đâđš Les gĂ©nies du Beltway continuent de pousser la Russie et la Chine dans les bras l'une de l'autre
L'Ă©lite de Washington sâest Ă nouveau tirĂ© une balle dans le pied. La myopie semble ĂȘtre Ă l'ordre du jour en Occident, comme pendant la majeure partie de ce siĂšcle.
đâđš Les gĂ©nies du Beltway continuent de pousser la Russie et la Chine dans les bras l'une de l'autre
Par Eve Ottenberg, le 9 décembre 2023
On n'en entend pas beaucoup parler aux Ătats-Unis, mais la Belt and Road Initiative [BRI] de PĂ©kin reprĂ©sente beaucoup pour les pays du Sud. En effet, elle a permis d'installer des infrastructures allant des aĂ©roports aux chemins de fer, en passant par les ports et les hĂŽpitaux dans des pays pauvres qui n'ont aucun autre moyen de se les procurer. La BRI relie Ă©galement l'Asie, l'Europe, l'Afrique et mĂȘme l'AmĂ©rique latine au sein d'un rĂ©seau de transport et de commerce Ă©tendu et utile. Pour un pays en dĂ©veloppement, il n'y a rien Ă redire.
Lors du rĂ©cent troisiĂšme forum international de la BRI, au moins 20 chefs d'Ătat Ă©taient prĂ©sents. Selon l'AP du 17 octobre, ils venaient pour la plupart âde marchĂ©s en dĂ©veloppement d'Asie du Sud et du Sud-Est, du Moyen-Orient, d'Afrique et d'AmĂ©rique latineâ. Et bien sĂ»r, il y avait le prĂ©sident russe Vladimir Poutine, dont le pays âvise Ă rĂ©orienter le commerce vers l'Asie aprĂšs avoir Ă©tĂ© exclu par l'Union europĂ©enne en raison de la guerre en Ukraineâ.
La rĂ©ponse du prĂ©sident Joe Biden a Ă©tĂ© d'annoncer en septembre le corridor Ă©conomique Inde-Moyen-Orient-Europe [IMEEC: India-Middle East-Europe Economic Corridor], qui relierait l'Inde, le golfe Arabo-Persique et l'Europe, concurrençant ainsi la BRI. Contrairement Ă l'approche de PĂ©kin en matiĂšre d'investissements directs, le projet âBuild Back Better Worldâ [B3W] de Joe Biden n'Ă©tait qu'une pĂąle copie, avec encore moins de dĂ©tails sur le montant exact des fonds mis en avant par Washington. Selon toute vraisemblance, B3W s'appuiera sur l'artifice financier favori des Ă©lites du Beltway, Ă savoir une certaine version des partenariats public-privĂ©. L'idĂ©e que cela puisse concurrencer sĂ©rieusement la BRI de la Chine est tout Ă fait hilarante.
Il va sans dire que les participants Ă la fĂȘte de l'initiative de la Chine pour le dĂ©veloppement durable n'ont guĂšre prĂȘtĂ© attention Ă la confĂ©rence de lâIndia-Middle East-Europe Economic Corridor, car, aprĂšs tout, un Ă©lĂ©phant ne s'embarrasse pas d'une mouche. Les dirigeants de la BRI, Xi Jinping et Poutine, Ă©taient plus prĂ©occupĂ©s par le nouveau ârideau de ferâ europĂ©en, qui vise Ă stopper tout trafic commercial vers la Russie et le Belarus. Selon Kirill Babaev dans RT du 17 octobre, avec cette barriĂšre, l'Europe se prive âde sources d'Ă©nergie Ă bas prix... [et] importe des produits chinois bon marchĂ© par voie terrestre, puisque la Russie Ă©tait le maillon essentielâ de l'IRB. En outre, les sanctions sur les produits de haute technologie destinĂ©s Ă la Chine
âet le refus d'autoriser les investissements chinois sur leurs marchĂ©s mettent Ă©galement en pĂ©ril le commerce sino-europĂ©en le long de la route maritime du Nord... La BRI cherche de nouveaux points de croissance, dont l'un pourrait ĂȘtre le commerce russo-chinois en pleine expansion et le couplage de l'initiative avec l'Union Ă©conomique eurasienne dirigĂ©e par Moscouâ.
Ainsi, bien que les sanctions occidentales et l'hostilitĂ© Ă l'Ă©gard de la Russie et de la Chine n'aient pas rĂ©ussi Ă paralyser l'un ou l'autre gĂ©ant Ă©conomique, elles ont entraĂźnĂ© une rĂ©orientation des Ă©changes et un rĂ©ajustement des objectifs. Il se pourrait bien que l'Ă©lite de Washington se soit Ă nouveau tirĂ© une balle dans le pied, car toutes ses attaques ridicules ont surtout servi Ă resserrer les liens entre Moscou et PĂ©kin, crĂ©ant ainsi un nouveau colosse Ă©conomique, politique et militaire. Malheureusement, la myopie semble ĂȘtre Ă l'ordre du jour en Occident, comme pendant la majeure partie de ce siĂšcle.
Les Einstein de la diplomatie du Beltway ont si agressivement rapproché la Russie et la Chine que ce partenariat prend désormais une dimension militaire. C'est du pur génie de la part de Washington : prendre deux des plus puissantes puissances nucléaires du monde et les pousser dans les bras l'une de l'autre. Qu'est-ce qui pourrait mal tourner ? Je vais vous le dire. Selon le rapport Dreizin du 15 novembre, la Chine
âvend (1) des vĂ©hicules blindĂ©s pour la sĂ©curitĂ© intĂ©rieure de la Russie (ce qui libĂšre Ă©videmment des Ă©quipements fabriquĂ©s en Russie pour la guerre) et (2) des vĂ©hicules de transport de marchandises spĂ©cialisĂ©s et de qualitĂ© militaire pour la guerre. Cela s'ajoute Ă l'Ă©lectronique spĂ©cialisĂ©e et aux autres composants militaires qu'ils ont vendus Ă la Russie mĂȘme l'annĂ©e derniĂšre...â
Et bien sĂ»r, comme le note Dreizin, tout cela franchit plusieurs des lignes les plus rouges de l'Oncle Sam. Le comble, c'est que PĂ©kin et Moscou, ta ta tam - s'en fichent ! Nous assistons aujourd'hui aux premiers achats chinois de 'âsystĂšme completâ de l'Ătat russe depuis l'Ă©poque de la guerre, voire de l'histoire. Washington Ă©crirait-il âstupideâ avec un S majuscule ?
Le 29 novembre, nous avons appris que des progrĂšs ont Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©s dans le cadre d'un autre projet russo-chinois : une station de recherche lunaire. Cette base lunaire est en prĂ©paration depuis 2021, ce qui tĂ©moigne une fois de plus de la profondeur du partenariat entre les deux nations. L'accord conclu entre Roscosmos et l'Administration spatiale nationale chinoise prĂ©voit la construction d'une station de recherche scientifique sur la lune ou en orbite lunaire. Le projet a attirĂ© d'autres nations et groupes - les Ămirats arabes unis, le Pakistan et l'Organisation de coopĂ©ration spatiale Asie-Pacifique. Au printemps dernier, plus de 10 autres organisations et pays Ă©taient en train de nĂ©gocier des accords, a rapportĂ© Space News le 19 juin, dont la Malaisie et peut-ĂȘtre le Venezuela.
Le projet prévoit la construction d'une base lunaire dans les années 2030. Malgré les doutes exprimés par la presse occidentale sur la poursuite de la collaboration russo-chinoise dans le cadre de ce partenariat, Sputnik a annoncé le 29 novembre que le projet était lancé. Cet exemple de coopération entre Pékin et Moscou montre une fois de plus que la politique étrangÚre occidentale n'a pas seulement échoué, mais qu'elle s'est souvent retournée contre elle.
Pour preuve dĂ©finitive de la myopie occidentale, il suffit de penser aux rĂ©centes rumeurs de l'OTAN concernant l'adhĂ©sion Ă©ventuelle de Kiev. L'Ukraine a perdu la guerre, dont nous savons tous maintenant qu'elle a Ă©tĂ© dĂ©clenchĂ©e principalement par la menace d'une adhĂ©sion de ce pays Ă l'OTAN. S'il est une chose qui entraĂźne la Russie Ă poursuivre les combats et Ă gagner, c'est bien la promesse que l'Ukraine finirait par rejoindre l'alliance. S'il est une chose qui garantit que Moscou prendra davantage de territoires pour paralyser tout futur Ătat ukrainien, c'est bien la promesse que Kiev rejoindra l'OTAN.
Que font donc les gĂ©nies de l'OTAN ? Ils annoncent la semaine du 27 novembre qu'en effet, ils vont accueillir l'Ukraine au sein de l'organisation. Pour souligner cette politique de coucou, le 29 novembre, le secrĂ©taire d'Ătat amĂ©ricain Antony Blinken a dĂ©clarĂ© Ă Bruxelles : âL'Ukraine est bien engagĂ©e sur la voie de l'OTANâ. Un chemin Ă©galement connu comme la route de l'enfer, pavĂ©e, comme il se doit, de bonnes intentions. MĂȘme si, dans ce cas, les intentions pourraient ĂȘtre qualifiĂ©es de suicidaires.
AprĂšs tout, il ne suffit pas que les membres de l'alliance aient expĂ©diĂ© tout leur armement en Ukraine, dĂ©truit par la Russie, pour que leurs armoires militaires soient dĂ©sormais vides. Il ne suffit pas non plus que leurs actions aient relancĂ© l'industrie russe des munitions et bien d'autres industries. Non. Les sommitĂ©s intellectuelles de l'OTAN veulent que la chaĂźne de production militaire russe continue de tourner et que la conscription explose, et elles le font Ă grand renforts de dĂ©clarations stupides, celles-lĂ mĂȘme qui ont condamnĂ© l'Ukraine au dĂ©but de cette guerre, et la condamnent Ă nouveau, juste pour faire bonne mesure, je suppose.
Et la stupiditĂ© sans fond ne s'arrĂȘte pas lĂ . Elle se poursuit Ă travers le refus de Washington de reconnaĂźtre non seulement que le monde est multipolaire, mais aussi qu'il a contribuĂ© Ă crĂ©er un bloc multipolaire CONTRE lui-mĂȘme. âVingt mois aprĂšs le dĂ©but de la guerre en Ukraine, PĂ©kin et son voisin du nord n'ont jamais Ă©tĂ© aussi Ă©troitement liĂ©s sur le plan Ă©conomiqueâ, selon Bloomberg Markets Live du 20 octobre. L'article note que la part de la Chine âdans les exportations russes avait fluctuĂ© dans une fourchette de 10 Ă 20 %" avant la guerreâ. Mais depuis, âcette part a plus que doublĂ©â, et la Chine reprĂ©sente dĂ©sormais âenviron un tiers des exportations de marchandises de la Russieâ. Le rapport cite un expert qui affirme qu'âun nouvel axe commercial Russie-Chine est en train de se formerâ. Il n'est donc pas surprenant que M. Poutine se soit rendu en Chine Ă la fin du mois d'octobre pour participer au Belt & Road Forum. La Russie est tout Ă fait d'accord avec la BRI.
Et pourquoi ne le serait-elle pas ? PĂ©kin a tendu une main secourable Ă Moscou Ă maintes reprises. Le gang de l'intĂ©rieur du Beltway n'avait donc aucune raison d'ĂȘtre surpris par la nouvelle, rapportĂ©e dans le Washington Post du 24 novembre, selon laquelle des dirigeants d'entreprise ayant des liens avec le gouvernement des deux pays envisagent de âconstruire un tunnel sous-marin reliant la Russie Ă la CrimĂ©eâ. Citant des courriels interceptĂ©s, l'article indique que l'une des plus grandes entreprises de construction chinoises rĂ©alisera probablement les travaux, Ă savoir la Chinese Railway Construction Corporation (CRCC), une entreprise d'Ătat.
La CRCC âa construit plusieurs des plus grands rĂ©seaux routiers et ferroviaires de Chine... [et] une extension du systĂšme de mĂ©tro de Moscou, achevĂ©e en 2021â. Il s'agit de projets d'infrastructure massifs et hypermodernes, du type de ceux dont nous ne pouvons que rĂȘver aux Ătats-Unis oĂč les ponts s'effondrent et les nids-de-poule constellent les artĂšres urbaines. Il va sans dire que le Post a fait Ă©tat de ces courriels rĂ©vĂ©lateurs concernant le tunnel de CrimĂ©e - courriels obtenus et divulguĂ©s au journal par l'Ukraine, qui espĂ©rait que la lumiĂšre du soleil tuerait le projet - avec peut-ĂȘtre le mĂȘme espoir Ă©ditorial Ă l'esprit. Mais que ce tunnel soit construit ou non, le projet tĂ©moigne de la profondeur et de l'intensitĂ© de la collaboration entre Moscou et PĂ©kin - quelque chose que des gĂ©nĂ©rations d'hommes d'Ătat amĂ©ricains se sont efforcĂ©s d'Ă©viter mais auquel les imbĂ©ciles en charge Ă Washington au XXIe siĂšcle, et mĂȘme depuis l'administration Clinton, ne se sont mĂȘme pas donnĂ© la peine dây prĂȘter attention.
Eh bien, le monde est diffĂ©rent aujourd'hui. Un Ă©norme bloc de nations trĂšs riches et trĂšs avancĂ©es s'est dressĂ© contre l'Occident. Il serait agrĂ©able de pouvoir croire Ă la capacitĂ© de nos dirigeants Ă dĂ©velopper un sens de lâadaptation pour survivre Ă cette nouvelle rĂ©alitĂ©, et avec des intentions pacifiques. Mais ils ont Ă©tĂ© assez stupides pour nous mettre dans le pĂ©trin, alors non, je n'ai guĂšre confiance en leur capacitĂ© Ă nĂ©gocier ce nouveau monde en gardant Ă l'esprit notre objectif de survie, et encore moins de prospĂ©ritĂ©.
Eve Ottenberg est romanciĂšre et journaliste. Son dernier livre s'intitule Hope Deferred. Elle est joignable sur son site web.