đâđš LâEurope pousse-t-elle Ă la crĂ©ation dâun Ătat ou Ă la capitulation des Palestiniens ?
La solution provisoire deviendra l'arrangement dĂ©finitif. L'âĂtatâ palestinien n'est plus qu'un euphĂ©misme diplomatique, un concept vide de sens, cĂ©lĂ©brĂ© dans les discours, mais bafouĂ© sur le terrain.
đâđš LâEurope pousse-t-elle Ă la crĂ©ation dâun Ătat ou Ă la capitulation des Palestiniens ?
Par Malek al-Khoury, le 28 juillet 2025
La reconnaissance tardive par l'Europe de l'Ătat palestinien est une manĆuvre gĂ©opolitique flagrante inscrite dans une stratĂ©gie de normalisation qui sacrifie la libĂ©ration des Palestiniens, tout en prĂ©sentant la dĂ©faite comme une avancĂ©e diplomatique. Assistons-nous Ă la naissance d'un Ătat ? Ou aux prĂ©mices de son Ă©chec ?
Depuis sa crĂ©ation en 1948, IsraĂ«l n'a jamais connu de frontiĂšres fixes. L'expansion a toujours Ă©tĂ© sa doctrine, non pas contrainte par le droit, mais guidĂ©e par la force et soutenue par le soutien indĂ©fectible de l'Occident. IsraĂ«l refuse de dĂ©finir ses frontiĂšres depuis prĂšs de huit dĂ©cennies, car son identitĂ© mĂȘme est ancrĂ©e dans une ambition coloniale qui n'a jamais vraiment pris fin.
De la Nakba (ou âcatastropheâ) Ă la Naksa (ou âreversâ), en passant par les invasions territoriales, l'annexion de JĂ©rusalem, du plateau du Golan et de la Cisjordanie, l'Ătat d'occupation a continuĂ© Ă rĂ©viser ses frontiĂšres en fonction de sa puissance, et non de sa lĂ©gitimitĂ©.
Ce projet expansionniste s'est renforcĂ© avec la montĂ©e du courant messianique-nationaliste en IsraĂ«l, qui estime que le contrĂŽle total du âGrand IsraĂ«lâ est un droit historique non nĂ©gociable.
Aujourd'hui, 77 ans aprÚs la Nakba, Israël passe à la vitesse supérieure en matiÚre d'expansion : il spolie les Palestiniens, détruit des villes et des villages entiers, développe les colonies juives illégales et instaure un régime d'apartheid.
Pourtant, paradoxalement, des Ătats europĂ©ens comme la France et le Royaume-Uni s'apprĂȘtent Ă reconnaĂźtre un âĂtat palestinienâ alors que la gĂ©ographie politique palestinienne est plus fragmentĂ©e que jamais et le projet sioniste plus agressif encore.
Que signifie réellement cette reconnaissance ? S'agit-il d'une victoire stratégique pour les Palestiniens ou d'une ruse diplomatique présentant la capitulation comme un succÚs ?
Un Ătat sans frontiĂšres, un projet sans limites
La dĂ©claration Balfour de 1917 a marquĂ© la mise en Ćuvre officielle d'un projet colonial en Palestine. Ce qui s'est ensuivi n'Ă©tait pas une immigration, mais une spoliation calculĂ©e, allant des saisies de terres et des massacres perpĂ©trĂ©s avec la complicitĂ© des Britanniques aux expulsions massives de la Nakba de 1948, un nettoyage ethnique qui a contraint plus de 750 000 Palestiniens Ă l'exil.
Il ne s'agissait pas seulement de colonialisme. C'était un processus de remplacement ethnique : les terres ont d'abord été saisies sous protection impériale, puis conquises militairement. Cette campagne n'a jamais pris fin. Elle s'est poursuivie avec l'occupation de Gaza, de Jérusalem et de la Cisjordanie, puis s'est intensifiée aprÚs 1967. L'objectif d'Israël n'a jamais été la coexistence. Il a toujours tendu vers la suprématie juive.
Le plan de partition de l'ONU de 1947 (résolution 181) accordait plus de 55 % de la Palestine historique au mouvement sioniste, alors que les Juifs ne contrÎlaient que 6 % du territoire. Le mouvement sioniste a accepté ce plan sur le papier afin d'obtenir une légitimité internationale, puis a immédiatement violé ses termes en occupant 78 % du territoire par la force.
Ă ce jour, l'Ătat d'occupation n'a toujours pas adoptĂ© de constitution officielle, par crainte qu'une constitution ne limite ses ambitions expansionnistes. La doctrine sioniste n'a jamais reconnu de frontiĂšres dĂ©finitives, prĂ©fĂ©rant Ă©tablir un Ătat sans frontiĂšres officielles, car ses ambitions s'Ă©tendent au-delĂ de la gĂ©ographie palestinienne, pour inclure des territoires appartenant Ă la Jordanie, Ă la Syrie, au Liban et Ă l'Ăgypte.
Le dĂ©bat interne en IsraĂ«l sur la proclamation d'un âĂtat juifâ n'est pas seulement un argument juridique, mais un moyen de consolider une identitĂ© exclusive et fondĂ©e sur le remplacement, consacrant ainsi lĂ©galement la discrimination raciale et niant aux Palestiniens leur statut de peuple autochtone.
La RĂ©sistance se rĂ©organise : le 7 octobre et le tournant vers la solution Ă deux Ătats
Le sĂ©isme provoquĂ© par l'opĂ©ration Al-Aqsa Flood a Ă©branlĂ© non seulement IsraĂ«l, mais aussi le discours politique du mouvement palestinien. On constate que les factions palestiniennes, y compris le Hamas, expriment dĂ©sormais explicitement leur soutien Ă la âsolution Ă deux Ătatsâ, alors qu'elles avaient jusqu'alors dĂ©fendu la libĂ©ration de la Palestine historique dans son intĂ©gralitĂ©.
Dans une déclaration sans précédent, M. Khalil al-Hayya, haut responsable du Hamas, a déclaré en mai 2024 :
âNous sommes prĂȘts Ă nous engager de maniĂšre constructive dans toute initiative sĂ©rieuse en faveur d'une solution Ă deux Ătats, Ă condition qu'elle prĂ©voie un Ătat palestinien vĂ©ritable, dĂ©limitĂ© par les frontiĂšres de 1967, avec JĂ©rusalem pour capitale, et sans compromisâ.
Cette nouvelle approche tactique marque un changement significatif. AprĂšs avoir insistĂ© pendant des dĂ©cennies sur la libĂ©ration totale, les principaux acteurs palestiniens envisagent dĂ©sormais ouvertement la crĂ©ation d'un Ătat amputĂ©. Ce revirement reflĂšte-t-il un changement dans le rapport de force ? Ou bien est-ce un rĂ©ajustement imposĂ© par la pression rĂ©gionale et internationale ?
La reconnaissance, un puissant levier : la France, l'Arabie saoudite et la normalisation
La semaine derniÚre, dans un message publié sur X, le président français Emmanuel Macron a déclaré :
âFidĂšle Ă son engagement historique pour une paix juste et durable au Proche-Orient, jâai dĂ©cidĂ© que la France reconnaĂźtra lâĂtat de Palestine. Jâen ferai lâannonce solennelle Ă lâAssemblĂ©e gĂ©nĂ©rale des Nations unies, au mois de septembre prochain. Lâurgence est aujourdâhui que cesse la guerre Ă Gaza et que la population civile soit secourue. La paix est possible. Il faut immĂ©diatement un cessez-le-feu, la libĂ©ration de tous les otages et une aide humanitaire massive Ă la population de Gaza. Il faut aussi garantir la dĂ©militarisation du Hamas, sĂ©curiser et reconstruire Gaza. Il faut enfin bĂątir lâĂtat de Palestine, assurer sa viabilitĂ© et permettre quâen acceptant sa dĂ©militarisation et en reconnaissant pleinement IsraĂ«l, il participe Ă la sĂ©curitĂ© de tous au Proche-Orient. Il nây a pas dâalternativeâ.
La reconnaissance anticipĂ©e d'un Ătat palestinien par la France en septembre ne semble pas motivĂ©e par des principes, mais par une manĆuvre gĂ©opolitique purement tactique. Il semblerait que Paris cherche Ă resserrer ses liens avec Riyad, qui a liĂ© la normalisation avec Tel-Aviv Ă des avancĂ©es sur le dossier palestinien. La reconnaissance française est donc un âsignalâ destinĂ© Ă l'Arabie saoudite, et non un geste de solidaritĂ© envers les Palestiniens.
Dans cette Ă©quation, la Palestine devient une monnaie d'Ă©change. Son statut d'Ătat n'est pas affirmĂ© comme un droit, mais brandi comme une condition prĂ©alable Ă la conclusion d'accords de normalisation entre les monarchies arabes et l'Ătat d'occupation.
Alliances stratégiques : l'axe Ankara-Londres
Alors qu'un tiers des députés britanniques appelle le Premier ministre, Keir Starmer, à reconnaßtre la Palestine, la pression s'intensifie également sur Londres.
Starmer a déclaré :
âAux cĂŽtĂ©s de nos plus proches alliĂ©s, j'Ćuvrerai Ă une voie vers la paix dans la rĂ©gion, axĂ©e sur des solutions pratiques qui feront une rĂ©elle diffĂ©rence pour ceux qui souffrent dans cette guerre. Cette dĂ©marche dĂ©finira les mesures concrĂštes nĂ©cessaires afin de transformer le cessez-le-feu, dont nous avons tant besoin, en une paix durable. La reconnaissance d'un Ătat palestinien doit faire partie de ces mesures. Je suis sans Ă©quivoque Ă ce sujetâ.
La Grande-Bretagne ne s'oriente pas non plus vers la reconnaissance pour des raisons morales, mais pour renforcer son axe stratégique post-Brexit avec la Turquie. Ankara, partenaire commercial clé d'Israël et soutien politique du Hamas, voit dans la reconnaissance de la Palestine un moyen d'accroßtre son influence régionale et énergétique. Pour Londres, cette alliance promet des retombées économiques et géopolitiques. Ainsi, une convergence émerge entre les approches de Paris-Riyad et d'Ankara-Londres.
Deux axes informels se dessinent ainsi : le premier, Paris-Riyad, et le second, Ankara-Londres, convergent tous deux vers la reconnaissance d'un Ătat palestinien. Cependant, aucun de ces deux axes n'aborde cet enjeu sous l'angle des droits des Palestiniens, mais plutĂŽt en termes de pouvoir, d'influence et de realpolitik.
L'Ătat palestinien : une reconnaissance sans souverainetĂ©
MĂȘme si tous les pays europĂ©ens reconnaissaient la Palestine, cet acte ne serait que symbolique, sans incidence concrĂšte. Sans frontiĂšres dĂ©finies, sans contrĂŽle de son propre territoire, l'Ătat n'aurait aucune marge de manĆuvre pour mettre fin aux politiques d'expansion des colonies et d'annexion menĂ©es par l'Ătat occupant.
Tel-Aviv rĂ©fute totalement cette idĂ©e. Le Premier ministre israĂ©lien, Benjamin Netanyahu, ne cesse de marteler que tout Ătat palestinien futur ne serait qu'une âbase pour dĂ©truire IsraĂ«lâ et que le contrĂŽle souverain de la sĂ©curitĂ© doit rester entre les mains d'IsraĂ«l. Il a exclu Ă plusieurs reprises un retour aux conditions d'avant le 7 octobre.
En rĂ©alitĂ©, 68 % de la Cisjordanie, classĂ©e zone C, sont sous contrĂŽle total d'IsraĂ«l. Plus de 750 000 colons y sont implantĂ©s, sous la protection totale de l'armĂ©e d'occupation. Comment un Ătat peut-il exister sur un territoire occupĂ©, fragmentĂ©, soumis Ă un blocus permanent et dĂ©pourvu de souverainetĂ© ?
âJe viens de rentrer d'une tournĂ©e de confĂ©rences Ă travers le monde et je peux affirmer avec certitude que l'image et la position d'IsraĂ«l dans le monde sont au plus basâ,
écrit le journaliste israélien Ben-Dror Yemini.
Pourtant, le gouvernement d'extrĂȘme droite de Netanyahou redouble dâefforts, poussant Ă l'annexion totale de la Cisjordanie occupĂ©e, cherchant de nouveaux territoires Ă annexer dans le SinaĂŻ, le sud de la Syrie, voire la Jordanie, tout en maintenant ses positions militaires dans le sud du Liban.
L'image d'IsraĂ«l dans le monde s'Ă©rode peut-ĂȘtre, mais son projet stratĂ©gique progresse.
Tandis qu'IsraĂ«l poursuit son expansion et durcit ses positions, que le mouvement palestinien restreint ses revendications et que les Ătats de la rĂ©gion normalisent leurs relations, quel sont les perspectives ?
Les factions de la RĂ©sistance autrefois opposĂ©es au principe mĂȘme du droit Ă l'existence de Tel-Aviv proposent dĂ©sormais un Ătat selon ses conditions. La reconnaissance europĂ©enne n'a aucune valeur. Les mesures s'accumulent. Les dĂ©placements se poursuivent. Mais ce n'est pas la libĂ©ration. C'est simplement l'enterrement des rĂȘves sous couvert de diplomatie.
La solution provisoire deviendra l'arrangement dĂ©finitif. L'âĂtatâ palestinien n'est plus qu'un euphĂ©misme diplomatique, un concept vide de sens, cĂ©lĂ©brĂ© dans les discours, mais bafouĂ© sur le terrain.
Traduit par Spirit of Free Speech
https://thecradle.co/articles/is-europe-pushing-for-palestinian-statehood-or-palestinian-surrender