đâđš Loin de Gaza, la peur au ventre
Ă la nuit tombĂ©e je regarde le ciel en respirant profondĂ©ment pou apaiser l'angoisse & le stress. Nous vivons tous sous le mĂȘme ciel. Mais les avions qui volent ici ne sont pas les mĂȘmes que lĂ -bas.
đâđš Loin de Gaza, plein de peur
Ahmed Al-Sammak The Electronic Intifada 20 octobre 2023
J'étais aux anges lorsque j'ai obtenu un permis de voyage au mois d'août.
Cela signifiait que je pouvais quitter Gaza via Erez, le point de contrÎle militaire israélien, me rendre en Jordanie, puis m'envoler pour l'Irlande. J'avais été accepté pour un cours à la MBA à Dublin [« Master of Business Administration », un diplÎme d'études supérieures du plus haut niveau en management et gestion des affaires].
Le 30 août, je suis donc passé par Erez, et j'ai vu Jérusalem et d'autres parties de la Cisjordanie pour la premiÚre fois.
En tant que Gazaoui, IsraĂ«l ne m'autorise pas Ă aller Ă JĂ©rusalem, la capitale de la Palestine, mĂȘme pour prier Ă la mosquĂ©e al-Aqsa.
De l'avion, j'ai vu la terre du ciel pour la premiĂšre fois. C'Ă©tait Ă couper le souffle - pas comme je m'y attendais. Je pensais que ce serait effrayant.
C'est peut-ĂȘtre parce que le ciel est associĂ© dans nos esprits aux drones et autres avions de guerre de l'arsenal israĂ©lien.
AprÚs un voyage de 30 heures, je suis arrivé à Dublin.
à Gaza, nous avons conservé notre humour malgré toutes les horreurs dont nous avons été témoins. C'est ainsi que nous qualifions le bruit des drones de zanana, le comparant au bourdonnement des abeilles.
Ce bruit n'existait pas Ă Dublin. C'Ă©tait Ă©trange de dormir dans un endroit calme.
âCela fait 27 ans que je m'endors au son des drones israĂ©liensâ, ai-je dit Ă ma famille sur un ton sarcastique, âça me manqueâ.
Le 7 octobre, je me suis réveillé à 9 heures, heure de Dublin.
Comme je le fais tous les matins, j'ai consulté les nouvelles de Gaza avant celles de l'Irlande. Ma famille et un grand nombre de mes amis et de mes proches sont toujours à Gaza.
J'ai appris que le Hamas avait lancé une attaque surprise contre Israël.
J'ai rapidement appelé ma famille. Ma mÚre m'a dit qu'ils s'étaient réfugiés chez un parent car ils s'attendaient à ce qu'Israël réagisse.
Des souvenirs douloureux
Ces événements ont ravivé de douloureux souvenirs du passé, notamment la façon dont Israël a assailli Gaza pendant plus de trois semaines à la fin de 2008 et au début de 2009.
Ensuite, Israël a appelé nos voisins à minuit, et leur a ordonné d'évacuer leur maison avant le début de l'assaut.
Nos voisins ont commencé à pleurer et à crier, exhortant les gens à évacuer. Alors que nous courions à environ 100 mÚtres de notre maison, le bruit effrayant d'un avion de guerre israélien a envahi tout notre espace aérien.
Nous Ă©tions cinq : mes trois frĂšres et sĆurs, ma mĂšre (qui Ă©tait pieds nus) et moi-mĂȘme.
Nous tremblions. Peut-ĂȘtre Ă cause du froid ou de la peur. Sans doute les deux.
Ensuite, l'avion de guerre a largué quelques roquettes sur la maison de nos voisins. Le bruit était assourdissant.
Nous nous sommes allongĂ©s prĂšs d'un mur. Il nây avait autour de nous que des dĂ©combres, et la fumĂ©e Ă©tait suffocante.
Nous avons couru chez nos proches dans le camp de rĂ©fugiĂ©s d'al-Bureij. C'est gĂ©nĂ©ralement Ă 15 minutes de marche de l'endroit oĂč nous vivions.
Ă 7 heures du matin, nous sommes revenus chez nous. L'Ă©tendue des dĂ©gĂąts nous a brisĂ© le cĆur.
Je me souviens encore de ma mĂšre Ă©vanouie lorsqu'elle a vu notre maison. Elle y avait investi tout ce qu'elle avait.
AprÚs quelques mois de déplacements insupportables, nous avons reçu une compensation financiÚre de l'ONU et nous avons pu réparer notre maison.
RĂ©duite en miettes
Israël a de nouveau attaqué Gaza en novembre 2012.
Il a ensuite utilisĂ© ses drones pour bombarder notre maison avec trois missiles. IsraĂ«l qualifie ces attaques de âroof-knockingâ, qui annoncent l'imminence d'une attaque plus importante.
Nous avons évacué notre maison. Puis Israël a bombardé nos voisins. Une fois de plus.
IsraĂ«l prĂ©tend que le âroof-knockingâ est une maniĂšre âpacifiqueâ de dire aux gens d'Ă©vacuer leur maison. En rĂ©alitĂ©, c'est loin d'ĂȘtre âpacifiqueâ.
De nombreuses personnes ont été tuées par des missiles israéliens frappant leur toit.
Quelques heures aprÚs le bombardement des voisins en 2012, nous sommes allés voir notre propre maison.
Nous n'avons pas trouvé de maison. Nous avons trouvé des décombres.
Nous ne pouvions mĂȘme pas discerner oĂč se situait la limite entre notre maison et celle de nos voisins.
La conversation téléphonique que j'ai eue avec ma famille le 7 octobre dernier a ravivé mes vieux cauchemars.
Ma famille va-t-elle Ă nouveau subir le mĂȘme dĂ©placement insupportable ? Seront-ils tuĂ©s comme des milliers d'autres l'ont Ă©tĂ© par IsraĂ«l au cours des guerres contre Gaza ?
Je n'ai cessé de me poser ces questions et bien d'autres encore depuis lors.
Peu aprÚs avoir parlé à ma famille, Israël a commencé à bombarder Gaza.
Les nouvelles de Gaza ont afflué. C'était bouleversant. Certains de mes anciens collÚgues et voisins avaient été tués.
Ma famille - comme elle l'a fait chaque fois qu'IsraĂ«l a menĂ© une guerre contre Gaza - avait pris quelques vĂȘtements, de l'argent et du lait en quittant la maison.
Et des couches pour Yafa, ma niĂšce de 16 mois.
Elle porte le nom de Jaffa, la ville natale de notre famille. Israël a expulsé mon grand-pÚre de Jaffa en 1948.
Le samedi 7 octobre, tout le monde à Dublin semblait profiter du week-end - sauf moi et quelques autres habitants de Gaza. Je me suis retiré dans ma chambre, consultant en permanence les nouvelles, appelant ma famille et mes amis, pour savoir s'ils allaient bien.
Je suis resté dans ma chambre les deux jours suivants. Un vent de panique et d'angoisse s'est emparé de moi. J'ai demandé à mes amis gazaouis vivant à l'étranger des nouvelles de leurs familles.
Tout le monde était affecté par ce qui se passait.
De mauvaises nouvelles
Le mardi 10 octobre, Israël a bombardé sans avertissement la maison de mon oncle Darwish Jouda, 67 ans, dans le camp de réfugiés de Nuseirat.
Plus de 20 membres de notre famille élargie se trouvaient dans la maison. Certains s'y étaient réfugiés aprÚs avoir quitté leur propre maison.
Je prenais une douche lorsque mon téléphone a sonné. C'était mon cousin Sondos.
âAhmed, j'ai de mauvaises nouvellesâ, m'a-t-il dit.
Il m'a dit que deux enfants avaient été tués lors du bombardement de la maison de mon oncle. D'autres étaient coincées sous les décombres.
Ma mĂšre et deux de mes frĂšres et sĆurs Ă©taient allĂ©s Ă l'hĂŽpital. Ils rendaient visite Ă des membres de ma famille qui avaient Ă©tĂ© blessĂ©s.
J'ai été pris d'une panique intense. Et je ne sais toujours pas pourquoi la maison de mon oncle a été prise pour cible.
Mon oncle est un homme pauvre, qui souffre de diabÚte et d'hypertension. Il a du mal à se déplacer.
Les deux enfants tués s'appelaient Maria, 14 ans, et Huthifa, 10 ans. Elles étaient les petites-filles de mon oncle.
Le corps d'Huthifa est toujours sous les décombres, les agents de la protection civile n'ayant pas encore pu le récupérer. Dans l'horrible situation que vit Gaza, les agents de la protection civile doivent donner la priorité au sauvetage des personnes encore en vie.
DÚs qu'ils ont appris la nouvelle de l'attaque contre la maison de mon oncle, j'ai reçu de nombreux appels d'amis. Ils m'ont présenté leurs condoléances pour la mort des deux enfants.
Un ami a tentĂ© de me rĂ©conforter en soulignant que âseuls deux de tes proches ont Ă©tĂ© tuĂ©s, pas tousâ. Des dizaines de familles ont Ă©tĂ© anĂ©anties.
Il avait peut-ĂȘtre raison. Peut-ĂȘtre devrais-je ĂȘtre reconnaissant Ă IsraĂ«l de n'avoir tuĂ© que deux membres de ma famille. Et pas tous.
Je suis allĂ© prendre l'air et jâai marchĂ© jusquâĂ St. Stephen's Green, un parc dans le centre de Dublin.
Malgré la fraßcheur de l'air, je transpirais de peur et de stress.
Je me suis installé sur un banc devant un étang. Des canards blancs s'approchaient des promeneurs qui leur donnaient à manger.
à cÎté de moi, une femme lisait un roman. DerriÚre moi, un couple se prenait dans les bras. Tout prÚs d'eux, un enfant courait aprÚs son chien brun et joueur.
Des marques indélébiles
J'ai essuyé mes larmes tout en me posant toutes sortes de questions.
Pourquoi n'avons-nous pas une vie paisible comme toutes les nations ? Pourquoi ne pouvons-nous pas vivre en paix et en liberté - au moins comme le chien de cet enfant ou les canards de l'étang ?
Je me suis encore baladĂ© dans le parc, puis me suis assis sous un grand arbre oĂč une fillette jouait Ă cache-cache avec sa petite sĆur.
Ma mÚre m'a appelé par vidéoconférence. C'est ainsi que nous nous parlons toujours.
Elle m'a montré Yafa en train de s'amuser avec un jouet. Soudain, un bombardement massif a eu lieu.
Ils ont commencé à crier, Yafa s'est mise à pleurer.
Yafa s'est précipitée vers ma mÚre et toutes deux se sont cachées sous la table. Le téléphone a été coupé.
Puis ma mÚre m'a rappelé, m'assurant que le bombardement était relativement éloigné. Pendant que je lui parlais, j'ai entendu un avion survoler Dublin.
Sans réfléchir, j'ai commencé à m'enfuir. C'est ce que font tous les habitants de Gaza lorsqu'ils entendent les avions de guerre israéliens.
La petite fille dans le parc m'a demandĂ© si elle pouvait se cacher derriĂšre moi pendant qu'elle jouait avec sa sĆur. C'est ce qu'elle a fait.
Je me suis demandĂ© pourquoi les enfants de Gaza Ă©taient obligĂ©s de se protĂ©ger des missiles israĂ©liens pour survivre. Partout dans le monde, les enfants se cachent - ou font semblant de se cacher - parce que câest un jeu.
Quelques heures plus tard, j'ai regagné ma nouvelle maison à Dublin. Je n'ai pas dormi de la nuit, suivant l'actualité de Gaza.
Le lendemain matin, ma mĂšre m'a dit qu'elle Ă©tait aux anges. Elle n'a dĂ» attendre qu'une heure dans une file d'attente pour acheter du pain dans une boulangerie, et non de longues heures, comme d'habitude.
C'est peut-ĂȘtre parce qu'elle est une femme, et que faire la queue pour acheter du pain est considĂ©rĂ© comme un devoir d'homme pendant les guerres Ă Gaza.
Plus tard, mon frÚre aßné, Osama, m'a raconté qu'il avait dû marcher cinq kilomÚtres pour trouver une pharmacie afin d'acheter des couches, du lait et des médicaments pour Yafa, sa fille, car tous les magasins étaient fermés.
Bien sûr, j'ai physiquement survécu aux guerres israéliennes contre Gaza, mais elles ont laissé des marques indélébiles. Les sons tels que les avions, les ambulances, les coups frappés à la porte ou les feux d'artifice déclenchent en moi une peur panique.
Je me disais que je n'Ă©tais pas le seul, mais beaucoup de mes amis gazaouis vivant Ă l'Ă©tranger partagent les mĂȘmes sentiments.
âDepuis le 7 octobre, j'ai peur de sortir de chez moi la nuit, bien que je sois en Arabie saoudite, un pays trĂšs sĂ»râ, m'a dit mon ami Hasan. âC'est parce que toute ma vie j'ai eu peur de le faire Ă Gaza pendant les assautsâ.
Mon cĆur bat la chamade chaque fois que mon tĂ©lĂ©phone sonne ou que je reçois des notifications WhatsApp. Au cours des deux derniĂšres semaines. J'ai fini par associer les sonneries ou les notifications de mon tĂ©lĂ©phone Ă de mauvaises nouvelles.
Ces derniers jours, j'ai rencontré de nombreux habitants de Gaza à Dublin. Lorsque je leur ai demandé des nouvelles de leur famille, ils n'ont donné que quatre types de réponses :
âJ'ai perdu quelqu'unâ, âma maison a Ă©tĂ© bombardĂ©eâ ou âma famille a Ă©tĂ© Ă©vacuĂ©eâ. La rĂ©ponse la plus pertinente est âJusqu'Ă prĂ©sent, ma famille est en sĂ©curitĂ©, mais on ne sait pas ce qui peut se passer demainâ.
Oui, j'ai quitté Gaza pour Dublin. Mais mon esprit et mon ùme ne quitteront jamais Gaza qui, elle, ne m'abandonnera jamais.
Quand la nuit tombe, je regarde le ciel en respirant profondément pour apaiser mon anxiété et mon stress.
Ă Dublin, la nuit est relaxante et belle. Mais la nuit Ă Gaza est vraiment terrifiante.
Nous vivons tous sous le mĂȘme ciel. Mais les avions qui volent ici ne sont pas les mĂȘmes que lĂ -bas.
* Ahmed Al-Sammak est Ă©tudiant en MBA Ă Dublin. Il a travaillĂ© auparavant en tant que journaliste Ă Gaza, oĂč il a grandi.
https://electronicintifada.net/content/away-gaza-full-fear/39011