👁🗨 L'irrationalité dans toute sa splendeur
Les guerres sont des opérations de recyclage des impôts dans le complexe militaro-industriel au nom du patriotisme, des grands idéaux, du sens du devoir & de tout ce dont Joe Biden nous abreuve.
👁🗨 L'irrationalité dans toute sa splendeur
Biden gaspille 105 milliards de dollars supplémentaires.
Par Patrick Lawrence, October 26, 2023
Chaque fois que Joe Biden prend la parole, il faut veiller à activer son détecteur de conneries, pour reprendre l'expression piquante d'Hemingway. Comme on le sait, notre président a passé sa vie à inventer des choses au fur et à mesure qu'il avance en politique. Sans surprise, les deux discours très remarqués prononcés par M. Biden la semaine dernière, l'un à Tel Aviv après avoir assisté à une session du cabinet de guerre israélien, l'autre lorsqu'il a annoncé au public américain qu'il était sur le point de dépenser encore plus d'argent pour financer la violence israélienne, la guerre en Ukraine et les provocations dans le détroit de Taïwan, comportaient un nombre impressionnant d'âneries.
Nous ferions mieux d'écouter attentivement cette fois-ci. Au cours des cinquante dernières années, M. Biden a multiplié les escroqueries au nom de sa propre cause. Ce qu'il propose aujourd'hui est trop grave pour qu'on puisse l'ignorer. Biden exploite diaboliquement l'urgence évidente de la crise israélo-palestinienne pour nous enfermer dans une confrontation avec la majeure partie du monde - ou du moins une grande partie de celui-ci. L'Amérique de la fin de l'Empire obscurcirait le XXIe siècle sans les lumières que d'autres, principalement dans les pays non occidentaux, réclament pour éclairer la voie à suivre pour sortir du gâchis créé par l'hégémonie américaine.
Après s'être adressé aux Américains depuis le Bureau ovale vendredi dernier, Joe Biden s'est rendu au Congrès pour demander de nouvelles aides pour Israël, l'Ukraine et Taïwan, ainsi que d'autres mesures diverses portant le total des dépenses à 105 milliards de dollars. Voici les passages du discours de M. Biden que nous devrions examiner attentivement, en dépit d'une formulation faussement simpliste, dans le contexte des crises périlleuses qui secouent l'Asie occidentale et les deux océans :
“Le leadership américain est ce qui maintient l'unité du monde. Ce sont les alliances américaines qui assurent notre sécurité, celle de l'Amérique. Le leadership américain maintient l'unité du monde et les autres nations s'en félicitent. Mettre tout cela en péril en nous éloignant de l'Ukraine, en tournant le dos à Israël, n'en vaut pas la peine.
C'est pourquoi, demain, je transmettrai au Congrès une demande urgente de budget pour financer les besoins des États-Unis en matière de sécurité nationale, pour soutenir nos partenaires essentiels [...].
Il s'agit d'un investissement intelligent qui portera ses fruits pour la sécurité des États-Unis pendant des générations, qui nous aidera à maintenir les troupes américaines à l'abri du danger et à bâtir un monde plus sûr, plus pacifique et plus prospère pour nos enfants et nos petits-enfants.”
Le leadership américain, la sécurité nationale en danger, nos enfants et leurs enfants, tous veulent être nos amis : le discours de M. Biden prend des airs nostalgiques quand on songe à la longue tradition des prétendus dirigeants américains à cet égard. Le discours de Tel Aviv donne la même impression : Israël est une démocratie qui défend la liberté et les droits de l'homme, etc. Nous entendons tout cela depuis des décennies, ok, ok. L'Ukraine est également une démocratie qui défend la liberté : c'est nouveau dans le répertoire, mais cette fable nous est rabâchée sans cesse.
C'est une chose de reconnaître à quel point la rhétorique habituelle émanant de Washington est creuse, et ce depuis longtemps. C'en est une autre de réaliser, comme nous devrions le faire, que la situation est différente, cette fois-ci - ou qu'elle est la même que celle qui prévalait, par exemple, lorsque les États-Unis ont intensifié leur action au Viêt Nam. Telle est l'histoire du régime Biden, qui nous fait basculer dans l'irrationalité la plus totale.
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Analysons quelques phrases du passage cité ci-dessus pour en vérifier la véracité.
“Le leadership américain maintient l'unité du monde et les autres nations s'en félicitent.” Depuis les attaques traumatisantes du 11 septembre 2001, l'Amérique s'est imposée comme la principale source de troubles dans le monde au cours de ce siècle - et ce, de manière consensuelle depuis quelques années. Et les agissements de l'Amérique à l'étranger lui ont valu le ressentiment de la majorité mondiale, que ce soit en termes de population ou de nombre de nations critiques à l'égard de la politique étrangère des États-Unis.
“Il s'agit d'un investissement intelligent qui portera ses fruits pour la sécurité des États-Unis pendant des générations”. Les nouvelles dépenses proposées par M. Biden vendredi dernier n'ont rien à voir avec la sécurité nationale de la nation, comme un simple coup d'œil sur une carte le montre clairement, excepté sur un point : l'Amérique et les Américains seront moins en sécurité grâce à ces dépenses, et non davantage. Au-delà de nos frontières, la sécurité des Israéliens sera encore plus précaire qu'elle ne l'est depuis des décennies avec le soutien militaire des États-Unis. Les Européens seront moins en sécurité. Les habitants de Taïwan seront moins en sécurité. C'est le prix que nous et le reste du monde devons payer pour l'insistance des cliques politiques de Washington à prolonger la prééminence des États-Unis bien au-delà de son heure de gloire dans l'histoire mondiale. C'est ce que j'entends par le règne de l'irrationnel.
“C'est pourquoi, demain, je transmettrai au Congrès une demande urgente de budget pour financer les besoins des États-Unis en matière de sécurité nationale, pour soutenir nos partenaires essentiels. Comme l'a souligné vendredi dernier Kelley Vlahos de Responsible Statecraft, l'Asie occidentale est aujourd'hui une poudrière en raison de la sauvagerie d'Israël. Les troupes américaines stationnées en Irak et en Syrie - en violation flagrante du droit international - subissent déjà des attaques de drones et de roquettes lancées par on ne sait trop qui. Nos enfants et les leurs prospéreront en toute sécurité ? Grotesque ! Je n'avais pas entendu l'expression “hypertrophie impériale” depuis que Chalmers Johnson nous a quittés il y a 13 ans. Nous vivons aujourd'hui ses prédictions.
Comme annoncé la semaine dernière, le déficit budgétaire des États-Unis a doublé au cours de l'exercice budgétaire clôturé le 30 septembre, pour atteindre 1 700 milliards de dollars, en plus des 30 000 milliards de dollars de dette nationale que la génération Joe Biden laissera à ceux qui suivront. Le pouvoir du complexe militaro-industriel - son pouvoir politique, je veux dire - porte une responsabilité considérable dans la déformation de l'économie américaine qui a abouti à ces chiffres.
Puisque j'en suis aux chiffres, parlons-en un peu. Comparons certaines des sommes figurant au budget national pour l'année fiscale qui a débuté le 1er octobre avec les 105 milliards de dollars que la Maison Blanche vient de proposer, en gardant à l'esprit que les États-Unis dépensent beaucoup plus pour les trois pays bénéficiaires de ces fonds.
Le budget du ministère des Transports pour l'année fiscale 2024 est de 28 milliards de dollars, arrondis à l'unité supérieure. Pour le ministère du travail, il s'élève à 15 milliards de dollars. Le ministère de l'intérieur reçoit 19 milliards de dollars. Ces trois départements ont beaucoup à voir avec la façon dont les Américains vivent, avec notre qualité de vie. Les routes, les ponts, les transports publics ; les programmes de formation des salariés, la sécurité des travailleurs, les relations patronat-syndicats ; les licences et réglementations pour l'exploitation minière et forestière, les parcs nationaux, les affaires amérindiennes : les budgets de ces trois ministères s'élèvent à 62 milliards de dollars. Cela représente moins de 60 % de ce que M. Biden vient de demander au Congrès de dépenser pour armer Israël, l'Ukraine et Taïwan.
Je ne suis pas économiste et je ne me penche pas particulièrement sur le budget fédéral, mais pour moi, les dépenses du gouvernement national en matière d'éducation constituent le choix le plus déterminant des comptables fédéraux si l'on veut envisager la prospérité, la sécurité et, en fin de compte, l'avenir de ce pays, de nos enfants et de leurs enfants, etc. Le budget du ministère de l'éducation pour l'exercice 2024 s'élève à 90 milliards de dollars, soit 15 milliards de moins que les dépenses provisoires consacrées aux guerres et aux affrontements à l'étranger.
À cet égard, sur les 105 milliards de dollars, 61,4 milliards vont à l'Ukraine. Sauf que la moitié de ces 61,4 milliards ne va pas à l'Ukraine. Elle va au Pentagone, c'est-à-dire aux entreprises de la Défense.
Une de mes connaissances m'a parlé l'autre jour d'un adage astucieux vu affiché sur le mur du bureau de quelqu'un : “La principale chose à retenir est que la principale chose est la principale chose”. Cet adage est tout à fait pertinent. Et la principale chose à retenir, alors que nous contemplons les 105 milliards de dollars de M. Biden, c'est qu'ils serviront à financer une guerre que les États-Unis ne peuvent pas gagner (l'Ukraine), le déclenchement d'une autre guerre que les États-Unis ne peuvent pas gagner (avec la Chine concernant Taïwan) et la violence délibérément disproportionnée d'Israël contre les Palestiniens, dont la finalité est ce que nous appelons le nettoyage ethnique, bien que l'on puisse se demander quand nous devrons étendre le vocabulaire au terme d'“extermination” ?
Cet état de fait ne peut être qualifié de rationnel. Je pense à l'observation faite par Julian Assange il y a quelques années. Il faisait référence à l'Afghanistan, mais l'idée s'applique à toutes les guerres de l'Amérique cette fin d'époque : ce sont des opérations de blanchiment d'argent par lesquelles les impôts payés par les Américains au nom de la Sécurité nationale, du leadership mondial et du reste sont recyclés dans le complexe militaro-industriel au nom du patriotisme, des grands idéaux, du sens du devoir, et de tout ce que des gens comme Joe Biden peuvent inventer d'autre.
Sinon, pourquoi Washington dépenserait-il de façon aussi extravagante pour des guerres qu'il ne peut pas gagner, et des confrontations inutiles dont il sortira perdant ? Étant donné que le système identifié par Julian Assange fonctionne réellement, même s'il fait un nombre indescriptible de victimes et appauvrit la vie américaine, il ne semble y avoir qu'une seule façon de voir les choses : il s'agit d'un cas d'école de ce que j'appelle la démesure irrationnelle de l'hyperrationalité.
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Ici et là, des indices montrent que d'autres voient dans la “demande urgente” de M. Biden toute la gravité que masque sa rhétorique douteuse. Les Chinois figurent en bonne place parmi ces “autres”.
En février dernier, Pékin, craignant que la guerre par procuration menée par les États-Unis en Ukraine ne dégénère en un conflit plus étendu, a publié une proposition en 12 points énonçant les principes à respecter pour mettre fin au conflit : “normes fondamentales régissant les relations internationales”, “équité et justice internationales”, “application égale et uniforme du droit international”. Personne n'a été insulté ou condamné. Il s'agissait d'un document de synthèse plus que d'un “plan de paix”. Il présentait la Chine comme une présence diplomatique équilibrée, et non comme un juge ou un arbitre.
Un mois plus tard, la Chine a négocié de manière assez spectaculaire un accord entre l'Iran et l'Arabie saoudite visant à rétablir des relations bilatérales après sept ans de brouille diplomatique.
“La diplomatie chinoise a appuyé sur l'accélérateur”, a écrit le quotidien chinois Global Times dans un commentaire, “et a tiré la sonnette d'alarme au printemps 2023 avec une série d'activités diplomatiques majeures qui apportent des changements positifs dans un monde en pleine turbulence”.
Le monde, et certainement l'Asie occidentale, est encore plus agité aujourd'hui qu'il ne l'était au printemps dernier. Et la Chine semble se présenter à nouveau comme une puissance diplomatique. Lundi, le ministère des Affaires étrangères a publié une déclaration dans laquelle il demande instamment que les mêmes principes soient appliqués au règlement de la crise israélo-palestinienne. Wang Yi, le ministre des affaires étrangères de Pékin, doté d'une grande sagesse, entame jeudi deux jours de discussions à Washington. Ces entretiens comprendront - et, bonne chance, Monsieur Wang - des rencontres avec Antony Blinken et Jake Sullivan, le secrétaire d'État et le conseiller à la sécurité nationale de M. Biden.
Il s'agit là d'un événement à surveiller. Avec l'accord entre l'Arabie saoudite et l'Iran en mars dernier, la Chine a joué pour la première fois un rôle actif dans la politique de l'Asie occidentale - une intrusion, appelons-la ainsi, dans une région où les États-Unis ont longtemps joui d'une influence inégalée. Le chaos de l'ordre fondé sur des règles suffit amplement, semble dire Pékin une fois de plus.
Chez nous, il y a le cas de Josh Paul, le fonctionnaire du département d'État qui a démissionné en signe de protestation la semaine dernière. M. Paul a passé 11 ans à gérer les transferts d'armes aux puissances étrangères et a conclu cette fois, peut-être comme les Chinois, que les 14,3 milliards de dollars alloués pour soutenir le plan israélien de destruction du Hamas dépassaient toutes les normes acceptables. Paul a déclaré avoir reçu des flots de courrier de soutien de la part de ses collègues après avoir annoncé sa démission. Il a ensuite publié un article d'opinion dans le Washington Post sous le titre “Ce n'est pas le Département d'État que je connaissais”. M. Paul a notamment écrit : “J'ai participé à de nombreux débats complexes et moralement difficiles sur le choix des armes. Ce que je n'avais encore jamais vu jusqu'à ce mois-ci cependant, c'est un transfert complexe et moralement dangereux en l'absence de débat”.
Voilà comment l'irrationalité fonctionne à Foggy Bottom, chers lecteurs [quartier gouvernemental et culturel abritant le département d'État des États-Unis à Washington].
Je m'en voudrais de terminer sans souligner un dernier point.
De plus en plus d'Américains font aujourd'hui le lien entre le budget du Pentagone et les dépenses supplémentaires telles que celles réclamées par M. Biden, d'une part, et le déclin général de la vie américaine, d'autre part. Le lourd tribut que nous payons lorsque Biden nous abreuve de platitudes éculées est de mieux en mieux perçu. Ne serait-il pas tout aussi irrrationnel qu'il ne vienne pas à l'esprit de la majorité d'entre nous d'élever la voix pour protester, s'opposer à tout ce qui est fait en notre nom, rejeter la rhétorique idiote, l'histoire maquillée, et insister pour que ceux qui prétendent nous gouverner et exécuter la politique nous doivent l'honnêteté, un débat ouvert, un compte-rendu véridique de ce que fait cette nation dans le monde ?
Apparemment, penser et agir de manière rationnelle coûte cher en certaines occasions dans l'histoire. C'est le cas à notre époque. La voie rationnelle consiste à assumer ce prix et à le payer - pour notre propre bien et celui de beaucoup d'autres. Nous verrons qu'il est loin d'être aussi élevé que le prix du consentement. Josh Paul vient de nous montrer comment procéder et comment, selon les cas, il est possible de s'inspirer de son exemple. Il survivra à sa décision et je suis certain qu'il en sortira grandi.
https://scheerpost.com/2023/10/26/patrick-lawrence-full-dress-irrationality/