👁🗨 Les paroles & les actes
Alors que Biden continue de financer & alimenter les crimes d'Israël à Gaza & refuse d'appeler au cessez-le-feu, sa préoccupation majeure est : continuez ce que vous faites sans le dire si clairement.
👁🗨 Les paroles & les actes
La politique américaine : un véritable show
Par Patrick Lawrence pour ScheerPost, le 8 janvier 2024
Ces Israéliens sont parfois trop honnêtes, n'est-ce pas ? C'est sacrément gênant quand ils expliquent en termes parfaitement clairs que l'intention des Forces de défense israéliennes à Gaza est de nettoyer ethniquement le territoire des Palestiniens, ou qu'ils pensent que les Palestiniens - évoquant le langage du Reich - sont des sous-hommes qui doivent être abattus, ou que la brutalité des Forces de défense israéliennes, faisant référence aux déplacements forcés et violents de 1948, est censée être la deuxième Nakba.
Après tout, vous ne pouvez pas dire ce que vous pensez si vous voulez travailler avec les Américains, dont les cliques dirigeantes ont depuis longtemps pris l'habitude de brouiller leurs intentions et leurs actions. Si ces gens doivent diriger un imperium que leurs propres citoyens ne sont pas censés distinguer, la dernière des choses est de faire preuve de clarté.
Les hauts fonctionnaires israéliens ont commis cette erreur à plusieurs reprises depuis que l'incursion du Hamas dans le sud d'Israël, il y a trois mois, a déclenché la barbarie dont nous sommes aujourd'hui les témoins au quotidien. Comme on l'a largement rapporté, ils l'ont encore fait cette semaine, lorsque deux d'entre eux ont déclaré que le Projet Gaza était en fait un nettoyage ethnique dont l'objectif était de disperser les plus de 2 millions d'habitants de la bande de Gaza au quatre coins du monde.
Itamar Ben Gvir et Bezalel Smotrich, respectivement ministre de la Sécurité nationale et ministre des Finances, sont deux figures de proue du gouvernement de coalition du Premier ministre Benjamin Netanyahu. Voici quelques-uns des propos qu'ils ont tenus devant leurs partis d'extrême droite le jour du Nouvel An. Ben-Gvir :
“La guerre offre l'opportunité de se concentrer sur la migration des résidents de Gaza.... [C'est une solution correcte, juste, morale et humaine. Nous ne pouvons pas nous retirer du territoire ques nous occupons dans la bande de Gaza. Non seulement je n'exclus pas l'installation de Juifs dans cette région, mais je pense que c'est aussi une chose essentielle ...”
Et de Smotrich le même jour :
“La bonne solution consiste à encourager la migration volontaire des habitants de Gaza vers les pays qui accepteront de les accueillir. .... Israël contrôlera en permanence le territoire de la bande de Gaza, y compris par la création de colonies.”
“Encourager la migration” et “migration volontaire” sont des expressions absurdes dans ces circonstances, le genre de langage que, par exemple, le secrétaire d'État Antony Blinken privilégierait dans d'autres circonstances. Dans le cas présent, ces expressions et d'autres du même acabit semblent avoir aggravé la situation, compte tenu de l'indignation générale suscitée. Les deux fonctionnaires ont décrit une opération de nettoyage ethnique comparable, en effet, à Al-Nakba, ce qui n'a pas échappé au secrétaire d'État américain. Voici la déclaration publiée par le Département d'Etat le 2 janvier, le lendemain de l'intervention de Ben-Gvir et Smotrich. Elle est brève et je la cite dans son intégralité :
“Les États-Unis rejettent les récentes déclarations des ministres israéliens Bezalel Smotrich et Itamar Ben Gvir qui prônent la réinstallation des Palestiniens en dehors de Gaza. Cette rhétorique est incendiaire et irresponsable. Le gouvernement israélien, y compris le Premier ministre, nous a fait savoir à maintes reprises que ces déclarations ne reflétaient pas la politique du gouvernement israélien.Elles doivent cesser immédiatement.
Nous avons été clairs, cohérents et sans équivoque sur le fait que Gaza est une terre palestinienne et le restera, le Hamas n'étant plus maître de son avenir et aucun groupe terroriste n'étant en mesure de menacer Israël. Voilà l'avenir auquel nous aspirons, dans l'intérêt des Israéliens et des Palestiniens, de la région environnante et du monde entier.”
Nous n'aimons pas la rhétorique incendiaire, le Premier ministre Netanyahou non plus, c'est Gaza pour les Palestiniens lorsque ce massacre sera terminé : voilà l'essentiel de la réponse du département d'État. Le deuxième point est manifestement faux, étant donné que M. Netanyahou a tenu à de nombreuses reprises des propos conformes à ceux du plus raciste de ses ministres. Israël négocierait en ce moment même des accords de réinstallation avec l'Égypte et d'autres pays de la région. Quant à l'idée que Gaza “restera une terre palestinienne”, elle est cruellement absurde à ce stade.
Il ne nous reste plus qu'à dire : “Les États-Unis rejettent les récentes déclarations” et “Elles doivent immédiatement cesser”. L'importance de ces déclarations réside dans ce qui n'est pas dit. Alors que le régime Biden continue de financer et d'alimenter les agissements criminels d'Israël à Gaza, alors qu'il refuse même d'appeler à un cessez-le-feu (que 79 % des membres de l'Assemblée générale des Nations unies ont récemment approuvé), la principale préoccupation du département d'État, déduisons-le, est sa présentation. Continuez à faire ce que vous faites, mais arrêtez de parler si clairement de ce que vous faites : existe-t-il une autre lecture de la réponse officielle du département d'État en regard de la politique réelle, du texte et des sous-titres ?
Tony “Garde-fou” Blinken en est à son quatrième voyage au Moyen-Orient et sa périphérie depuis que les hostilités entre Israël et le Hamas ont éclaté le 7 octobre dernier. En Grèce, en Turquie, en Égypte, en Arabie saoudite, au Qatar, aux Émirats arabes unis, en Jordanie et, bien sûr, en Israël, M. Blinken va tenter de convaincre les Israéliens d'améliorer l'esthétique de leurs attaques et d'empêcher que la guerre qui n'en est pas une enflamme un conflit régional. Il sera confronté à des “questions difficiles” et à des “choix épineux”, selon Matthew Miller, le porte-parole du département d'État qui a signé la déclaration du 2 janvier. Mais lui, Blinken, n'annoncera aucun changement de la politique américaine.
Celle-ci continuera d'être appliquée sans aucune modification. “Rien ne changera fondamentalement”, pour reprendre l'assurance donnée par Joe Biden à Wall Street lors de sa campagne de 2020. L'Amérique soutient les Israéliens dans leur nettoyage ethnique de la bande de Gaza, mais elle attend d'eux une meilleure communication, et appelle les autres à accepter cette nouvelle communication en toute quiétude. Pour autant que nous le sachions, compte tenu de l'itinéraire de Blinken, il pourrait aussi bien participer aux négociations sur la réinstallation entre Israël et d'autres nations.
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Six mois après le début de la guerre par procuration menée par le régime de Biden en Ukraine, alors que les choses ne se passaient déjà pas de manière très brillante pour le régime de Kiev, les observateurs attentifs ont commencé à remarquer les divergences croissantes entre la guerre telle qu'elle était présentée à Washington et dans les médias d'entreprise, et la guerre telle qu'elle était effectivement menée, pour autant que l'on puisse en juger d'après les récits des journalistes indépendants. À la fin de l'année 2022, j'ai fait cette observation dans un commentaire intitulé “La guerre selon les médias”.
Il est évident à ce stade que nous assistons à deux guerres lorsque les forces armées ukrainiennes affrontent l'armée russe. Il y a la guerre annoncée, la méta-guerre, pourrait-on dire, et puis il y a la guerre vécue, celle qui se déroule sur le terrain, qui n'a rien de “méta”.
Il est vrai que les déclarations officielles erronées en temps de guerre ne datent pas d'hier. Mais comme le regretté John Pilger l'a fait remarquer dans un discours prononcé juste après le coup d'État fomenté par les États-Unis à Kiev en 2014,
“l'ère de l'information est en fait l'ère des médias. Nous avons la guerre par les médias, la censure par les médias, la diabolisation par les médias, le châtiment par les médias, la diversion par les médias - une chaîne de montage surréaliste de clichés obéissants et de fausses hypothèses.”
Pilger a mis le doigt sur quelque chose d'important avec ces observations : une différence qualitative dans la manière dont le monde nous est présenté, à tel point qu’elle est difficilement discernable, est de plus en plus évidente depuis une dizaine d'années.
Lorsque j'ai réfléchi à cette étrange réalité à différents stades depuis la lecture du discours de Pilger, prononcé lors d'un symposium californien, mon esprit est revenu à plusieurs reprises à Guy Debord, dont le livre “La société du spectacle”, publié un an avant les événements de 68 à Paris, a exercé une influence durable sur un grand nombre de gens. Le livre de Debord était essentiellement une critique de gauche du capitalisme de consommation et de l'état de rêve éveillé vers lequel nous entraîne le fétichisme de la marchandise. Il affirmait que le capitalisme tardif avait, dès les années 1960, transformé les Occidentaux en spectateurs et les événements en simples représentations de la réalité - le spectaculaire, selon son terme très utile. Les images étaient tout, ou presque :
“Tout ce qui était directement vécu s’est éloigné dans une représentation... Le spectacle n'est pas un ensemble d'images, mais un rapport social entre des personnes, médiatisé par des images.”
Debord s'intéresse à l'art, la culture, la société, la théorie (et la boisson, se plaît-il à noter dans “Panégyrique”, un court ouvrage écrit à la fin de sa vie). Il semble n'avoir nourri aucun intérêt pour la politique étrangère ou les affaires étrangères - bien qu'il ait conçu et publié un jeu de guerre avec sa femme, Alice Becker-Ho, dans les années 1980. Sans prendre trop de liberté, je l'espère, nous constatons aujourd'hui que la théorie de la représentation, du spectacle, de la position sociale et politique centrale de l'image est très pertinente pour ceux d'entre nous qui suivent les relations internationales, la guerre et, pour être plus précis, l'Amérique de la fin de l'Empire.
La politique étrangère en tant que spectacle, que représentation : je ne mesure pas pleinement les implications de cette réalité parce que j'ai du mal à en saisir l'aspect métaphysique. L'Amérique applique un ensemble de politiques reposant généralement sur la violence ou la menace de recours à la violence, sur la coercition ou sur une forme ou une autre de corruption. Et puis la présentation de la politique américaine, qui repose sur son engagement en faveur des droits de l'homme, de l'autodétermination de tous les peuples, de l'engagement en faveur de la démocratie, etc. Relisez la réponse du département d'État aux déclarations révélatrices de vérité des responsables israéliens sur les intentions d'Israël à Gaza : voici donc ce qu'on peut lire. C'est la politique étrangère en tant que show. Notez la référence à “l'ordre international fondé sur des règles” : c'est l'expression qu'Antony Blinken et consorts emploient pour désigner leur représentation de la politique étrangère américaine.
Si John Pilger a annoncé une nouvelle ère qui verra la guerre se faire par le biais de l'information, nous verrons au fil du temps où cela nous mènera. Encore une fois, je n'en suis pas encore certain. Mais le fossé entre la politique et sa représentation ne cessera de s'élargir, selon moi, de sorte que les citoyens ordinaires seront de moins en moins capables de discerner ce que fait l'Amérique dans le monde, ou les événements dans leur ensemble, avec une quelconque clarté. La structure du show, en occultant de plus en plus la réalité, permettra aux cliques politiques de diriger les affaires de l'Amérique d'une manière de plus en plus répréhensible. Les intrusions incessantes dans nos esprits au nom de la “guerre cognitive”, que l'OTAN, qui a inventé l’expression, décrit comme “la bataille pour le cerveau humain”, vont de pair avec tout cela.
Il y a quelques jours, j'ai édité l'article d'un collègue sur le célèbre discours de rentrée prononcé par le président Kennedy à l'American University le 10 juin 1963. J'ai été choqué en relisant ses remarques sur la paix mondiale, non pas comme un idéal providentiel mais comme une réalité accessible, par son plaidoyer vigoureux selon lequel un monde violent, divisé et désordonné n'est pas aussi inévitable qu'on le croyait en plein cœur de la guerre froide. Lisez le discours et voyez ce que vous en pensez : à mes yeux, le véritable choc a été la pure réalité de la pensée de Kennedy et de son compte-rendu de cette pensée. Il n'y avait pas de show, pas d’effets de manche dans ce discours, tel que je le perçois.
Kennedy, qui n'avait plus que cinq mois à vivre, a dit ce qu'il pensait et, en lisant le discours, on finit par être certain qu'il pensait ce qu'il disait. Et à quel point ceux qui prétendent nous diriger se sont égarés, à quel point leur mentalité est minable, à quel point la tâche pour y remédier est immense, pour peu qu'on ait l'occasion de s'y atteler.
* Patrick Lawrence, correspondant à l'étranger de nombreuses années, principalement pour l'International Herald Tribune, est critique des médias, essayiste, auteur et conférencier. Son dernier ouvrage s'intitule “Time No Longer : Americans After the American Century”. Son site web est Patrick Lawrence. Soutenez son travail via son site Patreon. Son compte Twitter, @thefloutist, a été définitivement censuré sans explication.
https://scheerpost.com/2024/01/08/patrick-lawrence-what-is-said-and-what-is-done/