đâđš Les secrets de Nasser
Les attentes des Palestiniens Ă l'Ă©gard du monde arabe ont changĂ©. Ils n'attendent plus d'appel aux armes & d'embargo, juste lâarrĂȘt de tout soutien Ă IsraĂ«l contre deux millions de Gazaouis.
đâđš Les secrets de Nasser
Les Arabes, la Palestine & Les Arabes, la Palestine et l'importance du timing
Par Ramzy Baroud, le 30 avril 2025
Les attentes des Palestiniens Ă l'Ă©gard du monde arabe ont changĂ©. Ils n'attendent plus d'appel aux armes ou d'embargo total, juste lâarrĂȘt de toute action soutenant l'adversaire contre deux millions de personnes assiĂ©gĂ©es Ă Gaza.
Le président égyptien Gamal Abdel Nasser, au Caire, le 29 mai 1967, dans son discours devant les membres de l'Assemblée nationale, a déclaré :
âLa question qui se pose aujourd'hui n'est pas celle du golfe d'Aqaba, du dĂ©troit de Tiran ou du retrait de la FINU, mais celle des droits du peuple palestinien... Nous sommes dĂ©sormais prĂȘts Ă affronter IsraĂ«l. ... Nous sommes dĂ©sormais prĂȘts Ă traiter la question palestinienne dans son ensembleâ.
Pour la gĂ©nĂ©ration de mon pĂšre, Gamal Abdel Nasser n'Ă©tait pas simplement un dirigeant arabe de plus : il a Ă©tabli la norme Ă laquelle tous les autres ont Ă©tĂ© confrontĂ©s, et aucun ne lâa jamais tout Ă fait Ă©galĂ©.
Pour les masses arabes, et les Palestiniens en particulier, Nasser était une icÎne. Son image héroïque, aux yeux des Palestiniens, s'est imposée à Al-Faluja, un bastion clé de la résistance contre la prise de contrÎle sioniste de la Palestine historique en 1948
Ce petit village du sud de la Palestine a été soumis à un blocus militaire israélien massif, piégeant Nasser, alors major dans l'armée égyptienne, ainsi que des milliers d'officiers égyptiens. Le blocus a duré plusieurs mois, jusqu'en février 1949, mais seulement aprÚs que les soldats égyptiens aient opposé une résistance remarquable
Avec la signature de l'accord d'armistice israélo-égyptien, les soldats ont finalement été autorisés à se retirer par Gaza. Malgré leur chagrin d'avoir perdu leur patrie, les Palestiniens ont traité ces soldats qui battaient en retraite comme des héros. C'est durant cette période que la légende de Nasser s'est véritablement emparée de l'imaginaire collectif.
Pour cette gĂ©nĂ©ration, il aurait Ă©tĂ© difficile d'associer Nasser Ă autre chose qu'Ă une grande bravoure, un sens aigu de l'honneur et un amour profond pour la Palestine. MĂȘme aprĂšs la dĂ©sastreuse guerre de 1967, la Naksa, ou âreversâ, ils ont constamment cherche Ă justifier le dĂ©sordre et la mauvaise planification qui ont conduit Ă la dĂ©faite historique de l'Ăgypte et du monde arabe face Ă IsraĂ«l, soutenu par l'Occident
Cette guerre fut particuliÚrement dévastatrice, permettant à Israël d'augmenter considérablement son territoire, englobant désormais la péninsule du Sinaï, Gaza, la Cisjordanie, Jérusalem-Est et certaines parties des territoires syriens et jordaniens. L'issue de la guerre a considérablement réduit les espoirs de restituer la Palestine historique à ses occupants palestiniens.
Le 9 juin 1967, Nasser s'est adressĂ© Ă la nation pour annoncer sa dĂ©mission, une dĂ©cision rapidement annulĂ©e, apparemment en raison de fortes pressions populaires en Ăgypte, mais aussi en Palestine
Les tentatives de dĂ©peindre Nasser comme un dirigeant politique capable de commettre des erreurs, voire Ă©goĂŻste, ont Ă©tĂ© globalement rejetĂ©es par une gĂ©nĂ©ration d'historiens l'ayant pour la plupart idĂ©alisĂ©. La raison sous-jacente Ă©tait peut-ĂȘtre le sentiment que sans Nasser, aucun autre dirigeant arabe ne pouvait vĂ©ritablement reprĂ©senter l'aspiration Ă un renouveau du panarabisme ou du nationalisme arabe
Ce contexte explique pourquoi la récente diffusion par Nasser TV d'une prétendue conversation audio entre Nasser et l'ancien dirigeant libyen Mouammar Kadhafi a suscité de nombreuses réflexions et questions.
Dans cet enregistrement prĂ©sumĂ©, rĂ©alisĂ© peu avant sa mort, Nasser semble moins engagĂ© dans le panarabisme. Ses propos trahissent une mĂ©fiance notable envers les dirigeants arabes, mĂȘme ceux qui ont fortement plaidĂ© en faveur du retour par la force des territoires palestiniens et arabes occupĂ©s
âSi quelqu'un veut se battre, qu'il se batte. Si quelqu'un veut lutter, qu'il lutteâ,
a-t-il dĂ©clarĂ©, critiquant ouvertement les âslogans creuxâ de pays comme l'AlgĂ©rie, l'Irak, la Syrie et le YĂ©men du Sud.
Nasser semblait peu enclin Ă la guerre, avertissant que les appels Ă âlibĂ©rer la Palestine du fleuve Ă la merâ Ă©taient contre-productifs et risquaient d'accĂ©lĂ©rer la perte de la Cisjordanie et de Gaza (zones dĂ©jĂ occupĂ©es).
On pourrait penser que le cynisme de Nasser venait du grand sentiment de trahison des pays arabes, qui n'avaient pas mis leurs promesses en pratique. Mais les propos de Nasser dans cet enregistrement semblent mĂȘme remonter Ă avant la Naksa, suggĂ©rant que la guerre de 1948 elle-mĂȘme avait causĂ© la perte de la Palestine historique
Cette rĂ©fĂ©rence prĂȘte Ă confusion, car la guerre de 1948 a Ă©tĂ© imposĂ©e aux Palestiniens et aux Ătats arabes, et les forces arabes, mal prĂ©parĂ©es et dĂ©sorganisĂ©es, ne sont intervenues qu'aprĂšs que les milices sionistes, bien entraĂźnĂ©es et Ă©quipĂ©es par les Britanniques, aient dĂ©jĂ largement dĂ©terminĂ© l'issue du conflit en Palestine.
La conversation prĂ©sumĂ©e entre Nasser et Kadhafi aurait eu lieu le 3 aoĂ»t 1970, Ă peu prĂšs au moment oĂč le secrĂ©taire d'Ătat amĂ©ricain William Rogers proposait un cessez-le-feu entre l'Ăgypte et IsraĂ«l, un plan qui, s'il avait abouti, aurait mis fin Ă la guerre d'usure qui faisait rage dans le SinaĂŻ
Ce cessez-le-feu, connu sous le nom de plan Rogers (ou plan Rogers II), avait pour objectif spĂ©cifique d'entamer des pourparlers politiques entre l'Ăgypte et IsraĂ«l. Il Ă©tait tout Ă fait clair que ces pourparlers porteraient sur l'avenir du SinaĂŻ et des territoires palestiniens nouvellement occupĂ©s, Ă l'exclusion notable de la Palestine historique. L'accord de Nasser Ă ces pourparlers a Ă©tĂ© perçu par beaucoup comme une profonde dĂ©sillusion
Cette analyse n'a pas pour objet d'examiner l'impact durable de Nasser, qui reste un sujet trÚs controversé parmi les Arabes précisément en raison des opinions contrastées qu'il suscite : fondateur du panarabisme moderne et figure importante de la lutte anticolonialiste pour certains, leader faible et égocentrique pour d'autres
Une question plus urgente se pose toutefois quant au timing : qui a intĂ©rĂȘt Ă semer le doute sur la position de Nasser sur la libĂ©ration de la Palestine Ă l'heure oĂč les populations palestiniennes et arabes exhortent leurs gouvernements Ă prendre des mesures unifiĂ©es et fermes pour dĂ©fier IsraĂ«l ?
La tentative de discrĂ©diter le statut respectĂ© de Nasser en le prĂ©sentant comme une âpseudo-idoleâ sert probablement les intĂ©rĂȘts des gouvernements arabes qui n'ont pas pris de mesures significatives pour demander des comptes Ă IsraĂ«l quant Ă ses opĂ©rations en cours Ă Gaza. Compte tenu du secret qui entoure habituellement les instances officielles arabes, on ne peut s'empĂȘcher de soupçonner une motivation cachĂ©e, et potentiellement plus inquiĂ©tante, derriĂšre la publication de cet enregistrement.
NĂ©anmoins, pour les Palestiniens, cette rĂ©vĂ©lation, indĂ©pendamment de son authenticitĂ© ou du moment oĂč elle survient, n'aura probablement pas d'impact significatif Contrairement Ă la gĂ©nĂ©ration post-Nakba, les Palestiniens d'aujourd'hui ont largement dĂ©passĂ© les attentes irrĂ©alistes d'une libĂ©ration par les Arabes. Ce rĂȘve autrefois cher, peut-ĂȘtre un fantasme, a Ă©tĂ© Ă©rodĂ© par des dĂ©cennies de dĂ©ceptions et d'attentes non satisfaites.
On pourrait mĂȘme affirmer que les Ă©vĂ©nements majeurs du 7 octobre et la rĂ©sistance actuelle Ă Gaza, deux initiatives palestiniennes, ont clairement montrĂ© que les Palestiniens ont largement surmontĂ© la barriĂšre psychologique consistant Ă attendre une aide rĂ©elle des Arabes
Il ne s'agit pas lĂ de simples spĂ©culations. Le langage des Palestiniens de Gaza et de leurs chefs de la rĂ©sistance, qui ne dĂ©pendent plus des appels officiels arabes aux armes, tĂ©moigne de ce changement. Leur position collective est comprĂ©hensible, les Ătats arabes ayant largement Ă©chouĂ© Ă aider concrĂštement les Palestiniens de Gaza, certains coopĂ©rant activement avec les Ătats-Unis de maniĂšre Ă soutenir IsraĂ«l et saper les aspirations palestiniennes
En effet, les attentes des Palestiniens à l'égard du monde arabe ont changé. Ils n'attendent plus d'appel aux armes ou d'embargo total sur Israël, mais plutÎt la cessation de toute action soutenant l'adversaire contre les deux millions de personnes assiégées à Gaza.
Si Nasser Ă©tait aujourd'hui Ă la tĂȘte de l'Ăgypte, il aurait peut-ĂȘtre Ă©vitĂ© un conflit militaire direct avec IsraĂ«l et ses alliĂ©s. Il n'aurait tout au moins pas Ă©tĂ© un soutien clĂ© des intĂ©rĂȘts amĂ©ricains, israĂ©liens et occidentaux dans la rĂ©gion, pas plus qu'il se serait alignĂ© sur Washington et Tel-Aviv en sapant la dĂ©termination de la RĂ©sistance. Ces modestes attentes sont ce qui reste aujourd'hui, soulignant un changement significatif induit par une pĂ©riode de grande vulnĂ©rabilitĂ© du monde arabe, Ă la limite de la servilitĂ©.
Traduit par Spirit of Free Speech