👁🗨 L'idéologie démagogique de l'amiral Fabuloso
Il est si avide de se montrer à la hauteur qu'il dit en public ce que d'autres murmurent en privé : défier la Russie pour maîtriser la Syrie suppose s'allier avec Al Nusra, soit Al Quaeda, en Syrie.
👁🗨 L'idéologie démagogique de l'amiral Fabuloso
Le coup d'esbroufe fera-t-il fuir les Iraniens ? À voir.
Par Andrew Cockburn, le 30 janvier 2024
L'ambiance à Washington est saturée de fanfaronnades martiales suite à l'attaque de drone qui a tué trois réservistes de l'armée américaine endormis sur une base à la frontière jordano-syrienne dimanche dernier. Les responsables du Pentagone admettent qu'ils n'ont aucune preuve de l'implication de l'Iran dans l'attaque, mais l'État belliqueux demande à Joe Biden de prendre des mesures de représailles. L'une des voix les plus fortes de ce chœur est celle de l'amiral à la retraite James G. Stavridis qui, depuis son poste à Bloomberg Opinion, a appelé à frapper les Perses par le biais de cyberattaques, ainsi qu'à lâcher la CIA pour “créer, financer et rendre opérationnels nos propres mandataires contre l'Iran”. (Il appelle également à “5 à 7 jours de frappes continues contre des cibles mandataires en Syrie et au Yémen” ainsi qu'à attaquer les navires et les installations pétrolières iraniens. Stavridis n'est pas le seul à faire preuve d'une telle véhémence, et il ne peut espérer égaler les sénateurs Lindsay Graham ou Tom Cotton en termes de stupidité pure, mais pour un chef de file de ce que l'ancien analyste de la CIA Ray McGovern a utilement baptisé le MICIMATT, ou complexe militaro-industriel du Congrès, du renseignement, des médias, de l'université et des groupes de réflexion, l'ascension de Stavridis vers l'influence et les récompenses (vingt postes d'administrateur dans des sociétés liées à la défense depuis sa retraite) au sein de notre establishment mérite une attention toute particulière.
Son dossier militaire présente tous les signes du courtisan accompli, négociant habilement les écueils et les hauts-fonds de la politique administrative au fur et à mesure qu'il gravissait les échelons. Son ascension a passé à la vitesse supérieure en 2004, lorsqu'il a été recruté par l'odieux Larry di Rita, l'homme de paille de Rumsfeld, en tant qu'assistant militaire principal du secrétaire d'État. Dans la foulée, il a été “relooké”, passant de son ancien grade d'amiral une étoile à trois étoiles - un bond quasiment sans précédent. À ce poste extrêmement influent, Stavridis supervisait l'emploi du temps et les déplacements du secrétaire d'État et, surtout, contrôlait le flux d'informations destiné au bureau de Rumsfeld. Se délectant des avantages liés à sa très haute condition, Stavridis insistait pour qu'une voiture spéciale soit mise à sa disposition dans les cortèges, tandis que les officiers subalternes, à qui il demandait de faire les porteurs lorsqu'ils voyageaient, chancelaient sous le poids de ses valises.
Le fauteuil bancal se fait graisser la patte
Dans ses mémoires merveilleusement acerbes, “Speech-Less”, Matthew Latimer, ancien rédacteur des discours de Rumsfeld, se souvient de la servilité attentive de Stavridis, qui portait des toasts flatteurs au secrétaire lors de dîners à l'étranger et s'occupait de tâches aussi subalternes que la réparation d'un couinement de chaise de bureau de son maître, pour le plus grand bien de sa carrière. Selon Latimer, il était “étonnamment politicien pour un militaire”, aidant les rédacteurs de discours à rédiger des déclarations défendant le secrétaire contre les attaques politiques - son terme favori étant “fabuleux” - et prenant en charge un projet visant à promouvoir les réalisations de Rumsfeld tout en rédigeant des tonnes de notes de service rampantes à l'intention du ministre lui-même. Se donnant des airs de “guerrier savant”, il écrivait volontiers le charabia qui passe pour de la sagesse dans la culture avilie de la défense-intelligentsia de Washington. Ainsi, en 2005, son traité intitulé “Deconstructing War” [Déconstruire la guerre], commençant par la formule spécieuse selon laquelle “la guerre est en train de changer, et pas pour le mieux” et, poursuivant sur sa lancée, a été largement acclamé par les spécialistes du circuit des think tanks et de la littérature d'opinion.
En 2006, le travail acharné de réfection des chaises et de rédaction de notes de synthèse a porté ses fruits lorsque le patron l'a nommé à la tête du Southcom, la satrapie militaire qui contrôle l'Amérique centrale et l'Amérique du Sud, sans parler de Guantanamo, en même temps qu'une quatrième étoile. Ses collègues avaient remarqué qu'il écoutait des enregistrements en espagnol depuis plusieurs mois avant l'annonce de sa nomination. “Cela a amené certains d'entre nous à se demander”, se souvient Latimer, “combien de temps il faut pour apprendre le “fabuloso”” ?
Récompense ! Château & jets privés
Avec Obama est arrivé le changement, mais en positif pour “Stav”, dont la cour auprès de l'équipe entrante a été récompensée par son apothéose.
Il a été nommé SACEUR (Supreme Commander of Allied Forces in Europe) et a bénéficié d'un logement digne de ce rang impérial au château de Gendebien, situé dans un parc de 23 hectares, à proximité du siège de l'OTAN à Mons, en Belgique. Le poste offrait des avantages bien supérieurs à ceux dont il avait bénéficié à une époque plus modeste, aux pieds de Rumsfeld, à tel point que la nouvelle de l'utilisation abusive par Stavridis de jets officiels et autres équipements pour son usage privé et celui de sa famille a fini par déclencher une enquête officielle, bien que, comme il est d'usage dans ce genre d'enquêtes sur des officiers supérieurs, il ait été totalement exonéré de tout blâme ou de toute sanction.
Les Libyens en ont payé le prix fort
Entre-temps, et malheureusement pour le peuple libyen, il a eu l'occasion de mettre en valeur la dimension “guerrière” de sa réputation. Lorsque Hillary Clinton a faussement poussé Obama à accepter d'attaquer la Libye, Stavridis était sur la brèche, supervisant le déploiement de la puissance aérienne de l'OTAN. Plus tard, il s'est vanté dans Foreign Affairs que “l'opération de l'OTAN en Libye a été saluée à juste titre comme une intervention modèle. L'alliance a réagi rapidement à une situation qui se détériorait et menaçait des centaines de milliers de civils en rébellion contre un régime oppressif. Elle a réussi à protéger ces civils”. En réalité, le dossier indique clairement que, malgré une rhétorique grandiloquente, Kadhafi n'a pas tenté de massacrer des civils, bien qu'il ait eu recours à la force militaire contre la rébellion armée soutenue par l'OTAN. Néanmoins, l'opération a laissé un héritage funeste aux démocrates quant à la pertinence de l'interventionnisme, et ce malgré la déchéance ultérieure et tout à fait prévisible de la Libye dans un chaos sanglant et un djihadisme en plein essor.
Mes amis les djihadistes
Après avoir pris sa retraite de l'armée en 2013, Stavridis a été nommé au poste de doyen de la Fletcher School, une plateforme rêvée pour des ruminations pesantes sur des sujets modérés tels que le “smart power”, qu'il définit comme la combinaison du “hard power” et du “soft power”. Parmi les liens permanents et rémunérateurs qu'il entretient avec le premier, on peut citer sa présidence du conseil consultatif international du méga-entrepreneur de défense Northrop-Grumman, dont les superviseurs ne trouveront pas grand-chose à redire à l'enthousiasme de l'amiral Fabuloso en faveur de la Nouvelle Guerre Froide. De l'Ukraine à la Syrie, “Stav” est en première ligne - au sens figuré - pour exhorter à l'escalade contre la Russie. Les Ukrainiens devraient bénéficier d'une “aide létale” de la part des États-Unis, a-t-il annoncé en 2015, et lorsqu'on lui a demandé si cela ne risquait pas de pousser les Russes sur la voie de la surenchère, il a concédé allègrement que “lorsqu'on sort les munitions, ça change tout”.
Mais c'est la guerre en Syrie qui a excité les instincts les plus martiaux de l'universitaire guerrier, signe inquiétant de la direction que prend le vent dans le domaine de la Sécurité nationale. Il est si désireux de montrer qu'il est résolument opérationnel qu'il affirme en public ce que d'autres n'osent que murmurer en privé : en affrontant la Russie pour maîtriser la Syrie, il est normal de s'allier avec Al Nusra, comme se nomme Al Qaeda en Syrie. “Il est peu probable que nous opérions côte à côte avec des cadres de Nusra, mais si nos alliés travaillent avec eux, c'est acceptable”, a-t-il déclaré à Yaroslav Trofimov du Wall Street Journal en 2015. “Je ne pense pas que ce soit un obstacle pour les États-Unis en termes d'engagement dans une telle coalition”. Son récent appel au déchaînement des mandataires de la CIA indique que son amour pour l'alliance djihadiste ne s'est pas tari.