šāšØ Les tentatives d'obstruction d'IsraĆ«l dans l'enquĆŖte sur Abu Akleh vont-elles mettre fin Ć sa "relation spĆ©ciale" avec son bienfaiteur?
Pourquoi Israƫl juge bon d'utiliser notre soutien pour brutaliser les Palestiniens en Cisjordanie et affamer Gaza, et pourquoi il croit pouvoir tuer nos citoyens sans craindre la moindre sanction ?
šāšØ Les tentatives d'obstruction d'IsraĆ«l dans l'enquĆŖte sur Abu Akleh vont-elles mettre fin Ć sa "relation spĆ©ciale" avec son bienfaiteur?
š° Par Mitchell Plitnick* / Mondoweiss, le 18 novembre 2022
Bien qu'il soit peu probable qu'une enquĆŖte amĆ©ricaine sur le meurtre de Shireen Abu Akleh aboutisse Ć l'obligation de rendre des comptes, le refus d'IsraĆ«l de coopĆ©rer devrait soulever des questions sur la relation entre les Ćtats-Unis et IsraĆ«l.
Dans un dĆ©veloppement surprenant mais bienvenu, le ministĆØre de la Justice des Ćtats-Unis a ouvert une enquĆŖte sur le meurtre par IsraĆ«l de la journaliste amĆ©ricano-palestinienne Shireen Abu Akleh. L'annonce est intervenue six mois aprĆØs qu'Abu Akleh ait Ć©tĆ© tuĆ©e alors qu'elle couvrait un raid israĆ©lien sur le camp de rĆ©fugiĆ©s palestiniens de JĆ©nine.
Comme l'a tweetĆ© le sĆ©nateur Chris Van Hollen (D-MD), "C'est une Ć©tape tardive mais nĆ©cessaire et importante dans la poursuite de la justice et de la responsabilitĆ© dans la mort par balle d'une citoyenne et journaliste amĆ©ricaine." Van Hollen a pris la tĆŖte de l'appel au SĆ©nat pour cette enquĆŖte. Il s'agit d'un exemple rare d'un dĆ©mocrate traditionnel exerƧant une pression constante et continue sur la Maison Blanche pour qu'elle prenne une mesure Ć laquelle IsraĆ«l s'oppose.
Et IsraĆ«l a fait connaĆ®tre ses objections trĆØs clairement. L'enquĆŖte a Ć©tĆ© signalĆ©e aux mĆ©dias par IsraĆ«l, et non par les Ćtats-Unis. Et presque immĆ©diatement, le ministre israĆ©lien sortant de la DĆ©fense, Benny Gantz, s'est emportĆ© contre le mĆ©cĆØne financier et militaire d'IsraĆ«l.
RƩactions d'Israƫl et de la Maison Blanche
"La dĆ©cision prise par le ministĆØre amĆ©ricain de la Justice de mener une enquĆŖte sur le dĆ©cĆØs tragique de Shireen Abu Akleh, est une erreur", a tweetĆ© Gantz. Dans la version en hĆ©breu, il l'a qualifiĆ©e de "grave erreur". Il a poursuivi : "Les FDI ont menĆ© une enquĆŖte professionnelle et indĆ©pendante, qui a Ć©tĆ© prĆ©sentĆ©e aux responsables amĆ©ricains avec lesquels les dĆ©tails ont Ć©tĆ© partagĆ©s. J'ai transmis aux reprĆ©sentants amĆ©ricains un message selon lequel nous nous tenons aux cĆ“tĆ©s des soldats de Tsahal, que nous ne coopĆ©rerons pas avec une enquĆŖte externe, et que nous ne permettrons pas d'intervention dans nos enquĆŖtes internes."
Le Premier ministre sortant Yair Lapid s'est fait l'Ć©cho des propos de Gantz en dĆ©clarant que "les soldats israĆ©liens ne feront pas l'objet d'une enquĆŖte du FBI, ni d'aucune autre autoritĆ© ou pays Ć©tranger, aussi amical soit-il." Mais tant l'annonce que la rĆ©ponse israĆ©lienne soulĆØvent des questions importantes.
La Maison Blanche et le DĆ©partement d'Etat ont tous deux cherchĆ© Ć se distancier de l'enquĆŖte du Department of Justice, affirmant que la dĆ©cision Ć©tait une dĆ©cision indĆ©pendante prise par le DoJ. Tant les IsraĆ©liens que les AmĆ©ricains ont dĆ©clarĆ© Ć Axios que la dĆ©cision d'enquĆŖter avait Ć©tĆ© prise le 1er novembre, mais qu'IsraĆ«l nāavait Ć©tĆ© informĆ© que trois jours plus tard, aprĆØs les Ć©lections israĆ©liennes. Il semble peu probable que le ministĆØre de la Justice ait retenu cette information trois jours sans en avertir au moins la Maison Blanche.
Pourquoi les Ćtats-Unis ont-ils dĆ©cidĆ© de lancer cette enquĆŖte maintenant ?
Il y a prĆØs de vingt ans, lorsqu'un IsraĆ©lien Ć bord d'un bulldozer blindĆ© de fabrication amĆ©ricaine a Ć©crasĆ© la militante Rachel Corrie, le reprĆ©sentant Brian Baird a prĆ©sentĆ© un projet de loi qui demandait au FBI de mener une enquĆŖte complĆØte et impartiale sur sa mort. Le projet de loi a connu une mort rapide et silencieuse Ć la Chambre. PrĆØs de dix ans plus tard, l'ambassadeur de Barack Obama en IsraĆ«l, Dan Shapiro, a dĆ©clarĆ© aux parents de Rachel que l'enquĆŖte israĆ©lienne n'Ć©tait pas "aussi approfondie, crĆ©dible et transparente qu'elle aurait dĆ» l'ĆŖtre", mais il n'a pas Ć©tĆ© question d'une enquĆŖte amĆ©ricaine.
Qu'est-ce qui a changĆ© cette fois-ci ? Quelques facteurs diffĆ©rencient Abu Akleh de Corrie, aucun d'entre eux n'Ć©tant trĆØs juste. Abu Akleh Ć©tait une figure majeure du journalisme mondial alors que Corrie Ć©tait Ć©tudiant et militant. En tant que tel, Al Jazeera et les groupes qui se consacrent Ć la libertĆ© de la presse et Ć la protection des journalistes ont travaillĆ© dur pour maintenir la question du meurtre d'Abu Akleh en vie, et pour faire pression directement sur les responsables amĆ©ricains. Rachel Corrie faisait partie de l'International Solidarity Movement, un groupe de solidaritĆ© avec la Palestine, une cible favorite pour la diabolisation des partisans d'IsraĆ«l. Cela faisait d'elle une figure plus controversĆ©e pour les gens de Washington que Shireen Abu Akleh qui avait un dossier journalistique inattaquable.
Dans le cas de Shireen Abu Akleh, des personnalitĆ©s politiques majeures ont pris fait et cause pour elle, y compris le sĆ©nateur Van Hollen. Elles ont lancĆ© des appels rĆ©pĆ©tĆ©s pour une enquĆŖte. En juin, Van Hollen a pris la tĆŖte d'une lettre de 24 sĆ©nateurs demandant l'implication totale des Ćtats-Unis dans une enquĆŖte. En septembre, il a explicitement mis en doute la vĆ©racitĆ© de la conclusion d'IsraĆ«l sur la mort d'Abu Akleh et a demandĆ© une enquĆŖte amĆ©ricaine indĆ©pendante. Les RĆ©publicains Andre Carson (D-IN), Lou Correa (D-CA) et Bill Pascrell (D-NJ) ont envoyĆ© une lettre co-signĆ©e par 54 autres dĆ©mocrates de la Chambre, soit prĆØs d'un quart du caucus dĆ©mocrate, demandant une enquĆŖte indĆ©pendante du FBI.
Il est difficile d'ignorer ce genre de pression exercĆ©e par le propre parti du prĆ©sident. Il est normal que le FBI enquĆŖte sur la mort de tout citoyen amĆ©ricain Ć l'Ć©tranger, et mĆŖme le sĆ©nateur Bob Menendez (D-NJ), fervent partisan de l'AIPAC, a Ć©tĆ© forcĆ© de l'admettre, mĆŖme s'il a Ć©galement dĆ©clarĆ© qu'il pensait qu'IsraĆ«l avait enquĆŖtĆ© de maniĆØre crĆ©dible sur l'incident.
Mais si cette pression Ć©tait importante, elle n'aurait pas existĆ© sans le travail acharnĆ© de la famille de Shireen Abu Akleh et l'activisme inlassable de la communautĆ© de dĆ©fense de la Palestine. Ce travail s'est conjuguĆ© Ć un moment politique oĆ¹ IsraĆ«l est moins populaire que jamais parmi les Ć©lecteurs dĆ©mocrates pour ouvrir la porte Ć cette action sans prĆ©cĆ©dent du DoJ.
Implications de la rƩponse d'Israƫl
La rĆ©ponse hostile d'IsraĆ«l dĆ©montre une grande frustration de sa part face au fait que le meurtre de Shireen Abu Akleh n'a pas Ć©tĆ© oubliĆ© comme par le passĆ© pour d'autres incidents de violence israĆ©lienne, y compris des meurtres, contre des citoyens amĆ©ricains. Les affirmations d'IsraĆ«l concernant la mort d'Abu Akleh sont passĆ©es de l'accusation des Palestiniens du meurtre et du refus de toute sorte d'enquĆŖte Ć l'obligation d'admettre - aprĆØs que de nombreuses enquĆŖtes menĆ©es par des groupes de dĆ©fense des droits de l'homme et des sources mĆ©diatiques aient dĆ©montrĆ© qu'ils mentaient - que leur propre soldat avait tirĆ© le coup de feu qui l'a tuĆ©e. Ils ont lancĆ© Ć contrecÅur un simulacre d'enquĆŖte non criminelle, dont les dĆ©tails sont restĆ©s opaques, mais ont rĆ©ussi, d'une maniĆØre ou d'une autre, Ć conclure que l'incident Ć©tait accidentel. Les Ćtats-Unis ont acceptĆ© ce point de vue sans critique, sans non plus offrir de preuves sur lesquelles fonder cette conclusion.
En septembre, le porte-parole du dĆ©partement d'Ćtat, Ned Price, a dĆ©clarĆ© que "personne ne connaĆ®t mieux que les FDI les processus et procĆ©dures de ces derniĆØres, et il ne nous appartient donc pas, ni Ć aucun autre pays ou entitĆ©, de dire prĆ©cisĆ©ment ce que les FDI ou toute autre organisation militaire ou de sĆ©curitĆ© dans le monde devraient faire". Il a ajoutĆ© que si les diplomates amĆ©ricains avaient soulignĆ© l'importance de la "responsabilitĆ©", ils n'avaient pas Ć©tĆ© "prescriptifs". Le fait que mĆŖme le DĆ©partement d'Ćtat ait continuĆ© Ć faire pression pour que les responsables rendent des comptes implique que les diverses conclusions d'IsraĆ«l ne les ont pas satisfaits, mais ils n'ont pas formulĆ© d'exigences spĆ©cifiques sur ce que serait la responsabilitĆ©. En d'autres termes, le DĆ©partement d'Ćtat savait, et a mĆŖme laissĆ© entendre publiquement, qu'IsraĆ«l couvrait les dĆ©tails de la mort d'Abu Akleh, mais refusait de prendre des mesures sĆ©rieuses Ć ce sujet.
D'aprĆØs les premiĆØres rĆ©ponses, il ne semble pas que la Maison Blanche et le DĆ©partement d'Ćtat soient trĆØs Ć l'aise avec l'enquĆŖte du DoJ. Ni la Maison Blanche ni le DĆ©partement d'Etat n'ont indiquĆ© qu'ils feraient pression sur IsraĆ«l pour qu'il coopĆØre avec le FBI. En effet, il semble peu probable qu'ils soient satisfaits de la perspective d'ajouter cette petite friction Ć la situation dĆ©jĆ Ć©pineuse des kahanistes jouant des rĆ“les importants dans le nouveau gouvernement israĆ©lien.
Pourtant, le refus hystĆ©rique d'IsraĆ«l de coopĆ©rer signifie que le moindre rapport du FBI a peu de chance d'ĆŖtre convaincant, et qu'IsraĆ«l a beaucoup Ć cacher.
IsraĆ«l traite cette affaire comme une affaire interne. Gantz a dĆ©clarĆ© que "nous ne permettrons pas d'ingĆ©rence dans les affaires internes d'IsraĆ«l." Mais il ne s'agit pas d'une affaire interne. Shireen Abu Akleh a Ć©tĆ© tuĆ©e Ć JĆ©nine, qu'IsraĆ«l occupe mais ne revendique pas, mĆŖme selon ses propres dĆ©finitions, contraires Ć la loi, comme son territoire souverain. Par consĆ©quent, l'affirmation selon laquelle le meurtre d'un citoyen amĆ©ricain est une affaire intĆ©rieure n'a pas plus de poids que l'affirmation russe selon laquelle le meurtre d'un journaliste dans les zones de l'Ukraine orientale qu'elle occupe est une affaire intĆ©rieure russe.
La diffĆ©rence est que, s'il s'agissait de la Russie, la Maison Blanche et le gouvernement soutiendraient pleinement une enquĆŖte du FBI ou de toute autre agence.
Quel avenir pour lāenquĆŖte?
Les dirigeants israĆ©liens pensent que cette enquĆŖte sera "largement symbolique", et s'ils ne coopĆØrent pas avec elle, ils ont probablement raison. Les faits du meurtre d'Abu Akleh ont dĆ©jĆ Ć©tĆ© clairement Ć©tablis. MĆŖme IsraĆ«l a admis qu'un de ses soldats l'a tuĆ©. Le seul aspect qui reste non prouvĆ© est de savoir si le meurtre Ć©tait intentionnel.
Sans interroger le soldat qui a tirĆ© sur Shireen Abu Akleh et ses compagnons, il est impossible d'Ć©tablir le caractĆØre intentionnel du meurtre. Le refus obstinĆ© d'IsraĆ«l de coopĆ©rer jette forcĆ©ment lāĆ©clairage du doute sur les intentions du soldat, mais ce n'est pas une preuve, et c'est loin d'ĆŖtre une responsabilitĆ©.
En effet, comme l'a soulignĆ© le professeur Stephen Zunes, "le gouvernement israĆ©lien a dĆ©clarĆ© qu'il ne coopĆ©rerait pas avec l'enquĆŖte du FBI sur le meurtre de la journaliste amĆ©ricano-palestinienne Shireen Abu Aklah par les forces d'occupation israĆ©liennes au dĆ©but de l'annĆ©e. Biden insiste pour que l'aide militaire inconditionnelle financĆ©e par les contribuables soit maintenue."
L'attitude de la Maison Blanche et du DĆ©partement d'Ćtat semble signifier qu'ils ne peuvent lĆ©gitimement pas s'opposer Ć l'enquĆŖte du FBI, qui ne cadre pas avec leur ligne de conduite prĆ©fĆ©rĆ©e, et qu'ils ne feront pas grand-chose pour l'aider. Sans ce soutien, il sera pratiquement impossible pour le FBI d'identifier le soldat responsable, et encore plus difficile de dĆ©terminer si quelqu'un de plus haut placĆ© dans la chaĆ®ne de commandement avait une quelconque responsabilitĆ© dans le meurtre d'Abu Akleh.
Mais c'est Zunes qui argumente vraiment sur la responsabilitĆ© que l'on peut raisonnablement attendre. La famille d'Abu Akleh a dĆ©clarĆ© qu'elle Ć©tait satisfaite de cette premiĆØre Ć©tape, mais qu'elle en attendait davantage. Il ne fait aucun doute que les militants qui ont demandĆ© des comptes maintiendront Ć©galement leur pression.
C'est important, car mĆŖme s'il est peu probable que les personnes directement impliquĆ©es dans le meurtre de Shireen Abu Akleh aient Ć rĆ©pondre de leurs actes, le refus effrontĆ© d'IsraĆ«l de donner Ć son protecteur - sans lequel, ne l'oublions pas, IsraĆ«l ne pourrait pas agir avec l'impunitĆ© dont il est coutumier - les rĆ©ponses qu'il recherche concernant le meurtre d'un de ses citoyens peut ĆŖtre synonyme de consĆ©quences.
Rappeler aux mĆ©dias, au CongrĆØs, au PrĆ©sident et Ć nos concitoyens qu'en dĆ©pit des largesses constantes et indiscutables des Ćtats-Unis, IsraĆ«l estime pouvoir tuer un citoyen amĆ©ricain sans explication, sans justification et sans enquĆŖte sincĆØre peut contribuer Ć relancer le dĆ©bat sur le fait qu'IsraĆ«l est, dans le monde, la seule exception aux lois amĆ©ricaines exigeant que notre aide militaire et nos ventes d'armes soient contrĆ“lĆ©es par des rapports au CongrĆØs. Nous pourrions nous demander pourquoi notre alliĆ© estime qu'il peut non seulement utiliser notre soutien pour brutaliser les Palestiniens en Cisjordanie et affamer la population de Gaza, mais aussi pourquoi il estime qu'il peut tuer nos citoyens sans craindre la moindre sanction.
* Mitchell Plitnick est le prƩsident de ReThinking Foreign Policy. Il est le co-auteur, avec Marc Lamont Hill, de Except for Palestine : The Limits of Progressive Politics. Mitchell a notamment ƩtƩ vice-prƩsident de la Fondation pour la paix au Moyen-Orient, directeur du bureau amƩricain de B'Tselem et codirecteur de Jewish Voice for Peace.