đâđš Les poursuites contre la presse, la libertĂ© d'expression, et vous
Distinguer les outils internet de la signification des termes "journaliste" et "publicationâ fera de l'affaire Assange le paroxysme d'une longue guerre d'usure contre la libertĂ© d'expression.
đâđš Les poursuites contre la presse, la libertĂ© d'expression, et vous
Par Peter Van Buren, le 24 avril 2023
Distinguer les outils internet de la signification des termes "journaliste" et "publicationâ fera de l'affaire Assange le paroxysme d'une longue guerre d'usure contre la libertĂ© d'expression.
Les fuites de Teixeira soulignent que la principale ligne de front pour le Premier Amendement passe par l'affaire Assange, qui n'a pas encore été résolue.
Pourquoi le gouvernement amĂ©ricain n'a-t-il pas arrĂȘtĂ© le journaliste du Washington Post Shane Harris pour avoir publiĂ© les documents hautement confidentiels relatifs Ă la guerre en Ukraine et Ă l'espionnage de ses alliĂ©s par les Ătats-Unis, divulguĂ©s par le garde national de l'air Jack Teixeira ?
Les documents contiennent des rĂ©vĂ©lations importantes. Ils rĂ©vĂšlent Ă©galement des Ă©coutes qui montrent qu'un groupe de mercenaires russes a tentĂ© d'acquĂ©rir des armes auprĂšs de la Turquie, alliĂ©e de l'OTAN, pour les utiliser contre l'Ukraine, et expliquent quel type d'imagerie satellite les Ătats-Unis utilisent pour suivre les forces russes, tout en prĂ©cisant que les Ătats-Unis et l'OTAN disposent de forces spĂ©ciales sur le terrain Ă l'intĂ©rieur de l'Ukraine.
La question de savoir pourquoi Shane Harris n'est pas en prison a une rĂ©ponse complexe et une longue histoire. En 1971, Daniel Ellsberg a divulguĂ© au New York Times les "Pentagon Papers", une histoire secrĂšte de la guerre du ViĂȘt Nam rĂ©digĂ©e par le gouvernement amĂ©ricain. Personne n'avait jamais publiĂ© de tels documents classifiĂ©s auparavant, et les journalistes du Times craignaient d'ĂȘtre emprisonnĂ©s en vertu de la loi sur l'espionnage (la mĂȘme que celle en vertu de laquelle Jack Teixeira a Ă©tĂ© inculpĂ©).
Un tribunal fĂ©dĂ©ral a ordonnĂ© au Times de suspendre la publication aprĂšs l'impression des premiers extraits. C'Ă©tait la premiĂšre fois dans l'histoire des Ătats-Unis qu'un juge fĂ©dĂ©ral censurait un journal par le biais d'une restriction prĂ©alable. En fin de compte, la Cour suprĂȘme a renversĂ© les juridictions infĂ©rieures et a donnĂ© une victoire au Premier Amendement dans l'affaire New York Times Company v. United States. Le Times a remportĂ© le prix Pulitzer. Depuis, les mĂ©dias publient les secrets de sĂ©curitĂ© nationale tels qu'ils les trouvent.
Le professeur de droit Steve Vladeck souligne que
"Bien que le Premier Amendement protĂšge spĂ©cifiquement la libertĂ© d'expression et la libertĂ© de la presse, la Cour suprĂȘme a longtemps refusĂ© de donner Ă la clause relative Ă la presse un contenu substantiel distinct de celui de la clause relative Ă la libertĂ© d'expression. La Cour suprĂȘme n'a jamais suggĂ©rĂ© que le Premier Amendement pourrait protĂ©ger le droit de divulguer des informations relatives Ă la sĂ©curitĂ© nationale. Certes, dans l'affaire des Pentagon Papers, le gouvernement a Ă©tĂ© dĂ©boutĂ© de sa demande d'interdiction de publication, mais plusieurs juges, dans leurs opinions sĂ©parĂ©es, ont spĂ©cifiquement suggĂ©rĂ© que le gouvernement pourrait poursuivre le New York Times et le Washington Post aprĂšs leur publication, en vertu de la l'Espionage Act (loi sur l'espionnage)."
La Cour suprĂȘme a laissĂ© la porte ouverte aux poursuites contre les journalistes qui publient des documents classifiĂ©s en se focalisant sur l'interdiction de la restriction prĂ©alable. Depuis, c'est la politique et l'opinion publique, et non la loi, qui ont permis aux autoritĂ©s fĂ©dĂ©rales d'exercer leur pouvoir discrĂ©tionnaire pour ne pas poursuivre la presse - un exercice dĂ©licat pour contourner un gorille de 400 kilos en libertĂ© dans les couloirs de la dĂ©mocratie.
C'est en 2014, lorsque l'administration Obama a citĂ© Ă comparaĂźtre le journaliste du New York Times James Risen, qu'un journaliste amĂ©ricain a failli ĂȘtre jetĂ© en prison. Elle a ensuite accusĂ© l'ancien agent de la CIA Jeffrey Sterling d'avoir transmis des informations classifiĂ©es Ă James Risen. AprĂšs qu'un tribunal de premiĂšre instance a ordonnĂ© Ă James Risen de tĂ©moigner et de rĂ©vĂ©ler sa source en brandissant la menace d'une peine de prison, la Cour suprĂȘme a rejetĂ© son appel, se rangeant du cĂŽtĂ© du gouvernement dans une confrontation entre une procĂ©dure pour atteinte Ă la sĂ©curitĂ© nationale et une atteinte Ă la libertĂ© de la presse. La Cour suprĂȘme a refusĂ© de se pencher sur la question de savoir si le Premier Amendement impliquait un "privilĂšge du journaliste", une protection non documentĂ©e sous la poignĂ©e de mots de la clause de libertĂ© de la presse.
En fin de compte, l'administration Obama, craignant l'opinion publique, s'est dĂ©faussĂ©e sur Risen et a crĂ©Ă© un prĂ©cĂ©dent extrajudiciaire. Brandissant un drapeau patriotique sur une situation confuse, le procureur gĂ©nĂ©ral de l'Ă©poque, Eric Holder, a annoncĂ© qu'"aucun journaliste effectuant son travail n'irait en prison". Risen n'a pas Ă©tĂ© appelĂ© Ă tĂ©moigner et n'a pas Ă©tĂ© puni pour avoir publiĂ© des documents classifiĂ©s, alors mĂȘme que l'auteur prĂ©sumĂ© de la fuite, Jeffrey Sterling, a fini en prison pour trois ans et demi. Pour Ă©viter de crĂ©er un prĂ©cĂ©dent qui aurait pu accorder une forme de privilĂšge aux journalistes en vertu de la Constitution, le gouvernement a prĂ©fĂ©rĂ© Ă©tablir une autre jurisprudence et s'est retirĂ© de la bataille
C'est pourquoi Shane Harris, du Washington Post, n'est pas en état d'arrestation à l'heure actuelle. Pour les journalistes américains des médias traditionnels comme Shane Harris, l'affaire Risen a marqué un tournant.
Pendant ce temps, Julian Assange, de Wikileaks, est sous les verrous, passant sa cinquiĂšme annĂ©e dans une prison britannique oĂč il lutte contre l'extradition vers les Ătats-Unis. Il faut rĂ©pondre Ă des questions juridiques complexes sur ce qu'est un journaliste, et sur ce qu'est la publication dans le monde numĂ©rique - Assange est-il lui-mĂȘme un journaliste comme Risen, ou une source pour les journalistes comme Sterling Ă©tait supposĂ© l'ĂȘtre ? La question de savoir si James Risen est un journaliste et si un livre est publiĂ© ne fait l'objet d'aucun dĂ©bat. Glenn Greenwald a Ă©crit et publiĂ© en ligne des documents classifiĂ©s qui lui ont Ă©tĂ© remis par Edward Snowden ; son statut de journaliste ou d'Ă©diteur n'a jamais Ă©tĂ© contestĂ© par le gouvernement.
Assange n'est pas américain, il est donc plus vulnérable. Il est impopulaire, entraßné dans la "peur du rouge" américaine du XXIe siÚcle pour avoir révélé les courriels du DNC. Il n'a rien écrit à cÎté des documents de source primaire sur Wikileaks, n'a semble-t-il pas fait suffisamment de tri ou d'analyse, et n'a procédé qu'à peu de caviardage. Pour lui, publier consiste à télécharger ce qui a été fourni.
Le gouvernement soutiendrait qu'Assange n'a pas droit aux protections du Premier Amendement en affirmant simplement qu'un clic et quelques codes web ne constituent pas une publication et qu'Assange n'est pas un journaliste. L'interprétation la plus simple de l'article 793(e) du 18 U.S.C. Espionage Act, selon laquelle Assange a volontairement transmis des informations relatives à la défense nationale sans autorisation, s'appliquerait. Il serait coupable, tout comme les autres "canaris" au fond de la mine de Washington avant lui : aucune question complexe de clarification ne se pose. Et avec cela, une forme unique de journalisme de source primaire en ligne disparaßtrait.
Et c'est essentiel. Wikileaks a contournĂ© les contraintes du journalisme traditionnel pour mettre la matiĂšre premiĂšre de l'histoire Ă la disposition du public. Peu importe qu'un tribunal ait dĂ©terminĂ© que la divulgation des programmes secrets de la NSA qui espionnaient les AmĂ©ricains Ă©tait rĂ©ellement dans l'intĂ©rĂȘt du public. Peu importe que le New York Times dĂ©cide de ne pas publier un article lorsqu'il reçoit un appel tĂ©lĂ©phonique du prĂ©sident. Peu importe que de hauts fonctionnaires soient autorisĂ©s Ă divulguer de maniĂšre sĂ©lective des informations qui leur sont utiles. Peu importe les passages d'une divulgation technique anonyme qu'un journaliste a suffisamment bien compris pour en faire un article. Voici les matiĂšres premiĂšres de l'histoire, les cĂąbles, les mĂ©mos, les courriels, les archives elles-mĂȘmes.
D'autres peuvent rĂ©diger des rĂ©sumĂ©s et des interprĂ©tations s'ils le souhaitent (et presque tous les grands mĂ©dias ont utilisĂ© Wikileaks Ă cette fin, certains qualifiant mĂȘme Assange et ses sources de traĂźtres), ou vous, en tant qu'individu, pouvez simplement lire les documents vous-mĂȘme et vous faire votre propre opinion sur ce que fait le gouvernement. Des vĂ©rifications de faits ? Les faits eux-mĂȘmes sont lĂ , sous vos yeux. Telle est la clĂ© de la connaissance par le public, grĂące Ă un ensemble d'outils et de libertĂ©s qui n'existaient pas auparavant, jusqu'Ă ce qu'ils soient crĂ©Ă©s par internet.
Permettre Ă ces nouveaux outils de s'affranchir de la signification des termes "journaliste" et "publication" aura pour effet d'asphyxier tout ce qu'il reste de la presse. Si Assange est le premier Ă pouvoir ĂȘtre poursuivi en vertu de la loi sur l'espionnage, le gouvernement pourra alors faire de ce prĂ©cĂ©dent une arme pour attaquer frontalement le rĂŽle des mĂ©dias dans les fuites relatives Ă la sĂ©curitĂ© nationale. Un journaliste, par exemple, qui publie un code de sĂ©curitĂ©, incite-t-il des personnes Ă commettre des infractions liĂ©es Ă la sĂ©curitĂ© nationale ? Les salariĂ©s des mĂ©dias devront-ils Ă©valuer eux-mĂȘmes l'intĂ©rĂȘt public potentiel, dans l'espoir d'Ă©viter des poursuites s'ils ne partagent pas l'avis du gouvernement ? L'affaire Assange pourrait s'avĂ©rer ĂȘtre le paroxysme d'une longue guerre d'usure contre la libertĂ© d'expression.
* Peter Van Buren est l'auteur de We Meant Well : How I Helped Lose the Battle for the Hearts and Minds of the Iraqi People, Hooper's War : A Novel of WWII Japan, et Ghosts of Tom Joad : Une histoire des 99 %.
https://www.theamericanconservative.com/press-prosecutions-free-speech-and-you/