đâđš L'extradition d'Assange peut-elle ĂȘtre Ă©vitĂ©e ?
Au lieu d'offrir des âgarantiesâ, l'administration Biden peut opter, pour Ă©viter l'Ă©cueil politique que constituerait l'extradition d'Assange, pour un accord de plaidoyer pour clĂŽturer l'affaire.
đâđš L'extradition d'Assange peut-elle ĂȘtre Ă©vitĂ©e ?
Par Marjorie Cohn, le 31 mars 2024
L'Ă©diteur de WikiLeaks pourrait voir son appel contre l'extradition entendu si les Ătats-Unis ne donnent pas de âgaranties satisfaisantesâ en matiĂšre de droits et de protection contre la peine de mort.
L'Ă©diteur de WikiLeaks, Julian Assange, est plus proche que jamais de lâextradition vers les Ătats-Unis pour y ĂȘtre jugĂ© pour 17 chefs d'accusation au titre de la loi sur l'espionnage et un chef d'accusation pour conspiration en vue de commettre une intrusion informatique, suite Ă la rĂ©vĂ©lation par WikiLeaks, en 2010-2011, de preuves de crimes de guerre amĂ©ricains en Irak, en Afghanistan et Ă GuantĂĄnamo Bay. Il risque 175 ans de prison.
âC'est un signal pour vous tous : si vous dĂ©noncez les intĂ©rĂȘts qui mĂšnent la guerre, ils vous poursuivront, ils vous mettront en prison et ils essaieront de vous tuerâ,
a déclaré Stella Assange, l'épouse de Julian, à propos des poursuites engagées contre lui.
Mardi dernier, la High Court d'Angleterre et du Pays de Galles a refusé à Julian Assange la possibilité de présenter la plupart de ses arguments en appel. Toutefois, le panel de deux juges, composé du juge Jeremy Johnson et de Dame Victoria Sharp, a laissé ouverte la possibilité pour Julian Assange de faire appel pour trois raisons.
Ils ont estimĂ© que M. Assange âa de rĂ©elles chances de succĂšsâ sur les points suivants : s'il est extradĂ© vers les Ătats-Unis, il serait privĂ© de son droit Ă la libertĂ© d'expression, subirait une discrimination parce qu'il n'est pas citoyen amĂ©ricain et pourrait ĂȘtre condamnĂ© Ă mort.
Toutefois, plutĂŽt que d'autoriser M. Assange Ă plaider ces trois questions en appel, le tribunal a donnĂ© une porte de sortie Ă l'administration Biden. Si les Ătats-Unis fournissent Ă la Cour des âassurances satisfaisantesâ que M. Assange ne sera privĂ© d'aucun de ces droits, son extradition vers les Ătats-Unis pourra avoir lieu sans audience d'appel.
Stella Assange a qualifiĂ© cette dĂ©cision de âstupĂ©fianteâ, ajoutant :
âLe tribunal a reconnu que Julian a Ă©tĂ© exposĂ© Ă un dĂ©ni flagrant de ses droits Ă la libertĂ© d'expression, qu'il fait l'objet d'une discrimination fondĂ©e sur sa nationalitĂ© et qu'il reste exposĂ© Ă la peine de mortâ.
Ă un stade antĂ©rieur de l'affaire, les Ătats-Unis ont donnĂ© Ă la High Court lâassurance que Julian Assange serait traitĂ© humainement s'il Ă©tait extradĂ©. Cela a amenĂ© la Cour Ă renverser le refus d'extradition du magistrat (fondĂ© sur la probabilitĂ© de suicide si M. Assange Ă©tait dĂ©tenu dans des conditions d'enfermement difficiles aux Ătats-Unis). La High Court a acceptĂ© ces garanties Ă leur valeur nominale, bien que les Ătats-Unis aient l'habitude de revenir sur des garanties similaires.
La dĂ©cision actuelle exige toutefois que les assurances amĂ©ricaines soient âsatisfaisantesâ, et que la dĂ©fense ait la possibilitĂ© de les contester lors d'une audience.
âM. Assange ne sera donc pas extradĂ© dans lâimmĂ©diatâ, a Ă©crit le tribunal, laissant entendre que s'il avait rejetĂ© purement et simplement son appel, les autoritĂ©s britanniques l'auraient immĂ©diatement mis Ă bord d'un avion Ă destination des Ătats-Unis. Elles ont donnĂ© aux Ătats-Unis trois semaines pour fournir des garanties satisfaisantes.
Si les Ătats-Unis ne fournissent aucune garantie, M. Assange sera entendu sur les trois motifs. Si les Ătats-Unis confirment leurs garanties, une audience pour dĂ©cider si elles sont satisfaisantes aura lieu le 20 mai.
âL'administration Biden ne devrait pas offrir de garanties. Elle devrait abandonner cette affaire honteuse qui n'aurait jamais dĂ» ĂȘtre intentĂ©eâ,
a déclaré Stella Assange aux journalistes à l'extérieur de la Cour royale de justice, mardi.

Voici les motifs que la High Court examinera si les Ătats-Unis ne fournissent pas de âgaranties satisfaisantesâ :
1. L'extradition violerait la liberté d'expression garantie par l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme
Assange soutiendrait au procÚs que ses actions sont protégées par le Premier Amendement de la Constitution américaine.
âIl soutient que si on lui accorde les droits du Premier Amendement, les poursuites seront stoppĂ©es. Le Premier Amendement est donc d'une importance capitale pour sa dĂ©fenseâ, ont conclu les juges.
Le Premier Amendement fournit une âforte protectionâ Ă la libertĂ© d'expression, similaire Ă celle fournie par l'article 10 de la Convention europĂ©enne des droits de l'homme, a notĂ© le panel. L'article 10 de la Convention stipule que
âtoute personne a droit Ă la libertĂ© d'expression. Ce droit comprend la libertĂ© d'opinion et la libertĂ© de recevoir ou de communiquer des informations ou des idĂ©es sans qu'il puisse y avoir ingĂ©rence d'autoritĂ©s publiques et sans considĂ©ration de frontiĂšresâ.
Gordon Kromberg, procureur adjoint des Ătats-Unis dans le district oriental de Virginie, oĂč se tiendrait le procĂšs d'Assange, a dĂ©clarĂ© que l'accusation pourrait faire valoir au procĂšs que âles ressortissants Ă©trangers n'ont pas droit aux protections prĂ©vues par le Premier Amendementâ. En 2017, Mike Pompeo, alors directeur de la CIA, a dĂ©clarĂ© qu'Assange âne bĂ©nĂ©ficie de droits au titre du Premier Amendementâ parce qu'âil n'est pas un citoyen amĂ©ricain.â
En outre, la Cour suprĂȘme des Ătats-Unis a statuĂ© en 2020 dans l'affaire Agency for International Development v. Alliance for Open Society International
qu'âil est Ă©tabli de longue date en droit constitutionnel amĂ©ricain que les citoyens Ă©trangers en dehors du territoire des Ătats-Unis ne bĂ©nĂ©ficient pas de droits en vertu de la Constitution amĂ©ricaine.â
L'auteur a participĂ© Ă une discussion sur l'arrĂȘt de la Haute Cour dans le cadre de CN Live !â
Un groupe dâexperts a dĂ©clarĂ© que si Assange ân'est pas autorisĂ© Ă s'appuyer sur le Premier Amendement, alors on peut soutenir que son extradition serait incompatible avec l'article 10 de la Convention.â
Mais mĂȘme si les procureurs du ministĂšre de la Justice des Ătats-Unis offrent des âgaranties satisfaisantesâ stipulant que les droits du Premier Amendement d'Assange seraient protĂ©gĂ©s, ce ne sont pas de rĂ©elles garanties. Les procureurs font partie du pouvoir exĂ©cutif, bien distincts du pouvoir judiciaire en raison de la doctrine constitutionnelle de la sĂ©paration des pouvoirs.
âCette dĂ©cision rĂ©vĂšle que la High Court ne comprend pas le systĂšme de gouvernement amĂ©ricainâ, a dĂ©clarĂ© Ă Truthout Stephen Rohde, qui a pratiquĂ© le droit du Premier Amendement pendant prĂšs de 50 ans et Ă©crit abondamment sur l'affaire Assange.
âLe tribunals nâĂ©voque que la branche exĂ©cutive du gouvernement amĂ©ricain. Quelles que soient les âgaranties satisfaisantesâ que le ministĂšre de la Justice peut donner Ă la High Court, elles ne sont pas contraignantes pour le pouvoir judiciaire.â
En outre, M. Rohde a déclaré :
âLa High Court est tenue de faire respecter les droits de M. Assange Ă la âlibertĂ© d'expressionâ en vertu de l'article 10 de la Convention europĂ©enne des droits de l'homme, qui protĂšge M. Assange mĂȘme si les tribunaux amĂ©ricains refusent de le faire. La seule façon d'y parvenir est de refuser l'extraditionâ.
2. La loi britannique sur l'extradition interdit toute discrimination fondée sur la nationalité
Julian Assange est un citoyen australien qui serait jugĂ© aux Ătats-Unis si la demande d'extradition de l'administration Biden devait aboutir.
L'article 81(b) de la loi britannique sur l'extradition stipule que l'extradition est interdite pour toute personne qui âpourrait ĂȘtre lĂ©sĂ©e lors de son procĂšs ou punie, dĂ©tenue ou restreinte dans sa libertĂ© personnelle en raison de sa ... nationalitĂ©â.
En raison du caractÚre déterminant du Premier Amendement pour la défense d'Assange, le groupe d'experts a noté :
âS'il n'est pas permis d'invoquer le Premier Amendement en raison de son statut de ressortissant Ă©tranger, il sera de ce fait lĂ©sĂ© (potentiellement trĂšs fortement lĂ©sĂ©) en raison de sa nationalitĂ©.â
3. L'extradition est interdite en raison de l'insuffisance de protection contre la peine de mort exigée par la loi sur l'extradition
L'article 94 de la loi britannique sur l'extradition stipule que
âle secrĂ©taire d'Ătat ne doit pas ordonner l'extradition d'une personne ... si elle pourrait ĂȘtre, sera ou a Ă©tĂ© condamnĂ©e Ă mort pour l'infractionâ dans l'Ătat d'accueil.
Cette restriction ne s'applique pas si une âgarantieâ Ă©crite âappropriĂ©eâ indique âqu'une condamnation Ă mort - (a) ne sera pas imposĂ©e, ou (b) ne sera pas exĂ©cutĂ©e (si elle est imposĂ©e)â.
Aucun des chefs d'accusation dont Assange fait actuellement l'objet n'est passible de la peine de mort. Mais s'il est extradĂ© vers les Ătats-Unis, il pourrait ĂȘtre inculpĂ© de complicitĂ© de trahison ou d'espionnage, deux infractions passibles de la peine capitale.
Ben Watson KC, secrĂ©taire d'Ătat au ministĂšre de l'intĂ©rieur, a admis (lors d'une audience du 21 fĂ©vrier devant la Haute Cour) que :
a.) Les faits reprochés à [Assange] pourraient justifier une accusation de complicité de trahison ou d'espionnage.
b.) Si [Assange] est extradĂ©, rien n'empĂȘche d'ajouter Ă l'acte d'accusation une accusation de complicitĂ© de trahison ou d'espionnage.
c.) La peine de mort peut ĂȘtre prononcĂ©e en cas de condamnation pour complicitĂ© de trahison ou d'espionnage.
d.) Aucune disposition n'a Ă©tĂ© prise pour empĂȘcher l'application de la peine de mort.
e.) L'assurance existante n'empĂȘche pas explicitement l'application de la peine de mort.
Le groupe d'experts a noté que l'ancien président Donald Trump, interrogé sur la publication des documents divulgués par WikiLeaks, a déclaré :
âJe pense que c'est une honte.... Je pense qu'il devrait y avoir une peine de mort ou quelque chose dans ce genreâ.
Si Trump est réélu, il pourrait chercher à faire en sorte que son ministÚre de la Justice ajoute des charges capitales à l'acte d'accusation.

En concluant que M. Assange pouvait soulever cette question en appel sous rĂ©serve de âgaranties satisfaisantesâ, le groupe spĂ©cial a citĂ©
âla possibilitĂ©, au vu des faits, que des charges capitales soient retenues ; les appels Ă appliquer la peine de mort lancĂ©s par des hommes politiques de premier plan et d'autres personnalitĂ©s publiques ; que le traitĂ© n'exclut pas l'extradition pour des charges relevant de la peine de mort et que les garanties existantes ne couvrent pas explicitement la peine de mortâ.
Motifs d'appel rejetĂ©s par le groupe dâexperts
Les autres motifs d'appel invoquĂ©s par M. Assange ont Ă©tĂ© rejetĂ©s par le jury. Il s'agit des poursuites pour dĂ©lit politique, des poursuites fondĂ©es sur l'opinion politique, de la violation du droit Ă un procĂšs Ă©quitable, de la violation du droit Ă la vie et de la violation du droit de ne pas ĂȘtre soumis Ă la torture ou Ă des peines ou traitements inhumains ou dĂ©gradants. En outre, Ă©tant donnĂ© qu'aucun Ă©diteur n'a jamais Ă©tĂ© poursuivi en vertu de la loi sur l'espionnage pour avoir publiĂ© des secrets d'Ătat, M. Assange ne pouvait pas savoir que cela pouvait constituer un dĂ©lit.
Le jury a Ă©galement dĂ©clarĂ© que M. Assange ne pourrait pas prĂ©senter de nouvelles preuves recueillies aprĂšs la dĂ©cision du juge d'instruction. Il s'agit notamment d'un reportage de Yahoo News dĂ©taillant les intentions de la CIA d'enlever et de tuer M. Assange alors qu'il bĂ©nĂ©ficiait de l'asile dans l'ambassade de l'Ăquateur Ă Londres.
Si les Ătats-Unis offrent des âgaranties satisfaisantesâ et que l'extradition est ordonnĂ©e, M. Assange pourrait faire appel auprĂšs de la Cour europĂ©enne des droits de l'homme et soulever ces questions supplĂ©mentaires.
En attendant, il est possible qu'au lieu d'offrir des âgarantiesâ, l'administration Biden choisisse d'Ă©viter l'Ă©cueil politique que constituerait l'extradition d'Assange vers les Ătats-Unis, et propose un accord de plaidoyer pour clĂŽturer l'affaire.
Copyright Truthout. Reproduit avec l'autorisation de l'auteur.
* Marjorie Cohn est professeure Ă©mĂ©rite Ă la Thomas Jefferson School of Law, ancienne prĂ©sidente de la National Lawyers Guild, et membre des conseils consultatifs nationaux d'Assange Defense et de Veterans For Peace, ainsi que du bureau de l'Association internationale des juristes dĂ©mocrates. Elle est la doyenne fondatrice de l'AcadĂ©mie populaire de droit international et la reprĂ©sentante des Ătats-Unis au conseil consultatif continental de l'Association des juristes amĂ©ricains. Ses ouvrages comprennent Drones and Targeted Killing : Legal, Moral and Geopolitical Issues.
https://consortiumnews.com/2024/03/31/can-assanges-extradition-be-stopped/