đâđš L'hypocrisie de l'Ăglise chrĂ©tienne
Exigeons toujours la justice, mĂȘme au prix de nos propres confort & sĂ©curitĂ©. Nous ne triompherons peut-ĂȘtre pas toujours du mal, mais notre foi fait que jamais le mal ne triomphera de nous.
đâđš. L'hypocrisie de l'Ăglise chrĂ©tienne
Par Chris Hedges, le 6 avril 2023
Voici un discours que j'ai prononcé le 6 avril lors d'une manifestation organisée au Princeton Theological Seminary pour demander la révocation du milliardaire des fonds spéculatifs Michael Fisch en tant que président du conseil d'administration du séminaire.
Nous ne sommes pas ici pour dĂ©battre de la misĂšre morale qui dĂ©finit la vie du milliardaire des fonds spĂ©culatifs et prĂ©sident du conseil d'administration du sĂ©minaire, Michael Fisch. Nous ne sommes pas ici pour dĂ©noncer sa fortune personnelle, qui vaudrait au moins 10 milliards de dollars, une fortune qu'il a bĂątie en s'attaquant aux plus pauvres d'entre nous, ces familles qui se sont endettĂ©es pour payer les frais exorbitants de sa sociĂ©tĂ© de tĂ©lĂ©communications en milieu carcĂ©ral, qui facture jusqu'Ă 15 dollars pour des appels de 15 minutes, des frais pour lesquels les familles Ă travers les Ătats-Unis paient 1,4 milliard de dollars chaque annĂ©e pour parler Ă leurs proches incarcĂ©rĂ©s. Nous ne sommes pas ici pour dĂ©crier la douleur que lui et sa sociĂ©tĂ© ViaPath, anciennement Global Tel Link, ont infligĂ©e Ă des centaines de milliers d'enfants, dĂ©sespĂ©rant de parler Ă un pĂšre ou une mĂšre incarcĂ©rĂ©s, pour leur raconter l'Ă©cole ou leur dire qu'ils leur manquent, qu'ils ont besoin d'entendre leur voix pour savoir que tout va bien se passer, qu'ils sont aimĂ©s. Nous ne sommes pas ici pour opposer la vie de ces enfants, dĂ©concertĂ©s par la cruautĂ© de ce monde, vivant dans les appartements dĂ©labrĂ©s des citĂ©s, Ă l'opulence fĂ©odale de la vie de Michael Fisch, ses trois manoirs d'une valeur de 100 millions de dollars alignĂ©s dans la mĂȘme rue chic d'East Hampton, sa collection d'Ćuvres d'art d'une valeur de plus de 500 millions de dollars, son appartement de la CinquiĂšme Avenue d'une valeur de 21 millions de dollars et sa maison de ville de quatre Ă©tages dans l'Upper East Side. Autant d'habitations de luxe inoccupĂ©es la plupart du temps, sans doute, alors que plus de 500 000 AmĂ©ricains sont sans-abri. La cupiditĂ© n'est pas rationnelle. Elle dĂ©vore parce qu'elle le peut. Elle ne connaĂźt qu'un seul motto : "toujours plus".
Non, nous sommes ici aujourd'hui pour dĂ©noncer les pharisiens qui dirigent ce SĂ©minaire, ceux qui parlent d'aimer les pauvres, les opprimĂ©s et les marginalisĂ©s, en thĂ©orie, mais qui en rĂ©alitĂ© aiment les riches, y compris les riches qui font fortune en exploitant les familles des Ă©tudiants Ă qui j'enseigne dans le programme universitaire de Rutgers dans les prisons du New Jersey, des Ă©tudiants dont beaucoup n'auraient jamais dĂ» ĂȘtre emprisonnĂ©s et qui sont victimes de notre systĂšme de nĂ©o-esclavagisme. Nous sommes ici aujourd'hui pour dĂ©noncer l'Ăglise libĂ©rale, si prompte Ă se draper dans le manteau de la vertu, et si prompte Ă trahir la vertu lorsqu'elle entre en conflit avec les intĂ©rĂȘts financiers, et qu'elle exige l'abnĂ©gation.
Est-ce Ă©tonnant que l'Ăglise libĂ©rale soit moribonde ? Est-ce Ă©tonnant que ses sĂ©minaires et ses Ă©coles de thĂ©ologie se rĂ©duisent et ferment ? L'Ăglise se saigne Ă blanc en soutenant des institutions moribondes et en finançant des bureaucrates ecclĂ©siastiques et des prĂ©sidents de sĂ©minaires qui s'expriment dans un charabia creux et flou, comme l'a fait Lee Walton, le prĂ©sident du Princeton Theological Seminary, lorsqu'on lui a expliquĂ© que Michael Fisch, et tout ce qu'il reprĂ©sente, est contraire Ă l'Ăvangile chrĂ©tien. Cette fausse piĂ©tĂ©, et l'arrogance suffisante qui l'accompagne, est en train de tuer l'Ăglise, de la transformer en objet de musĂ©e.
Black Lives Matter est-elle une marchandise, une Ă©tiquette, ou signifie-t-elle que nous nous tiendrons aux cĂŽtĂ©s des corps noirs, bruns, asiatiques et blancs dans nos goulags pĂ©nitentiaires et nos colonies nationales ? Ce sĂ©minaire a peut-ĂȘtre rayĂ© de sa chapelle le nom de Samuel Miller, un esclavagiste qui a utilisĂ© l'Ăvangile pour perpĂ©trer et dĂ©fendre un crime aux proportions nazies, mĂȘme si ce n'est que lorsque les Ă©tudiants ont protestĂ©, mais il accueille un milliardaire qui fait fortune en dĂ©pouillant des hommes et des femmes incarcĂ©rĂ©s qui travaillent 40 heures par semaine en prison et sont payĂ©s, lorsqu'ils le sont, Ă peine plus d'un dollar par jour. Les prisons sont les plantations des temps modernes, et il n'est pas surprenant qu'elles reprĂ©sentent un business de plusieurs milliards de dollars par an pour des oligarques tels que Michael Fisch.
Dans les annĂ©es 1930 et 1940, les riches industriels ont injectĂ© de l'argent et des ressources dans l'Ăglise, y compris dans des sĂ©minaires comme celui de Princeton, afin d'Ă©craser le Social Gospel, dirigĂ© par des chrĂ©tiens radicaux et des socialistes. Ils ont financĂ© une forme de christianisme - aujourd'hui dominante - qui associe la foi Ă la libre entreprise et Ă l'exceptionnalisme amĂ©ricain. L'Ăglise a sombrĂ© dans une forme de spiritualitĂ© narcissique du "tout est permis". Les riches sont riches, selon ce credo, non pas parce qu'ils sont cupides ou privilĂ©giĂ©s, non pas parce qu'ils utilisent leur pouvoir pour exploiter les autres, mais parce qu'ils sont des leaders brillants et douĂ©s, dignes d'ĂȘtre cĂ©lĂ©brĂ©s comme des oracles, Ă l'instar de Bill Gates ou de Jamie Dimon. Cette croyance n'est pas seulement illusoire, c'est une hĂ©rĂ©sie chrĂ©tienne. Le mot hĂ©rĂ©sie vient du verbe grec hireo, qui signifie saisir ou se saisir - se saisir de ce qui vous convient aux dĂ©pens des autres. Il n'est pas nĂ©cessaire de passer trois ans Ă la Harvard Divinity School, comme je l'ai fait, pour comprendre que JĂ©sus n'est pas apparu pour nous rendre riches.
L'Ăglise libĂ©rale s'est suicidĂ©e en rompant avec ce radicalisme. Les chrĂ©tiens radicaux ont menĂ© le mouvement abolitionniste, ont Ă©tĂ© actifs dans la Ligue anti-impĂ©rialiste, ont dĂ©fendu les travailleurs lors de guerres ouvriĂšres sanglantes, ont luttĂ© pour le droit de vote des femmes, ont formulĂ© le Gospel social - avec des campagnes pour la rĂ©forme des prisons et des programmes Ă©ducatifs pour les dĂ©tenus - et ont jouĂ© un rĂŽle moteur dans les mouvements pour les droits civiques, et contre la guerre. Le candidat socialiste Ă la prĂ©sidence, Eugene V. Debs, a passĂ© beaucoup plus de temps Ă citer la Bible que Karl Marx. Son successeur, Norman Thomas, Ă©tait un pasteur presbytĂ©rien.
Ces radicaux n'ont pas été accueillis par l'église institutionnelle, véritable rempart de l'establishment, mais ont permis à l'église de conserver sa vitalité et son caractÚre prophétique. Ils l'ont rendue pertinente. Les radicaux étaient et restent son espoir.
James Baldwin, qui a grandi dans l'Ăglise et a Ă©tĂ© briĂšvement pasteur, a dĂ©clarĂ© qu'il avait abandonnĂ© sa chaire pour prĂȘcher l'Ăvangile. Il savait que l'Ăvangile n'Ă©tait pas entendu la plupart des dimanches dans les lieux de culte chrĂ©tiens. Et aujourd'hui, alors que les pasteurs craignent d'offenser leurs fidĂšles vieillissants et de moins en moins nombreux - sur lesquels on compte pour payer le salaire et les factures du clergĂ© - ce constat se confirme encore plus qu'Ă l'Ă©poque de Baldwin.
Cela ne veut pas dire que l'Ăglise n'existe pas. Cela ne veut pas dire que je rejette l'Ăglise. Au contraire. L'Ăglise d'aujourd'hui n'est pas installĂ©e dans les bĂątiments de pierre qui nous entourent ou dans des lieux de culte spacieux et gĂ©nĂ©ralement vides, mais ici, avec vous. Elle est prĂ©sente aux cĂŽtĂ©s de ceux qui travaillent dans les prisons, les Ă©coles et les refuges, de ceux qui rassemblent les travailleurs de la restauration rapide, de ceux qui aident les sans-papiers, de ceux qui crĂ©ent des ligues de basket-ball nocturnes dans les communautĂ©s pauvres, comme l'a fait Michael Granzen, mon camarade de classe de l'Ă©cole de thĂ©ologie, Ă Elizabeth, et de ceux qui se font arrĂȘter dans les manifestations contre le forage et contre la guerre.
Les milliardaires comme Michael Fisch ne financeront jamais cette Ă©glise, la vĂ©ritable Ă©glise. Mais nous n'avons pas besoin de son argent. Soutenir vĂ©ritablement les opprimĂ©s, c'est accepter d'ĂȘtre traitĂ© comme eux. C'est comprendre que la lutte pour la justice exige la confrontation. Nous ne rencontrons pas toujours le bonheur, mais cette rĂ©sistance nous permet de dĂ©couvrir une Ă©trange forme de joie et d'Ă©panouissement, une vie riche de sens et de dignitĂ©, qui dĂ©fie l'opulence et le vide spirituel de milliardaires qui, tels Michael Fisch, consacrent leur vie Ă Ă©difier de pathĂ©tiques petits monuments Ă leur propre gloire. Nous devons rester ancrĂ©s dans ce radicalisme, cet engagement envers les crucifiĂ©s de la terre. Exigeons toujours la justice, mĂȘme au prix de notre propre confort, et de notre propre sĂ©curitĂ©. Nous ne triompherons peut-ĂȘtre pas toujours du mal, mais notre foi fait jamais le mal ne triomphera de nous.