👁🗨 Lettre ouverte : Soumission sémantique & effacement du génocide palestinien
Il ne s'agit pas de sémantique. Il s'agit de pouvoir. De souveraineté. Il s'agit de savoir qui a le droit de parler pendant que le monde enterre le peuple palestinien. Dire ibāda. Ou ne rien dire.
👁🗨 Lettre ouverte : Soumission sémantique & effacement du génocide palestinien
Par Story Ember leGaïe, le 27 mai 2025
À Asim, et à tous ceux qui insistent pour que les Palestiniens accomplissent leur annihilation dans un chagrin usurpé.
Vous avez dit que "génocide" ne suffit pas. Vous avez dit que le terme est trop clinique, trop juridique, trop insuffisant. Et puis vous avez parlé d'Holocauste.
Soyons précis :
Ce n'est pas de la solidarité. C'est du détournement narratif. C'est le bras linguistique de la violence coloniale.
Vous ne qualifiez pas l'atrocité, vous la subordonnez. Vous exigez des Palestiniens qu'ils rebaptisent leur destruction avec des termes rassurant les consciences occidentales. Vous voulez qu'ils se fassent l'écho d'un chagrin qui n'est pas le leur pour être acceptables. Vous demandez à ceux qui ont été effacés de s'exprimer avec les mots de ceux qui ont toujours refusé de les entendre.
Ce n'est pas radical. C'est un effacement – sémantique, culturel et politique.
Le génocide n'est pas une métaphore. C'est une mécanique.
En droit international, le génocide comprend
Le meurtre de membres d'un groupe
Les atteintes graves à l'intégrité physique ou morale
Les conditions calculées pour détruire physiquement un groupe
Les mesures de prévention des naissances
Le transfert forcé d'enfants
Israëls'est rendu coupable de tous ces actes. À plusieurs reprises. De manière systématique. Délibérément.
Appeler cela un génocide n'est pas minimiser la gravité des faits.
C'est nommer les choses par leur nom, avec des termes juridiques précis, en toute clarté historique et en toute rigueur morale.
Appeler cela un Holocauste n'est pas amplifier la vérité, c'est la recentrer par le prisme d'un deuil que les Palestiniens ne sont pas autorisés à partager, et encore moins d’y survivre.
C'est exiger que la mort des Palestiniens, pour être reconnue, s'inscrive dans les archives européennes.
L'Holocauste n’est pas la mesure universelle de la souffrance humaine.
Quand on dit “c'est un Holocauste”, on ne rend pas hommage aux morts, on les efface.
On remplace la spécificité de l'ibāda par une métaphore centrée sur la douleur européano-centrée en exigant une soumission sémantique contre la reconnaissance.
Ce leurre rhétorique :
oblige les Palestiniens à interpréter leur destruction selon le scénario approuvé par les colons
consolide une hiérarchie où seul le deuil conforme aux codes occidentaux est légitime
transforme les atrocités en une performance banalisée plutôt qu'affronter la réalité
Les Palestiniens ne sont pas des métaphores. Ils ne sont pas des outils narratifs. Ils ne sont pas des notes de bas de page inachevées du traumatisme européen.
C'est un peuple en voie d'extermination, qui a déjà donné un nom à son génocide :
Ibāda jamāʿiyya.
Écoutez le langage utilisé des Palestiniens :
Ibāda (إبادة) — Génocide
Nakba (نكبة) — Catastrophe
Istʾiṣāl (استئصال) — Déracinement / Éradication
Tanfiyya (تنفية) — Expulsion
Muqāwama (مقاومة) — Résistance
ʿAwda (عودة) — Retour
Ce ne sont pas des envolées poétiques. Ce sont des déclarations mémorielles. Des déclarations de refus. Des déclarations de survie.
Les remplacer par “Holocauste” – un terme importé en arabe par les systèmes de traduction postcoloniaux, et non issu de l'expérience vécue – n'est pas de la solidarité. C'est une occupation sémantique.
Refuser l'interprétation est une forme de survie.
Vous dites : “Appelez les choses par leur nom”. C'est ce que nous faisons. Les Palestiniens le font.
Ils appellent cela un génocide.
Ibāda jamāʿiyya.
Ils le nomment dans la langue même que le sionisme et ses partisans tentent d'effacer. Ils pleurent dans une langue que l'Occident n'a jamais pris la peine d'apprendre. Ils refusent de céder le pouvoir de nommer à un monde qui réduit leur mort à une métaphore.
Si vous ne pouvez pas dire génocide, ce n'est pas une défaillance du langage. C'est la faillite du courage.
Si vous avez besoin du mot “Holocauste” pour les croire, c'est que vous n'avez jamais écouté.
La traduction n'est pas neutre. C'est une question de gouvernance.
Comme l'explique en détail Not in Translation, le terme “maḥraqa” n'a jamais été utilisé par le peuple palestinien. Il a été :
introduit dans le cadre de la normalisation diplomatique et de la traduction institutionnelle
imposé pour satisfaire les attentes occidentales, et non pour refléter la réalité locale
Utilisé pour recadrer l'anéantissement des Palestiniens en des termes plus acceptables pour le public occidental
Alors qu’ibāda reste le terme privilégié des documents juridiques palestiniens, du discours militant, des médias arabophones et des rapports internationaux sur les droits humains.
Vous ne clarifiez pas l'horreur. Vous la reconditionnez dans la grammaire coloniale.
Les Palestiniens sont en droit de nommer leur propre destruction.
Ils n'ont pas besoin de vos synonymes. Ils n'ont pas besoin que l'Occident leur dise comment pleurer pour légitimer leur propre deuil.
Ils ne demandent pas la permission. Ils revendiquent leur propre langage, ancré dans l'histoire, la résistance et la réalité vécue.
Le remplacer par “Holocauste” n'est pas faire preuve de témoignage. C'est un acte de substitution.
À tous ceux qui nous regardent : restez fidèles au langage des opprimés.
Si votre solidarité est sincère, elle n'a pas besoin d'être traduite. Elle n'a pas besoin d'analogie. Elle n'a pas besoin d'un détournement européen pour reconnaître le génocide palestinien.
Dites ce que disent les Palestiniens :
C'est un génocide.
C'est du colonialisme.
C'est une éradication intentionnelle.
Et le langage utilisé pour le nommer est le leur, vous n'avez pas à le modifier.
Prétendre que “génocide” ne suffit pas et exiger le terme “Holocauste” n'est pas courageux. C'est une prise de pouvoir linguistique, une annexion narrative qui reflète le projet colonial lui-même.
Conclusion
On ne peut pas renommer un génocide alors que ceux qui dégagent leurs enfants des décombres continuent de crier ce mot.
On ne peut pas réécrire la parole forgée dans l'exil, le blocus, la famine et le sang juste parce qu'elle ne rime pas avec votre passé.
Dire ibāda. Ou ne rien dire. Mais ne confondons pas métaphore et témoignage.
Il ne s'agit pas de sémantique.
Il s'agit de pouvoir.
De souveraineté.
Il s'agit de savoir qui a le droit de parler pendant que le monde enterre le peuple palestinien.
Cessons de mal nommer ce génocide.
Cessons de mal traduire ce mot.
Cessons de prétendre que la violence linguistique est une forme de solidarité.
Que les Palestiniens s'expriment. Qu'ils nomment ce génocide. Qu'ils pleurent dans leur propre langue.
On n'a pas à demander la permission pour nommer un génocide.
On veut que ce génocide cesse.
— En solidarité indéfectible,
les voix qui refusent de traduire l'oppression pour convenir à autrui
Traduit par Spirit of Free Speech
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