👁🗨 Binoy Kampmark: Les guerres secrètes de l'imperium américain
La Sécurité US & une bande d'amnésiques veulent faire oublier que les USA sont une garnison en guerre depuis 1941 avec le prochain grand conflit juste à portée de main. Il faut sauver les apparences.
👁🗨 Les guerres secrètes de l'imperium américain
📰 Par Binoy Kampmark, le 16 novembre 2022
La Sécurité à Washington & une ribambelle d'amnésiques veulent faire oublier que les USA sont une garnison en guerre depuis 1941 avec le prochain grand conflit juste à portée de main. Il faut sauver les apparences.
Pour arriver là où elles en sont, les puissances impériales trompent, dissimulent et déforment. L'imperium américain, la plus redoutable des puissances malveillantes, s'est étendu sur le globe, souvent à l'insu de ses propres citoyens.
Dans un rapport publié par le Brennan Center of Justice de la faculté de droit de l'université de New York, intitulé Secret War : How the US Uses Partnerships and Proxy Forces to Wage War Under the Radar, peu de choses choquent, mais beaucoup sont à craindre. L'auteur du rapport affirme que la liste des pays fournie par le Pentagone sur les partenariats militaires américains est une liste sévèrement tronquée. La liste est tellement fausse que 17 pays ont été omis.
Katherine Yon Ebright, conseillère au sein du programme Liberté et sécurité nationale du Centre Brennan, fait preuve d'une indécente naïveté en faisant remarquer que la "prolifération de la guerre secrète est un phénomène relativement récent", qu'elle considère comme "antidémocratique et dangereux". Elle a certainement raison sur les deux derniers points, mais se trompe lourdement sur le concept de nouveauté.
Depuis leur création, les États-Unis ont cherché, par le biais de la corruption, de la conspiration et de la puissance des armes, à étendre leur pouvoir et à créer un empire sans pour autant le reconnaître. Cette ambition s'est accompagnée de la nécessité de mener des opérations de guerre secrètes.
L'engagement illégal et secret des forces américaines au Laos a été l'un des exemples les plus brutaux d'un conflit clandestin mené à l'insu de nombreux responsables politiques de ce pays. C'était, comme le suggère le titre sombre du livre de Joshua Kurlantzick sur le sujet, l'endroit idéal pour faire la guerre.
Tout a commencé par la formation et l'armement, par une unité de la Central Intelligence Agency, de membres de la minorité ethnique Hmong qui, quelque 14 ans plus tard, allaient prendre part à des engagements de grande envergure avec les alliés communistes du Nord-Vietnam.
Cette évolution s'est accompagnée d'une campagne aérienne au cours de laquelle les États-Unis ont largué plus de bombes que leur armée de l'air n'en a utilisé pendant toute la Seconde Guerre mondiale. Entre 1964 et 1973, plus de 2,5 millions de tonnes de munitions ont été larguées au cours de plus de 580 000 raids aériens.
Les législateurs américains ont tendance à s'étonner que les forces américaines apparaissent mystérieusement dans des pays qu'ils ont du mal à trouver sur la carte. Mais dans une large mesure, les circonstances sont apparues avec leur propre connivence. Le contexte d'autorisation de ces engagements repose sur un certain nombre d'instruments en prolifération depuis le 11 septembre 2001: les autorités américaines du titre 10, l'autorisation de 2001 pour l'utilisation de la force militaire (AUMF), les notifications de déploiement en vertu de la résolution sur les pouvoirs de guerre, et l'idée améliorée du droit à la légitime défense.
Ce qui nous intéresse ici, c'est le large éventail de programmes de "coopération en matière de sécurité" autorisés par le Congrès en vertu de l'AUMF contre des groupes terroristes désignés. Codifiée sous le titre 10 U.S.C. § 333, cette disposition permet au DoD [Department of Defense] de former et d'équiper des forces étrangères dans n'importe quelle partie du globe.
La section 127e, ou 10 U.S.C. §127e, se distingue des autres car elle autorise le DoD à "fournir un soutien aux forces étrangères, aux forces irrégulières, aux groupes ou aux individus engagés dans le soutien ou la facilitation des opérations militaires en cours menées par les forces d'opérations spéciales des États-Unis pour combattre le terrorisme".
L'AUMF de 2001 est un outil d'une grande flexibilité, étiré par chaque administration depuis sa création pour couvrir une liste de groupes terroristes demeurée secrète pour le public. L'exécutif a longtemps caché cette liste au Congrès, ce qu'il était tenu de faire étant donné l'interprétation cavalière qu'il fait de ce que sont les "forces associées" dans le contexte des groupes terroristes.
Le ministère de la Défense a également gardé le silence sur les circonstances spécifiques dans lesquelles les forces américaines opèrent en vertu de ces pouvoirs. Comme le dit Ebright, le raisonnement en jeu est "que l'incident était trop mineur pour déclencher les exigences statutaires de reporting". Les affrontements jugés "épisodiques" et faisant partie intégrante de la guerre "irrégulière" ne font pas partie des "hostilités".
L'approbation présidentielle et le rapport sur les actions secrètes, 50 U.S.C. § 3093 (1991), constituent une autre forme de secret, facilitée par l'importante prémisse de déni. Là encore, le spectre terroriste du 11 septembre a fait l'objet de tueries et d'assassinats ciblés, malgré les affirmations contraires.
La nature la plus surprenante de ces programmes de coopération est peut-être la portée accordée par la section 1202 du National Defense Authorization Act de 2018. Bien qu'elle reflète la section 127e à certains égards, l'accent n'est pas mis ici sur le contre-terrorisme, mais sur le soutien aux "opérations de guerre irrégulière" contre les "États voyous". Ebright adopte un ton plus sombre. "Bien au-delà des limites de la guerre contre le terrorisme, le §1202 peut être utilisé pour engager un conflit de moindre importance avec des États puissants, et même nucléaires."
De temps à autre, le voile du secret sur de telles opérations a été percé. En 2017, quatre membres des Bérets verts de l'armée américaine, ainsi que quatre soldats nigériens, ont été tués dans une embuscade à l'extérieur du village de Tongo Tongo. Il s'agit de la plus grande perte de vies humaines pour le personnel militaire américain depuis 1993, lorsque 18 Army Rangers ont péri dans l'incident somalien de Black Hawk Down.
Ce qui était étrange dans toute cette affaire, ce n'était pas seulement la surprise des membres du Congrès face à cet engagement, mais la façon dont le chef d'état-major interarmées, le général Joseph Dunford, a mandaté l’enquête. Ses seuls objectifs étaient de vérifier si les forces américaines disposaient "des renseignements, équipements et de l’ entraînement adéquats" et s'il existait "une évaluation préalable à la mission de la menace dans la zone" d'une précision appropriée. La question la plus pertinente aurait été de savoir ce que faisaient ces légionnaires romains équipés de façon moderne, sans qu'il y ait prise de conscience globale en eux.
Les conclusions du rapport de synthèse, et celles des responsables du Pentagone, notaient que les militants de la région avaient une "puissance de feu supérieure". Pour chaque soldat américain ou nigérien, il y avait trois attaquants. Une fois de plus, on passe à côté de l'essentiel sur les opérations clandestines que même certains hauts responsables de Washington connaissent mal.
Malgré un certain nombre de déclarations publiques affirmant que le rôle militaire américain sur des théâtres comme l'Afrique se limite à "conseiller et assister" les armées locales, la réalité opérationnelle vient parfois s'immiscer.
En 2018, le général Donald Bolduc, aujourd'hui à la retraite, commandant les forces spéciales américaines en Afrique jusqu'en 2017, avait suffisamment de candeur pour révéler que l'armée avait "des gars au Kenya, au Tchad, au Cameroun, au Niger [et] en Tunisie qui font le même genre de choses que les gars en Somalie, s'exposant au même type de danger, non aux échos de la '“127è” [autorité secrète appelée «127e» pour lancer au moins deux douzaines de guerres par procuration depuis 2017]. Nous avons eu des gars blessés dans tous les types de missions menées".
Ebright estime qu'une simple réforme des "AUMF désuets et trop étendus" ne suffira pas. "Le Congrès devrait abroger ou réformer les autorités de coopération en matière de sécurité du ministère de la Défense. Tant qu'il ne le fera pas, la nation continuera à être en guerre - sans, dans certains cas, le consentement ou même la connaissance de son peuple."
Cela ne risque pas d'arriver. L'establishment de la Sécurité à Washington et une ribambelle d'amnésiques tiennent à faire oublier que les États-Unis sont un État de garnison en guerre depuis 1941. Et le prochain grand conflit est juste à portée de main. Il faut sauver les apparences.
* Binoy Kampmark a été boursier du Commonwealth au Selwyn College, à Cambridge. Il enseigne à l'université RMIT de Melbourne. Courriel : bkampmark@gmail.com
https://www.counterpunch.org/2022/11/16/the-secret-wars-of-the-us-imperium/