👁🗨 Les pièges d'un accord de plaidoyer pour le plus illustre prisonnier politique du monde
Si un accord est conclu, Assange court le risque d'être empêché, en vertu des lois australiennes en matière de sécurité nationale, de recommencer à publier le type de contenu qui a fait sa renommée.
👁🗨 Les pièges d'un accord de plaidoyer pour le plus illustre prisonnier politique du monde
Par Binoy Kampmark, le 1er septembre 2023
On ne peut guère reprocher à Julian Assange d'envisager un accord qui atténuerait les immenses souffrances qu'il endure depuis qu'il est l'objet de persécutions de l'État. Des conditions moins brutales que celles auxquelles il risque d'être condamné - une peine pouvant aller jusqu'à 175 ans de prison dans la cellule d'une prison supermax aux États-Unis - ne peuvent que sembler acceptables.
Mais l'un des plus grands prisonniers politiques du monde, et son équipe juridique, devraient se montrer prudents sur ce point.
Les accords de plaidoyer sont de piètres pratiques, conçues pour dévaloriser l'accusé et permettre à l'accusateur de faire pression sur lui. À l'instar du traitement sordide réservé à David Hicks, un ressortissant australien poussé, incité et encouragé à conclure un accord sur des accusations de terrorisme dans une juridiction étrangère, une rumeur insistante circule selon laquelle Julian Assange pourrait bien bénéficier d'un arrangement similaire.
L'éditeur de WikiLeaks, actuellement pensionnaire le plus célèbre de la prison de Belmarsh, doit répondre de 18 chefs d'inculpation, dont 17 sont fondés sur l'Espionage Act de 1917, une loi aux effets redoutables. Ayant épuisé la plupart de ses options juridiques, il risque d'être extradé du Royaume-Uni vers les États-Unis.
Le rôle de l'Australie dans toute cette affaire a été minime, spectateur, trop craintif pour défendre la cause de l'un de ses ressortissants les plus éminents. Le gouvernement actuel prétend avoir fait plus que son prédécesseur. Le Premier ministre Anthony Albanese a même exprimé publiquement sa frustration face à l'absence d'avancées dans le sens d'une "solution diplomatique" à la situation d'Assange. Mais ces frustrations ont été tempérées par le constat que les procédures légales doivent d'abord suivre leur cours, une façon plutôt superficielle de dire que nous attendons les consignes.
La forme que prendra cette solution diplomatique n'est pas très claire. Le 14 août, le Sydney Morning Herald, s'appuyant sur les commentaires de l'ambassadrice des États-Unis en Australie, Caroline Kennedy, a déclaré qu'une "solution" à la situation d'Assange pourrait être en vue. "Il y a peut-être un moyen de résoudre ce problème", a suggéré l'ambassadrice. La nature de cette issue pourrait impliquer une réduction des charges en échange d'un plaidoyer de culpabilité, sous réserve de la décision définitive du ministère américain de la justice. Dans ses commentaires, Mme Kennedy a précisé que cette question relevait davantage du département de la justice que du département d'État ou de tout autre ministère. "Il ne s'agit donc pas vraiment d'une question diplomatique, mais je pense qu'une solution pourrait vraiment être trouvée".
En mai, M. Kennedy a rencontré des membres du groupe parlementaire Friends of Julian Assange afin de prendre connaissance de leurs attentes. Le mois précédent, 48 députés et sénateurs australiens, dont 13 du parti travailliste au pouvoir, ont adressé une lettre ouverte au procureur général des États-Unis, Merrick Garland, l'avertissant que les poursuites
"créeraient un dangereux précédent pour tous les citoyens du monde, les journalistes, les éditeurs, les organisations de médias et la liberté de la presse. Elles seraient également extrêmement dommageables pour les États-Unis en raison de leur posture de leader mondial de la liberté d'expression et de l'État de droit".
Lors d'une interview avec The Intercept, le frère d'Assange, Gabriel Shipton, a fait remarquer que
"l'administration [Biden] semble être en quête d'une porte de sortie avant la première visite d'État [d'Albanese] à Washington en octobre". En cas d’échec, "nous pourrions assister à une nouvelle rebuffade publique de Tony Blinken [secrétaire d'État américain] comme celle qu'il a adressée au ministre australien des Affaires étrangères il y a deux semaines à Brisbane".
Ce revers a été particulièrement brutal, puisqu'il a eu lieu à l'occasion des négociations AUSMIN entre les ministres des affaires étrangères et de la défense de l'Australie et des États-Unis. À cette occasion, la ministre des affaires étrangères, Penny Wong, a fait remarquer que l'Australie avait clairement fait savoir à ses homologues américains "que l'affaire de M. Assange traînait depuis bien trop longtemps et que nous souhaitions qu'elle aboutisse, ce que nous avons dit publiquement et qui reflète également la [position] que nous avons formulée en privé".
Dans sa réponse, le secrétaire d'État Blinken a affirmé "comprendre" ces points de vue, et a admis que la question avait été soulevée auprès de lui-même et de divers services des États-Unis. Une fois ces formules de politesse formulées, M. Blinken a commencé à dire à "nos amis" ce que Washington souhaitait faire exactement. M. Assange, a-t-il poursuivi, a été
"accusé de délits très graves aux États-Unis en lien avec son rôle présumé dans l'une des plus grandes divulgations d'informations classifiées de l'histoire de notre pays. Les actes qu'il est supposé avoir commis risquent de porter gravement atteinte à notre sécurité nationale, au profit de nos ennemis, et font courir à des sources citées un risque grave d'atteinte à leur intégrité physique, et le risque sérieux d'être placées en détention".
Une telle affirmation, mollement formulée, maintes fois démentie et réfutée, n'a pas été contestée par toutes les parties présentes, y compris par les ministres australiens. Il s'agissait d'une démonstration éhontée de connivence. Aucun représentant de la presse n'a jugé bon de contester ce compte rendu. L'hypothèse non formulée ici est qu'Assange est déjà coupable d'accusations absurdes, un coupable tout désigné.
Toute offre d'ajustement et de réduction des charges et de la peine finale prononcée à l'encontre d'Assange doit être traitée par le mépris le plus total. Le gouvernement américain a l'intention de se venger de lui, afin de dissuader tous les amateurs de publication d'informations relatives à la sécurité nationale des États-Unis. Don Rothwell, professeur de droit international à l'ANU, a fait observer qu'un accord de plaidoyer pourrait bien prendre en compte les quatre années que M. Assange a passées en captivité au Royaume-Uni, mais qu'il est peu probable qu'il se traduise par un abandon total des poursuites ou qu'il dispense M. Assange de se rendre aux États-Unis pour admettre sa culpabilité. "Il est impossible de conclure un accord de plaidoyer en dehors de la juridiction concernée, sauf dans les circonstances les plus exceptionnelles".
Si M. Assange retournait en Australie, diverses possibilités s'offriraient à lui. Il pourrait devenir le formidable symbole de l'éditeur victime de la brutalité de l'État, mais aussi un précieux atout pour les débats politiques sur le pouvoir, l'obligation de rendre des comptes et la transparence. Mais derrière tout cela se profile un danger : celui d'être empêché, en vertu des lois australiennes très strictes en matière de sécurité nationale, de recommencer à publier le type de contenu qui a fait sa renommée. Les journalistes australiens ne connaissent que trop bien les risques auxquels ils s'exposent en publiant des informations sur divers crimes et atrocités. Pour le fondateur de WikiLeaks, la prison pourrait bien s’avérer être une menace permanente.
Les implications plus larges d'un éventuel accord de plaidoyer doivent également être envisagées. Au-delà du fait qu'il serait humainement compréhensible d'accepter un tel accord, compte tenu de l'ampleur des souffrances endurées par M. Assange depuis plus d'une décennie, c'est toute la stratégie des États-Unis qui est en jeu. Après avoir dénoncé, critiqué et condamné les prédations du pouvoir, M. Assange pourrait être contraint d'admettre qu'il s'est rendu coupable d'avoir ciblé cet objectif. Ce faisant, le message des États-Unis est clair : l'éditeur doit être poursuivi, persécuté et condamné, peu importe où dans le monde.
* Binoy Kampmark a été boursier du Commonwealth au Selwyn College de Cambridge. Il enseigne à l'université RMIT de Melbourne.
https://johnmenadue.com/plea-deal-pitfalls-for-the-worlds-foremost-political-prisoner/