đâđš "L'homme d'Obama en Afrique" assignĂ© Ă rĂ©sidence alors qu'un coup d'Ătat populaire secoue le Gabon
Avant d'ĂȘtre destituĂ©, le prĂ©sident Ali Bongo, notoirement corrompu, Ă©tait courtisĂ© par Obama & fĂȘtĂ© de Washington Ă Davos. La guerre amĂ©ricaine contre la Libye n'aurait peut-ĂȘtre pas abouti sans lui.
đâđš âL'homme d'Obama en Afriqueâ assignĂ© Ă rĂ©sidence alors qu'un coup d'Ătat populaire secoue le Gabon
Par Max Blumenthal / The Grayzone, le 2 septembre 2023
Lorsqu'une junte militaire a arrĂȘtĂ© le prĂ©sident Ali Bongo Ondimba le 30 aoĂ»t, le Gabon est devenu le neuviĂšme pays africain Ă dĂ©poser son gouvernement par un coup d'Ătat militaire. Comme l'avaient fait avant eux les citoyens du Niger, du Burkina Faso et du Mali, des foules de Gabonais se sont prĂ©cipitĂ©es dans les rues pour cĂ©lĂ©brer la destitution d'un dirigeant soutenu par l'Occident, dont la famille affichait un train de vie somptueux alors que plus d'un tiers de la population du pays sombrait dans le dĂ©nuement.
âUne gouvernance irresponsable et imprĂ©visible a conduit Ă une dĂ©tĂ©rioration constante de la cohĂ©sion sociale, menaçant de conduire le pays au chaosâ, a dĂ©clarĂ© le colonel Ulrich Manfoumbi, chef de la junte gabonaise, lors de sa prise de pouvoir.
L'arrestation du président Bongo a suscité les condamnations indignées de Washington et de Paris, qui l'avaient soutenu alors qu'il pillait l'immense richesse pétroliÚre de son pays. Son éviction a représenté une attaque particuliÚrement vive contre l'ancien président Barack Obama, qui avait fait de l'autocrate gabonais l'un de ses plus proches alliés sur le continent et s'était assuré de son soutien diplomatique lorsqu'il a mené une guerre contre la Libye qui a semé la terreur et l'instabilité dans toute la région.
Le lien entre M. Obama et M. Bongo Ă©tait si fort que Foreign Policy a qualifiĂ© le dirigeant gabonais d'âHomme d'Obama en Afriqueâ.
Avec l'aide d'Obama, Bongo a tentĂ© de se faire passer pour un rĂ©formateur modernisateur. Il s'est rendu Ă plusieurs reprises Ă Davos, en Suisse, pour assister au Forum Ă©conomique mondial, oĂč il a Ă©tĂ© nommĂ© âcontributeur Ă l'agendaâ. Il s'y est engagĂ© Ă accĂ©lĂ©rer la quatriĂšme rĂ©volution industrielle en Afrique en mettant en place des systĂšmes lucratifs en matiĂšre de paiements et d'identification numĂ©riques au sein de la population lourdement appauvrie de son pays.
La biographie de M. Bongo sur le site web du WEF le prĂ©sente comme un âporte-parole de l'Afrique en matiĂšre de biodiversitĂ©â et un âcompositeur de piĂšces musicalesâ qui s'intĂ©resse notamment Ă âl'histoire, le football, la musique classique, le jazz et la bossa novaâ. L'homme de la renaissance autoproclamĂ© a rĂ©ussi Ă s'entendre avec Obama, Ă fraterniser avec Klaus Schwab, et Ă se rapprocher de Bill Gates. Mais chez lui, il n'a guĂšre trouvĂ© d'amis parmi les masses gabonaises en difficultĂ©.
Le destin d'un âcitoyen du mondeâ se joue Ă domicile
Ali Bongo a accédé au pouvoir en tant que fils de feu l'autocrate gabonais Omar Bongo Odinmba, qui a dirigé le pays de 1967 à sa mort. En 2004, un an aprÚs avoir négocié un accord de blanchiment d'image de 9 millions de dollars avec le lobbyiste républicain en disgrùce Jack Abramoff, Ali Bongo a obtenu une rencontre avec le président George W. Bush. à sa mort, cinq ans plus tard, il a laissé derriÚre lui un palais présidentiel de 500 millions de dollars, plus d'une douzaine de résidences luxueuses allant de Paris à Beverly Hills, et un pays accablé par les inégalités.
AprĂšs un bref intermĂšde en tant qu'artiste de disco, Bongo a Ă©tudiĂ© Ă la Sorbonne en France et s'est prĂ©parĂ© Ă diriger son pays. Lorsqu'il est devenu prĂ©sident en 2009, il a repris le flambeau lĂ oĂč son pĂšre l'avait laissĂ©, pillant les fonds publics pour se payer un avion de ligne Boeing 777 et une flotte de voitures de luxe, tout en signant des contrats mirobolants avec des agences de relations publiques internationales. La sĆur de M. Bongo, Pascaline, a dĂ©pensĂ© plus de 50 millions de dollars pour des voyages touristiques en jet et des rĂ©sidences de luxe, selon une action en justice, tandis que sa famille cultivait son influence Ă Paris en siphonnant des fonds de la Banque des Ătats de l'Afrique centrale vers les coffres des campagnes Ă©lectorales des anciens prĂ©sidents français Nicolas Sarkozy et Jacques Chirac.
Pourtant, rien dans lâĂ©pais et bien documentĂ© dossier de corruption de la famille Bongo n'a semblĂ© dĂ©ranger le prĂ©sident Barack Obama lorsqu'il s'est embarquĂ© dans une opĂ©ration de changement de rĂ©gime en Libye, ironiquement justifiĂ©e en tant qu'exercice de âpromotion de la dĂ©mocratieâ. Avec l'aide de Washington, le Gabon a Ă©tĂ© admis au Conseil de sĂ©curitĂ© de l'ONU, oĂč il a servi de tampon aux rĂ©solutions amĂ©ricaines exigeant des sanctions et une zone d'exclusion aĂ©rienne sur la Libye en fĂ©vrier 2011.
L'esprit de coopération de M. Bongo lui a valu une visite à Obama, à Washington, quatre mois plus tard. C'est là , dans la résidence personnelle du président, qu'il est devenu le premier dirigeant africain à appeler Kadhafi à abandonner le pouvoir.
âIls pouvaient appeler n'importe quel dirigeant africain avec des numĂ©ros de portable privĂ©sâ, a fait remarquer Eric Benjaminson, alors ambassadeur des Ătats-Unis au Gabon, Ă Foreign Policy, en faisant rĂ©fĂ©rence au personnel de M. Bongo. âIls connaissaient trĂšs bien Kadhafi et son chef de cabinet, et nous essayions, par l'intermĂ©diaire des Gabonais, d'amener Kadhafi Ă quitter le pouvoir sans intervention militaireâ.
Et Benjaminson d'ajouter : âObama l'aimait bienâ.
La guerre de changement de rĂ©gime menĂ©e par les Ătats-Unis contre la Libye a rapidement transformĂ© cette nation auparavant stable et prospĂšre en un enfer despotique dirigĂ© par des seigneurs de guerre affiliĂ©s Ă Al-QaĂŻda et Ă ISIS. BĂ©nĂ©ficiant d'un accĂšs pratiquement illimitĂ© aux anciens dĂ©pĂŽts d'armes de l'armĂ©e libyenne, les gangs djihadistes ont commencĂ© Ă sĂ©vir dans la rĂ©gion du Sahel. Le Qatar, la monarchie du Golfe partenaire de la France et des Ătats-Unis pour renverser Kadhafi, a fourni une aide secrĂšte Ă cette offensive, permettant ainsi Ă une coalition djihadiste d'Ă©tablir un califat de facto dans le nord-est du Mali en 2012.
âLa violence qui frappe le Mali, autrefois stable, depuis la fin 2011 n'aurait pas dĂ» surprendre les gouvernements occidentaux, car elle est la consĂ©quence directe de l'intervention libyenne de l'OTANâ, note le Council on Foreign Relations.
MalgrĂ© le renforcement de la prĂ©sence militaire française et amĂ©ricaine - ou peut-ĂȘtre Ă cause d'elle - les attaques djihadistes se sont multipliĂ©es dans la rĂ©gion en 2014. En aoĂ»t, Obama a rĂ©compensĂ© M. Bongo en l'invitant Ă participer Ă son sommet des dirigeants amĂ©ricano-africains Ă Washington. Lors du dĂźner de gala de ce sommet, M. Obama a soulignĂ© le rĂŽle central de M. Bongo dans sa stratĂ©gie pour l'Afrique en s'asseyant Ă ses cĂŽtĂ©s, alors qu'ils Ă©taient divertis par la lĂ©gende de la pop Lionel Richie.
Un mois seulement aprĂšs avoir Ă©tĂ© rĂ©Ă©lu lors d'un scrutin douteux en 2016, M. Bongo a Ă©tĂ© convoquĂ© de nouveau aux Ătats-Unis, cette fois par le Conseil atlantique, un organisme notoirement douteux parrainĂ© par l'OTAN, pour recevoir un âGlobal Citizen Awardâ lors du gala Ă cravate noire du think tank Ă New York. Mais comme les doutes persistaient dans son pays sur le trucage des Ă©lections gabonaises, y compris un vote de 95 % en sa faveur sur un taux de participation de prĂšs de 100 % dans une rĂ©gion, il a Ă©tĂ© contraint d'annuler le voyage.
âLe Conseil atlantique respecte la dĂ©cision du prĂ©sident gabonais Bongo de renoncer Ă recevoir son Global Citizen Award cette annĂ©e en raison des prioritĂ©s absolues qui sont les siennes dans son paysâ, a annoncĂ© le think tank dans une dĂ©claration absurde publiĂ©e sur son site web.
Pendant ce temps, Ă Bamako, la capitale du Mali, un groupe de citoyens se faisant appeler âPatriotes du Maliâ a commencĂ© Ă recueillir des millions de signatures pour exiger le dĂ©part de tout le personnel diplomatique et militaire français de leur pays. Ils ont appelĂ© les troupes russes Ă remplacer les Français, les exhortant Ă chasser les bandits islamistes qui gangrĂšnent leur sociĂ©tĂ© depuis la guerre menĂ©e par Obama contre la Libye.
La colĂšre qui couvait chez les Maliens moyens a dĂ©clenchĂ© un coup d'Ătat militaire populaire en 2021, et a pavĂ© la voie Ă un autre coup d'Ătat au Burkina Faso voisin l'annĂ©e suivante, oĂč les citoyens ont Ă©tĂ© vus en train de cĂ©lĂ©brer le rĂ©gime avec des drapeaux russes de fabrication artisanale en main.
Lorsque les putschistes ont renversĂ© le gouvernement gabonais le 30 aoĂ»t dernier, mettant fin au rĂšgne de l'un des kleptocrates prĂ©fĂ©rĂ©s de Washington, M. Bongo a enregistrĂ© un message vidĂ©o depuis un lieu inconnu, appelant dĂ©sespĂ©rĂ©ment âtous les amis qui nous sont chers dans le monde entier Ă faire du bruitâ.
A ce stade, il n'est pas certain qu'Obama ait prĂȘtĂ© l'oreille, ni qu'il puisse faire grand-chose pour aider son âhomme en Afriqueâ.
* Rédacteur en chef de The Grayzone, Max Blumenthal est un journaliste primé et l'auteur de plusieurs livres, dont les best-sellers républicains Gomorrah, Goliath, The Fifty One Day War et The Management of Savagery. Il a produit des articles pour un grand nombre de publications, de nombreux reportages vidéo et plusieurs documentaires, dont Killing Gaza. Blumenthal a fondé The Grayzone en 2015 pour mettre en lumiÚre l'état de guerre perpétuelle de l'Amérique et ses dangereuses répercussions intérieures.