đâđš L'Espionage Act, le cauchemar qui tuera Julian Assange, et le Premier Amendement.
Le pouvoir ne doit pas donner la capacitĂ© de balayer la loi & nier les droits fondamentaux. Le pouvoir doit ĂȘtre limitĂ©, examinĂ©, contrĂŽlĂ© & pourtant, on voit que lorsqu'on le dĂ©fie, rien ne va plus.
đâđš L'Espionage Act, le cauchemar qui tuera Julian Assange, et le Premier Amendement.
Par Scheerpost, le 3 mars 2023
e pouvoir ne devrait pas vous donner la capacitĂ© de balayer la loi, de nier les droits des individus. Le pouvoir devrait ĂȘtre limitĂ©, examinĂ©, contrĂŽlĂ©. Et pourtant, nous voyons que lorsqu'on dĂ©fie le pouvoir, rien ne fonctionne plus.
Carey Shenkman, avocat, auteur et spĂ©cialiste des litiges en matiĂšre de droits civils et de droits de l'homme, rejoint Robert Scheer pour l'Ă©mission Scheer Intelligence de cette semaine, oĂč Shenkman propose une analyse qui donne Ă rĂ©flĂ©chir sur l'une des attaques les plus effrayantes contre la libertĂ© de la presse, exposĂ©e dans l'affaire Julian Assange. S'appuyant sur son livre rĂ©cemment publiĂ©, A Century of Repression : The Espionage Act and Freedom of the Press, Shenkmen dĂ©taille l'histoire de l'Espionage Act et la maniĂšre dont les libertĂ©s civiles ont continuĂ© Ă s'Ă©roder du fait de l'existence de cette loi et de l'absence de rĂ©vision.
M. Shenkman parle du mĂ©pris bipartite envers l'Espionage Act dans les cercles juridiques, mais son utilisation continue par des prĂ©sidents des deux camps soulĂšve la question de ses failles et de son manque de crĂ©dibilitĂ© : "Au fil des dĂ©cennies, vous avez des gens qui publient des articles de revue de droit disant qu'elle est vague, verbeuse, qu'elle n'a aucun sens, et que l'ambiguĂŻtĂ© de la loi est exploitĂ©e aujourd'hui pour poursuivre Julian Assange, et poursuivre les lanceurs d'alerte du gouvernement. Des appels sĂ©rieux ont donc Ă©tĂ© lancĂ©s ces derniĂšres annĂ©es en faveur de sa rĂ©forme et de son abrogation." Julian Assange risque 175 ans dans une prison de haute sĂ©curitĂ© aux Ătats-Unis aprĂšs avoir Ă©tĂ© inculpĂ© de 17 chefs d'accusation liĂ©s Ă la loi sur l'espionnage.
Revenant sur sa création pendant la PremiÚre Guerre mondiale, M. Shenkman explique quel était son véritable objectif et comment, dans le cadre de la loi, "on a l'impression que les termes de promotion de la déloyauté, de promotion de l'opposition à la guerre, ont en fait été utilisés pour poursuivre les objecteurs de conscience et les ceux qui se sont opposés à la PremiÚre Guerre mondiale".
En ce qui concerne Julian Assange, l'urgence d'attirer l'attention sur cette affaire est justifiĂ©e. Selon M. Shenkman, "nous avons essayĂ© de creuser le passĂ© pour voir si un Ă©diteur avait dĂ©jĂ Ă©tĂ© accusĂ© de quelque chose de comparable Ă ce dont Julian Assange est accusĂ©. Et la rĂ©ponse est non. C'est une premiĂšre dans l'histoire des Ătats-Unis. Et le prĂ©cĂ©dent ainsi Ă©tabli ouvrirait la voie Ă des poursuites contre la presse."
Selon M. Shenkman, si Assange est extradĂ©, son cas deviendra un cas d'Ă©cole pour toutes les mauvaises raisons. MalgrĂ© toutes les inquiĂ©tudes entourant le pouvoir excessif des Ătats-Unis, cette affaire pourrait Ă©galement ouvrir la voie aux pays du monde entier pour extrader des citoyens de pays Ă©trangers pour avoir exposĂ© leurs mĂ©faits. Comme le mentionne M. Shenkman, "Assange n'est pas un employĂ© du gouvernement amĂ©ricain. Il n'est mĂȘme pas un citoyen amĂ©ricain. Et pourtant, le gouvernement amĂ©ricain affirme avoir compĂ©tence en la matiĂšre."
Retranscription
Robert Scheer
Bonjour, c'est Robert Scheer avec une autre Ă©dition de Scheer Intelligence. Mon invitĂ©, un avocat bien connu dans le domaine des libertĂ©s civiles, Carey Shenkman, a travaillĂ© avec le cĂ©lĂšbre Michael Ratner sur des affaires majeures, notamment alors qu'Assange se trouvait encore dans l'ambassade d'Ăquateur. Aujourd'hui, il est emprisonnĂ© dans une prison de haute sĂ©curitĂ© en Angleterre et les Ătats-Unis, le PrĂ©sident Biden, veulent l'extrader. Cela a commencĂ© sous l'administration Trump, et il risque 175 ans pour des documents publiĂ©s par de grands journaux du monde entier - les cinq principaux, The New York Times, Der Spiegel, The Guardian, El Pais et Le Monde, ont tous publiĂ© une dĂ©claration il y a tout juste deux mois, disant que ces accusations devaient ĂȘtre abandonnĂ©es, car il s'agit d'une attaque contre la libertĂ© de la presse. Julian Assange est un Ă©diteur. Ils ont publiĂ© ses documents. Et ce serait un prĂ©cĂ©dent particuliĂšrement redoutable pour tout type de journalisme, pas seulement celui de Julian, Ă©diteur par opposition Ă Edward Snowden ou Daniel Ellsberg, qui Ă©taient liĂ©s au gouvernement et avaient leurs propres accords sur la maniĂšre de traiter les documents. C'est donc ce qui rend l'affaire si importante du point de vue des libertĂ©s civiles. Et au cĆur de tout cela, et c'est pourquoi je vais me tourner vers Carey Shenkman, il y a l'Espionage Act, au dĂ©part censĂ© cibler les espions Ă©trangers, qui a vu le jour avec Woodrow Wilson au dĂ©but de la PremiĂšre Guerre mondiale pour coincer ces espions. Il a ensuite Ă©tĂ© utilisĂ© dans des affaires trĂšs cĂ©lĂšbres. Je vais laisser Carey dĂ©crire cette histoire. Et il est tombĂ© en dĂ©suĂ©tude jusqu'Ă notre rĂ©cente histoire post-guerre contre la terreur. Il a Ă©tĂ© activement utilisĂ© pour la premiĂšre fois par Barack Obama, qui a dĂ©posĂ© plus de dossiers dans ce cadre que tous ses prĂ©dĂ©cesseurs, et se trouve actuellement au cĆur de l'affaire contre Julian Assange et, si jamais cela devait ĂȘtre le cas, contre Edward Snowden. Le livre s'intitule donc Un siĂšcle de rĂ©pression : L'Espionage Act et la libertĂ© de la presse. Pourquoi vous ĂȘtes-vous dĂ©cidĂ© Ă Ă©crire ce livre ?
Carey Shenkman
Merci beaucoup, c'est un honneur d'ĂȘtre dans l'Ă©mission. Je suis les questions relatives Ă la loi sur l'espionnage depuis prĂšs de dix ans maintenant, et les gens se demandent peut-ĂȘtre pourquoi nous devons nous intĂ©resser Ă cette loi vieille de 100 ans. Vous avez soulignĂ© que c'est la principale loi utilisĂ©e pour poursuivre les lanceurs d'alerte. Et maintenant, pour la premiĂšre fois dans l'histoire des Ătats-Unis, un Ă©diteur qui n'est ni employĂ© du gouvernement amĂ©ricain, ni mĂȘme citoyen amĂ©ricain, et en quelque sorte, le ministĂšre de la Justice prĂ©tend avoir compĂ©tence sur un Australien placĂ© en dĂ©tention sous des formes diverses au Royaume-Uni depuis une dĂ©cennie, mĂȘme plus. Alors pourquoi nous soucions-nous de cet Espionage Act ? Eh bien, cette loi a en fait une histoire longue et alambiquĂ©e, bizarre et parfois choquante, qui remonte Ă la PremiĂšre Guerre mondiale. Et comme vous l'avez soulignĂ©, elle a Ă©tĂ© adoptĂ©e pendant la PremiĂšre Guerre mondiale, en fait quelques mois seulement aprĂšs l'entrĂ©e en guerre des Ătats-Unis. Et elle a Ă©tĂ© l'un des principaux outils de rĂ©pression politique pendant la PremiĂšre Guerre mondiale, dĂ©cimant essentiellement le parti socialiste et divers mouvements ouvriers tels que les travailleurs internationaux ou plutĂŽt, les travailleurs industriels du monde, l'un des mouvements les plus forts de l'histoire des Ătats-Unis. Pour vous donner une idĂ©e, cette loi est appelĂ©e Espionage Act, mais en fait, elle a Ă©tĂ© appliquĂ©e au-delĂ de l'espionnage. Donc quand vous et moi pensons au mot espionnage, et que la plupart des gens entendent le mot espionnage, ils pensent Ă des espions Ă©trangers. Ils pensent Ă des gens payĂ©s par une puissance Ă©trangĂšre pour voler des informations en douce et les transmettre Ă un autre gouvernement. Mais en fait, cette loi Ă©tait utilisĂ©e pour punir ce que les Ătats-Unis considĂ©raient comme de la dĂ©loyautĂ© ou tout ce qui pouvait nuire Ă l'effort de guerre. Permettez-moi de vous lire l'une des premiĂšres clauses de l'Espionage Act, qui punissait
"Quiconque, lorsque les Ătats-Unis sont en guerre, fera ou transmettra dĂ©libĂ©rĂ©ment de faux rapports ou de fausses dĂ©clarations dans l'intention d'interfĂ©rer avec le fonctionnement ou le succĂšs de l'armĂ©e."
Et cela continue.
"Quiconque provoquera ou tentera de provoquer volontairement l'insubordination, la déloyauté, la mutinerie ou le refus du devoir dans l'armée sera puni d'une amende maximale de 10 000 dollars ou d'un emprisonnement maximal de 20 ans, ou des deux."
On comprend donc que ces termes d'incitation à la déloyauté, d'incitation à l'opposition à la guerre, ont été utilisés pour poursuivre les objecteurs de conscience et les personnes qui s'opposaient à l'entrée dans la premiÚre guerre mondiale. On parle de dizaines, de centaines de personnes. En fait, les deux mille premiÚres personnes poursuivies en vertu de cette loi n'étaient pas des espions. C'était des gens qui s'opposaient à la guerre. C'est ce qui nous a poussés à écrire ce livre. Car si l'on considÚre ces dossiers de nos jours, si l'on regarde Chelsea Manning, Edward Snowden, Julian Assange, ce sont là des personnes qui dénoncent des crimes de guerre. Ils exposent des méfaits de la guerre. Ils exposent des violations de la Constitution. Et nous nous sommes dit que cela ressemblait beaucoup aux toutes premiÚres utilisations de cette loi.
Scheer
Et pourquoi ? La loi n'a pas été beaucoup utilisée. Selon les statistiques que je lis, sous Barack Obama, plus de gens ont été accusés en vertu de cette loi que sous tous les présidents précédents réunis. Le président Biden s'en sert maintenant dans l'affaire Julian Assange. Et pourquoi cette loi ?
Shenkman
Je suis ravi que vous ayez soulevĂ© ce point concernant Barack Obama. Il est vrai que Barack Obama a poursuivi plus d'employĂ©s du gouvernement pour avoir donnĂ© des informations Ă la presse que tous les autres prĂ©sidents rĂ©unis. Ce dont parle notre livre, c'est qu'il y a eu un changement aprĂšs la Seconde Guerre mondiale. Alors qu'avant, pendant les deux premiĂšres guerres mondiales, on s'en prenait Ă la gauche et au mouvement anti-guerre pour s'opposer Ă la guerre. Pendant la guerre froide, elle est devenue un outil de contrĂŽle de l'information. Nous avons donc vu ce changement opĂ©rer durant le maccarthysme, oĂč il a commencĂ© Ă ĂȘtre utilisĂ© pour poursuivre les sources gouvernementales. Donc des gens qui donnent des informations Ă la presse en provenance du gouvernement. Il est donc vrai que Barack Obama a Ă©tĂ© responsable de plus de poursuites pour ce qu'on appelle des fuites ou des divulgations mĂ©diatiques que tous les autres, mais le thĂšme et la motivation de ces poursuites restent inchangĂ©s, ce qui est notre principal argument. Je dirais donc que la raison pour laquelle cette loi a Ă©tĂ© utilisĂ©e est qu'il s'agit d'une loi vague et alambiquĂ©e. Elle est en fait considĂ©rĂ©e comme mal rĂ©digĂ©e. Il suffit de prendre les professeurs de droit Ă travers le spectre politique. Il n'y a donc pas que des gens de gauche ou des libĂ©raux qui pensent que cette loi est nulle. Ce sont en fait des gens de droite qui disent qu'elle est mal rĂ©digĂ©e. Et au fil des dĂ©cennies, des articles de revue de droit ont Ă©tĂ© publiĂ©s, affirmant que la loi est vague, verbeuse, qu'elle n'a aucun sens, et que l'ambiguĂŻtĂ© de la loi est maintenant exploitĂ©e pour s'en prendre Ă Julian Assange, aux lanceurs d'alerte du gouvernement. Des appels sĂ©rieux ont donc Ă©tĂ© lancĂ©s ces derniĂšres annĂ©es en faveur de sa rĂ©forme et de son abrogation. Et la conclusion de notre livre est que cette loi doit ĂȘtre a minima abrogĂ©e pour permettre aux accusĂ©s de se dĂ©fendre correctement, ce qui n'est pas prĂ©vu par cette loi.
Scheer
Le cas de Julian Assange est compliquĂ© du fait qu'il est Ă©diteur. Et dans votre livre, vous en parlez en raison du fort sentiment que nous avons une protection constitutionnelle contre ce que l'on appelle la censure prĂ©alable. Cette restriction prĂ©alable, ce caractĂšre sacrĂ© de l'impossibilitĂ© pour le gouvernement de dire "vous ne pouvez pas publier ceci", ou peut-ĂȘtre qu'aprĂšs l'avoir publiĂ©, si vous diffamez quelqu'un ou quelque chose, un procĂšs peut ĂȘtre intentĂ©. Cela place Julian Assange dans une position trĂšs diffĂ©rente de celle d'Edward Snowden ou de Daniel Ellsberg, qui devait faire face, je crois, Ă 120 ans de prison pour les Pentagon Papers. La question a Ă©tĂ© soulevĂ©e dans cette affaire parce qu'il a donnĂ© les documents du Pentagone d'abord au New York Times, puis au Washington Post. Le gouvernement a tentĂ© et mĂȘme rĂ©ussi, aprĂšs quelques jours, Ă empĂȘcher le New York Times d'imprimer d'autres documents du Pentagone. Puis le Washington Post les a repris. Le procĂšs Ellsberg a Ă©tĂ© annulĂ© parce que Richard Nixon a offert le poste de chef du FBI au juge. Le juge Burns. J'Ă©tais lĂ , dans la salle d'audience. Je me souviens de cet incroyable remue-mĂ©nage Ă Los Angeles. Et puis le juge a dit Ă l'avocat d'Ellsberg, "Je pourrais poursuivre le procĂšs". Et les avocats d'Ellsberg ont dit, "Pourquoi ?â Et cela a causĂ© l'annulation du procĂšs. Mais on n'a jamais rĂ©ussi Ă Ă©tablir une loi valable sur la question de savoir si on peut s'en prendre Ă un Ă©diteur, exercer une restriction prĂ©alable ou d'autres mesures contre l'Ă©diteur. Julian Assange, selon Nils Melzer, ancien rapporteur des Nations Unies sur la torture, est torturĂ©, et nous savons qu'il a souffert, et souffre de dĂ©pression. Je crois que vous l'avez rencontrĂ© dans le passĂ©, quand il Ă©tait Ă l'ambassade. Donc vous connaissiez son dossier. Et voilĂ que cinq grands journaux, comme le New York Times, ont publiĂ© ses articles. En novembre, ils ont dĂ©clarĂ© que si on attaque Julian Assange, c'est nous qu'on attaque. C'est une offensive contre les Ă©diteurs. Parlez-nous de cette particularitĂ©.
Shenkman
Merci d'avoir Ă©voquĂ© les parallĂšles avec l'affaire des Pentagon Papers et Nixon, car il s'agit d'un rapprochement trĂšs important auquel nous faisons rĂ©fĂ©rence dans le livre, car en inculpant Julian Assange pour publication, l'administration Trump a franchi une ligne que mĂȘme l'administration Nixon n'avait pas franchie. L'administration Nixon a failli le faire. Elle envisageait de s'en prendre au Times. Ils ont envoyĂ© des agents du FBI Ă Beacon Press, un petit Ă©diteur qui a eu le courage de publier l'Ă©dition complĂšte des Pentagon Papers par Gravel. Donc il y a de sĂ©rieuses tentatives tout de mĂȘme.
Scheer
Permettez-moi en fait de vous interrompre. Ce à quoi vous faites référence est le sénateur Mike Gravel de l'Alaska, je pense. Qui a lu les Pentagon Papers lors de l'audition de sa commission. C'était un sénateur trÚs farouchement indépendant et courageux.
Shenkman
Oui. Je pense que l'une des choses essentielles, comme vous l'avez soulignĂ©, c'est que les gens appellent Julian Assange un lanceur d'alerte. Il n'est pas lanceur d'alerte. Il n'est pas employĂ© par le gouvernement amĂ©ricain. Il n'est mĂȘme pas un citoyen amĂ©ricain. Il n'est pas dans la situation juridique de Chelsea Manning ou d'Edward Snowden. Ces derniers sont des citoyens amĂ©ricains. Ils Ă©taient des employĂ©s du gouvernement. Julian Assange n'est pas un citoyen amĂ©ricain. C'est un Ă©diteur. Il a publiĂ© des documents. Il n'Ă©tait pas tenu de taire des secrets pour le gouvernement amĂ©ricain. Et pourtant, les Ătats-Unis prĂ©tendent qu'il est coupable d'une conduite que les journalistes spĂ©cialisĂ©s en sĂ©curitĂ© nationale adoptent tous les jours. Vous ouvrez la premiĂšre page du New York Times ou de n'importe quel journal, vous voyez des informations classifiĂ©es Ă gauche et Ă droite. Mais dans de tels cas, ce sont des officiels qui le font pour leur profit personnel. Donald Trump divulgue des informations Ă la presse Ă des fins personnelles. Mais ces gens ne sont pas poursuivis. Le gĂ©nĂ©ral Petraeus, il y a quelques annĂ©es, n'a pas Ă©tĂ© poursuivi pour avoir divulguĂ© des informations en langage codĂ© pour son profit personnel.
Scheer
Mais vous devriez préciser qu'il a transmis à sa maßtresse les manuels top secrets du livre noir qui régissent le briefing du président.
Shenkman
En effet, pour sa biographie.
Scheer
Et il s'est fait taper sur les doigts. Et ensuite il a eu une tape sur la main. Et il a Ă©tĂ© professeur Ă l'UniversitĂ© de Californie du Sud, oĂč j'enseigne et dans de nombreuses autres universitĂ©s, c'est une figure trĂšs respectĂ©e.
Mais allons droit au but à propos de Julian Assange. Un enregistrement de 17 minutes est disponible sur Internet. La vidéo des dommages collatéraux [Collateral Murder] révélée faisait partie de la documentation de Manning. On y voit des journalistes tués ou abattus, un correspondant de Reuters montre des enfants qui se font tirer dessus. Et on ne voit pas d'armes. Il n'y avait pas d'Al-Qaïda. C'était des journalistes en Irak. Et pourtant, nous ne serions pas au courant si Julian Assange n'avait pas publié cette vidéo.
Shenkman
Tout Ă fait. Et il y a eu des demandes de libertĂ© d'information dĂ©posĂ©es par des mĂ©dias pour accĂ©der Ă cette vidĂ©o, et elles n'ont jamais abouti. J'aimerais Ă©galement ajouter pour nos auditeurs et nos tĂ©lĂ©spectateurs que j'ai tĂ©moignĂ© dans le cadre de la procĂ©dure d'extradition de Julian Assange Ă Londres sur ces questions concernant la loi sur l'espionnage et la menace qu'elle reprĂ©sente pour la libertĂ© de la presse, parce que les Ătats-Unis essaient de faire valoir que cette affaire est une affaire ordinaire. Julian Assange aurait mis des vies en danger, une affirmation qui a Ă©tĂ© dĂ©mentie lors de la cour martiale de Chelsea Manning. Et ils essaient de prĂ©tendre que ces poursuites bĂ©nĂ©ficient d'un fondement juridique, alors qu'en fait, elles sont totalement inĂ©dites en 100 ans de lĂ©gislation. Nous avons essayĂ© de vĂ©rifier si un Ă©diteur avait dĂ©jĂ Ă©tĂ© accusĂ© de ce genre de choses, comme Julian Assange. Et la rĂ©ponse est non. C'est une premiĂšre aux Ătats-Unis. Cela crĂ©erait un prĂ©cĂ©dent ouvrant la voie Ă des poursuites contre la presse. En fait, c'est la raison pour laquelle l'administration Obama a refusĂ© de poursuivre Julian Assange. Les gens ne rĂ©alisent peut-ĂȘtre pas que, mĂȘme si cet acte d'accusation a Ă©tĂ© dĂ©posĂ© en 2019, beaucoup de gens associent Julian Assange Ă 2016, Ă la publication d'e-mails et aux Ă©lections de 2016. Cette affaire n'a rien Ă voir avec cela, en fait, elle n'a rien Ă voir avec quoi que ce soit, avec tout comportement allĂ©guĂ© aprĂšs 2010, 2011. Deux ou trois Ă©lĂ©ments de l'acte d'accusation remontent Ă quelques annĂ©es, mais le cĆur de l'acte d'accusation a trait aux publications sur l'Irak et l'Afghanistan. Ce dossier est restĂ© inchangĂ©. Avant l'administration Trump, les allĂ©gations contenues dans le dossier Ă©taient les mĂȘmes que celles de l'administration Obama, et le DOJ d'Obama a refusĂ© d'engager des poursuites. C'est ce qu'on appelait "le problĂšme du New York Times", parce qu'ils savaient que s'ils poursuivaient Julian Assange, il n'y aurait aucune distinction juridique entre poursuivre Assange et poursuivre toutes les autres organisations mĂ©diatiques publiant le mĂȘme type de choses. Mais l'administration Trump, le DOJ de Trump, a dĂ©cidĂ© de changer d'avis. Et c'est pourquoi aujourd'hui, les groupes de presse, les mĂ©dias qui ont effectivement critiquĂ© et montrĂ© leur hostilitĂ© Ă Julian Assange, comme le New York Times, n'ont pas Ă©tĂ© ses plus grands soutiens. En fait, leur rĂ©dacteur en chef de l'Ă©poque, Bill Keller, dĂ©nigrait Assange et parlait de... il disait qu'il portait des chaussettes sales et ce genre de choses, et je vais faire un parallĂšle avec Daniel Ellsberg. Ils ont fait pareil. En fait, Neil Sheehan, avant de mourir - Neil Sheehan Ă©tait celui qui a publiĂ© les premiers scoops des Pentagon Papers pour le New York Times -et dans un grand article juste avant sa mort, il a parlĂ© de la façon dont il a trahi Daniel Ellsberg en lui donnant des engagements qu'il n'a pas tenus. Nous avons donc vu cette ambivalence de la part des mĂ©dias traditionnels envers les personnes qui travaillent avec eux et leur fournissent vraiment ces scoops incroyables. Mais maintenant, en fait, le New York Times s'oppose Ă ces poursuites, comme vous l'avez soulignĂ©. Des dizaines, des centaines d'organisations de mĂ©dias aux Ătats-Unis et dans le monde entier s'opposent Ă cette extradition en raison du prĂ©cĂ©dent qu'elle crĂ©erait, prĂ©cĂ©dent dont l'administration Obama Ă©tait consciente, mais sur lequel l'administration Trump a fait marche arriĂšre.
Scheer
Et maintenant, l'administration Biden est trĂšs dĂ©sireuse de faire extrader Julian Assange d'Angleterre et de le placer dans une prison de haute sĂ©curitĂ© aux Ătats-Unis. Mais l'ironie de lâhistoire, c'est que les personnes qui, dans cette administration dĂ©mocrate, sont farouchement dĂ©sireuses d'incarcĂ©rer Julian Assange et de le condamner aux Ătats-Unis, lui en veulent pour ce qu'il a fait en rĂ©vĂ©lant les discours d'Hillary Clinton Ă Goldman Sachs et les dossiers Podesta dans les [indiscernables]. Tout le monde est donc toujours pour la libertĂ© d'expression, de presse ou de rĂ©union. Tant que vous ciblez des personnes qui ne vous plaisent pas.
Quelque chose de trĂšs semblable se produit maintenant avec Julian Assange et les accusations portĂ©es contre lui, et je pense que ce sera un Ă©norme embarras pour l'administration dĂ©mocrate si Julian Assange est jugĂ©, et que nous et le public rĂ©alisons que ce type va ĂȘtre mis en prison pour le reste de sa vie parce qu'il nous a parlĂ© de pilotes d'hĂ©licoptĂšres tuant des journalistes, y compris des correspondants de Reuters en Irak. Et pourtant, le motif qui anime clairement les dĂ©mocrates est que Julian Assange a publiĂ© des informations embarrassantes pour leur parti, mĂȘme si ce n'est pas le problĂšme ici. Autre ironie de l'histoire : Julian Assange a fait ce que tout Ă©diteur devrait faire: il a Ă©tĂ© un pourfendeur de vĂ©ritĂ© en toute Ă©quitĂ©. Il a embarrassĂ© le gouvernement russe, le gouvernement chinois, les gouvernements du monde entier avec les rĂ©vĂ©lations de WikiLeaks. Et pourtant, mĂȘme le Washington Post, Ă un moment donnĂ©, et Bill Keller, Ă un autre moment, au New York Times, se sont retournĂ©s contre lui parce que, comme ils disent, ils l'aiment quand il gĂȘne leurs adversaires, mais pas quand il s'approche de chez eux.
Shenkman
Donc j'ai travaillé avec Michael Ratner et son cabinet d'avocats pendant plusieurs années. Et Michael Ratner à l'époque, avant qu'il ne décÚde malheureusement en 2016, était l'un des principaux avocats de Julian Assange.
Scheer
Vous étiez déjà confronté à ce genre de contradiction à l'époque. Cette déclaration du New York Times et des autres, le Spiegel et El Pais, le Guardian, le New York Times et Le Monde, je crois, est trÚs claire, mais elle n'a pas reçu beaucoup de visibilité. En fait, Julian Assange a fait l'objet d'une sorte d'assassinat, tout comme Daniel Ellsberg, comme s'il s'agissait de tirer sur le messager par vengeance. Je ne vais pas dénigrer son caractÚre, ni dire s'il traite bien son chat ou quoi que ce soit, ou encore revenir sur les allégations de la SuÚde, qui ont été abandonnées, sur les mauvais traitements qu'il aurait infligés aux femmes avec lesquelles il aurait eu des relations sexuelles. Ne tirez pas sur le messager. Peu importent les motivations du messager. Je pense que ses motivations sont comparables à celles de n'importe quel éditeur diffusant des articles importants à lire. Cela ne devrait pas avoir d'importance. Ce qui est en jeu ici, c'est que personne, à ma connaissance, ayant examiné ces documents aussi massivement qu'Edward Snowden, ne nie qu'il s'agit de documents que le public avait le droit de lire, ou avait besoin de lire. De plus, comme dans l'affaire des Pentagon Papers et dans celle de Snowden, ils n'ont pas vraiment produit de preuves que des innocents aient été blessés, ou que des troupes aient été tuées à cause de ces révélations. Vous savez, cela met les gens au pouvoir dans l'embarras, mais cela n'a rien à voir avec le problÚme de la sécurité nationale ou de la survie des combattants, par exemple.
Shenkman
C'est tout Ă fait vrai. Je pense que c'est un point essentiel quant au refrain constant, et c'est vraiment une diversion, que des vies sont mises en danger, que les gens du gouvernement amĂ©ricain ont Ă©tĂ© mis en danger. Et ce sont des aspects qui, des annĂ©es plus tard, finissent par ĂȘtre dĂ©mystifiĂ©s. Il y a eu des entretiens avec des responsables au sujet des publications de WikiLeaks sur les rĂ©vĂ©lations de Chelsea Manning. Lors de la cour martiale de Chelsea Manning, il a Ă©tĂ© dit que le gouvernement ne pouvait pas prouver que des prĂ©judices avaient Ă©tĂ© causĂ©s. De plus, ce type de rĂ©vĂ©lations rend un grand service au public et, de fait, une haute cour d'appel amĂ©ricaine, la Ninth Circuit Court of Appeals, a dĂ©clarĂ© dans l'un de ses arrĂȘts que les rĂ©vĂ©lations d'Edward Snowden avaient rendu de grands services. Et cela dans le cadre d'une grande affaire de l'ACLU ces deux derniĂšres annĂ©es. Je voudrais donc revenir sur le point que vous avez soulevĂ© concernant la diffamation, car je pense que c'est un aspect capital. L'aspect humain est un Ă©lĂ©ment majeur. Nous ne parlons que de l'aspect humain. Nous parlons beaucoup de ces idĂ©es abstraites, comme ces lois. Et je pense que les impacts juridiques de ces affaires et de ces procĂšs nous font parfois perdre de vue le fait que ce sont des ĂȘtres humains qui voient leur vie affectĂ©e et ruinĂ©e par ces affaires. Julian Assange a une famille, il a deux jeunes enfants. Il a Ă©tĂ© en quelque sorte dĂ©tenu Ă l'ambassade et Ă la prison de Belmarsh pendant plus de dix ans. Mais il s'agit d'un ĂȘtre humain, et cette affaire a coĂ»tĂ© un trĂšs lourd tribut humain. Et c'est la mĂȘme chose avec des gens comme Daniel Ellsberg. Ellsberg Ă©tait une menace trĂšs sĂ©rieuse. Et ceux qui l'entouraient ont vu qu'il Ă©tait sĂ©rieusement en danger et qu'il risquait de passer sa vie en prison. Je vais vous lire des extraits dâun article du New York Times de 1971 sur Ellsberg. Gardez Ă l'esprit qu'Ellsberg Ă©tait la source des Pentagon Papers, dont ils ont bĂ©nĂ©ficiĂ© et dont ils bĂ©nĂ©ficient encore. Ils ont dit qu'il Ă©tait, je cite,
"un homme divorcĂ© vivant dans l'atmosphĂšre semi-bohĂšme d'une maison sur la plage de Malibu avec une voiture de sport tape-Ă -l'Ćil vivant des aventures Ă rĂ©pĂ©tition."
Avancez de 40 ans. Et voyez ce qu'ils disent d'Assange :
"Le fondateur de WikiLeaks en fuite, talonné par la notoriété", et comment il chuchote dans les restaurants londoniens, comme il est dépeint comme un égocentrique, comment on le compare à ces terribles personnages du passé et comment il devient ce transfuge de l'Úre Internet et une sorte de personnage culte. De plus, ils parlent d'une personne capable d'influencer le cours des choses.
Donc on observe ces parallĂšles, et rien ne change. Autre chose qui n'a pas changĂ©, vous l'avez soulignĂ©, et c'est important: le juge dans l'affaire des Pentagon Papers a Ă©tĂ© approchĂ© par le FBI avec une offre pour en prendre la tĂȘte. En fait, les plombiers de Nixon, l'unitĂ© secrĂšte de la CIA, Ă©tait au centre de cette affaire. Si l'affaire des Pentagon Papers, contre Daniel Ellsberg, a finalement Ă©chouĂ© et qu'il n'a pas passĂ© le reste de sa vie en prison, c'est grĂące Ă toutes ces choses illĂ©gales. Ni le procureur, ni les plombiers ne l'ont fait. Le gouvernement lui a fait une offre. Ils espionnaient son Ă©quipe juridique. Ils espionnaient les avocats via des Ă©coutes tĂ©lĂ©phoniques rĂ©vĂ©lĂ©es dans les documents du tribunal. Et surtout, ils se sont introduits dans le bureau d'un psychiatre pour essayer de dĂ©terrer des saletĂ©s sur Ellsberg. Et la situation est devenue si difficile que le juge a dĂ» abandonner les poursuites. La procĂ©dure avait Ă©tĂ© tellement entachĂ©e. Et maintenant, nous constatons un comportement similaire, le mĂȘme degrĂ© d'impunitĂ© de la part de la CIA dans l'affaire Assange, qui a fait l'objet d'un Ă©norme article dans Yahoo News il y a un an ou deux, et on y parlait de complots. Et ce n'Ă©tait pas une rumeur. C'est confirmĂ© par de nombreuses sources au sein du gouvernement qu'il y a eu complot pour assassiner Assange. On parle de fusillades dans les rues de Londres, devant l'ambassade de l'Ăquateur. Et je souhaiterais avoir inventĂ© tout ça. Mais en fait, Mike Pompeo, l'ancien directeur de la CIA, vient de publier un livre dans lequel il se vante d'avoir fait pression sur le gouvernement Ă©quatorien pour se dĂ©barrasser d'Assange. Il a dit qu'il espĂ©rait qu'Assange serait extradĂ© et poursuivi en justice. Donc, en fait, de hauts fonctionnaires du gouvernement amĂ©ricain espĂ©raient prendre des mesures extra lĂ©gales pour espionner Assange, espionner ses avocats, espionner ses visiteurs.
Scheer
Ils avaient des copies de ses conversations avec ses avocats.
Shenkman : Oui, ils espionnent ses avocats, comme ils l'ont fait avec Daniel Ellsberg. Ils pensent qu'ils sont au-dessus de la loi, et c'est vraiment monstrueux.
Scheer
Mais ils sont au-dessus des lois. Le concept de l'expĂ©rience amĂ©ricaine de la dĂ©mocratie est que nous avons ces rĂšgles Ă©crites, Ă commencer par notre Constitution, et les fondateurs de cette nation, qui sont des ĂȘtres humains imparfaits, ont saisi clairement que le pouvoir corrompt, que le pouvoir avait corrompu l'Empire romain, l'Angleterre Ă©videmment, sinon ils n'auraient pas eu Ă faire une rĂ©volution en Angleterre. Et ils savaient aussi qu'il fallait limiter le pouvoir en garantissant la souverainetĂ© de l'individu et ainsi de suite. Mais ils ont tout de suite adoptĂ© des lois qui autorisaient l'utilisation abusive du pouvoir. Toujours cette ambivalence. Les gens au pouvoir peuvent dire les plus belles choses du monde sur la libertĂ© dĂ©mocratique et les droits individuels. Et quand ils sont au pouvoir, comme les dĂ©mocrates avec Julian Assange, ils ne veulent pas ĂȘtre mis dans l'embarras. Cette loi sur l'espionnage, qui semble presque en soi vertueuse, âon attrape les mĂ©chants, on attrape les espions, ces Ă©trangers qui viennent se mĂȘler de nos affairesâ, voilĂ ce qu'ils racontaient au moment de la promulgation de la loi. Et ils l'utilisent contre Julian Assange. Quel est son lien avec eux ?
MĂȘme en tant que digne dĂ©fenseur des libertĂ©s civiles, quand on s'approche trop prĂšs d'une vĂ©ritĂ© qui dĂ©range, on voit les gens basculer. Et c'est ce qui est arrivĂ© au parti dĂ©mocrate. C'est comme ça que les lanceurs d'alerte sont devenus les mauvaises personnes. Les dĂ©mocrates semblent ĂȘtre obsĂ©dĂ©s par l'idĂ©e de rĂ©cupĂ©rer Assange, mais ils oublient la question plus large de la libertĂ© de la presse.
Shenkman
Absolument. Je suis ravi que vous ayez soulevĂ© l'aspect bipartite de la question, car les gens pensent parfois que c'est un problĂšme de droite. Ce ne sont que les Trump, les Nixon et les RĂ©publicains qui s'en prennent aux lanceurs d'alerte ou aux Ă©diteurs. Et si vous regardez l'histoire, ce n'est pas le cas. La loi sur l'espionnage a Ă©tĂ© adoptĂ©e sous un dĂ©mocrate. Elle a Ă©galement Ă©tĂ© utilisĂ©e par Franklin Delano Roosevelt pour s'en prendre Ă la presse noire, aux militants anti-guerre, et elle a Ă©tĂ© utilisĂ©e par Barack Obama pour s'en prendre, comme vous le soulignez, Ă plus de lanceurs d'alerte que toutes les administrations rĂ©unies. En fait, Eric Holder, le procureur gĂ©nĂ©ral d'Obama, a dĂ©clarĂ© que son plus grand regret, aprĂšs avoir quittĂ© ses fonctions, Ă©tait d'avoir poursuivi l'Associated Press pour ses relevĂ©s tĂ©lĂ©phoniques, ce qui a constituĂ© un Ă©norme scandale Ă l'Ă©poque. Et Ă ce moment-lĂ , la surveillance et l'ingĂ©rence Ă l'Ă©gard des journalistes ont augmentĂ©. Maintenant, Eric Holder soutient la rĂ©forme de la loi sur l'espionnage. C'est quand mĂȘme incroyable. L'ancien chef de la CIA, Brennan, est Ă©galement favorable Ă une rĂ©forme de la loi sur l'espionnage. Donc le recours Ă cette loi est bipartite, mais la pression pour la rĂ©former l'est aussi. Ce n'est pas un problĂšme propre aux RĂ©publicains. Mais ce que nous avons vu en fait, c'est que vous avez des gens comme Trump qui entrent en fonction et disent des choses comme âla presse est l'ennemi du peupleâ. Des gens comme ça ont l'intention de s'en prendre Ă la presse Ă des fins personnelles. Donc quand ce genre de lois peuvent ĂȘtre utilisĂ©es Ă mauvais escient, et si vagues peuvent-elles ĂȘtre, elles finissent toujours par ĂȘtre dĂ©tournĂ©es par la mauvaise administration.
Scheer
Permettez-moi de conclure, et jâappelle les gens Ă lire ce livre, vraiment... Il s'intitule Un siĂšcle de rĂ©pression : La loi sur l'espionnage et la libertĂ© de la presse.
La premiĂšre victime de la guerre est la vĂ©ritĂ©, et l'Ă©tat de droit dont nous sommes fiers, notre Constitution, a Ă©tĂ© conçu prĂ©cisĂ©ment pour protĂ©ger la libertĂ© d'expression, de la presse et de rĂ©union dans les moments difficiles. Et pourtant, nous l'interprĂ©tons comme se limitant aux moments oĂč vous vous sentez absolument en sĂ©curitĂ©. Pas pendant une pandĂ©mie. Pas pendant une guerre. Des secrets officiels sont pourtant divulguĂ©s. Nous le voyons mĂȘme avec Trump et Biden. Ils ont des documents officiels dans leurs chambres dâhĂŽtels etc.
Mais le point important, et c'est peut-ĂȘtre une bonne façon de vraiment conclure, la libertĂ© significative est la libertĂ© en pĂ©riode de danger. Vous savez, tout gouvernement qui se sent totalement en sĂ©curitĂ© tolĂšre que les gens disent n'importe tout et nâimporte quoi. Cela devient un divertissement. Si vous avez la population avec vous quand les choses vont bien, la libertĂ© doit ĂȘtre protĂ©gĂ©e. Quand le dĂ©bat atteint son point critique, comme ce fut le cas lors de la PremiĂšre Guerre mondiale, avec des pacifistes, des ouvriers comme Big Bill Haywood, rien ne va plus. J'ai trouvĂ© que les premiers chapitres de votre livre sont vraiment trĂšs convaincants en prenant pour exemple Victor Debs. Ces gens parlaient des grandes questions et c'est ce qui les rendait menaçants et c'est pourquoi cette loi a Ă©tĂ© adoptĂ©e.
Shenkman
Tout Ă fait. C'est ce genre de cas qui dĂ©finit nos lois. Ce ne sont pas les cas en temps de paix. Mais ce que les gens exposent en temps de guerre, quand les temps sont durs. Et nous le constatons depuis un siĂšcle, lorsque notre Premier Amendement moderne a Ă©tĂ© façonnĂ© par ces procĂšs, par le procĂšs Eugene Debs. L'affaire Debs Ă©tait un cas majeur de la Cour SuprĂȘme, rĂ©fĂ©rencĂ© dans les manuels de premiĂšre annĂ©e de droit. Il en va de mĂȘme pour l'affaire des "Pentagon Papers", dont on parle dans tous les cours de droit constitutionnel. Ces causes font donc la diffĂ©rence. Et l'affaire Assange, s'il est extradĂ©, s'il est poursuivi en vertu de la loi sur l'espionnage, sera un cas d'Ă©cole, car ces affaires liĂ©es Ă la guerre façonnent le Premier Amendement. Ce ne sont pas que des mots sur le papier. Il faut se battre pour eux. Il faut les faire confirmer par le tribunal. Mais il y a une administration, un gouvernement qui font pression, qui Ă©rodent tout ça, qui pensent qu'ils sont au-dessus de la constitution. Et c'est ce qui est vraiment effrayant. C'est la raison pour laquelle nous avons Ă©crit ce livre, qui, je le rappelle aux gens, bien qu'il s'agisse d'une loi et d'une loi vieille de 100 ans, nous...
Scheer
Donnez-moi le nom de votre coauteur, voulez-vous ?
Shenkman
Bien sûr. Je l'ai coécrit avec Ralph Engelman. C'est un historien des médias respecté, et professeur émérite de l'Université de Long Island. Nous avons travaillé ensemble sur ce projet pendant sept ou huit ans. J'ai rencontré Ralph lors d'un événement artistique organisé par Chelsea Manning à New York. Il souhaitait étudier la loi sur l'espionnage d'un point de vue journalistique, et travailler avec un avocat afin de se plonger dans les arcanes des implications juridiques. Nous avons donc établi un partenariat entre un professeur de journalisme, qui dirige le conseil d'administration des prix George Polk, et un avocat spécialisé dans le droit constitutionnel. Ce partenariat nous a donné l'occasion d'examiner la question sous différents angles, ce qui, nous l'espérons, sera bénéfique, car cette loi, en fin de compte, n'a rien à voir avec l'espionnage. Comme vous et moi et la plupart des gens comprendraient ce mot. C'est bien plus que cela.
Scheer
Eh bien, terminons sur ce point. Peut-ĂȘtre que ces gens, l'administration Biden, espĂšrent juste que Julian Assange meure ou devienne fou en prison, et qu'ils puissent se venger sans avoir Ă y toucher. Mais s'ils rĂ©ussissent Ă l'extrader et qu'il est incarcĂ©rĂ© dans une prison de haute sĂ©curitĂ©, il ne pourra ni parler, ni communiquer facilement avec ses avocats. C'est le vrai danger, et cela a Ă©tĂ© Ă©voquĂ© dans les Pentagon Papers. Ils essaieront probablement de dire qu'ils ne peuvent pas admettre tel ou tel Ă©lĂ©ment, qu'il n'est pas pertinent, qu'il est classifiĂ© ou que sais-je encore, et ils essaieront d'empĂȘcher les personnes qui lisent ou Ă©coutent, qui suivent l'affaire, de comprendre ce dont nous parlons. Encore une fois, pour utiliser l'idĂ©e de vĂ©ritĂ© dĂ©rangeante d'Al Gore, c'est vraiment la vĂ©ritĂ© dĂ©rangeante ultime. Si vous ĂȘtes impliquĂ© dans une guerre visant Ă sauver la libertĂ© du peuple irakien et Ă renverser un dictateur, et que vous ĂȘtes lĂ Ă tirer sur des journalistes, y compris pour un organisme de presse occidental comme Reuters, que vous tirez sur des enfants dont vous pensez qu'ils accompagnent les reporters... C'est ce qu'a dit le pilote de l'hĂ©licoptĂšre. Il n'y a pas plus basique que ça en ce qui concerne les informations que vous devriez avoir. Cela dĂ©finit bien ce qu'Ă©tait cette guerre. Un dernier point sur lequel terminer: disons qu'ils extradent Julian Assange. Que se passera-t-il alors ?
Shenkman
L'affaire des Pentagon Papers contre Ellsberg Ă©tait rĂ©putĂ©e pour faire le procĂšs de la guerre du ViĂȘt Nam, et d'Ă©normes efforts ont Ă©tĂ© dĂ©ployĂ©s pour empĂȘcher que la substance de ce qu'Ellsberg a exposĂ© soit prĂ©sentĂ©e au tribunal. MĂȘme ces affaires, comme vous le soulignez, sont probablement la part la plus pertinente de cette affaire. Les affaires relevant de l'Espionage Act sont intrinsĂšquement injustes. C'est en fait ce qui est Ă l'origine de la principale pression pour rĂ©former cette loi : les dĂ©fendeurs ne sont pas autorisĂ©s Ă parler de ce qu'ils ont rĂ©vĂ©lĂ©. Ils n'ont pas le droit d'argumenter qu'ils servaient un intĂ©rĂȘt public. En fait, la question dans le cadre d'une affaire d'Espionage Act est de savoir si oui ou non il y a une divulgation d'informations de dĂ©fense nationale. Cela n'a mĂȘme pas besoin d'ĂȘtre classifiĂ©. C'est tout. Aucune chance de prĂ©senter une dĂ©fense. Aucune chance d'Ă©voquer l'intĂ©rĂȘt public qui a Ă©tĂ© servi. Cependant, pour Daniel Hale, qui est poursuivi pour avoir Ă©tĂ© la source de Jeremy Scahill, et avoir rĂ©vĂ©lĂ© le meurtre de civils par drones, le gouvernement a fait valoir, et la Cour l'a confirmĂ©, que Hale et son Ă©quipe juridique ne seraient pas autorisĂ©s Ă parler des frappes de drones qui tuent des civils. Ce n'Ă©tait mĂȘme pas recevable. Ce n'Ă©tait pas qu'ils pouvaient en parler dans des mĂ©moires, qui seraient pris en compte. Non, c'Ă©tait interdit. Donc, si Assange devait ĂȘtre extradĂ© vers les Ătats-Unis, je pense qu'il y a un risque sĂ©rieux que lâobjet des inculpations, la vidĂ©o Collateral Murder, les guerres en Irak et en Afghanistan, les avantages publics rĂ©els ou les prix remportĂ©s par le journalisme ne voient mĂȘme pas la lumiĂšre du jour. L'Ă©quipe juridique ne pourrait mĂȘme pas prĂ©senter cela. Ce serait un coup d'Ćil honteux portĂ© Ă notre systĂšme juridique. Ce serait un rĂ©sultat honteux pour le Premier Amendement. Et c'est l'une des raisons pour lesquelles tant de gens s'opposent Ă cette extradition aujourd'hui.
Scheer
Et ils devraient s'opposer à la loi. J'étais parti de l'idée que si Julian Assange était extradé, nous aurions au moins un procÚs, et nous entendrions les faits. Il se trouve que j'ai été cité comme témoin de la défense dans l'affaire des Pentagon Papers. J'avais été au Vietnam. J'avais écrit à ce sujet. J'en savais quelque chose. Et toute la question était de savoir s'ils seraient capables de convoquer des gens comme moi. Je faisais partie d'un groupe d'experts, et il était clair que le juge ne le permettrait pas. Et ils ne l'ont pas fait.
Tout ceci n'est qu'une mascarade. Maintenant, les gens vont faire des bonds et dire qu'il ne faut pas appeler la protection des individus une mascarade. Et oui, ce serait bien mieux si en Chine ou maintenant en Russie ou n'importe oĂč ailleurs on avait des constitutions bien Ă©crites, bien que celles-ci le soient. Mais une qui au moins, aie une certaine influence, une certaine importance ou retenue, sur la sĂ©paration de pouvoirs, toutes ce dont nous avons parlĂ©. La protection des droits individuels. Et pourtant, une fois de plus, nous avons un cas oĂč, voilĂ , regardez ce qui arrive Ă Julian Assange. Si vous enseignez dans une Ă©cole de droit en ce moment et qu'un Ă©tudiant lĂšve la main et dit : "Ă quoi ça rime ? C'est juste de la poudre aux yeux, de la propagande ?â OĂč, et comment donner vie Ă tout ça ?
Shenkman
Ce qui donne Ă rĂ©flĂ©chir, et je tiens Ă rappeler aux gens qu'Assange n'est pas un employĂ© du gouvernement amĂ©ricain. Il n'est mĂȘme pas citoyen amĂ©ricain. Et d'une façon ou d'une autre, le gouvernement des Ă.-U. dĂ©crĂšte qu'il a la juridiction sur cet homme pour la publication de documents qui exposent les crimes des Ătats-Unis, les crimes de guerre et les violations des droits de la personne.
Cela implique que n'importe qui, littĂ©ralement n'importe qui sur terre est soumis Ă cet Espionage Act. Et c'est ce qui est franchement effrayant, et je pense que les gens n'en parlent pas encore assez. Imaginez que la Chine ou la Russie disent la mĂȘme chose. Et si la Russie se manifestait et disait : "Nous voulons extrader ce citoyen amĂ©ricain en vertu de nos lois pour qu'il soit poursuivi et condamnĂ© Ă la prison Ă vie en Russie pour avoir publiĂ© des preuves de crimes de guerre commis en Ukraine, par exemple" ? MĂȘme chose, si la Chine faisait ça. Les gens seraient outrĂ©s. Ils diraient qu'ils les verraient pour ce qu'ils sont. Et c'est exactement ce que les Ătats-Unis font. Et je pense que si cette affaire va de l'avant, cela va lĂ©gitimer la pratique pour d'autres pays. C'est vraiment trĂšs alarmant. Imaginez juste n'importe quel autre pays sur terre disant que quelqu'un qui n'est mĂȘme pas un citoyen de leur pays est sujet Ă des poursuites pour avoir exposĂ© les mĂ©faits de leur gouvernement.
Scheer
Et il ne sâagit pas seulement des Ătats-Unis, si l'Angleterre valide cela, c'est toute la loi anglaise qui disparaĂźt, en remontant Ă la Magna Carta. Cela signifie simplement que le pouvoir vous donne tous les droits. Et je terminerai lĂ -dessus, la conception malheureusement fondamentale de l'expĂ©rience amĂ©ricaine est que le pouvoir ne devrait pas vous donner la capacitĂ© de balayer la loi, de nier les droits des individus. Le pouvoir devrait ĂȘtre limitĂ©, examinĂ©, contrĂŽlĂ©. Et pourtant, nous voyons que lorsqu'on dĂ©fie le pouvoir, rien ne fonctionne plus. Alors merci pour cette interview, et je vous reviendrai vers vous pour une prochain entrevue, si et quand l'affaire Assange avance.