đâđš Les prochaines audiences de Julian Assange & ce quâelles pourraient signifier pour sa libertĂ©
La liberté absolue pour Assange & WikiLeaks de révéler divers dossiers embarrassants pour le pouvoir en place est-elle imaginable ? Peu probable. Nous ne sommes hélas pas dans une vraie démocratie.
đâđš Les prochaines audiences de Julian Assange & ce quâelles pourraient signifier pour sa libertĂ©
Par Patrick Boylan, le 27 décembre 2023
Cet article est aussi disponible en: Anglais, Italien, Allemand
Lâannonce de ce qui pourrait ĂȘtre les derniĂšres audiences de Julian Assange â les 20 et 21 fĂ©vrier 2024 devant la High Court britannique â a suscitĂ© une vague de spĂ©culations sur le sort final du journaliste et Ă©diteur australien de 52 ans, emprisonnĂ© Ă Londres depuis quatre ans dans lâattente de son extradition vers les Ătats-Unis, oĂč 175 ans de supermax (prison de trĂšs haute sĂ©curitĂ©) lâattendent trĂšs certainement.
Les 20 et 21 fĂ©vrier 2024 pourraient ĂȘtre notre derniĂšre chance dâempĂȘcher son extradition, sâest exclamĂ©e Stella Assange sur Substack, ajoutant :
«Alors, ces deux jours-lĂ , rassemblez-vous devant le palais de justice Ă 8h30. Câest maintenant ou jamais».
Mais comment est-il possible quâAssange soit emprisonnĂ© pendant 175 ans, simplement pour avoir fait ce que tout journaliste et rĂ©dacteur en chef responsable devrait toujours faire, câest-Ă -dire divulguer des crimes de guerre et dâautres actes rĂ©prĂ©hensibles dont il ou elle a eu connaissance par le biais de tĂ©moins spontanĂ©s ? Dâautant plus que la Cour suprĂȘme des Ătats-Unis a statuĂ© en 1971 quâil est permis de rĂ©vĂ©ler des secrets dâĂtat sâil en va de lâintĂ©rĂȘt public ?
Tout cela est possible car, en 2019, lâadministration Trump a voulu crĂ©er un prĂ©cĂ©dent, au mĂ©pris de lâarrĂȘt de la Cour suprĂȘme, pour pouvoir justement emprisonner tout journaliste qui, dans nâimporte quel pays du monde, rĂ©vĂšle des secrets embarrassants sur lâadministration amĂ©ricaine. Si cela sonne comme la fin du journalisme dâinvestigation, câest parce que câest le cas : «Les journalistes sont les ennemis du peuple», a souvent rĂ©pĂ©tĂ© M. Trump. Câest pourquoi les principales associations nationales et internationales de journalistes ont publiĂ© des documents appelant Ă la libĂ©ration de Julian Assange, prĂ©cisĂ©ment dans le but de protĂ©ger la libertĂ© de la presse et la libertĂ© dâexpression.
Mais voyons quel pourrait ĂȘtre le sort final de Julian Assange, tel quâil sera dĂ©terminĂ© par la dĂ©cision de la High Court de Londres, prĂ©vue pour les 20 et 21 fĂ©vrier 2024. Voici trois hypothĂšses, de la plus pessimiste Ă la plus optimiste.
1. EXTRADITION
La Cour pourrait rejeter la demande de Julian â celle de pouvoir faire appel du jugement de la High Court du 6 juin 2023 qui a confirmĂ© lâordre dâextradition. Dans ce cas, ayant Ă©puisĂ© toutes les voies de recours au Royaume-Uni, Julian pourrait ĂȘtre envoyĂ© le lendemain aux Ătats-Unis oĂč lâattend un procĂšs dont lâissue est certainement dĂ©jĂ Ă©crite.
Bien sĂ»r, au moins en thĂ©orie, Julian peut toujours faire appel Ă la Cour europĂ©enne des droits humains (CEDH) Ă Strasbourg, dĂ©clenchant ainsi un article (39) qui interdit lâextradition tant que lâaffaire est en cours. Mais prĂ©cisĂ©ment pour supprimer la CEDH et affirmer lâindĂ©pendance britannique, le gouvernement de David Cameron puis celui de Boris Johnson ont prĂ©parĂ© un projet de loi crĂ©ant une «Charte britannique des droits humains» et soustrayant du mĂȘme coup le Royaume-Uni Ă la juridiction de Strasbourg en matiĂšre de droits humains. Cette loi nâa pas encore Ă©tĂ© votĂ©e, mais lâactuel Premier ministre Sunak lâa dans son tiroir comme une arme secrĂšte pour annuler lâarticle 39 de la CEDH.
2. PAS DâEXTRADITION, MAIS PAS DE LIBERTĂ NON PLUS
Dans une seconde hypothĂšse, la Cour pourrait accepter la demande de Julian de faire appel du jugement de la High Court du 6 juin 2023, ce qui suspendrait automatiquement lâordre dâextradition. Serait-ce une victoire ? Oui, mais partielle. Julian resterait toujours enfermĂ© en isolement total dans une cellule minuscule de 3 mĂštres sur 2, pendant la durĂ©e de son nouveau recours qui pourrait prendre des annĂ©es. Or, selon le rapporteur des Nations unies sur la torture, Nils Melzer, une incarcĂ©ration prolongĂ©e dans ces conditions â que Julian subit dĂ©jĂ depuis quatre ans â sâapparente Ă une forme de torture psychologique.
Mais pour quels motifs Assange resterait-il enfermĂ© ? En Italie, la pratique de la «dĂ©tention prĂ©ventive» existe, mais elle est toujours limitĂ©e dans le temps. En fait, il existe des cas bien connus de chefs de la mafia libĂ©rĂ©s de leur dĂ©tention provisoire aprĂšs une pĂ©riode relativement courte en prison, prĂ©cisĂ©ment parce que le dĂ©lai a expirĂ© avant que le procĂšs puisse avoir lieu. Le problĂšme, dans le cas dâAssange, est que le juge qui a ordonnĂ© sa dĂ©tention prĂ©ventive nâa fixĂ© aucune limite de temps : par consĂ©quent, en thĂ©orie, la soi-disant «justice» britannique pourrait permettre Ă lâappel de Julian de sâĂ©terniser, en pratique lâemprisonnant Ă vie dans lâattente de son procĂšs et donc sans aucune condamnation.
3. LIBERTĂ (plus ou moins conditionnelle)
Il existe une troisiĂšme hypothĂšse pour lâissue des audiences des 20 et 21 fĂ©vrier 2024 : Joe Biden pourrait accorder Ă Assange une grĂące prĂ©sidentielle en janvier 2024, avec le retrait simultanĂ© de la demande dâextradition des Ătats-Unis et, les 20 et 21 fĂ©vrier, lâannulation consĂ©cutive de lâordre dâextradition.
Quâest-ce qui pourrait Ă©tayer une hypothĂšse aussi fantaisiste ?
Biden, bien sĂ»r, Ă©tait le vice-prĂ©sident de Barack Obama et ce dernier avait toujours refusĂ© de poursuivre Assange, prĂ©cisĂ©ment en raison des consĂ©quences nĂ©fastes que cela aurait sur le journalisme dâinvestigation â et donc sur le tissu dĂ©mocratique du pays â pour les mĂȘmes raisons que celles illustrĂ©es ci-dessus. JusquâĂ prĂ©sent, Joe Biden sâen est remis Ă ses faucons (en particulier ceux liĂ©s Ă la CIA) qui veulent la tĂȘte dâAssange non pas tant pour ses rĂ©vĂ©lations sur les crimes de guerre Ă©tasuniens en Irak et en Afghanistan que pour ses rĂ©vĂ©lations sur les mĂ©thodes illicites utilisĂ©es par la CIA pour nous espionner tous sans discernement. Assange a montrĂ© la CIA pour ce quâelle est : un organe dâespionnage non seulement des suspects criminels mais aussi et surtout des citoyens ordinaires, ce qui est exactement ce qui se passe dans tous les rĂ©gimes ouvertement ou secrĂštement autoritaires â et pour cela, la CIA ne lui a jamais pardonnĂ©.
Câest pourquoi M. Biden nâa pas Ă©tĂ© en mesure de libĂ©rer M. Assange, surtout Ă lâapproche des Ă©lections de lâannĂ©e prochaine. Il se mettrait ainsi Ă dos non seulement la CIA, mais aussi les faucons de son propre parti, les Ă©tasuniens conservateurs en gĂ©nĂ©ral et, pire que tout, les âtrumpiensâ [partisans de Donald Trump], qui utiliseraient cette grĂące comme preuve des «tendances anti-amĂ©ricaines» de Biden.
Mais ce raisonnement suppose que Biden soit effectivement candidat Ă la Maison Blanche en 2024, alors que de nombreux signes suggĂšrent quâil pourrait abandonner la course.
Une dĂ©lĂ©gation de membres dĂ©mocrates et influents du congrĂšs des Etas-Unis sâest rendue Ă la Maison Blanche ces derniers jours pour demander formellement Ă Biden de ne pas se prĂ©senter : ses sondages ne lui permettent pas de gagner. Biden lui-mĂȘme a admis il y a quinze jours quâil ne se reprĂ©senterait pas si Trump nâĂ©tait pas le candidat rĂ©publicain ; et voilĂ quâil y a deux jours, la Cour suprĂȘme du Colorado, appliquant le 14e amendement, a jugĂ© que Trump ne pouvait pas se prĂ©senter aux primaires, parce quâil aurait participĂ© Ă une insurrection (celle du 6 janvier 2021). Il faut encore attendre la confirmation de la Cour suprĂȘme fĂ©dĂ©rale, mais lâĂ©limination de Trump est devenue une possibilitĂ© rĂ©elle. Adieu Trump pourrait donc signifier adieu Biden.
En effet, si Biden se retire, il aurait la possibilitĂ© de gracier Assange et de supporter les foudres inoffensives des faucons, laissant indemne le nouveau candidat dĂ©mocrate Ă la Maison Blanche. Cette personne pourrait ĂȘtre Kamala Harris, la vice-prĂ©sidente, Gavin Newsom, le gouverneur de Californie, ou â si nous voulons vraiment donner libre cours Ă notre imagination â Michelle Obama, qui pourrait sortir de lâombre telle une combattante ninja.
Ce nâest peut-ĂȘtre pas une coĂŻncidence si un groupe important de membres du CongrĂšs, tant dĂ©mocrates que rĂ©publicains, a prĂ©sentĂ© le 13 dĂ©cembre une rĂ©solution (H. Res. 934) demandant au gouvernement fĂ©dĂ©ral dâabandonner toutes les charges retenues contre Julian ainsi que la demande dâextradition. Cela ressemble Ă une dĂ©marche typique de Biden, qui consiste Ă prĂ©parer le terrain pour un geste controversĂ© en obtenant dâabord un soutien bipartisan de la part des leaders dĂ©mocrates et rĂ©publicains.
Simple spĂ©culation ? Bien sĂ»r. Mais une spĂ©culation cohĂ©rente avec le fait flagrant (et inexplicable) que, malgrĂ© toutes les dĂ©clarations de vouloir extrader Julian Assange Ă tout prix, les Ătats-Unis nâont exercĂ© aucune pression sur les autoritĂ©s britanniques pour quâelles liquident les appels dâAssange par des condamnations rapides et, surtout, dĂ©finitives. Quatre ans de tergiversations. Certes, une tentative de liquidation rapide de lâappel dâAssange a eu lieu le 6 juin, mais sâil y avait eu une rĂ©elle volontĂ© de lâextrader, cette dĂ©cision aurait Ă©tĂ© immĂ©diatement suivie de lâaudience qui nâaura lieu que les 20 et 21 fĂ©vrier, soit plus de huit mois plus tard. Manifestement, il nây avait pas tant dâempressement. Peut-ĂȘtre que quelque chose se trame en dessous ? Peut-ĂȘtre fallait-il conclure les nĂ©gociations avec Assange ?
Enfin, comme nous venons de le dire, si Biden annonce son retrait de la course Ă la Maison Blanche en janvier prochain, il permettra aux dĂ©mocrates de bouleverser la propagande Ă©lectorale de Trump, centrĂ©e sur le «Vieux Joe» et de se concentrer sur un nouveau visage : Harris ou Newsom ou surtout Michelle Obama pourraient obtenir le feu vert et se prĂ©senter. Bien sĂ»r, il pourrait y avoir des complications dues Ă la rĂ©glementation de nombreuses primaires â la date limite pour se prĂ©senter Ă la plupart dâentre elles est en fĂ©vrier prochain. Le calendrier est donc serrĂ©. Mais ce nâest pas un problĂšme car, si nĂ©cessaire, les dĂ©mocrates pourront, en vertu de la loi, ne pas tenir compte des Ă©lections primaires et choisir leur candidat lors de leur convention qui se tiendra plus tard dans lâannĂ©e.
Trois hypothĂšses, donc, et trois rĂ©sultats trĂšs diffĂ©rents : lâextradition immĂ©diate vers cet enfer quâest une prison supermax Ă©tasunienne, ou la poursuite de la dĂ©tention britannique actuel pour une pĂ©riode indĂ©finie (en supposant que la CEDH soit balayĂ©e par une loi spĂ©ciale), ou, derniĂšre hypothĂšse, la libertĂ© tant dĂ©sirĂ©e de Julian.
Mais la liberté de faire quoi exactement ?
La libertĂ© accordĂ©e Ă Assange serait-elle la libertĂ© absolue qui lui permettrait de relancer WikiLeaks et de rĂ©vĂ©ler dâautres documents embarrassants pour le pouvoir en place ? Peu probable. Nous ne sommes pas dans une vraie dĂ©mocratie, hĂ©las : les personnes au pouvoir ne permettront jamais Ă Assange de pratiquer le journalisme comme avant. Nous savons que, si nĂ©cessaire, elles recourraient Ă lâassassinat pour lâen empĂȘcher.
Sâagit-il alors dâune libertĂ© conditionnelle ? En acceptant la grĂące prĂ©sidentielle, Julian accepterait-il de sââexilerâ dans son propre pays, lâAustralie, avec sa famille, dans un village reculĂ© sans internet, renonçant ainsi Ă redevenir le rĂ©dacteur en chef de WikiLeaks ? Cela semble ĂȘtre une solution quâun Biden pourrait approuver, mais encore faut-il savoir comment la rĂ©glementer et, surtout, si Julian lâaccepterait.
Ou sâagit-il dâune libertĂ© dâun autre type que, peut-ĂȘtre, pendant tous ces mois dâattente inexplicable, Julian a pu nĂ©gocier avec ceux qui le maintiennent en prison ?
En attendant, préparons-nous à manifester les 20 et 21 février, soit à Londres devant la High Court, soit (en Italie) devant les représentations diplomatiques britanniques/américaines. Pour des informations actualisées et détaillées, voir :