đâđš Les journalistes honnĂȘtes ont-t-il encore leur place dans les "grands" mĂ©dias ?
Julian Assange est en prison. Les dissidents S. Hersh, J. Pilger, G. Greenwald & T. Carlson sont exclus du courant dominant. Dans les mĂ©dias mainstream, c'est lâersatz de journalisme qui prĂ©vaut.
đâđš Les journalistes honnĂȘtes ont-t-il encore leur place dans les "grands" mĂ©dias ?
Par Tim Beal, le 11 août 2023
Câest de plus en plus improbable. Julian Assange est en prison ; les voix dissidentes de Seymour Hersh, John Pilger, Glenn Greenwald et Tucker Carlson ont Ă©tĂ© exclues du courant dominant et passĂ©es Ă la publication indĂ©pendante ; et Mick Hall a dĂ©missionnĂ© de Radio New Zealand aprĂšs que celle-ci a renforcĂ© son contrĂŽle pour sauvegarder le rĂ©cit pro-amĂ©ricain.
"Vous n'ĂȘtes pas lĂ depuis assez longtemps".
Mick Hall était un journaliste idéaliste, qui avait travaillé dans divers médias en Australie et en Nouvelle-Zélande.
InspirĂ© dans sa jeunesse par Hunter S Thompson, le lĂ©gendaire journaliste iconoclaste amĂ©ricain, Mick Hall s'est lassĂ© des mĂ©dias mainstream et sâest enthousiasmĂ© Ă la perspective d'une nouvelle carriĂšre Ă Radio New Zealand (RNZ), le radiodiffuseur public qu'il a rejoint en 2018.
Il aimait l'idée, m'a-t-il dit, de travailler dans une organisation qui n'était pas sous l'emprise des annonceurs, et qui se consacrait, selon sa charte, à fournir "des informations et des actualités régionales, nationales et internationales complÚtes, indépendantes, précises, impartiales et équilibrées". Il poursuit :
"Je me souviens avoir Ă©tĂ© accueilli par un prĂ©sentateur de l'un des programmes d'information de RNZ Ă l'Ă©poque, et d'avoir parlĂ© avec enthousiasme des mĂ©rites de la sociĂ©tĂ© et du fait qu'il Ă©tait bon d'ĂȘtre lĂ , Ă l'abri d'un modĂšle d'information d'entreprise de mauvaise qualitĂ©. Il m'a regardĂ©, a souri gauchement et m'a dit : "Vous n'ĂȘtes pas lĂ depuis assez longtemps". Il avait malheureusement raison".
La réalité s'est imposée à Hall lorsque, selon RNZ,
"un tweet de New York a accusĂ© (sic) une dĂ©pĂȘche de Reuters sur le site web de RNZ de bien vouloir contenir une "propagande russe totalement mensongĂšre"".
La direction de RNZ s'est mise en mode panique, car les tweets en provenance de New York, mĂȘme s'ils Ă©manaient de personnes anonymes, ne pouvaient ĂȘtre ignorĂ©s.
Le PDG de RNZ, Paul Thompson, a rĂ©agi en dĂ©nonçant avec vĂ©hĂ©mence les "ordures pro-Kremlin" insĂ©rĂ©es dans des articles sur la guerre en Ukraine, et a promis que des mesures seraient prises pour protĂ©ger les NĂ©o-ZĂ©landais d'une dĂ©sinformation aussi pernicieuse. L'article en question a Ă©tĂ© temporairement retirĂ© sous rĂ©serve qu'il soit rĂ©tabli dans le texte original de Reuters, et Mick Hall, qui l'avait Ă©ditĂ©, a Ă©tĂ© suspendu. On a annoncĂ© que les articles que Mick Hall avait prĂ©cĂ©demment Ă©ditĂ©s seraient rĂ©examinĂ©s Ă la loupe, et qu'un groupe indĂ©pendant de trois personnes chargĂ© d'enquĂȘter sur l'affaire serait mis en place.
En fait, tel que décrit dans un article précédent, les modifications apportées par Mick Hall à l'article de Reuters étaient tout à fait mineures, correctes d'un point de vue factuel et ont réellement apporté une certaine profondeur et un juste équilibre. C'est ainsi que Hall voyait les choses ; RNZ avait un point de vue différent. Il réprouvait une modification "inappropriée" et non autorisée d'un sacro-saint texte, tant sur le plan juridique qu'administratif. Voici la note de RNZ sur cet article :
"Le conflit en Ukraine a débuté en 2014 aprÚs qu'un gouvernement élu pro-russe a été renversé lors de la violente révolution orange de Maïdan en Ukraine. La Russie a annexé la Crimée aprÚs un référendum, tandis que le nouveau gouvernement pro-occidental réprimait les Russes ethniques dans l'est et le sud de l'Ukraine, envoyant ses forces armées dans le Donbas". L'article a été rétabli selon la copie de Reuters : "Le conflit dans l'est de l'Ukraine a débuté en 2014 aprÚs le renversement d'un président pro-russe lors de la révolution ukrainienne de Maïdan et l'annexion de la Crimée par la Russie, les forces séparatistes soutenues par la Russie luttant contre les forces armées ukrainiennes".
Violente ? Oui. Référendum ? Oui. Répression des Russes ethniques ? Oui. Des faits incontestables qui auraient permis aux lecteurs de mieux comprendre le déroulement des événements, mais ce n'est pas ce que Reuters a voulu faire passer.
L'audit des articles de M. Hall est maintenant terminé. 1319 articles ont été examinés, et 49 corrigés. On nous dit que "les modifications inappropriées identifiées allaient de l'ajout d'informations erronées à la suppression de phrases ou de termes équilibrés". Aucun cas d'"information incorrecte" n'est spécifié en tant que tel, et les modifications apportées à l'article de Reuters ci-dessus donnent une image fidÚle de l'ensemble. S'il s'agissait d'un ramassis d'"ordures pro-Kremlin", le butin était maigre en nombre, et guÚre odorant.
Le groupe d'experts indĂ©pendant a Ă©galement publiĂ© son rapport, un travail extrĂȘmement habile.
Tout d'abord, il reproche à la direction de RNZ d'avoir mal géré l'affaire des allégations hystériques de "camelote pro-Kremlin". Cela a inutilement entamé la confiance du public dans RNZ, l'organisation médiatique la plus digne de confiance en Nouvelle-Zélande. Il aurait mieux valu minimiser l'affaire.
DeuxiĂšmement, RNZ veut Ă©viter de faire de Mick Hall un martyr, un dĂ©nonciateur courageux dĂ©voilant une vĂ©ritĂ© gĂȘnante. Elle affirme qu'il "pensait sincĂšrement agir de maniĂšre appropriĂ©e", mais que son "montage inappropriĂ© ..." a portĂ© atteinte Ă " la rĂ©putation de RNZ en terme de journalisme fiable et Ă©quilibrĂ© ". En outre, il n'est pas citĂ© nommĂ©ment, car les martyrs anonymes sortent plus aisĂ©ment des mĂ©moires.
Ces efforts plutÎt sophistiqués pour limiter la casse ont suscité quelques réactions de colÚre de la part des hackers traditionnels.
TroisiÚmement, et comme on pouvait s'y attendre, le journal propose diverses mesures visant à renforcer le contrÎle éditorial afin que le message ne soit plus altéré par des journalistes soucieux de leurs convictions.
Que nous apprend cet épisode sur l'état des médias ?
Les modifications apportĂ©es par Mick Hall semblent n'avoir eu aucun impact ; le public de RNZ n'a pas manifestĂ© d'Ă©lan de conscience. Ce qui a attirĂ© l'attention, c'est une interview rĂ©alisĂ©e en mai 2022 avec deux membres Ă©minents de la gauche nĂ©o-zĂ©landaise, Matt Robson et Mike Smith. Lorsque la direction a dĂ©couvert l'article, elle a rapidement "rĂ©tabli l'Ă©quilibre" en ajoutant les commentaires de deux "experts en sĂ©curitĂ© nationale", et de la ministre des affaires Ă©trangĂšres, Nainia Mahuta, qui ont tournĂ© en dĂ©rision les critiques de la politique nĂ©o-zĂ©landaise sur l'Ukraine, en nous aiguillant sur ce que nous devrions vraiment penser. LĂ encore, rien n'indique que l'interview ait suscitĂ© un dĂ©bat Ă©clairĂ©. Les tentatives chimĂ©riques de M. Hall pour dĂ©samorcer le mastodonte Reuters peuvent ĂȘtre considĂ©rĂ©es comme des gestes nobles mais inefficaces ; trop de cochon, pas assez de rouge Ă lĂšvres.
Y a-t-il de la place pour les personnes honnĂȘtes dans les grands mĂ©dias ? Câest de plus en plus improbable. Julian Assange est en prison et les voix dissidentes de Seymour Hersh, John Pilger, Glenn Greenwald et Tucker Carlson ont Ă©tĂ© bannies du courant dominant, au profit des Ă©ditions indĂ©pendantes. Mick Hall a dĂ©missionnĂ© de RNZ. Il se concentre actuellement sur son projet de permaculture, et a acceptĂ© l'offre de travail en free-lance par Consortium News, mais le journaliste de 19 ans est confrontĂ© Ă un avenir incertain dans les mĂ©dias. MĂȘme les piliers de l'establishment universitaire amĂ©ricain, tels que John Mearsheimer et Jeffrey Sachs, ne sont plus tolĂ©rĂ©s.
RNZ, et les mĂ©dias du monde entier, se contenteront de rĂ©gurgiter la propagande suave et discrĂšte de Reuters et autres agences de presse. Mais mĂȘme dans ce paysage dystopique, des dĂ©couvertes inattendues voient le jour. Don Brash, ancien leader du Parti national, a imitĂ© Malcolm Fraser, effectuant un saut pĂ©rilleux sur le chemin de Damas pour condamner l'adhĂ©sion dangereuse de la Nouvelle-ZĂ©lande aux politiques amĂ©ricaines d'expansion de l'OTAN et de confrontation avec la Chine. Il est significatif que, malgrĂ© sa stature dans la politique nĂ©o-zĂ©landaise, les analyses de Brash n'aient pas Ă©tĂ© rapportĂ©es par RNZ ou d'autres mĂ©dias grand public.
Mais dans les mĂ©dias mainstream, c'est lâersatz de journalisme qui prĂ©vaut.
* Tim Beal est un universitaire néo-zélandais à la retraite qui a beaucoup écrit sur l'Asie, en particulier sur l'Asie du Nord-Est. Il s'intéresse également à l'impérialisme, principalement en ce qui concerne l'Asie, mais aussi, depuis peu, à l'Europe.
https://johnmenadue.com/radio-nz-tightens-control-to-safeguard-pro-american-narrative/