👁🗨 Les gentils & les méchants criminels de guerre
La réaction anémique de Whitehall aux mandats d'arrêt de la CPI contre Netanyahu et Gallant contraste avec les initiatives déployées à l'égard de l'ex-Yougoslavie et, plus récemment, de la Russie.
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👁🗨 Les gentils et les méchants criminels de guerre
Par Mark Curtis pour Declassified UK, le 25 décembre 2024
On sait très peu de choses sur l'opération Tango, une mission secrète du SAS [Special Air Service : unité de forces spéciales des forces armées britanniques] visant à capturer des criminels de guerre présumés en Bosnie en 1997.
Il s'agit de l'une des nombreuses missions clandestines des forces spéciales ordonnées par le gouvernement de Tony Blair en soutien au Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie.
Ce tribunal a été créé en 1993 pour juger les suspects de crimes effroyables commis pendant les conflits dans les Balkans.
L'un des hommes qui aurait été capturé par les SAS était Vlatko Kupreskic, un soldat croate bosniaque accusé d'avoir participé à un meurtre.
Après la capture de Kupreskic par le SAS, il a été transféré à La Haye et initialement condamné à six ans de prison. L'année suivante, lors d'un appel, Kupreskic a été déclaré non coupable et libéré.
Les juges du Tribunal ont estimé que les preuves étaient insuffisantes pour condamner Kupreskic pour complicité dans un attentat qui a coûté la vie aux habitants musulmans du village d'Ahmići, dans le centre de la Bosnie, en avril 1993.
Les crimes dont Kupreskic était accusé sont assurément graves. Mais, à l'instar de plusieurs autres personnalités capturées par le SAS à la fin des années 1990, ils étaient moins importants que ceux qui sont actuellement reprochés au Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et à l'ancien ministre de la Défense Yoav Gallant.
Les juges de la Cour pénale internationale (CPI) estiment que Netanyahu et Gallant “portent une responsabilité pénale” pour sept catégories de “crimes de guerre et de crimes contre l'humanité”.
Selon eux, il existe des motifs raisonnables de soupçonner Netanyahu et Gallant d'avoir
“commis le crime de guerre consistant à recourir à la famine comme arme de guerre, et les crimes contre l'humanité que sont les assassinats, les persécutions et d'autres actes inhumains”.
Ils sont également accusés d'avoir “dirigé intentionnellement des attaques contre des civils”. Ces politiques ont certainement affecté des dizaines de milliers de Palestiniens, si ce n'est plus.
Loin d'envoyer le SAS, le gouvernement britannique tergiverse sur la question de savoir s'il arrêterait les Israéliens s’ils se trouvent en Grande-Bretagne, tandis que l'opposition conservatrice estime que la CPI n'est pas en droit de les accuser.
Derrière les lignes ennemies
Stevan Todorovic, capturé en septembre 1998, est un autre personnage arrêté par le SAS.
Le ministère britannique de la Défense était tellement déterminé à arrêter Todorovic qu'il a ordonné au SAS de mener cette opération de l'intérieur même de la Serbie.
Le territoire était alors encore sous le contrôle de Slobodan Milosevic, dont la politique a déclenché la guerre de Bosnie, le premier chef d'État en exercice accusé plus tard de crimes de guerre.
Todorovic, chef de la police à Bosanski Šamac, dans le nord-est de la Bosnie, a été transféré à La Haye, puis condamné par le Tribunal à dix ans de prison.
Il a notamment battu un homme qui est mort des suites de ces violences, frappé à plusieurs reprises sept autres hommes sur une période de huit mois et ordonné à trois personnes dont il était le supérieur hiérarchique de torturer un homme.
Selon le site internet des forces d'élite britanniques,
“dans la nuit du 27 septembre 1998, l'équipe de quatre SAS, qui parlaient tous couramment le serbe, a pris d'assaut la maison de Todorovic. Il a été ligoté, bâillonné et embarqué dans un 4×4 qui l'a conduit jusqu'à la Drina, près de la frontière avec la Bosnie.
“Une fois sur le fleuve, les SAS ont chargé Todorovic dans un bateau gonflable de type Zodiac, et l'ont emmené sur l'autre rive, où il a été embarqué dans un hélicoptère, et transporté à Tuzla pour une arrestation formelle”.
Les autres personnes capturées par le SAS sont Anto Furundzija, un commandant croate bosniaque condamné à dix ans de prison pour avoir participé à des actes de torture, et le général serbe bosniaque Stanislav Galic.
Ce dernier a été condamné à la prison à vie pour avoir mené des attaques de snipers et d'obus sur la ville de Sarajevo. Ces attaques, qui ont tué des centaines d'hommes et de femmes, s'inscrivaient notamment dans le cadre du blocus de la capitale bosniaque, que certains ont comparé à la situation à Gaza.
Poutine
La réaction anémique de Whitehall aux mandats d'arrêt de la CPI contre Netanyahu et Gallant contraste avec les initiatives déployées à l'égard de l'ex-Yougoslavie et, plus récemment, de la Russie.
Lorsque la CPI a émis un mandat d'arrêt à l'encontre du dirigeant russe Vladimir Poutine en mars 2023, le Royaume-Uni a augmenté le financement de l'organisation, et accueilli une conférence internationale à Londres.
“La CPI joue un rôle essentiel dans les actions mondiales visant à mettre fin à l'impunité pour les crimes de guerre”,
a déclaré le ministère britannique de la Justice.
Un an plus tôt, le Royaume-Uni a incité un groupe de gouvernements à saisir la CPI au sujet des atrocités commises par la Russie en Ukraine, afin qu'elle puisse procéder directement à une enquête - un processus connu sous le nom de “saisine par l'État partie”.
David Lammy a qualifié le mandat d'arrêt de la CPI à l'encontre de M. Poutine
d'“étape historique”, ajoutant que “le président Poutine est désormais un homme recherché”.
En revanche, l'actuel ministre des affaires étrangères n'a admis qu'à contrecœur que, dans les cas de Netanyahu et de Gallant,
“il est de mon devoir de saisir les tribunaux si les personnes citées cherchent à entrer dans notre pays”.
Lorsqu'en 2006, l'ancien président libérien Charles Taylor a été jugé pour crimes de guerre à La Haye pour avoir prêté main-forte à des rebelles de Sierra Leone connus pour avoir coupé des membres de civils, le gouvernement britannique a proposé de l'héberger dans une prison du Royaume-Uni s'il était reconnu coupable.
Condamné à 50 ans de prison, Taylor a commencé à purger sa peine au HMP Frankland, près de Durham. Il est peu probable que Netanyahu et Gallant se retrouvent un jour sous les verrous au Royaume-Uni.
* Mark Curtis est le rédacteur en chef de Declassified UK et l'auteur de cinq livres et de nombreux articles sur la politique étrangère du Royaume-Uni.