👁🗨 Les prémices du chaos
Après l'affaire Clinton, nous assistons au spectacle d'un autoritarisme libéral en grande pompe, et si vous n'aimez pas la formule, de Tocqueville, homme clairvoyant, l'appelait le “despotisme doux”.
👁🗨 Les prémices du chaos
Par Patrick Lawrence / Consortium News, le 1er novembre 2024
C'est reparti ! Le New York Times réentonne son refrain habituel maintenant que les élections du 5 novembre ne sont plus qu'à quelques jours de l'échéance : ces étrangers mal intentionnés “sèment à nouveau la discorde et le chaos dans l'espoir de discréditer la démocratie américaine”, peut-on lire dans un article publié mardi.
Les Belzébuths qui hantent cette campagne politique, alors que tout serait sinon bien réglé et tout à fait correct chez les Américains, sont la Russie, la Chine et l'Iran.
Pourquoi la version actuelle de l'ancien et indéfectible “Axe du mal” ne nous laisse-t-elle pas tranquilles avec notre “processus démocratique”, celui que le reste du monde nous envie et dont il nous fait grief ? Des fauteurs de troubles, avec tout le mal qu'ils sèment. On pourrait probablement les appeler “ordures” et s'en tirer.
Ah, ah… Mais on parle déjà de formulaires d'inscription falsifiés et de fausses inscriptions au vote par correspondance dans deux districts de Pennsylvanie, l'État où les résultats de 2020 n'auraient pas pu être plus flous et dont les 19 voix du collège électoral ont été décisives pour l'entrée de Joe Biden à la Maison-Blanche la dernière fois.
Mais ne vous inquiétez pas. Reprenant l'une des phrases les plus mémorables des années 1960, un commissaire électoral de l'une des circonscriptions où les fonctionnaires ont découvert les malversations nous dit : “Le dispositif a fonctionné”.
Je crois comprendre.
Chaque fois que je lis que certaines personnes d'autres pays ont semé quelque chose, qu'il s'agisse du doute, du chaos ou de la désinformation, voire même de graines de citrouille, le résultat est toujours le même. Ce mot “semer” est le favori de la presse grand public depuis 2016, lorsque nous avons lu quotidiennement - et il ne fallait pas en douter - que les Rrrrrusses “s'immiscent dans nos élections”.
Depuis, chaque fois que je lis que quelqu'un sème quelque chose, cela sème le doute dans mon esprit - plus que je n'en avais déjà - que l'on puisse prendre notre système électoral, tel qu'il existe au XXIe siècle, le moindrement au sérieux.
Sans parler des votes derrière le petit rideau vert de l'isoloir.
D'une part, le Times, qui, au cours des huit dernières années, se réduit à n'être guère plus que l'organe interne des Démocrates, s'apprête déjà à suggérer que les ennemis malveillants de la démocratie américaine ont corrompu les élections. Croyez-moi, c’est ce que vous entendrez cela si Kamala Harris perd, mais pas si elle gagne.
D'un autre côté, on a des cas précoces mais clairs de tentatives de fraude électorale et des responsables électoraux locaux qui considèrent qu'il n'y a pas lieu de s'inquiéter. Comment expliquer que ces fonctionnaires adoptent un point de vue aussi désinvolte ?
Depuis des mois, les élections de 2024, déjà marquées par la discorde, peuvent facilement basculer dans un climat de chaos qui surpasse tout ce que l'histoire des États-Unis a connu jusqu'à présent. Et c'est précisément ce jour-là que l'on semble attendre.
Aucun des principaux partis ne semble prêt à perdre. À l'heure actuelle, il est difficile de déterminer ce qu'un des deux partis est prêt à oser pour éviter de perdre.
Vestiges de la démocratie
Il me semble que, seuls, nous, les Américains, avons fait des vertiges de notre démocratie un véritable fiasco au cours des huit dernières années.
Cela ne veut pas dire que la politique américaine ne s'est jamais déroulée autrement que, disons, sur le modèle de la basse-cour. À cet égard, aucun des deux grands partis, dont la fonction depuis le milieu du XIXe siècle est de baliser les politiques acceptables, n'est exempt de responsabilités.
C'est la défaite d'Hillary Clinton face à Donald Trump, il y a huit novembre, qui a confirmé la dérive rapide de l'Amérique vers la post-démocratie.
Les Démocrates ne se sont jamais remis du bouleversement, en 2016, des rêves selon lesquels l'histoire était sur le point de prendre fin et leur idée de l'éthique libérale prévaudrait éternellement, tandis que toutes les alternatives s'étioleraient, de même que Marx et Engels pensaient que l'État communiste finirait par disparaître.
Il y a longtemps qu'on perçoit dans le libéralisme américain une veine d'illibéralisme intrinsèquement liée à son caractère.
Autrement dit, l'Amérique n'est tout simplement pas une nation tolérante. Elle n'encourage pas ses citoyens à penser : elle leur demande de se conformer. Alexis de Tocqueville l'a vu venir il y a deux siècles dans les deux volumes de La démocratie en Amérique.
Aujourd'hui, après l'affaire Clinton, nous assistons au spectacle d'un autoritarisme libéral en grande pompe, et si vous n'aimez pas la formule, il y en a d'autres. De Tocqueville, homme clairvoyant, l'appelait le “despotisme doux”. J'ai toujours préféré “l'autoritarisme de la tarte aux pommes”.
Corruption des institutions
Cette terrible caractéristique des libéraux accros à la NPR [National Public Radio, le principal réseau de radiodiffusion de service public des États-Unis] et mangeurs de chou frisé se distingue par un trait de notre époque particulièrement décourageant pour l'avenir.
Il s'agit de la corruption débridée de certaines des institutions sans lesquelles même un semblant de gouvernement démocratique est impossible. Je pense en particulier à trois d'entre elles qui figurent dans le tableau pré-électoral.
La première est le pouvoir judiciaire - fédéral, d'État, de comté, local. À commencer par l'enquête Mueller, la corruption au vu et au su de tous du Federal Bureau of Investigation, les procès ridicules intentés à Donald Trump, la subversion du ministère de la Justice par le procureur général Merrick Garland pour protéger le président Joe Biden lorsque les magouilles douteuses de son fils ont été révélées au grand jour - tout cela au nom des démocrates.
Comme je l'ai appris à l'époque où j'étais correspondant à l'étranger, lorsque le système judiciaire s'effondre, la voie vers la faillite de l'État est ouverte.
Deuxièmement, les services du renseignement et l'armée. Les services du renseignement, depuis l'époque de James Clapper et de John Brennan, se sont rangés sans équivoque derrière les Démocrates depuis que le fanfaron de l'immobilier new-yorkais a follement cru pouvoir “assécher le marais” - en déclarant qu'il s'attaquerait à l'État profond.
Quant aux militaires, les généraux n'ont pas hésité à déclarer il y a huit ans, lors de la convention des Démocrates à Philadelphie et dans des lettres ouvertes publiées dans le Times, qu'ils refuseraient les ordres du Commandant en chef en cas de victoire de Trump et qu'ils chercheraient à instaurer un nouvel apaisement avec la Russie et à mettre un terme aux “guerres éternelles”.
Oui, John Kelly, qui a fait partie du cabinet de Trump puis a été son chef de cabinet, a soudain qualifié Trump de fasciste - l'épithète préférée des Démocrates ces dernières semaines. Personne n'a cherché à savoir pourquoi John Kelly a travaillé en étroite collaboration avec un homme qu'il considère comme un fasciste ? Personne ne se rend compte - c'est sûrement vrai - que Kelly, un général des Marines à la retraite, dit ces choses pour servir le parti auquel il fait confiance pour que les guerres se poursuivent et que l'argent des contribuables continue d'affluer ?
Il y a là un paradoxe plus apparent que réel : John Kelly, H.R. McMaster, James Mattis, Mark Esper et divers autres comme eux ne portaient pas d'uniforme lorsqu'ils servaient dans l'administration Trump, mais ils ne l'ont jamais vraiment enlevé.
Si cette élection a une signification - à part le prix des produits alimentaires, bien sûr - c'est la place qu'occupe l'État de Sécurité nationale dans la politique américaine. Dans notre ère post-2016, les services du renseignement et l'armée sont parfaitement autorisés à opérer au grand jour, sans aucune gêne, dans le processus politique américain - et ce parce que le Parti démocrate leur donne une grande marge de manœuvre pour ce faire.
La démocratie à la sauce “État profond”
Pensez-vous que l'État profond se soucie des processus démocratiques ? Demandez aux Italiens et aux Grecs, aux Iraniens et aux Guatémaltèques, aux Japonais, aux Sud-Coréens et aux Indonésiens, aux Chiliens et aux Vénézuéliens, et... et bon sang, demandez à la majeure partie de l'humanité actuelle. Comme d'autres l'ont souligné depuis l'époque du Russiagate, ce que les barbouzes font depuis longtemps à l'étranger se répercute maintenant sur la politique américaine.
La suite est évidente : devons-nous nous inquiéter de savoir si les Démocrates et leurs alliés institutionnels laisseraient Trump remporter l'élection sur la seule base du décompte des voix ?
Oui, en effet.
Quant à la troisième des institutions corrompues au profit du Parti démocrate, je me permets de laisser les médias grand public parler d'eux-mêmes. À l'exception des publications indépendantes comme celle que vous lisez, l'objectif des médias américains n'est plus d'informer le public, mais de protéger les institutions qu'ils cherchent à soustraire de la vue du public.
Trump est “une menace pour la démocratie américaine”, et Harris est son héros. Le New York Times s'est fait la réplique du New York Times. Le Washington Post, sous la propriété de Jeff Bezos et de son affreux nouveau directeur général, Will Lewis, n'arrive pas à tenter ne serait-ce qu'une tentative.
Je ne semble pas être le seul à me sentir mal à l'aise à la perspective du chaos qui s'annonce après minuit le 5 novembre. Le Post a publié mercredi un sondage réalisé au cours de la première quinzaine d'octobre, indiquant que parmi les électeurs des États où l'élection pourrait basculer, 57 % craignent que les partisans de Trump n'acceptent pas la défaite et recourent à la violence, tandis qu'un tiers des personnes interrogées pensent que les partisans de Harris descendront dans la rue, selon l'expression consacrée, si le candidat du bonheur et de l'émotion venait à perdre.
Les chiffres sont encore plus biaisés lorsque le Post a sondé les démocrates sur les partisans de Trump et les partisans de Trump à propos des Démocrates. Dans une enquête publiée jeudi par Associated Press, 70 % des personnes interrogées se disent “inquiètes et frustrées”.
Rejoignez le parti. Je n'arrive pas à prendre l'un ou l'autre des candidats au sérieux. Je prends au sérieux l'idée que beaucoup de gens ne prendront pas le résultat au sérieux et que le chaos va s'ensuivre.
À cet égard, je m'inquiète plus de voir les Démocrates recourir à la corruption que les Républicains. Et pourquoi cela, me direz-vous ?
Tout d'abord, je n'aime pas du tout les relents de l'article du Times cité au début de cet article. Il rappelle trop fortement la réalité de 2016, lorsque, dans les deux camps, les Démocrates et toutes sortes de “progressistes” détestables ont inventé de toutes pièces cette frénésie de russophobie dont l'Amérique ne s'est pas encore remise.
Steven Lee Myers, qui travaillait auparavant au bureau du Times à Moscou, est aujourd'hui un genre de journaliste spécialisé dans la “désinformation” et a dirigé la rédaction de l'article en question. Et tout se passe comme pendant les quatre années qui ont suivi la défaite de Clinton : il n'y a pas l'ombre de reportages indépendants ou de sources d'information dans tout ce qu'il a publié sous sa plume. Les responsables du renseignement et d'autres fonctionnaires anonymes gavent ce type comme les éleveurs de foie gras gavent leurs oies.
C'est tout ce que l'on peut attendre de notre Stevie. Et je ne vois personne s'essayer à ce genre de pratiques honteuses au nom de la campagne de Trump.
Mais le 6 janvier, le 6 janvier, le 6 janvier ! Tout d'abord, ce qui s'est passé le 6 janvier ne relève pas du “coup d'État” ou de l'“insurrection”. Il s'agissait d'une contestation, avec beaucoup de signes suggérant la présence d'agents provocateurs. Ensuite, il me semble que les raisons de protester ne manquaient pas à ce stade.
Tout d'abord, il y a eu la collusion parfaitement lisible des autorités libérales pour supprimer le contenu de l'ordinateur portable très incriminant de Hunter Biden trois semaines avant le vote, jusqu'à la censure générale du New York Post, le plus ancien journal d'Amérique. S'il ne s'agit pas d'une ingérence électorale flagrante, qu'on m'explique ce que c'est.
J'ai lu que de nombreux représentants des bureaux de vote dans de nombreux États, dont la Pennsylvanie, avaient certifié les résultats de 2020, mais c'est moins sûr. Mais il est difficile de trouver un argumentaire réellement convaincant pour justifier les résultats d'États tels que la Pennsylvanie. On ne parle jamais des affirmations de Trump selon lesquelles les résultats de la Pennsylvanie ont été truqués. On ne lit que les “affirmations mensongères” ou les “affirmations contestées” ou les “affirmations réfutées” de Trump, au point que l'on se met à songer à Lady Macbeth et à ses protestations excessives.
Je me souviens, quoiqu’imparfaitement, d'avoir vu des recherches prétendument effectuées par un informaticien de l'une des universités de Philadelphie. Juste après l'élection, il ou elle a diffusé sur les réseaux sociaux une série de captures d'écran, horodatées à la seconde près, qui semblaient montrer que les résultats d'un grand nombre de circonscriptions avaient changé d'un seul coup et suffisamment pour donner à Biden une victoire surprise avec une marge d'un peu plus de 1 %.
Ces recherches sont-elles authentiques ou un coup monté ? Crédibles, ou pas ? Il ne me vient pas à l'idée de me prononcer sur ce point, mais là n'est pas la question. Ce que je veux dire, c'est qu'il ne devrait y avoir aucune raison de douter de tels résultats et, huit ans plus tard, comme j'ai pu le lire, il n'y en a toujours pas.
Le doute reprend vie, comme vous l'avez peut-être remarqué, à l'instar d'un organisme qui se régénère. Le Times a donc fait état mardi de tentatives de fraude électorale dans les comtés de Lancaster et de York, deux régions très peuplées de la Pennsylvanie, là encore.
L'article de Campbell Roberston reprend à peu près tout, à commencer par un titre qui dit que Trump “sème le doute”. Lui, Trump, utilise même “des rapports sur des inscriptions suspectes d'électeurs pour présenter l'élection comme déjà entachée d'irrégularités”.
Quel goujat ! Quelle crapule. Quel tyran fasciste !
Il semble que des milliers de formulaires d'inscription électorale et de demandes de vote par correspondance falsifiés ou frauduleux soient arrivés récemment dans les bureaux des autorités électorales de Lancaster et de York.
Pour autant qu'on puisse en juger, un ou plusieurs fonctionnaires de chaque comté ont découvert ces “lots importants” de documents gouvernementaux falsifiés. D'autres fonctionnaires ont ensuite fait taire cette découverte, comme s'ils étouffaient l'affaire avec un oreiller.
Alice Yoder, commissaire électorale à Lancaster, l'a le mieux exprimé, ou du moins de la manière la plus aberrante. “Le système a fonctionné”, a déclaré Mme Yoder. “Nous avons détecté le problème”. Honnêtement, il m'a fallu lire et relire plusieurs fois cette phrase pour réaliser que quelqu'un oserait tenir de tels propos.
J'aimerais connaître quelques éléments de cette affaire qui ne nous sont pas communiqués.
Les lots de faux “ont été envoyés par des groupes de prospection en dehors de l'État”, rapporte M. Robertson, des groupes qui n'ont pas été identifiés.
Premièrement, qu'est-ce qu'un groupe de démarchage et que fait-il pour le compte de qui ?
Deuxièmement, que faisaient ces groupes dans les comtés de Lancaster et de York s'ils n'étaient pas originaires de Pennsylvanie ?
Troisièmement, s'ils ne viennent pas de Pennsylvanie, que faisaient-ils avec des formulaires électoraux de Pennsylvanie censés être authentiques ?
Encore deux questions.
Quatrièmement, pourquoi les responsables électoraux de ces deux comtés ne citent-ils pas les organismes de démarchage coupables ? Cela me semble très troublant.
Cinquièmement, à quel parti sont affiliés ou quelles sont les préférences électorales des fonctionnaires qui refusent d'identifier les organisations incriminées et déclarent des propos tels que “Le système a fonctionné” ?
On ne peut tirer aucune conclusion à ce sujet, étant donné que nous ne savons absolument rien de ces personnes, mais j'ai pris la peine de consulter le CV de Mme Yoder .
On a tous en nous une petite part de sociologue, bien ou mal développée selon les cas. Les journalistes font souvent appel à leurs talents dans ce domaine.
En m'appuyant sur les miens, je dirais que le CV de Mme Yoder, après une lecture attentive, évoque fortement un électeur de Kamala Harris, peut-être même un libéral autoritaire.
Je pourrais avoir pleinement raison, mais également complètement tort. Je n'irai pas au-delà de ces spéculations plus ou moins creuses.
Pas plus qu'avec des doutes plus ou moins inutiles à l'approche du 5 novembre.
* Patrick Lawrence, correspondant à l'étranger pendant de nombreuses années, principalement pour l'International Herald Tribune, est critique des médias, essayiste, auteur et conférencier. Son nouveau livre, Journalists and Their Shadows, vient de paraître chez Clarity Press. Son site web est Patrick Lawrence. Soutenez son travail via son site Patreon.
https://scheerpost.com/2024/11/01/patrick-lawrence-portents-of-chaos/