👁🗨 Les génocides, ou le grand art de l'impunité
Dans cette tragédie, le dernier acte a pour sujet l'impunité. Les États-Unis, l'Allemagne & autres puissances & leurs postures internationales, assurent l'impunité à Israël et autres génocidaires.
👁🗨 Les génocides, ou le grand art de l'impunité
Par Farhan Mujahid Chak, le 22 mai 2024
L'Allemagne et les États-Unis vident de tout sens un projet de résolution sur le génocide bosniaque avec leur position complice sur Gaza.
Le 1er mai, un projet de résolution a été soumis à l'Assemblée générale des Nations Unies (AGNU) pour déclarer le 11 juillet journée de commémoration du génocide de Srebrenica en 1995. Le document a été présenté par l'Allemagne et le Rwanda et coparrainé par les États-Unis et d'autres pays. Il sera débattu et voté lors d'une session de l'Assemblée générale des Nations unies le 23 mai.
Les mesures prévues par le projet de résolution - notamment la condamnation du déni de génocide et l'interdiction de glorifier les criminels de guerre - sont indéniablement importantes et nécessaires.
La proposition d'instaurer une journée officielle de commémoration du génocide bosniaque intervient dans un contexte de révisionnisme historique de la part des autorités de la Republika Srpska, l'une des entités d'après-guerre situées à l'intérieur des frontières de la Bosnie-Herzégovine.
Les autorités de la Republika Srpska ont tenté de blanchir et de dissimuler les crimes de guerre commis par les forces serbes pendant la guerre de Bosnie, notamment le massacre de 8 372 hommes et garçons musulmans à Srebrenica, qui était à l'époque une zone de sécurité désignée par les Nations unies. Son président, Milorad Dodik, s'est également livré à diverses provocations, menaçant la stabilité et l'intégrité territoriale de la Bosnie.
Toutefois, le moment choisi et les commanditaires de cette soumission à l'AGNU soulèvent des questions troublantes qu'il convient d'aborder. Pourquoi des pays comme l'Allemagne et les États-Unis ont-ils mis tant de temps à proposer cette résolution ? Et pourquoi insistent-ils maintenant, alors qu'ils sont accusés de complicité dans ce que la Cour internationale de justice (CIJ) a qualifié de “génocide plausible” ?
Pendant des années, les États-Unis et l'Allemagne - ainsi que d'autres pays européens - ont ignoré les appels de la Bosnie à agir contre les menaces à la stabilité et le déni de génocide émanant de la Republika Srpska. Ils ont même semblé chercher à les minimiser, ainsi que leur soutien au gouvernement serbe, dans le cadre du bras de fer avec la Russie sur l'avenir de la Serbie au sein de l'Union européenne et sur sa position à l'égard de l'Ukraine.
Dans le même temps, des arguments crédibles et convaincants montrent que les États-Unis et l'Allemagne se sont rendus complices du génocide de Gaza en apportant un soutien militaire, économique et diplomatique direct à Israël.
Le mois dernier, le Congrès américain a adopté une loi garantissant une aide militaire de 17 milliards de dollars à Israël. En mars, les États-Unis avaient envoyé plus de 100 cargaisons d'armes destinées à l'armée israélienne. L'année dernière, l'Allemagne a approuvé des ventes d'armes à Israël pour un montant de 354 millions de dollars, soit dix fois plus qu'en 2022, l'augmentation étant due aux exportations effectuées après le 7 octobre.
Les gouvernements américain et allemand ont continué à armer Israël malgré les contestations juridiques et les critiques dont il fait l'objet dans leur pays. En février, un juge américain a estimé que
“le siège militaire en cours à Gaza vise à exterminer un peuple entier et relève donc de manière plausible du droit international contre le génocide”,
mais il a dû rejeter une plainte contre le président américain Joe Biden et d'autres responsables pour complicité de génocide en raison de problèmes de compétence.
L'Allemagne a dû comparaître devant la CIJ pour défendre ses exportations d'armes vers Israël après que le Nicaragua l'a accusée de complicité de génocide. Bien que la Cour n'ait pas imposé d'interdiction sur ces ventes, elle a jugé qu'elle était compétente et que l'affaire devait être poursuivie.
Parallèlement, un groupe d'avocats allemands, représentant des familles palestiniennes de Gaza, a déposé une plainte pénale contre des responsables allemands - dont le chancelier Olaf Scholz - pour avoir fourni à Israël des armes qui, selon eux, aident et encouragent le génocide israélien en cours dans leur pays d'origine.
Les États-Unis et l'Allemagne ont également connu une vague de manifestations et d'occupations menées par des étudiants en solidarité avec le peuple palestinien et en condamnation du soutien de leurs gouvernements au génocide. Les étudiants des deux pays ont été confrontés à de violentes répressions, les autorités américaines et allemandes cherchant à criminaliser toute critique d'Israël et à calomnier ceux qui exercent leur droit à la manifestation pacifique et à la liberté d'expression.
Bien entendu, les gouvernements allemand et américain nient que ce qui se passe à Gaza est un génocide. Tous deux sont intervenus aux côtés d'Israël dans l'affaire portée par l'Afrique du Sud devant la CIJ.
On peut se demander quel est l'intérêt d'adopter une résolution sur la commémoration d'un génocide tout en niant l'existence d'un autre génocide. La commémoration ne consiste pas seulement à entretenir le souvenir des victimes d'une atrocité, mais aussi à s'assurer qu'elle ne se répète pas. L'Allemagne et les États-Unis vident la résolution de tout sens par leurs actions à Gaza. Pire encore, ils sapent et trahissent les conventions de Genève et le droit international en matière de droits de l'homme.
L'Allemagne et les États-Unis s'emploient essentiellement à politiser le génocide. Avec leur position sur Gaza, ils disent en fait qu'aucun de leurs alliés ne peut être accusé d'avoir commis un génocide. Cela permet à n'importe quel gouvernement, à n'importe quel autre entité de s'en tirer à bon compte malgré ce crime abominable, à condition d'avoir les “bonnes” alliances.
Shakespeare a dit que “Le monde entier est un théâtre, Et tous, hommes et femmes, n'en sont que les acteurs. Et notre vie durant nous jouons plusieurs rôles”. Dans cette tragédie génocidaire, nous semblons en être au dernier acte : l'impunité. En évoluant sur la scène internationale, les États-Unis, l'Allemagne et d'autres puissances assurent l'impunité à Israël, mais aussi à de futurs génocidaires.
* Farhan Mujahid Chak est professeur associé en affaires internationales à l'université du Qatar. Sa dernière publication, "Islam and Pakistan's Political Culture", a été publiée par Routledge en octobre 2014.
https://www.aljazeera.com/opinions/2024/5/22/the-theatrics-of-genocidal-impunity