👁🗨 Lettre de Gaza : revivre la Nakba
Ni la pire ni la plus violente, juste une nuit de plus dans les affres de l'enfer. Je ne me résigne pas plus que je me fais à la souffrance. Je veux juste passer une nuit paisible avant de mourir.

👁🗨 Lettre de Gaza : revivre la Nakba
Par Hamza M. Salha, le 2 juin 2025
“Je suis désormais doublement réfugié : une première fois de notre village historique de Barbara, et maintenant de Jabaliya”.
Deir al-Balah, Bande de Gaza — Le génocide à Gaza approche rapidement les 20 mois. Ma famille et moi avons été déplacés plusieurs fois de notre maison dans le camp de réfugiés de Jabaliya, mais c'est la première fois que nous avons été contraints de quitter le nord pour fuir vers le sud, à Deir al-Balah, d'où je vous écris.
La vie à Jabaliya est devenue intenable. En plus de nous dépouiller de nos droits à la santé et de notre argent, les déplacements incessants nous ont contraints à un changement radical : d'une famille forte et fière, nous avons été réduits à vivre dans l'humiliation. On nous a poussés vers le sud le mois dernier, durant la quatrième invasion de Jabaliya par Israël, à la mi-mai. En prévision d'une nouvelle invasion terrestre, l'armée israélienne a commencé à pilonner Jabaliya, rasant les bâtiments et les réduisant en poussière. Les troupes israéliennes ont commencé à progresser depuis le nord et l'est, se rapprochant chaque jour un peu plus.
J'ai cherché une maison à louer dans l'ouest de la ville de Gaza, une zone un peu plus sûre où nous pourrions trouver un abri. Le 20 mai, alors que je revenais de mes recherches, mon père m'a appelé, paniqué, pour me dire qu'un quadricoptère tirait intensément sur notre maison dans le camp de Jabaliya, à l'ouest. Notre heure avait sonné. Il fallait fuir. Nous avons donc décidé de passer la nuit dans la maison incendiée de mon frère, dans le centre de Jabaliya.
Nous pensions passer la nuit là et partir le lendemain matin, mais cette nuit-là, on nous a fait vivre un véritable enfer.
À peine deux heures après être arrivés chez mon frère, nous avons entendu quelqu'un crier dehors : “Aux gens du quartier ! L'armée va bombarder ! Évacuez immédiatement !” Mes jambes se sont mises à trembler. À peine dix secondes plus tard, la maison voisine a été bombardée. On aurait dit le jour du Jugement dernier, et la maison de mon frère allait être la prochaine. Je me suis précipité pour attraper quelques affaires de ma mère, j'ai soulevé ma nièce de cinq ans, Deema, et j'ai dévalé les escaliers.
J'ai trouvé ma mère, une femme d'une soixantaine d'années, au rez-de-chaussée, qui luttait pour se frayer un chemin à travers les décombres pour fuir. Elle tenait à peine debout et ne voyait rien dans l'obscurité totale. Je lui ai pris la main, j'ai ramassé les sacs et, tout en portant Deema, nous sommes sortis. Nous marchions sans savoir où aller. Nous marchions dans le noir, sans but.
Nous ne pouvions pas nous entendre, encore en état de choc. L'un disait quelque chose, l'autre répondait autre chose. Je gardais le silence, incapable de parler ou de penser. Nous avons finalement pu rejoindre la maison de mon cousin, rue Al-Jalaa, dans l'ouest de la ville de Gaza. Je ne sais pas comment nous avons fait. Je ne sais pas comment ma mère a pu marcher jusque-là. Je ne sais pas comment Deema a pu dormir sur mon épaule alors que je la portais avec les sacs.
Le lendemain matin, nous avons pu rentrer chez nous, car l'armée a tendance à battre légèrement en retraite dans la journée. Nous avons profité de cette brève accalmie pour rassembler nos affaires dans nos maisons à l'ouest et au centre de Jabaliya, et partir pour Deir al-Balah.
Deux ans avant la guerre, mon père a construit la maison que nous avons quittée à Jabaliya. Il venait de prendre sa retraite d'enseignant et avait investi toutes ses économies dans cette maison à plusieurs étages, avec un appartement de 180 mètres carrés pour chacun de ses sept enfants. Mon frère aîné a acheté des terrains à proximité pour ses enfants. Nous avions enfin une certaine stabilité et un avenir. Le génocide a tout détruit.

Chaque fois qu'Israël a émis un ordre d'expulsion, nous avons été contraints de tout quitter. Mais nous avons toujours fini par revenir. Depuis le début de cette guerre, nous n'avons vécu dans notre maison récemment construite que deux mois au total, faisant des allers-retours incessants à cause des expulsions répétées. Nous n'avons jamais eu l'occasion d'en profiter ni même d'admirer la beauté des lieux.
Chaque fois que nous recevions un nouvel ordre d'expulsion, mon père répétait ce qui allait devenir sa phrase fétiche :
“Où irons-nous ? J'ai l'impression que mon âme quitte mon corps. J'ai une douleur lancinante au ventre”.
Une Nakba plus brutale et plus dévastatrice
Nous vivons ce qui est arrivé à mon grand-père lors de la Nakba de 1948. À l'époque, il a perdu 75 dunums (environ 7 hectares) de vignobles dans le village de Barbara, à environ 17 kilomètres au nord-ouest de la ville de Gaza, près de l'actuelle ville israélienne d'Ashkelon.
Mon grand-père est mort en octobre 2024, alors que nous étions assiégés dans notre maison pendant la troisième invasion de Jabaliya. Avec à peine de quoi manger et boire, sa santé s'est détériorée après le début de la guerre, et s'est nettement aggravée à chaque invasion terrestre israélienne de Jabaliya.
Le soir du 7 octobre 2024, après un raid aérien particulièrement effrayant, il a rendu son dernier souffle. L'armée israélienne n'était qu'à quelques mètres de notre maison. Elle avait encerclé le cimetière, ce qui nous a contraints à l'enterrer dans le jardin de notre maison. Quelques heures plus tard, nous avons réussi à échapper aux chars et aux bulldozers et avons fui vers la ville de Gaza.
La quatrième invasion israélienne de Jabalia a commencé le 15 mai, jour du 77e anniversaire de la Nakba. La Nakba que nous vivons aujourd'hui est encore plus brutale et dévastatrice que celle de 1948. Depuis, Israël veille à procurer à chaque génération palestinienne l'amertume de la Nakba, pour que nous ne puissions plus jamais nous poser ni vivre en paix.

Je suis désormais deux fois réfugié : une fois de notre village historique de Barbara, et maintenant de Jabaliya, où les générations suivantes de ma famille sont nées et ont grandi. Tout ce qui était nôtre, à moi et aux descendants de mon grand-père, a été détruit, et nous ne sommes plus rien. Depuis la première Nakba, notre vie consiste à reconstruire à partir de rien, et l'armée israélienne s'emploie à tout détruire. Ils nous volent, et nous perdons tout.
J'essaie de surmonter toutes ces épreuves pour ne pas devenir fou. L'idée de perdre notre maison spacieuse, où je me sentais autrefois si bien, où mon père a préparé mon futur mariage, me hante. Je m'efforce de croire qu'un avenir meilleur nous attend. J'essaie de voir le verre à moitié plein, de voir la vie comme un voyage, un cheminement. Mais depuis que j'ai vécu en Espagne en 2022, je sais qu'un être humain sans patrie ne vaut rien. Quitter ma maison et mon pays m'a laissé comme une boule dans la gorge.
Je me sentais inférieur à mes compatriotes espagnols, qui avaient le privilège d'avoir une patrie, quelque chose qui les protège et leur serve de refuge. Ils pouvaient voyager sans problème et aller partout dans le monde. Ils vivaient sans occupation, sans contrôle sur leur vie - jusqu'au nombre de calories autorisées par jour, ici à Gaza.
Les affres de l'enfer
Lorsque l'armée israélienne nous force à partir, elle émet ce qu'elle appelle des “ordres d'évacuation”. L'armée israélienne croit ainsi passer pour une armée respectueuse du droit international, capable de faire la distinction entre civils et combattants, sans intention de nuire aux enfants. Rien n'est plus éloigné de la vérité.
L'armée israélienne a envahi et assiégé de nombreuses zones avant de donner ces soi-disant ordres d'évacuation, comme cela s'est produit à Rafah et à Shujaiya. Les invasions israéliennes contraignent les gens à fuir vers des “zones de sécurité” sous les bombardements, à passer par des checkpoints avec pour seuls biens les vêtements qu'ils portent sur eux, sans pouvoir emporter ne serait-ce qu'une ration alimentaire pour la journée, leurs papiers ou une couverture pour la nuit. La plupart des flyers que l'armée a largués sur les civils comportent des menaces terrifiantes qui relèvent de la guerre psychologique. Et ils bombardent quand même les zones de sécurité.
Tous ceux qui observent les conditions de vie des déplacés à Gaza voient bien que l'armée israélienne se fiche éperdument du sort des civils. L'armée israélienne se contente de leur dire de fuir – “courez !” – sans se soucier de savoir où ils vont aller, ce qu'ils vont manger ou comment ils vont survivre. Israël veut forcer deux millions de Palestiniens de Gaza à s'entasser sur une minuscule parcelle de terre dans le sud, à vivre dans des camps de tentes sans infrastructure, avec des égouts à ciel ouvert s'écoulant à leurs pieds. Le plan d'Israël est de forcer les gens à quitter leurs quartiers en les qualifiant de “zones de combat”, pour pouvoir les détruire, bombarder et raser pour les rendre inhabitables, même si les habitants parviennent un jour à revenir.
Israël ne cherche que destruction après destruction, s'emparer de nouvelles terres pour finalement y établir des colonies et ouvrir la voie à une migration soi-disant “volontaire”, que beaucoup seront contraints d'accepter après avoir été brisés par les déplacements répétés.
Tout au long de cette guerre, je n'ai jamais fui vers le sud, espérant rester près de chez moi et revenir une fois l'armée repartie. J'ai payé le prix de ce choix, blessé et souffrant de la faim. Mais aujourd'hui, pour la première fois, je suis déplacé à Deir al-Balah, où je vis chez ma tante. C'est la première fois que je viens dans le sud depuis environ 15 ans, depuis que j'ai rendu visite à ma tante quand j'avais neuf ou dix ans.
Je ne sais pas combien de temps ma tante pourra nous héberger, ni où nous irons quand nous repartirons. J'essaie de me convaincre que nous sommes juste venus rendre visite à ma tante après une longue absence, que je m'accorde une pause ou des vacances quelque part ailleurs dans le monde, mais c'est pour ne pas mourir de chagrin en pensant à ce que nous avons quitté.
La nuit où nous avons fui Jabaliya n'était ni la pire ni la plus violente. Juste une nuit de plus dans les affres de l'enfer, comme toutes les nuits précédentes. Mais cette fois, nous n'avions pas le choix. Nous n'avons pas passé une seule nuit paisible depuis le début du génocide. Mes cernes sombres et creusés en témoignent. Pourtant, je refuse de me résigner. Je ne me suis jamais fait à la souffrance. Je veux juste passer une nuit paisible avant de mourir.
Traduit par Spirit of Free Speech