus de la CIA soient enfin révélés au grand jour ?
Il y a donc une petite chance que la CIA et Pompeo ne s'en sortent pas complĂštement en violant les droits de tous ceux qu'ils ont envie de dĂ©truire. Compte tenu des pouvoirs dĂ©mesurĂ©s et rĂ©voltants de l'agence, grĂące Ă des abominations telles que le Patriot Act, et du fait que l'agence bafoue rĂ©guliĂšrement la DĂ©claration des droits, il s'agit lĂ d'une maigre consolation. Mais c'est mieux que rien. Et c'est peut-ĂȘtre un dĂ©but. Lorsqu'un juge fait preuve de courage et dĂ©fie gentiment les tyrans de l'Ătat sĂ©curitaire, cela en enhardit d'autres. Soudain, ils commencent Ă prendre plus au sĂ©rieux leur rĂŽle de garants des protections constitutionnelles et se rĂ©fugient moins dans l'ombre de la CIA. Qui sait, la dĂ©cision prudente et mesurĂ©e de Koeltl pourrait mĂȘme inspirer les juges d'outre-Atlantique qui ont le sort d'Assange entre leurs mains. Ils pourraient mĂȘme statuer en sa faveur. La justice engendre la justice. Ce serait un excellent dĂ©nouement pour Assange, pour une presse libre et pour nous tous.
* Eve Ottenberg est romanciÚre et journaliste. Son dernier livre s'intitule Le peuple du lézard. Elle est joignable sur son site web.
https://www.counterpunch.org/2024/01/05/assanges-rights-and-press-freedom-hang-in-the-balance/