👁🗨 L'Espionage Act, le cauchemar qui tuera Julian Assange, et le Premier Amendement.
Le pouvoir ne doit pas donner la capacité de balayer la loi & nier les droits fondamentaux. Le pouvoir doit être limité, examiné, contrôlé & pourtant, on voit que lorsqu'on le défie, rien ne va plus.
👁🗨 L'Espionage Act, le cauchemar qui tuera Julian Assange, et le Premier Amendement.
Par Scheerpost, le 3 mars 2023
e pouvoir ne devrait pas vous donner la capacité de balayer la loi, de nier les droits des individus. Le pouvoir devrait être limité, examiné, contrôlé. Et pourtant, nous voyons que lorsqu'on défie le pouvoir, rien ne fonctionne plus.
Carey Shenkman, avocat, auteur et spécialiste des litiges en matière de droits civils et de droits de l'homme, rejoint Robert Scheer pour l'émission Scheer Intelligence de cette semaine, où Shenkman propose une analyse qui donne à réfléchir sur l'une des attaques les plus effrayantes contre la liberté de la presse, exposée dans l'affaire Julian Assange. S'appuyant sur son livre récemment publié, A Century of Repression : The Espionage Act and Freedom of the Press, Shenkmen détaille l'histoire de l'Espionage Act et la manière dont les libertés civiles ont continué à s'éroder du fait de l'existence de cette loi et de l'absence de révision.
M. Shenkman parle du mépris bipartite envers l'Espionage Act dans les cercles juridiques, mais son utilisation continue par des présidents des deux camps soulève la question de ses failles et de son manque de crédibilité : "Au fil des décennies, vous avez des gens qui publient des articles de revue de droit disant qu'elle est vague, verbeuse, qu'elle n'a aucun sens, et que l'ambiguïté de la loi est exploitée aujourd'hui pour poursuivre Julian Assange, et poursuivre les lanceurs d'alerte du gouvernement. Des appels sérieux ont donc été lancés ces dernières années en faveur de sa réforme et de son abrogation." Julian Assange risque 175 ans dans une prison de haute sécurité aux États-Unis après avoir été inculpé de 17 chefs d'accusation liés à la loi sur l'espionnage.
Revenant sur sa création pendant la Première Guerre mondiale, M. Shenkman explique quel était son véritable objectif et comment, dans le cadre de la loi, "on a l'impression que les termes de promotion de la déloyauté, de promotion de l'opposition à la guerre, ont en fait été utilisés pour poursuivre les objecteurs de conscience et les ceux qui se sont opposés à la Première Guerre mondiale".
En ce qui concerne Julian Assange, l'urgence d'attirer l'attention sur cette affaire est justifiée. Selon M. Shenkman, "nous avons essayé de creuser le passé pour voir si un éditeur avait déjà été accusé de quelque chose de comparable à ce dont Julian Assange est accusé. Et la réponse est non. C'est une première dans l'histoire des États-Unis. Et le précédent ainsi établi ouvrirait la voie à des poursuites contre la presse."
Selon M. Shenkman, si Assange est extradé, son cas deviendra un cas d'école pour toutes les mauvaises raisons. Malgré toutes les inquiétudes entourant le pouvoir excessif des États-Unis, cette affaire pourrait également ouvrir la voie aux pays du monde entier pour extrader des citoyens de pays étrangers pour avoir exposé leurs méfaits. Comme le mentionne M. Shenkman, "Assange n'est pas un employé du gouvernement américain. Il n'est même pas un citoyen américain. Et pourtant, le gouvernement américain affirme avoir compétence en la matière."
Retranscription
Robert Scheer
Bonjour, c'est Robert Scheer avec une autre édition de Scheer Intelligence. Mon invité, un avocat bien connu dans le domaine des libertés civiles, Carey Shenkman, a travaillé avec le célèbre Michael Ratner sur des affaires majeures, notamment alors qu'Assange se trouvait encore dans l'ambassade d'Équateur. Aujourd'hui, il est emprisonné dans une prison de haute sécurité en Angleterre et les États-Unis, le Président Biden, veulent l'extrader. Cela a commencé sous l'administration Trump, et il risque 175 ans pour des documents publiés par de grands journaux du monde entier - les cinq principaux, The New York Times, Der Spiegel, The Guardian, El Pais et Le Monde, ont tous publié une déclaration il y a tout juste deux mois, disant que ces accusations devaient être abandonnées, car il s'agit d'une attaque contre la liberté de la presse. Julian Assange est un éditeur. Ils ont publié ses documents. Et ce serait un précédent particulièrement redoutable pour tout type de journalisme, pas seulement celui de Julian, éditeur par opposition à Edward Snowden ou Daniel Ellsberg, qui étaient liés au gouvernement et avaient leurs propres accords sur la manière de traiter les documents. C'est donc ce qui rend l'affaire si importante du point de vue des libertés civiles. Et au cœur de tout cela, et c'est pourquoi je vais me tourner vers Carey Shenkman, il y a l'Espionage Act, au départ censé cibler les espions étrangers, qui a vu le jour avec Woodrow Wilson au début de la Première Guerre mondiale pour coincer ces espions. Il a ensuite été utilisé dans des affaires très célèbres. Je vais laisser Carey décrire cette histoire. Et il est tombé en désuétude jusqu'à notre récente histoire post-guerre contre la terreur. Il a été activement utilisé pour la première fois par Barack Obama, qui a déposé plus de dossiers dans ce cadre que tous ses prédécesseurs, et se trouve actuellement au cœur de l'affaire contre Julian Assange et, si jamais cela devait être le cas, contre Edward Snowden. Le livre s'intitule donc Un siècle de répression : L'Espionage Act et la liberté de la presse. Pourquoi vous êtes-vous décidé à écrire ce livre ?
Carey Shenkman
Merci beaucoup, c'est un honneur d'être dans l'émission. Je suis les questions relatives à la loi sur l'espionnage depuis près de dix ans maintenant, et les gens se demandent peut-être pourquoi nous devons nous intéresser à cette loi vieille de 100 ans. Vous avez souligné que c'est la principale loi utilisée pour poursuivre les lanceurs d'alerte. Et maintenant, pour la première fois dans l'histoire des États-Unis, un éditeur qui n'est ni employé du gouvernement américain, ni même citoyen américain, et en quelque sorte, le ministère de la Justice prétend avoir compétence sur un Australien placé en détention sous des formes diverses au Royaume-Uni depuis une décennie, même plus. Alors pourquoi nous soucions-nous de cet Espionage Act ? Eh bien, cette loi a en fait une histoire longue et alambiquée, bizarre et parfois choquante, qui remonte à la Première Guerre mondiale. Et comme vous l'avez souligné, elle a été adoptée pendant la Première Guerre mondiale, en fait quelques mois seulement après l'entrée en guerre des États-Unis. Et elle a été l'un des principaux outils de répression politique pendant la Première Guerre mondiale, décimant essentiellement le parti socialiste et divers mouvements ouvriers tels que les travailleurs internationaux ou plutôt, les travailleurs industriels du monde, l'un des mouvements les plus forts de l'histoire des États-Unis. Pour vous donner une idée, cette loi est appelée Espionage Act, mais en fait, elle a été appliquée au-delà de l'espionnage. Donc quand vous et moi pensons au mot espionnage, et que la plupart des gens entendent le mot espionnage, ils pensent à des espions étrangers. Ils pensent à des gens payés par une puissance étrangère pour voler des informations en douce et les transmettre à un autre gouvernement. Mais en fait, cette loi était utilisée pour punir ce que les États-Unis considéraient comme de la déloyauté ou tout ce qui pouvait nuire à l'effort de guerre. Permettez-moi de vous lire l'une des premières clauses de l'Espionage Act, qui punissait
"Quiconque, lorsque les États-Unis sont en guerre, fera ou transmettra délibérément de faux rapports ou de fausses déclarations dans l'intention d'interférer avec le fonctionnement ou le succès de l'armée."
Et cela continue.
"Quiconque provoquera ou tentera de provoquer volontairement l'insubordination, la déloyauté, la mutinerie ou le refus du devoir dans l'armée sera puni d'une amende maximale de 10 000 dollars ou d'un emprisonnement maximal de 20 ans, ou des deux."
On comprend donc que ces termes d'incitation à la déloyauté, d'incitation à l'opposition à la guerre, ont été utilisés pour poursuivre les objecteurs de conscience et les personnes qui s'opposaient à l'entrée dans la première guerre mondiale. On parle de dizaines, de centaines de personnes. En fait, les deux mille premières personnes poursuivies en vertu de cette loi n'étaient pas des espions. C'était des gens qui s'opposaient à la guerre. C'est ce qui nous a poussés à écrire ce livre. Car si l'on considère ces dossiers de nos jours, si l'on regarde Chelsea Manning, Edward Snowden, Julian Assange, ce sont là des personnes qui dénoncent des crimes de guerre. Ils exposent des méfaits de la guerre. Ils exposent des violations de la Constitution. Et nous nous sommes dit que cela ressemblait beaucoup aux toutes premières utilisations de cette loi.
Scheer
Et pourquoi ? La loi n'a pas été beaucoup utilisée. Selon les statistiques que je lis, sous Barack Obama, plus de gens ont été accusés en vertu de cette loi que sous tous les présidents précédents réunis. Le président Biden s'en sert maintenant dans l'affaire Julian Assange. Et pourquoi cette loi ?
Shenkman
Je suis ravi que vous ayez soulevé ce point concernant Barack Obama. Il est vrai que Barack Obama a poursuivi plus d'employés du gouvernement pour avoir donné des informations à la presse que tous les autres présidents réunis. Ce dont parle notre livre, c'est qu'il y a eu un changement après la Seconde Guerre mondiale. Alors qu'avant, pendant les deux premières guerres mondiales, on s'en prenait à la gauche et au mouvement anti-guerre pour s'opposer à la guerre. Pendant la guerre froide, elle est devenue un outil de contrôle de l'information. Nous avons donc vu ce changement opérer durant le maccarthysme, où il a commencé à être utilisé pour poursuivre les sources gouvernementales. Donc des gens qui donnent des informations à la presse en provenance du gouvernement. Il est donc vrai que Barack Obama a été responsable de plus de poursuites pour ce qu'on appelle des fuites ou des divulgations médiatiques que tous les autres, mais le thème et la motivation de ces poursuites restent inchangés, ce qui est notre principal argument. Je dirais donc que la raison pour laquelle cette loi a été utilisée est qu'il s'agit d'une loi vague et alambiquée. Elle est en fait considérée comme mal rédigée. Il suffit de prendre les professeurs de droit à travers le spectre politique. Il n'y a donc pas que des gens de gauche ou des libéraux qui pensent que cette loi est nulle. Ce sont en fait des gens de droite qui disent qu'elle est mal rédigée. Et au fil des décennies, des articles de revue de droit ont été publiés, affirmant que la loi est vague, verbeuse, qu'elle n'a aucun sens, et que l'ambiguïté de la loi est maintenant exploitée pour s'en prendre à Julian Assange, aux lanceurs d'alerte du gouvernement. Des appels sérieux ont donc été lancés ces dernières années en faveur de sa réforme et de son abrogation. Et la conclusion de notre livre est que cette loi doit être a minima abrogée pour permettre aux accusés de se défendre correctement, ce qui n'est pas prévu par cette loi.
Scheer
Le cas de Julian Assange est compliqué du fait qu'il est éditeur. Et dans votre livre, vous en parlez en raison du fort sentiment que nous avons une protection constitutionnelle contre ce que l'on appelle la censure préalable. Cette restriction préalable, ce caractère sacré de l'impossibilité pour le gouvernement de dire "vous ne pouvez pas publier ceci", ou peut-être qu'après l'avoir publié, si vous diffamez quelqu'un ou quelque chose, un procès peut être intenté. Cela place Julian Assange dans une position très différente de celle d'Edward Snowden ou de Daniel Ellsberg, qui devait faire face, je crois, à 120 ans de prison pour les Pentagon Papers. La question a été soulevée dans cette affaire parce qu'il a donné les documents du Pentagone d'abord au New York Times, puis au Washington Post. Le gouvernement a tenté et même réussi, après quelques jours, à empêcher le New York Times d'imprimer d'autres documents du Pentagone. Puis le Washington Post les a repris. Le procès Ellsberg a été annulé parce que Richard Nixon a offert le poste de chef du FBI au juge. Le juge Burns. J'étais là, dans la salle d'audience. Je me souviens de cet incroyable remue-ménage à Los Angeles. Et puis le juge a dit à l'avocat d'Ellsberg, "Je pourrais poursuivre le procès". Et les avocats d'Ellsberg ont dit, "Pourquoi ?” Et cela a causé l'annulation du procès. Mais on n'a jamais réussi à établir une loi valable sur la question de savoir si on peut s'en prendre à un éditeur, exercer une restriction préalable ou d'autres mesures contre l'éditeur. Julian Assange, selon Nils Melzer, ancien rapporteur des Nations Unies sur la torture, est torturé, et nous savons qu'il a souffert, et souffre de dépression. Je crois que vous l'avez rencontré dans le passé, quand il était à l'ambassade. Donc vous connaissiez son dossier. Et voilà que cinq grands journaux, comme le New York Times, ont publié ses articles. En novembre, ils ont déclaré que si on attaque Julian Assange, c'est nous qu'on attaque. C'est une offensive contre les éditeurs. Parlez-nous de cette particularité.
Shenkman
Merci d'avoir évoqué les parallèles avec l'affaire des Pentagon Papers et Nixon, car il s'agit d'un rapprochement très important auquel nous faisons référence dans le livre, car en inculpant Julian Assange pour publication, l'administration Trump a franchi une ligne que même l'administration Nixon n'avait pas franchie. L'administration Nixon a failli le faire. Elle envisageait de s'en prendre au Times. Ils ont envoyé des agents du FBI à Beacon Press, un petit éditeur qui a eu le courage de publier l'édition complète des Pentagon Papers par Gravel. Donc il y a de sérieuses tentatives tout de même.
Scheer
Permettez-moi en fait de vous interrompre. Ce à quoi vous faites référence est le sénateur Mike Gravel de l'Alaska, je pense. Qui a lu les Pentagon Papers lors de l'audition de sa commission. C'était un sénateur très farouchement indépendant et courageux.
Shenkman
Oui. Je pense que l'une des choses essentielles, comme vous l'avez souligné, c'est que les gens appellent Julian Assange un lanceur d'alerte. Il n'est pas lanceur d'alerte. Il n'est pas employé par le gouvernement américain. Il n'est même pas un citoyen américain. Il n'est pas dans la situation juridique de Chelsea Manning ou d'Edward Snowden. Ces derniers sont des citoyens américains. Ils étaient des employés du gouvernement. Julian Assange n'est pas un citoyen américain. C'est un éditeur. Il a publié des documents. Il n'était pas tenu de taire des secrets pour le gouvernement américain. Et pourtant, les États-Unis prétendent qu'il est coupable d'une conduite que les journalistes spécialisés en sécurité nationale adoptent tous les jours. Vous ouvrez la première page du New York Times ou de n'importe quel journal, vous voyez des informations classifiées à gauche et à droite. Mais dans de tels cas, ce sont des officiels qui le font pour leur profit personnel. Donald Trump divulgue des informations à la presse à des fins personnelles. Mais ces gens ne sont pas poursuivis. Le général Petraeus, il y a quelques années, n'a pas été poursuivi pour avoir divulgué des informations en langage codé pour son profit personnel.
Scheer
Mais vous devriez préciser qu'il a transmis à sa maîtresse les manuels top secrets du livre noir qui régissent le briefing du président.
Shenkman
En effet, pour sa biographie.
Scheer
Et il s'est fait taper sur les doigts. Et ensuite il a eu une tape sur la main. Et il a été professeur à l'Université de Californie du Sud, où j'enseigne et dans de nombreuses autres universités, c'est une figure très respectée.
Mais allons droit au but à propos de Julian Assange. Un enregistrement de 17 minutes est disponible sur Internet. La vidéo des dommages collatéraux [Collateral Murder] révélée faisait partie de la documentation de Manning. On y voit des journalistes tués ou abattus, un correspondant de Reuters montre des enfants qui se font tirer dessus. Et on ne voit pas d'armes. Il n'y avait pas d'Al-Qaïda. C'était des journalistes en Irak. Et pourtant, nous ne serions pas au courant si Julian Assange n'avait pas publié cette vidéo.
Shenkman
Tout à fait. Et il y a eu des demandes de liberté d'information déposées par des médias pour accéder à cette vidéo, et elles n'ont jamais abouti. J'aimerais également ajouter pour nos auditeurs et nos téléspectateurs que j'ai témoigné dans le cadre de la procédure d'extradition de Julian Assange à Londres sur ces questions concernant la loi sur l'espionnage et la menace qu'elle représente pour la liberté de la presse, parce que les États-Unis essaient de faire valoir que cette affaire est une affaire ordinaire. Julian Assange aurait mis des vies en danger, une affirmation qui a été démentie lors de la cour martiale de Chelsea Manning. Et ils essaient de prétendre que ces poursuites bénéficient d'un fondement juridique, alors qu'en fait, elles sont totalement inédites en 100 ans de législation. Nous avons essayé de vérifier si un éditeur avait déjà été accusé de ce genre de choses, comme Julian Assange. Et la réponse est non. C'est une première aux États-Unis. Cela créerait un précédent ouvrant la voie à des poursuites contre la presse. En fait, c'est la raison pour laquelle l'administration Obama a refusé de poursuivre Julian Assange. Les gens ne réalisent peut-être pas que, même si cet acte d'accusation a été déposé en 2019, beaucoup de gens associent Julian Assange à 2016, à la publication d'e-mails et aux élections de 2016. Cette affaire n'a rien à voir avec cela, en fait, elle n'a rien à voir avec quoi que ce soit, avec tout comportement allégué après 2010, 2011. Deux ou trois éléments de l'acte d'accusation remontent à quelques années, mais le cœur de l'acte d'accusation a trait aux publications sur l'Irak et l'Afghanistan. Ce dossier est resté inchangé. Avant l'administration Trump, les allégations contenues dans le dossier étaient les mêmes que celles de l'administration Obama, et le DOJ d'Obama a refusé d'engager des poursuites. C'est ce qu'on appelait "le problème du New York Times", parce qu'ils savaient que s'ils poursuivaient Julian Assange, il n'y aurait aucune distinction juridique entre poursuivre Assange et poursuivre toutes les autres organisations médiatiques publiant le même type de choses. Mais l'administration Trump, le DOJ de Trump, a décidé de changer d'avis. Et c'est pourquoi aujourd'hui, les groupes de presse, les médias qui ont effectivement critiqué et montré leur hostilité à Julian Assange, comme le New York Times, n'ont pas été ses plus grands soutiens. En fait, leur rédacteur en chef de l'époque, Bill Keller, dénigrait Assange et parlait de... il disait qu'il portait des chaussettes sales et ce genre de choses, et je vais faire un parallèle avec Daniel Ellsberg. Ils ont fait pareil. En fait, Neil Sheehan, avant de mourir - Neil Sheehan était celui qui a publié les premiers scoops des Pentagon Papers pour le New York Times -et dans un grand article juste avant sa mort, il a parlé de la façon dont il a trahi Daniel Ellsberg en lui donnant des engagements qu'il n'a pas tenus. Nous avons donc vu cette ambivalence de la part des médias traditionnels envers les personnes qui travaillent avec eux et leur fournissent vraiment ces scoops incroyables. Mais maintenant, en fait, le New York Times s'oppose à ces poursuites, comme vous l'avez souligné. Des dizaines, des centaines d'organisations de médias aux États-Unis et dans le monde entier s'opposent à cette extradition en raison du précédent qu'elle créerait, précédent dont l'administration Obama était consciente, mais sur lequel l'administration Trump a fait marche arrière.
Scheer
Et maintenant, l'administration Biden est très désireuse de faire extrader Julian Assange d'Angleterre et de le placer dans une prison de haute sécurité aux États-Unis. Mais l'ironie de l’histoire, c'est que les personnes qui, dans cette administration démocrate, sont farouchement désireuses d'incarcérer Julian Assange et de le condamner aux États-Unis, lui en veulent pour ce qu'il a fait en révélant les discours d'Hillary Clinton à Goldman Sachs et les dossiers Podesta dans les [indiscernables]. Tout le monde est donc toujours pour la liberté d'expression, de presse ou de réunion. Tant que vous ciblez des personnes qui ne vous plaisent pas.
Quelque chose de très semblable se produit maintenant avec Julian Assange et les accusations portées contre lui, et je pense que ce sera un énorme embarras pour l'administration démocrate si Julian Assange est jugé, et que nous et le public réalisons que ce type va être mis en prison pour le reste de sa vie parce qu'il nous a parlé de pilotes d'hélicoptères tuant des journalistes, y compris des correspondants de Reuters en Irak. Et pourtant, le motif qui anime clairement les démocrates est que Julian Assange a publié des informations embarrassantes pour leur parti, même si ce n'est pas le problème ici. Autre ironie de l'histoire : Julian Assange a fait ce que tout éditeur devrait faire: il a été un pourfendeur de vérité en toute équité. Il a embarrassé le gouvernement russe, le gouvernement chinois, les gouvernements du monde entier avec les révélations de WikiLeaks. Et pourtant, même le Washington Post, à un moment donné, et Bill Keller, à un autre moment, au New York Times, se sont retournés contre lui parce que, comme ils disent, ils l'aiment quand il gêne leurs adversaires, mais pas quand il s'approche de chez eux.
Shenkman
Donc j'ai travaillé avec Michael Ratner et son cabinet d'avocats pendant plusieurs années. Et Michael Ratner à l'époque, avant qu'il ne décède malheureusement en 2016, était l'un des principaux avocats de Julian Assange.
Scheer
Vous étiez déjà confronté à ce genre de contradiction à l'époque. Cette déclaration du New York Times et des autres, le Spiegel et El Pais, le Guardian, le New York Times et Le Monde, je crois, est très claire, mais elle n'a pas reçu beaucoup de visibilité. En fait, Julian Assange a fait l'objet d'une sorte d'assassinat, tout comme Daniel Ellsberg, comme s'il s'agissait de tirer sur le messager par vengeance. Je ne vais pas dénigrer son caractère, ni dire s'il traite bien son chat ou quoi que ce soit, ou encore revenir sur les allégations de la Suède, qui ont été abandonnées, sur les mauvais traitements qu'il aurait infligés aux femmes avec lesquelles il aurait eu des relations sexuelles. Ne tirez pas sur le messager. Peu importent les motivations du messager. Je pense que ses motivations sont comparables à celles de n'importe quel éditeur diffusant des articles importants à lire. Cela ne devrait pas avoir d'importance. Ce qui est en jeu ici, c'est que personne, à ma connaissance, ayant examiné ces documents aussi massivement qu'Edward Snowden, ne nie qu'il s'agit de documents que le public avait le droit de lire, ou avait besoin de lire. De plus, comme dans l'affaire des Pentagon Papers et dans celle de Snowden, ils n'ont pas vraiment produit de preuves que des innocents aient été blessés, ou que des troupes aient été tuées à cause de ces révélations. Vous savez, cela met les gens au pouvoir dans l'embarras, mais cela n'a rien à voir avec le problème de la sécurité nationale ou de la survie des combattants, par exemple.
Shenkman
C'est tout à fait vrai. Je pense que c'est un point essentiel quant au refrain constant, et c'est vraiment une diversion, que des vies sont mises en danger, que les gens du gouvernement américain ont été mis en danger. Et ce sont des aspects qui, des années plus tard, finissent par être démystifiés. Il y a eu des entretiens avec des responsables au sujet des publications de WikiLeaks sur les révélations de Chelsea Manning. Lors de la cour martiale de Chelsea Manning, il a été dit que le gouvernement ne pouvait pas prouver que des préjudices avaient été causés. De plus, ce type de révélations rend un grand service au public et, de fait, une haute cour d'appel américaine, la Ninth Circuit Court of Appeals, a déclaré dans l'un de ses arrêts que les révélations d'Edward Snowden avaient rendu de grands services. Et cela dans le cadre d'une grande affaire de l'ACLU ces deux dernières années. Je voudrais donc revenir sur le point que vous avez soulevé concernant la diffamation, car je pense que c'est un aspect capital. L'aspect humain est un élément majeur. Nous ne parlons que de l'aspect humain. Nous parlons beaucoup de ces idées abstraites, comme ces lois. Et je pense que les impacts juridiques de ces affaires et de ces procès nous font parfois perdre de vue le fait que ce sont des êtres humains qui voient leur vie affectée et ruinée par ces affaires. Julian Assange a une famille, il a deux jeunes enfants. Il a été en quelque sorte détenu à l'ambassade et à la prison de Belmarsh pendant plus de dix ans. Mais il s'agit d'un être humain, et cette affaire a coûté un très lourd tribut humain. Et c'est la même chose avec des gens comme Daniel Ellsberg. Ellsberg était une menace très sérieuse. Et ceux qui l'entouraient ont vu qu'il était sérieusement en danger et qu'il risquait de passer sa vie en prison. Je vais vous lire des extraits d’un article du New York Times de 1971 sur Ellsberg. Gardez à l'esprit qu'Ellsberg était la source des Pentagon Papers, dont ils ont bénéficié et dont ils bénéficient encore. Ils ont dit qu'il était, je cite,
"un homme divorcé vivant dans l'atmosphère semi-bohème d'une maison sur la plage de Malibu avec une voiture de sport tape-à-l'œil vivant des aventures à répétition."
Avancez de 40 ans. Et voyez ce qu'ils disent d'Assange :
"Le fondateur de WikiLeaks en fuite, talonné par la notoriété", et comment il chuchote dans les restaurants londoniens, comme il est dépeint comme un égocentrique, comment on le compare à ces terribles personnages du passé et comment il devient ce transfuge de l'ère Internet et une sorte de personnage culte. De plus, ils parlent d'une personne capable d'influencer le cours des choses.
Donc on observe ces parallèles, et rien ne change. Autre chose qui n'a pas changé, vous l'avez souligné, et c'est important: le juge dans l'affaire des Pentagon Papers a été approché par le FBI avec une offre pour en prendre la tête. En fait, les plombiers de Nixon, l'unité secrète de la CIA, était au centre de cette affaire. Si l'affaire des Pentagon Papers, contre Daniel Ellsberg, a finalement échoué et qu'il n'a pas passé le reste de sa vie en prison, c'est grâce à toutes ces choses illégales. Ni le procureur, ni les plombiers ne l'ont fait. Le gouvernement lui a fait une offre. Ils espionnaient son équipe juridique. Ils espionnaient les avocats via des écoutes téléphoniques révélées dans les documents du tribunal. Et surtout, ils se sont introduits dans le bureau d'un psychiatre pour essayer de déterrer des saletés sur Ellsberg. Et la situation est devenue si difficile que le juge a dû abandonner les poursuites. La procédure avait été tellement entachée. Et maintenant, nous constatons un comportement similaire, le même degré d'impunité de la part de la CIA dans l'affaire Assange, qui a fait l'objet d'un énorme article dans Yahoo News il y a un an ou deux, et on y parlait de complots. Et ce n'était pas une rumeur. C'est confirmé par de nombreuses sources au sein du gouvernement qu'il y a eu complot pour assassiner Assange. On parle de fusillades dans les rues de Londres, devant l'ambassade de l'Équateur. Et je souhaiterais avoir inventé tout ça. Mais en fait, Mike Pompeo, l'ancien directeur de la CIA, vient de publier un livre dans lequel il se vante d'avoir fait pression sur le gouvernement équatorien pour se débarrasser d'Assange. Il a dit qu'il espérait qu'Assange serait extradé et poursuivi en justice. Donc, en fait, de hauts fonctionnaires du gouvernement américain espéraient prendre des mesures extra légales pour espionner Assange, espionner ses avocats, espionner ses visiteurs.
Scheer
Ils avaient des copies de ses conversations avec ses avocats.
Shenkman : Oui, ils espionnent ses avocats, comme ils l'ont fait avec Daniel Ellsberg. Ils pensent qu'ils sont au-dessus de la loi, et c'est vraiment monstrueux.
Scheer
Mais ils sont au-dessus des lois. Le concept de l'expérience américaine de la démocratie est que nous avons ces règles écrites, à commencer par notre Constitution, et les fondateurs de cette nation, qui sont des êtres humains imparfaits, ont saisi clairement que le pouvoir corrompt, que le pouvoir avait corrompu l'Empire romain, l'Angleterre évidemment, sinon ils n'auraient pas eu à faire une révolution en Angleterre. Et ils savaient aussi qu'il fallait limiter le pouvoir en garantissant la souveraineté de l'individu et ainsi de suite. Mais ils ont tout de suite adopté des lois qui autorisaient l'utilisation abusive du pouvoir. Toujours cette ambivalence. Les gens au pouvoir peuvent dire les plus belles choses du monde sur la liberté démocratique et les droits individuels. Et quand ils sont au pouvoir, comme les démocrates avec Julian Assange, ils ne veulent pas être mis dans l'embarras. Cette loi sur l'espionnage, qui semble presque en soi vertueuse, “on attrape les méchants, on attrape les espions, ces étrangers qui viennent se mêler de nos affaires”, voilà ce qu'ils racontaient au moment de la promulgation de la loi. Et ils l'utilisent contre Julian Assange. Quel est son lien avec eux ?
Même en tant que digne défenseur des libertés civiles, quand on s'approche trop près d'une vérité qui dérange, on voit les gens basculer. Et c'est ce qui est arrivé au parti démocrate. C'est comme ça que les lanceurs d'alerte sont devenus les mauvaises personnes. Les démocrates semblent être obsédés par l'idée de récupérer Assange, mais ils oublient la question plus large de la liberté de la presse.
Shenkman
Absolument. Je suis ravi que vous ayez soulevé l'aspect bipartite de la question, car les gens pensent parfois que c'est un problème de droite. Ce ne sont que les Trump, les Nixon et les Républicains qui s'en prennent aux lanceurs d'alerte ou aux éditeurs. Et si vous regardez l'histoire, ce n'est pas le cas. La loi sur l'espionnage a été adoptée sous un démocrate. Elle a également été utilisée par Franklin Delano Roosevelt pour s'en prendre à la presse noire, aux militants anti-guerre, et elle a été utilisée par Barack Obama pour s'en prendre, comme vous le soulignez, à plus de lanceurs d'alerte que toutes les administrations réunies. En fait, Eric Holder, le procureur général d'Obama, a déclaré que son plus grand regret, après avoir quitté ses fonctions, était d'avoir poursuivi l'Associated Press pour ses relevés téléphoniques, ce qui a constitué un énorme scandale à l'époque. Et à ce moment-là, la surveillance et l'ingérence à l'égard des journalistes ont augmenté. Maintenant, Eric Holder soutient la réforme de la loi sur l'espionnage. C'est quand même incroyable. L'ancien chef de la CIA, Brennan, est également favorable à une réforme de la loi sur l'espionnage. Donc le recours à cette loi est bipartite, mais la pression pour la réformer l'est aussi. Ce n'est pas un problème propre aux Républicains. Mais ce que nous avons vu en fait, c'est que vous avez des gens comme Trump qui entrent en fonction et disent des choses comme “la presse est l'ennemi du peuple”. Des gens comme ça ont l'intention de s'en prendre à la presse à des fins personnelles. Donc quand ce genre de lois peuvent être utilisées à mauvais escient, et si vagues peuvent-elles être, elles finissent toujours par être détournées par la mauvaise administration.
Scheer
Permettez-moi de conclure, et j’appelle les gens à lire ce livre, vraiment... Il s'intitule Un siècle de répression : La loi sur l'espionnage et la liberté de la presse.
La première victime de la guerre est la vérité, et l'état de droit dont nous sommes fiers, notre Constitution, a été conçu précisément pour protéger la liberté d'expression, de la presse et de réunion dans les moments difficiles. Et pourtant, nous l'interprétons comme se limitant aux moments où vous vous sentez absolument en sécurité. Pas pendant une pandémie. Pas pendant une guerre. Des secrets officiels sont pourtant divulgués. Nous le voyons même avec Trump et Biden. Ils ont des documents officiels dans leurs chambres d’hôtels etc.
Mais le point important, et c'est peut-être une bonne façon de vraiment conclure, la liberté significative est la liberté en période de danger. Vous savez, tout gouvernement qui se sent totalement en sécurité tolère que les gens disent n'importe tout et n’importe quoi. Cela devient un divertissement. Si vous avez la population avec vous quand les choses vont bien, la liberté doit être protégée. Quand le débat atteint son point critique, comme ce fut le cas lors de la Première Guerre mondiale, avec des pacifistes, des ouvriers comme Big Bill Haywood, rien ne va plus. J'ai trouvé que les premiers chapitres de votre livre sont vraiment très convaincants en prenant pour exemple Victor Debs. Ces gens parlaient des grandes questions et c'est ce qui les rendait menaçants et c'est pourquoi cette loi a été adoptée.
Shenkman
Tout à fait. C'est ce genre de cas qui définit nos lois. Ce ne sont pas les cas en temps de paix. Mais ce que les gens exposent en temps de guerre, quand les temps sont durs. Et nous le constatons depuis un siècle, lorsque notre Premier Amendement moderne a été façonné par ces procès, par le procès Eugene Debs. L'affaire Debs était un cas majeur de la Cour Suprême, référencé dans les manuels de première année de droit. Il en va de même pour l'affaire des "Pentagon Papers", dont on parle dans tous les cours de droit constitutionnel. Ces causes font donc la différence. Et l'affaire Assange, s'il est extradé, s'il est poursuivi en vertu de la loi sur l'espionnage, sera un cas d'école, car ces affaires liées à la guerre façonnent le Premier Amendement. Ce ne sont pas que des mots sur le papier. Il faut se battre pour eux. Il faut les faire confirmer par le tribunal. Mais il y a une administration, un gouvernement qui font pression, qui érodent tout ça, qui pensent qu'ils sont au-dessus de la constitution. Et c'est ce qui est vraiment effrayant. C'est la raison pour laquelle nous avons écrit ce livre, qui, je le rappelle aux gens, bien qu'il s'agisse d'une loi et d'une loi vieille de 100 ans, nous...
Scheer
Donnez-moi le nom de votre coauteur, voulez-vous ?
Shenkman
Bien sûr. Je l'ai coécrit avec Ralph Engelman. C'est un historien des médias respecté, et professeur émérite de l'Université de Long Island. Nous avons travaillé ensemble sur ce projet pendant sept ou huit ans. J'ai rencontré Ralph lors d'un événement artistique organisé par Chelsea Manning à New York. Il souhaitait étudier la loi sur l'espionnage d'un point de vue journalistique, et travailler avec un avocat afin de se plonger dans les arcanes des implications juridiques. Nous avons donc établi un partenariat entre un professeur de journalisme, qui dirige le conseil d'administration des prix George Polk, et un avocat spécialisé dans le droit constitutionnel. Ce partenariat nous a donné l'occasion d'examiner la question sous différents angles, ce qui, nous l'espérons, sera bénéfique, car cette loi, en fin de compte, n'a rien à voir avec l'espionnage. Comme vous et moi et la plupart des gens comprendraient ce mot. C'est bien plus que cela.
Scheer
Eh bien, terminons sur ce point. Peut-être que ces gens, l'administration Biden, espèrent juste que Julian Assange meure ou devienne fou en prison, et qu'ils puissent se venger sans avoir à y toucher. Mais s'ils réussissent à l'extrader et qu'il est incarcéré dans une prison de haute sécurité, il ne pourra ni parler, ni communiquer facilement avec ses avocats. C'est le vrai danger, et cela a été évoqué dans les Pentagon Papers. Ils essaieront probablement de dire qu'ils ne peuvent pas admettre tel ou tel élément, qu'il n'est pas pertinent, qu'il est classifié ou que sais-je encore, et ils essaieront d'empêcher les personnes qui lisent ou écoutent, qui suivent l'affaire, de comprendre ce dont nous parlons. Encore une fois, pour utiliser l'idée de vérité dérangeante d'Al Gore, c'est vraiment la vérité dérangeante ultime. Si vous êtes impliqué dans une guerre visant à sauver la liberté du peuple irakien et à renverser un dictateur, et que vous êtes là à tirer sur des journalistes, y compris pour un organisme de presse occidental comme Reuters, que vous tirez sur des enfants dont vous pensez qu'ils accompagnent les reporters... C'est ce qu'a dit le pilote de l'hélicoptère. Il n'y a pas plus basique que ça en ce qui concerne les informations que vous devriez avoir. Cela définit bien ce qu'était cette guerre. Un dernier point sur lequel terminer: disons qu'ils extradent Julian Assange. Que se passera-t-il alors ?
Shenkman
L'affaire des Pentagon Papers contre Ellsberg était réputée pour faire le procès de la guerre du Viêt Nam, et d'énormes efforts ont été déployés pour empêcher que la substance de ce qu'Ellsberg a exposé soit présentée au tribunal. Même ces affaires, comme vous le soulignez, sont probablement la part la plus pertinente de cette affaire. Les affaires relevant de l'Espionage Act sont intrinsèquement injustes. C'est en fait ce qui est à l'origine de la principale pression pour réformer cette loi : les défendeurs ne sont pas autorisés à parler de ce qu'ils ont révélé. Ils n'ont pas le droit d'argumenter qu'ils servaient un intérêt public. En fait, la question dans le cadre d'une affaire d'Espionage Act est de savoir si oui ou non il y a une divulgation d'informations de défense nationale. Cela n'a même pas besoin d'être classifié. C'est tout. Aucune chance de présenter une défense. Aucune chance d'évoquer l'intérêt public qui a été servi. Cependant, pour Daniel Hale, qui est poursuivi pour avoir été la source de Jeremy Scahill, et avoir révélé le meurtre de civils par drones, le gouvernement a fait valoir, et la Cour l'a confirmé, que Hale et son équipe juridique ne seraient pas autorisés à parler des frappes de drones qui tuent des civils. Ce n'était même pas recevable. Ce n'était pas qu'ils pouvaient en parler dans des mémoires, qui seraient pris en compte. Non, c'était interdit. Donc, si Assange devait être extradé vers les États-Unis, je pense qu'il y a un risque sérieux que l’objet des inculpations, la vidéo Collateral Murder, les guerres en Irak et en Afghanistan, les avantages publics réels ou les prix remportés par le journalisme ne voient même pas la lumière du jour. L'équipe juridique ne pourrait même pas présenter cela. Ce serait un coup d'œil honteux porté à notre système juridique. Ce serait un résultat honteux pour le Premier Amendement. Et c'est l'une des raisons pour lesquelles tant de gens s'opposent à cette extradition aujourd'hui.
Scheer
Et ils devraient s'opposer à la loi. J'étais parti de l'idée que si Julian Assange était extradé, nous aurions au moins un procès, et nous entendrions les faits. Il se trouve que j'ai été cité comme témoin de la défense dans l'affaire des Pentagon Papers. J'avais été au Vietnam. J'avais écrit à ce sujet. J'en savais quelque chose. Et toute la question était de savoir s'ils seraient capables de convoquer des gens comme moi. Je faisais partie d'un groupe d'experts, et il était clair que le juge ne le permettrait pas. Et ils ne l'ont pas fait.
Tout ceci n'est qu'une mascarade. Maintenant, les gens vont faire des bonds et dire qu'il ne faut pas appeler la protection des individus une mascarade. Et oui, ce serait bien mieux si en Chine ou maintenant en Russie ou n'importe où ailleurs on avait des constitutions bien écrites, bien que celles-ci le soient. Mais une qui au moins, aie une certaine influence, une certaine importance ou retenue, sur la séparation de pouvoirs, toutes ce dont nous avons parlé. La protection des droits individuels. Et pourtant, une fois de plus, nous avons un cas où, voilà, regardez ce qui arrive à Julian Assange. Si vous enseignez dans une école de droit en ce moment et qu'un étudiant lève la main et dit : "À quoi ça rime ? C'est juste de la poudre aux yeux, de la propagande ?” Où, et comment donner vie à tout ça ?
Shenkman
Ce qui donne à réfléchir, et je tiens à rappeler aux gens qu'Assange n'est pas un employé du gouvernement américain. Il n'est même pas citoyen américain. Et d'une façon ou d'une autre, le gouvernement des É.-U. décrète qu'il a la juridiction sur cet homme pour la publication de documents qui exposent les crimes des États-Unis, les crimes de guerre et les violations des droits de la personne.
Cela implique que n'importe qui, littéralement n'importe qui sur terre est soumis à cet Espionage Act. Et c'est ce qui est franchement effrayant, et je pense que les gens n'en parlent pas encore assez. Imaginez que la Chine ou la Russie disent la même chose. Et si la Russie se manifestait et disait : "Nous voulons extrader ce citoyen américain en vertu de nos lois pour qu'il soit poursuivi et condamné à la prison à vie en Russie pour avoir publié des preuves de crimes de guerre commis en Ukraine, par exemple" ? Même chose, si la Chine faisait ça. Les gens seraient outrés. Ils diraient qu'ils les verraient pour ce qu'ils sont. Et c'est exactement ce que les États-Unis font. Et je pense que si cette affaire va de l'avant, cela va légitimer la pratique pour d'autres pays. C'est vraiment très alarmant. Imaginez juste n'importe quel autre pays sur terre disant que quelqu'un qui n'est même pas un citoyen de leur pays est sujet à des poursuites pour avoir exposé les méfaits de leur gouvernement.
Scheer
Et il ne s’agit pas seulement des États-Unis, si l'Angleterre valide cela, c'est toute la loi anglaise qui disparaît, en remontant à la Magna Carta. Cela signifie simplement que le pouvoir vous donne tous les droits. Et je terminerai là-dessus, la conception malheureusement fondamentale de l'expérience américaine est que le pouvoir ne devrait pas vous donner la capacité de balayer la loi, de nier les droits des individus. Le pouvoir devrait être limité, examiné, contrôlé. Et pourtant, nous voyons que lorsqu'on défie le pouvoir, rien ne fonctionne plus. Alors merci pour cette interview, et je vous reviendrai vers vous pour une prochain entrevue, si et quand l'affaire Assange avance.