đâđš Les avocats amĂ©ricains soutiennent qu'Assange n'est pas journaliste & que ses publications ne prĂ©sentent pas d'intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral
De tels dĂ©veloppements donnent espoir aux convaincus de lâinjustice des poursuites contre Assange qui doivent cesser. Les juges se sont rĂ©servĂ© le droit de rendre leur dĂ©cision Ă une date ultĂ©rieure.
đâđš Les avocats amĂ©ricains soutiennent qu'Assange n'est pas journaliste & que ses publications ne prĂ©sentent pas d'intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral
Par Tareq Haddad, le 22 février 2024
Lors de la deuxiĂšme journĂ©e d'audience de Julian Assange devant la High Court britannique, qui devait dĂ©terminer s'il serait autorisĂ© Ă faire appel d'une dĂ©cision antĂ©rieure validant son extradition vers les Ătats-Unis, les avocats du gouvernement amĂ©ricain ont fait valoir que Julian Assange n'est pas journaliste, et que les documents qu'il a publiĂ©s ne prĂ©sentent pas d'intĂ©rĂȘt pour le public.
Clair Dobbin KC - en résumant l'argumentation présentée par le gouvernement américain dans son deuxiÚme acte d'accusation - a déclaré à la Cour :
âWikiLeaks est un site web qui sollicite et publie des documents volĂ©s, obtenus par piratage informatique illĂ©gal, divulguĂ©s en violation de la loi ou autrement obtenus illĂ©galement.â
Elle s'est ensuite immédiatement penchée sur l'allégation américaine selon laquelle M. Assange aurait participé à une conspiration criminelle avec Chelsea Manning - source de tous les documents que M. Assange est accusé d'avoir publiés - en acceptant de tenter de déchiffrer un hachage de mot de passe. M. Dobbin a déclaré :
âL'appelant aurait aidĂ© un membre de l'armĂ©e amĂ©ricaine Ă commettre une intrusion informatique illĂ©gale afin de se livrer Ă un vol de documents classifiĂ©s aux Ătats-Unis, et de les publier par l'intermĂ©diaire de WikiLeaks. WikiLeaks a ensuite publiĂ© ces informations, en sachant qu'elles avaient Ă©tĂ© obtenues illĂ©galementâ, a-t-elle ajoutĂ©.
Mme Dobbin poursuit en affirmant que ces documents
âont rĂ©vĂ©lĂ© au monde les noms non expurgĂ©s de sources ayant fourni des informations aux Ătats-Unis, dont beaucoup vivaient dans des zones de guerre ou dans des rĂ©gimes rĂ©pressifsâ. Ces personnes risquaient de subir un âprĂ©judice grave et imminentâ suite Ă ces rĂ©vĂ©lationsâ, a dĂ©clarĂ© M. Dobbin.
Le travail des services de renseignement américains a également été mis à mal, a ajouté l'avocat.
Tous ces Ă©lĂ©ments, selon Mme Dobbins, distinguent M. Assange de tout autre journaliste et WikiLeaks de toute autre organisation journalistique. D'autant que la âliste des personnes les plus recherchĂ©esâ du site web encourageait les initiĂ©s Ă âvolerâ des informations.
Les conclusions ont ignorĂ© les preuves prĂ©sentĂ©es au tribunal de premiĂšre instance selon lesquelles ni la Constitution des Ătats-Unis ni l'Espionage Act (loi sur l'espionnage) en vertu desquels M. Assange est accusĂ© ne font de distinction entre ce qui est un journaliste et ce qui ne l'est pas (voir Trevor Timm et Carey Shenkman). Elle a ignorĂ© les preuves qu'Assange s'est en fait donnĂ© beaucoup de mal pour expurger les documents qu'il a ensuite publiĂ©s (voir John Goetz, John Sloboda et Nicky Hager). Elle a Ă©galement ignorĂ© ce que les Ătats-Unis qualifient de âsollicitationâ, une activitĂ© courante de collecte d'informations.
Mark Feldstein, historien et professeur de journalisme, s'est adressé à la Cour en septembre 2020 :
âLa tentative du gouvernement d'Ă©tablir une distinction entre la collecte passive et active d'informations - en sanctionnant la premiĂšre et en punissant la seconde - suggĂšre une profonde incomprĂ©hension du fonctionnement du journalisme.
âLes bons journalistes ne restent pas assis Ă attendre que quelqu'un fasse fuiter des informations, ils les sollicitent activement. Ils sollicitent, poussent, cajolent, conseillent, attirent, incitent, invectivent, trompent, amadouent, harcĂšlent et harcĂšlent encore leurs sources pour obtenir des informations - et plus elles sont secrĂštes, importantes et sensibles, mieux c'estâ.
Le document prĂ©sentĂ© au nom des Ătats-Unis va plus loin en affirmant Ă tort que Mme Manning aurait directement rĂ©pondu Ă cette soi-disant sollicitation, sans tenir compte des preuves fournies par sa cour martiale et reprises plus tard dans ses mĂ©moires, selon lesquelles elle a en fait contactĂ© le New York Times et le Washington Post avant de s'adresser Ă WikiLeaks. Il a Ă©galement ignorĂ© le fait que Mme Manning a fourni des documents qui ne figuraient pas sur la âliste des personnes les plus recherchĂ©esâ et n'a pas tenu compte des motivations qui l'ont poussĂ©e Ă divulguer ces documents.
M. Dobbin a poursuivi en affirmant que, dĂšs sa crĂ©ation, WikiLeaks a cherchĂ© activement Ă collaborer avec des pirates informatiques afin d'obtenir illĂ©galement des documents, en se rĂ©fĂ©rant aux dĂ©clarations contenues dans le deuxiĂšme acte d'accusation Ă©manant de l'informateur âTeenagerâ :
âAssange a demandĂ© Ă âTeenagerâ de commettre des intrusions informatiques et de voler des informations supplĂ©mentaires, y compris des enregistrements audio de conversations tĂ©lĂ©phoniques entre des hauts fonctionnaires du gouvernement d'un pays de l'OTAN.â
Ce que cette dĂ©claration sous serment et Dobbins ont omis de mentionner, et qui est de notoriĂ©tĂ© publique depuis 2021, c'est que le dit âTeenagerâ Ă©tait en fait Sigurdur Thordarson - un bref bĂ©nĂ©vole de WikiLeaks qui, aprĂšs avoir quittĂ© l'organisation, a Ă©tĂ© accusĂ© de dĂ©tournement de fonds, de fraude et de vol, ainsi que d'avoir abusĂ© sexuellement de neuf garçons. Un tribunal islandais a estimĂ© qu'il s'agissait d'un sociopathe souffrant d'un grave trouble de la personnalitĂ© antisociale et incapable de distinguer le bien du mal. Il a avouĂ© Ă la publication islandaise Stundin - qui a depuis fusionnĂ© avec une autre publication et s'est rebaptisĂ©e Heimildin - que son tĂ©moignage, payĂ© par le FBI, avait Ă©tĂ© fabriquĂ© de toutes piĂšces.
Toutefois, le summum de la tromperie tentĂ©e par Mme Dobbin a peut-ĂȘtre Ă©tĂ© atteint lorsqu'elle a dĂ©clarĂ© plus tard au tribunal que les documents publiĂ©s par M. Assange et WikiLeaks âne servaient aucunement l'intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ralâ.
Alors que les avocats d'Assange n'ont fait aucune dĂ©claration concernant Thordarson, ils n'ont pas tardĂ© Ă soulever la question de l'intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral lorsqu'ils ont eu l'occasion dây rĂ©pondre vers la fin de l'audience.
Mark Summers KC, au nom d'Assange, a dĂ©clarĂ© qu'au cours des plaidoiries de Mme Dobbin, celle-ci n'a fait aucun effort pour aborder le fait que les rĂ©vĂ©lations faites par WikiLeaks concernaient des actes criminels commis au niveau de l'Ătat par les Ătats-Unis.
âOn peut penser que cela relĂšve d'un exploit impressionnant de passer deux heures et demie debout Ă promouvoir les poursuites contre des documents divulguant des crimes de guerre sans les reconnaĂźtre ou mĂȘme les mentionner, mais, nous y voilĂ â, a-t-il dĂ©clarĂ©.
M. Summers a Ă©galement affirmĂ© que les avocats des Ătats-Unis n'avaient fait aucun effort pour contrer les points soulevĂ©s la veille, Ă savoir qu'en poursuivant M. Assange pour des documents contenant des preuves d'actes rĂ©prĂ©hensibles de la part de l'Ătat, on montrait bien la preuve de reprĂ©sailles de l'Ătat âordonnĂ©es depuis le plus haut niveauâ.
Il a ajoutĂ© que les procureurs des Ătats-Unis n'ont pas cherchĂ© Ă contester le fait qu'aprĂšs avoir Ă©tĂ© en sommeil pendant six ans, l'accusation n'a cherchĂ© Ă engager des poursuites contre M. Assange qu'aprĂšs que la Cour pĂ©nale internationale a commencĂ© Ă enquĂȘter sur les accusations de crimes de guerre commis par les Ătats-Unis en Afghanistan, dans le cadre d'un systĂšme visant Ă protĂ©ger les responsables amĂ©ricains de tout examen. Ils n'ont pas non plus abordĂ© de maniĂšre adĂ©quate le fait que les accusations ont Ă©tĂ© portĂ©es directement aprĂšs que les avocats de la Maison Blanche se sont inquiĂ©tĂ©s du fait qu'ils ne pourraient pas dĂ©tenir M. Assange s'il n'Ă©tait pas inculpĂ©.
Concernant les condamnations publiques de M. Assange par des responsables amĂ©ricains, les avocats des Ătats-Unis ont soulignĂ© que l'ancien prĂ©sident Donald Trump avait parfois fait des remarques Ă©logieuses Ă l'Ă©gard de l'Ă©diteur de WikiLeaks. Toutefois, M. Summers a dĂ©clarĂ© qu'ils n'ont pas mentionnĂ© âce que nous savons tous maintenantâ - en rĂ©fĂ©rence Ă un article de Yahoo ! News - selon lequel l'ancien prĂ©sident Ă©tait personnellement impliquĂ© dans des plans visant Ă le tuer.
De mĂȘme, les avocats des Ătats-Unis n'ont prĂ©sentĂ© aucune dĂ©fense contre l'affirmation selon laquelle les accusations portĂ©es contre M. Assange Ă©taient âimprĂ©visiblesâ, en violation de l'article 7 de la Cour europĂ©enne des droits de l'homme (CEDH), a fait valoir M. Summers.
Par ailleurs, M. Summers a réfuté l'affirmation contraire selon laquelle M. Assange n'aurait pas droit aux protections de l'article 10 sur la liberté d'expression parce qu'il aurait accepté de déchiffrer un mot de passe pour M. Manning (bien que cette tentative ait échoué et n'ait pas permis de transmettre d'autres documents à WikiLeaks).
Selon lui, les lois amĂ©ricaines et europĂ©ennes sont claires : si vous vous livrez Ă un piratage ou Ă un comportement criminel, le fait d'ĂȘtre journaliste n'est pas une dĂ©fense valable et vous pouvez toujours ĂȘtre poursuivi. Toutefois, a-t-il fait remarquer, rien dans le droit amĂ©ricain ou europĂ©en ne suggĂšre qu'il est criminel de publier ultĂ©rieurement les secrets d'Ătat, mĂȘme s'ils ont Ă©tĂ© obtenus illĂ©galement.
Dans sa réfutation au nom d'Assange, Edward Fitzgerald KC s'est opposé aux affirmations des avocats américains selon lesquelles seule la loi sur l'extradition de 2003 - qui ne contient aucune protection pour les délits politiques - constitue l'unique instrument régissant l'extradition.
M. Fitzgerald a déclaré que ce point avait été abordé lors de sa premiÚre journée de plaidoiries, au cours de laquelle il a soutenu que l'approche américaine constituait une violation de l'article 5 de la CEDH relatif à l'arbitraire, inscrit dans la loi de 2003.
âL'arbitraire peut prendre de nombreuses formes, mais l'incohĂ©rence pure et simple de la part de l'Ătat doit ĂȘtre un motif pour dire qu'il y a arbitraireâ.
En cherchant Ă extrader quelqu'un sur la base de la loi sur l'extradition de 2003, tout en nĂ©gligeant le traitĂ© anglo-amĂ©ricain sur l'extradition qui constitue la base de la demande d'extradition, les Ătats-Unis se sont montrĂ©s incohĂ©rents, a dĂ©clarĂ© M. Fitzgerald.
Les questions des juges
Par ailleurs, ce sont les juges eux-mĂȘmes qui se sont opposĂ©s le plus vigoureusement aux arguments des Ătats-Unis.
Alors que M. Dobbin s'adressait Ă la Cour au sujet de la publication de documents non expurgĂ©s par WikiLeaks, le juge Jeremy Johnson - dont Declassified UK a rĂ©vĂ©lĂ© qu'il disposait d'une habilitation de sĂ©curitĂ© et qu'il avait reprĂ©sentĂ© le ministĂšre britannique de la dĂ©fense et le MI6 dans le cadre d'une fonction antĂ©rieure - est intervenu pour demander des prĂ©cisions Ă l'avocat reprĂ©sentant les Ătats-Unis.
Il a fait remarquer à juste titre que d'autres personnes - dont John Young de Cryptome - avaient mis à disposition sur Internet les cùbles non expurgés en question avant WikiLeaks, mais qu'elles n'avaient jamais été poursuivies par le gouvernement américain.
MalgrĂ© cette incohĂ©rence, M. Dobbin a rĂ©pondu que M. Assange âĂ©tait la personne responsable, avant tout, de la mise Ă disposition de ces informations Ă d'autres organisationsâ.
Plus tard, lorsque Mme Dobbin a fait valoir qu'en vertu du droit britannique, M. Assange pourrait ĂȘtre poursuivi au titre de la section 5 de l'Official Secrets Act - qui s'applique aux Ă©diteurs et non aux reprĂ©sentants de l'Ătat - et que cela serait conforme Ă l'article 10 de la Convention europĂ©enne des droits de l'homme, le juge Johnson est revenu Ă la charge :
âEn ce qui concerne votre dernier point, si dans ce pays, un journaliste disposait d'informations sur de trĂšs graves mĂ©faits commis par les agences de renseignement et incitait un employĂ© de cette agence Ă fournir des informations, et si ces informations Ă©taient ensuite fournies puis publiĂ©es de maniĂšre trĂšs prudente, diriez-vous alors que les poursuites seraient compatibles avec l'article 10 ?â
Lorsque Mme Dobbin a rĂ©pondu qu'elle n'Ă©tait pas certaine qu'il y ait une ârĂ©ponse claireâ, la juge Johnson a ajoutĂ© que, d'aprĂšs ses conclusions, il n'y avait pas de place pour un âĂ©quilibrageâ ou un âpouvoir discrĂ©tionnaire de l'accusationâ concernant le journaliste. Elle a ensuite Ă©tĂ© contrainte de concĂ©der que des âpoursuites ne pourraient ĂȘtre engagĂ©esâ que si le journaliste publiait quelque chose qu'il âsavait ĂȘtre prĂ©judiciableâ, satisfaisant ainsi Ă l'aspect de proportionnalitĂ© de l'article 10.
Et une fois de plus, lorsque Dobbin a tentĂ© d'argumenter les dĂ©clarations du procureur Gordon Kromberg et de l'ancien directeur de la CIA Mike Pompeo suggĂ©rant qu'Assange ne bĂ©nĂ©ficierait pas des droits du Premier Amendement en vertu de la Constitution amĂ©ricaine s'il Ă©tait extradĂ© - ce qui constitue une discrimination Ă son Ă©gard en raison de sa nationalitĂ© australienne et une violation de l'article 81(b) de la loi sur l'extradition de 2003 - le juge Johnson a fait remarquer Ă Dobbin que le critĂšre en vertu de cet article n'Ă©tait pas de savoir si Assange âseraitâ discriminĂ©, mais plutĂŽt sâil âpourrait l'ĂȘtre.â
De tels développements peuvent donner de l'espoir à ceux qui pensent que les poursuites contre Assange sont injustes et qu'elles doivent cesser. Les juges se sont toutefois réservé le droit de rendre leur décision à une date ultérieure.
L'affaire suit son cours.