đâđš LâHolocauste de Gaza, la dĂ©rive autoritaire dâIsraĂ«l & la civilisation occidentale en crise
Israël sait pouvoir agir à sa guise à Gaza, ainsi qu'en Cisjordanie. On peut s'attendre à une catastrophe humanitaire aux proportions inimaginables, avec un risque accru de déstabilisation régionale.
đâđš LâHolocauste de Gaza, la dĂ©rive autoritaire dâIsraĂ«l & la civilisation occidentale en crise
Par Roberto Iannuzzi via Thomas Fazi, le 31 mars 2025
Une catastrophe humanitaire d'une ampleur inimaginable se dĂ©roule en Palestine, menaçant la stabilitĂ© rĂ©gionale - et elle se poursuit avec le soutien total et inconditionnel des Ătats-Unis et de l'UE.
Ce qui se déroule à Gaza ne restera pas confiné à Gaza. C'est le symptÎme d'un malaise plus général qui érode la civilisation occidentale.
La violation du cessez-le-feu dans la bande de Gaza par IsraĂ«l coĂŻncide avec une centralisation sans prĂ©cĂ©dent du pouvoir au sein de l'Ătat juif, sous l'impulsion du gouvernement Netanyahu.
Que rien de tout cela ne fasse la une des journaux en Europe ou aux Ătats-Unis est en soi rĂ©vĂ©lateur, signe d'une crise non seulement dĂ©mocratique, mais civilisationnelle, vers laquelle l'Occident tout entier se prĂ©cipite (sans en avoir conscience, semble-t-il).
Cet engourdissement est dĂ» au contexte mondial plus large, oĂč l'Occident lui-mĂȘme connaĂźt une dĂ©rive illibĂ©rale et a progressivement dĂ©mantelĂ© tous les acquis du droit international dont il se faisait autrefois le champion.
Aujourd'hui, Ă titre d'exemple, les Ătats-Unis parlent ouvertement de la possibilitĂ© d'annexer des territoires ou des Ătats souverains comme le Groenland et le Canada.
Et, paradoxalement, les alliés européens accusent Washington non pas de telles revendications grotesques, mais de déloyauté pour vouloir négocier la fin du conflit en Ukraine, qui a causé d'énormes préjudices à l'Europe et pourrait en entraßner encore d'autres s'il se poursuit.
Gaza
Dans la nuit du 18 mars, Israël a violé le cessez-le-feu en bombardant brutalement Gaza, tuant plus de 400 Palestiniens en quelques heures. Le lendemain, le nombre de morts était passé à plus de 700.
Ces chiffres, largement ignorés par la presse occidentale, ont envoyé un message sans équivoque à la population de Gaza.
MĂȘme lors des plus violentes opĂ©rations militaires israĂ©liennes avant le dernier cessez-le-feu, le nombre de morts ne dĂ©passait pas 250 par jour, un chiffre en soi tout Ă fait stupĂ©fiant.
D'aprÚs la Protection civile palestinienne, parmi les plus de 400 victimes recensées le premier jour, on comptait plus de 170 enfants et plus de 80 femmes. En d'autres termes, la grande majorité des victimes de ce massacre sont non seulement des civils, mais aussi des femmes et des enfants.
En bref, la violation du cessez-le-feu par IsraĂ«l a entraĂźnĂ© un massacre aveugle et sans prĂ©cĂ©dent de victimes sans dĂ©fense - la marque de fabrique du âconflitâ de Gaza dans son ensemble, qui prend dĂ©sormais des proportions de plus en plus choquantes.
Depuis le 7 octobre 2023, Israël a tué au moins 17 400 enfants, dont 15 600 identifiés. Beaucoup d'autres sont toujours ensevelis sous les décombres.
MĂȘme parmi les quelques cibles frappĂ©es affiliĂ©es au Hamas, IsraĂ«l a principalement bombardĂ© des reprĂ©sentants de l'administration civile de Gaza, c'est-Ă -dire des non-combattants.
D'aprÚs des sources israéliennes, le but de ces attaques est de détruire la structure administrative qui permet au Hamas de gouverner Gaza.
Le Hamas a notamment dĂ©plorĂ© la perte d'Isam Da'alis (coordinateur du gouvernement), de Mahmoud Hatteh (ministre adjoint de la Justice), d'Ahmad Abu Watfeh (ministre adjoint de l'IntĂ©rieur) et d'Ismail Barhoum (ministre des Finances), ce dernier ayant Ă©tĂ© tuĂ© lorsque IsraĂ«l a bombardĂ© l'hĂŽpital Nasser de Khan Younis, oĂč il Ă©tait hospitalisĂ©.
Selon les Conventions de GenÚve, toutes les parties à un conflit armé doivent respecter des principes fondamentaux tels que la distinction entre cibles militaires et civiles et le principe de proportionnalité.
MalgrĂ© toutes les preuves, des pays comme le Royaume-Uni et les Ătats-Unis ont conclu qu'il est impossible d'affirmer de maniĂšre catĂ©gorique qu'IsraĂ«l a violĂ© le principe de proportionnalitĂ©.
En mai dernier, un rapport du DĂ©partement d'Ătat, sollicitĂ© par le prĂ©sident de l'Ă©poque, Joe Biden, pour Ă©valuer si IsraĂ«l utilise les armes fournies par les Ătats-Unis âconformĂ©ment au droit international humanitaireâ, a conclu Ă l'impossibilitĂ© de parvenir Ă une conclusion en raison du manque de transparence d'IsraĂ«l sur ses processus dĂ©cisionnels.
De mĂȘme, une lettre du ministre britannique des Affaires Ă©trangĂšres, David Lammy, publiĂ©e en janvier, affirmait qu'une Ă©valuation est impossible en raison des âinformations opaques et contestĂ©es Ă Gazaâ.
Durant la derniÚre phase du cessez-le-feu, Lammy s'est montré plus critique envers Tel Aviv, déclarant que le blocus de l'aide d'Israël à la bande de Gaza constitue une violation du droit international.
Cependant, il a Ă©tĂ© rapidement contredit par un porte-parole du gouvernement. Le Royaume-Uni continue d'entretenir des liens extrĂȘmement Ă©troits avec l'industrie de l'armement et les dirigeants militaires d'IsraĂ«l.
La base britannique d'Akrotiri à Chypre a été largement utilisée pour déployer des forces spéciales et des armes américaines en Israël durant le conflit. Et aprÚs que Tel Aviv a rompu le cessez-le-feu, les avions espions britanniques ont repris leurs vols quotidiens au-dessus de Gaza.
Déportation ou extermination
Le gouvernement Netanyahu a violĂ© le cessez-le-feu en accusant le Hamas de refuser de libĂ©rer les otages. En rĂ©alitĂ©, l'accord de trĂȘve a Ă©tĂ© structurĂ© de telle maniĂšre (en trois phases) qu'il Ă©tait clair dĂšs le dĂ©part qu'il Ă©chouerait.
MalgrĂ© les accusations de Tel Aviv, c'est bien le gouvernement israĂ©lien qui a refusĂ© de mettre en Ćuvre - voire de nĂ©gocier - le dĂ©but de la deuxiĂšme phase.
Il a plutÎt cherché à prolonger la premiÚre phase afin d'obtenir la libération du plus grand nombre possible d'otages israéliens sans s'engager à mettre fin au conflit.
Par le passé, le Premier ministre Benjamin Netanyahu a déclaré à maintes reprises qu'Israël ne mettrait pas fin à la guerre tant que le Hamas ne serait pas détruit.
Le ministre de la DĂ©fense, Israel Katz, a clarifiĂ© sans Ă©quivoque les deux options qui s'offrent aux Palestiniens de Gaza. AprĂšs le premier jour de bombardements intensifs, il a dĂ©clarĂ© qu'il âne s'agit que d'une premiĂšre Ă©tapeâ.
S'adressant Ă une population dĂ©vastĂ©e par la faim et les destructions, Katz a dĂ©clarĂ© que si les otages sont libĂ©rĂ©s et que le Hamas est expulsĂ©, âd'autres optionsâ s'offriraient aux Palestiniens de Gaza, notamment âla possibilitĂ© de se rĂ©installer dans d'autres rĂ©gions du monde pour ceux qui le souhaitentâ.
âL'alternative est la destruction et la dĂ©vastation totalesâ,
a conclu le ministre. En d'autres termes : déportation, ou extermination.
Dix jours plus tĂŽt, durant le cessez-le-feu, le ministre des Finances Bezalel Smotrich, de retour de Washington, affirmait que le plan de Trump visant Ă chasser les Palestiniens de Gaza âprend formeâ.
Selon le Washington Post, l'armée israélienne prépare une nouvelle opération terrestre dans la bande de Gaza qui pourrait durer des mois.
Les soldats de Tel Aviv ont déjà repris le contrÎle du couloir de Netzarim, dans le centre-nord de l'enclave, et ont attaqué la ville de Rafah, dans le sud.
Selon le Washington Post, les chefs militaires israĂ©liens planifient des tactiques encore plus agressives, notamment le contrĂŽle direct de l'aide humanitaire, en qualifiant les dirigeants civils du Hamas de cibles lĂ©gitimes et en relocalisant la population dans des âbulles humanitairesâ.
Ceux qui refuseront d'Ă©vacuer seront traitĂ©s comme des combattants et Ă©liminĂ©s, soit militairement, soit par l'application de stratĂ©gies de blocus telles que celles dĂ©jĂ employĂ©es dans le nord de Gaza avant la trĂȘve.
Cette nouvelle campagne, qui s'annonce encore plus violente, est favorisée par le retour de Donald Trump à la Maison Blanche et une plus grande cohésion entre le gouvernement et les nouveaux ministres de la Défense. Le ministre Katz et le nouveau chef de l'armée, Eyal Zamir, sont tous deux pleinement loyaux envers Netanyahu.
Leurs prédécesseurs, le ministre de la Défense Yoav Gallant et le chef d'état-major Herzi Halevi, s'étaient opposés à l'idée d'une occupation militaire complÚte de Gaza, qui impliquerait la gestion de la population et de l'aide humanitaire.
La prise de pouvoir de Netanyahu
La décision de Netanyahu de reprendre les opérations militaires à Gaza résulte également de besoins politiques nationaux spécifiques.
En relançant les bombardements, il a assuré le retour en grùce du ministre Smotrich, qui avait menacé de quitter le gouvernement si Israël passait à la deuxiÚme phase du cessez-le-feu.
Le Premier ministre a Ă©galement rĂ©ussi Ă rĂ©intĂ©grer au sein du cabinet l'autre parti d'extrĂȘme droite, Otzma Yehudit, et son chef Itamar Ben-Gvir, qui a retrouvĂ© son poste de ministre de la SĂ©curitĂ© nationale, malgrĂ© l'opposition du procureur gĂ©nĂ©ral Gali Baharav-Miara.
Le gouvernement détient désormais 68 siÚges sur 120 à la Knesset, le parlement d'Israël, lui permettant d'adopter la loi de finances avant la date limite du 31 mars sans craindre le chantage des partis ultra-orthodoxes exigeant une exemption du service militaire.
La reprise des opérations militaires a également offert à Netanyahu le moyen de détourner l'attention, pour pouvoir limoger le chef du Shin Bet, Ronen Bar, sans trop de résistance, aprÚs un conflit prolongé et intense entre les deux hommes.
L'enquĂȘte interne du Shin Bet sur les attentats du 7 octobre 2023 a identifiĂ© le financement qatari de Gaza - 30 millions de dollars par mois - comme le facteur clĂ© ayant permis au Hamas de prĂ©parer l'attaque. Ce financement a Ă©tĂ© publiquement soutenu par Netanyahu.
Le Shin Bet a aussi enquĂȘtĂ© sur les liens prĂ©sumĂ©s entre les principaux collaborateurs de Netanyahu et le Qatar, notamment pour redorer l'image de la monarchie du Golfe avant la Coupe du monde de la FIFA 2022 Ă Doha.
De plus, l'agence du renseignement, sous la supervision de Ben-Gvir, a commencĂ© Ă enquĂȘter sur l'infiltration d'extrĂ©mistes kahanistes dans les rangs de la police.
Naturellement, une grande partie de la population israĂ©lienne reproche au Shin Bet et Ă Ronen Bar d'ĂȘtre responsables des Ă©checs du 7 octobre. Pourtant, beaucoup pensent que Netanyahu a limogĂ© Bar pour des raisons personnelles.
La Procureure générale, Mme Tzipi Livni, a contesté la décision de limoger Bar. Un bras de fer est en cours entre elle et le Premier ministre, qui cherche également à la démettre de ses fonctions.
Au nom de la guerre, le gouvernement a également achevé le processus législatif de la réforme judiciaire qui a déjà plongé Israël dans une crise politique sans précédent, bien avant l'attaque du Hamas d'octobre 2023.
La rĂ©forme accorde au pouvoir politique, et en particulier au gouvernement, un pouvoir considĂ©rablement accru dans la sĂ©lection des juges et des membres de la Cour suprĂȘme, au dĂ©triment du pouvoir judiciaire et du barreau.
à peine modifiée pour apaiser l'opposition, la réforme a finalement été approuvée par le Parlement malgré le boycott des partis d'opposition.
Face à l'impuissance de l'opposition et au ralentissement des manifestations de rue, le procureur général est le dernier obstacle à une consolidation sans précédent du pouvoir personnel de Netanyahu.
Un soutien occidental inconditionnel
Dans sa lutte acharnée pour sa survie politique, Netanyahu a établi à plusieurs reprises des rapprochements intéressés avec le président américain Donald Trump.
Ă son retour de la Maison Blanche le 11 fĂ©vrier, Netanyahu a prononcĂ© un discours devant son cabinet, que les initiĂ©s ont surnommĂ© le âdiscours de loyautĂ©â, durant lequel il aurait dĂ©clarĂ© :
âRegardez Trump. Il a fait trois choses en AmĂ©rique : il s'est entourĂ© de personnes qui lui sont fidĂšles et Ă lui seul, il a licenciĂ© tous ceux qui ne lui sont pas fidĂšles, et il Ă©limine mĂ©thodiquement et complĂštement l'âĂtat profondââ.
Netanyahu aurait ainsi lancé sa propre purge politique.
Pendant ce temps, l'administration Trump a donné son feu vert à la reprise des opérations militaires à Gaza, rejetant la responsabilité de l'échec du cessez-le-feu sur le Hamas.
L'administration âsoutient pleinementâ IsraĂ«l, l'armĂ©e israĂ©lienne et les mesures prises ces derniers jours, a dĂ©clarĂ© la porte-parole de la Maison Blanche, Karoline Leavitt.
L'Union europĂ©enne a offert un soutien plus discret, âdĂ©plorantâ la violation de la trĂȘve tout en condamnant le ârefusâ du Hamas de libĂ©rer les otages.
Dans la pratique, cependant, l'UE n'a rien fait pour contenir les actions d'Israël, comme en témoigne la visite en Israël de la chef de la politique étrangÚre de l'UE, Kaja Kallas, le 24 mars.
Durant sa visite, Kallas a réitéré sa
âvive condamnationâ des violences du Hamas, tout en notant simplement que âla violation du cessez-le-feu a causĂ© d'effroyables pertes en vies humainesâ.
Bien qu'elle ait appelé à la reprise des négociations, Kallas a réaffirmé la solidarité de l'UE avec Israël et a ajouté :
âNous convenons de l'immense menace que reprĂ©sente l'Iran pour la rĂ©gion et la stabilitĂ© mondialeâ, notant en outre que âl'Iran serait Ă©galement un soutien et une menace pour la guerre de la Russie en Ukraineâ.
Ni Kallas ni d'autres dirigeants de l'UE n'ont pris de mesures concrĂštes concernant la campagne militaire brutale et sans justification lancĂ©e par IsraĂ«l en Cisjordanie fin janvier, juste aprĂšs le dĂ©but de la trĂȘve Ă Gaza.
D'autres signes inquiétants émanent de la Maison Blanche.
Le secrétaire à la Défense, Pete Hegseth, qui a démis de leurs fonctions les responsables du Pentagone chargés d'évaluer les risques pour les civils, a confié à des experts juridiques militaires la tùche d'assouplir les rÚgles d'engagement de l'armée américaine.
Juste avant qu'IsraĂ«l ne viole le cessez-le-feu Ă Gaza, les forces amĂ©ricaines ont bombardĂ© les rebelles houthis du YĂ©men, responsables du blocus de la mer Rouge (suspendu durant la trĂȘve Ă Gaza), tuant plus de 50 personnes, dont de nombreux civils.
L'opĂ©ration s'est accompagnĂ©e de menaces profĂ©rĂ©es par Trump Ă l'encontre du groupe yĂ©mĂ©nite : âL'enfer sâabattra sur vous comme vous nâen avez jamais connu !â.
L'Occident fait ainsi savoir que, du moins au Moyen-Orient, il est prĂȘt Ă recourir Ă une force disproportionnĂ©e, mĂȘme si cela doit entraĂźner d'innombrables pertes civiles, malgrĂ© des objectifs stratĂ©giques flous.
Israël sait qu'il peut agir à sa guise à Gaza, et probablement aussi en Cisjordanie. On peut s'attendre à une catastrophe humanitaire aux proportions inimaginables, avec un risque accru de déstabilisation régionale.
Ni les Ătats-Unis ni l'Europe ne semblent disposĂ©s Ă s'opposer Ă un scĂ©nario aussi cauchemardesque.
Selon toute vraisemblance, le reste du monde tirera ses propres conclusions du comportement de l'Occident, à la fois brutal, dangereux et imprévisible, mais aussi fragile, contradictoire et impuissant à obtenir des succÚs tangibles.