đâđš Lâombre d'IsraĂ«l plane sur les grandes manĆuvres africaines
Mais les Ătats africains sont loin d'ĂȘtre passifs. Ils sont en train de se recalibrer, d'Ă©quilibrer anciennes allĂ©geances & nouvelles opportunitĂ©s, conscients que leur souverainetĂ© est l'enjeu ultime.
đâđš Lâombre d'IsraĂ«l plane sur les grandes manĆuvres africaines
Par Mawadda Iskandar, le 6 juin 2025
Alors que l'Afrique redevient un enjeu stratégique mondial, l'infiltration croissante d'Israël du continent révÚle un agenda aligné sur l'hégémonie occidentale, l'exploitation et l'érosion de la solidarité traditionnelle envers la Palestine.
L'Afrique est Ă nouveau en train d'ĂȘtre morcelĂ©e, pas via des cartes et des traitĂ©s, mais par des rĂ©seaux de surveillance, des pactes militaires et des alliances secrĂštes. Au cĆur de cette nouvelle ruĂ©e, l'Ătat d'occupation israĂ©lien a mĂ©thodiquement infiltrĂ© les rouages politiques, sĂ©curitaires et Ă©conomiques du continent.
DerriĂšre le discours sur le dĂ©veloppement et le partenariat, la campagne africaine de Tel-Aviv n'est que le prolongement de son projet colonial : dĂ©manteler les solidaritĂ©s historiques avec la Palestine, s'assurer des implantations stratĂ©giques sur un continent riche en ressources, et amener les Ătats africains en armes au service des intĂ©rĂȘts occidentaux et sionistes.
Bien que les relations israélo-africaines n'aient jamais fait l'objet d'une attention urgente, l'opération Al-Aqsa Flood les a replacées au centre des préoccupations. Cette offensive de la Résistance, qui a remodelé les alliances régionales et mis au jour des complicités de longue date, a également mis en évidence l'enracinement de l'entité d'occupation en Afrique.
La mĂȘme annĂ©e, l'Afrique du Sud a dĂ©posĂ© une plainte historique contre IsraĂ«l devant la Cour internationale de justice (CIJ), l'accusant de commettre un gĂ©nocide Ă Gaza. Cette initiative a non seulement soulignĂ© l'engagement de Pretoria en faveur de la cause palestinienne, mais a Ă©galement rĂ©affirmĂ© un hĂ©ritage continental de rĂ©sistance au colonialisme de peuplement, aujourd'hui ravivĂ© face Ă l'expansion croissante de Tel-Aviv.
Pendant des dĂ©cennies, l'Afrique a Ă©tĂ© plus qu'un intĂ©rĂȘt pĂ©riphĂ©rique pour Tel-Aviv. DerriĂšre la façade de l'aide au dĂ©veloppement et de l'agriculture dans un continent qui compte 1,4 milliard d'habitants et s'Ă©tend sur plus de 30 millions de kilomĂštres carrĂ©s se dissimule une campagne concertĂ©e d'ingĂ©rence politique et d'opĂ©rations secrĂštes.
Pourtant, l'Afrique n'est pas monolithique. La mosaĂŻque de rĂ©gimes, de prioritĂ©s et d'alignements Ă©trangers du continent a permis aux ingĂ©rences israĂ©liennes de revĂȘtir plusieurs aspects, s'adaptant aux Ă©quations internes et externes de chaque Ătat et souvent exacerbĂ©es par des luttes de pouvoir extĂ©rieures.
Un retour sur investissement
AprĂšs la Nakba de 1948, lorsque IsraĂ«l s'est unilatĂ©ralement dĂ©clarĂ© Ătat, l'Afrique Ă©tait encore sous l'emprise du colonialisme. Les premiers liens avec l'Ătat occupant se limitaient Ă l'Ăthiopie et au Liberia. Mais les bouleversements de l'ordre postcolonial ont amenĂ© Tel-Aviv Ă se recentrer et Ă saisir l'occasion de projeter sa puissance Ă travers des partenariats dans les domaines de l'aide, de la formation et de la sĂ©curitĂ©.
Ce processus a atteint son apogĂ©e au milieu des annĂ©es 1960, avant de s'effondrer aprĂšs la guerre d'octobre 1973 et le soutien panafricain Ă la cause arabe qui a suivi, rĂ©duisant la reconnaissance d'IsraĂ«l Ă seulement trois Ătats africains : le Malawi, le Lesotho et le Swaziland.
MalgrĂ© cet effondrement diplomatique, Tel-Aviv n'a jamais complĂštement disparu. Au contraire, IsraĂ«l s'est adaptĂ©, fournissant des armes aux mouvements sĂ©paratistes dans des rĂ©gions telles que le Soudan du Sud, offrant ses services du renseignement et s'intĂ©grant dans les structures militaires d'Ătats comme le ZaĂŻre, l'Angola et l'Ăthiopie.
Dans les années 1980, avec l'aide des accords de Camp David et d'Oslo et la fragmentation politique du monde arabe, Israël a rétabli sa présence en Afrique. Il a agi discrÚtement, tirant parti des crises, de la dette et des vacuums diplomatiques pour se présenter non plus comme paria, mais comme un partenaire dans une arÚne internationale désormais trÚs encombrée.
L'architecture diplomatique de l'influence
Aujourd'hui, Tel-Aviv entretient des relations diplomatiques avec quelque 44 des 54 pays africains et dispose d'ambassades dans au moins 11 d'entre eux, dont le Nigeria, le Kenya, l'Ăthiopie, le Ghana, l'Angola et l'Afrique du Sud, ainsi que d'ambassadeurs non rĂ©sidents dans les 33 autres Ătats. Tout en cherchant Ă normaliser ses relations avec d'autres pays, la prĂ©sence diplomatique de l'Ătat d'occupation en Afrique tĂ©moigne de la valeur stratĂ©gique qu'il accorde au continent.
Le Rwanda, le Togo et le Soudan du Sud sont devenus des cobayes privilĂ©giĂ©s pour tester l'influence et l'implantation d'IsraĂ«l. En Afrique occidentale et centrale, Tel-Aviv tire parti de ses alliances militaires et des services du renseignement au Nigeria, au Kenya, en Ăthiopie, au Malawi, en Zambie, en Angola et en CĂŽte d'Ivoire.
Tout aussi remarquable est la normalisation progressive des relations avec les Ătats africains Ă majoritĂ© musulmane. La reprise des relations avec le Tchad, la normalisation avec le Soudan et le Maroc, ainsi que le rapprochement avec d'autres Ătats ont pour objectif de briser le front pro-palestinien au sein des institutions africaines. La tentative de retrouver le statut d'âĂtat observateurâ au sein de l'Union africaine, perdu en 2002, illustre bien cette stratĂ©gie, mais elle se heurte jusqu'Ă prĂ©sent Ă une forte rĂ©sistance de la part de l'AlgĂ©rie et de l'Afrique du Sud.
Sécurité & surveillance
Au cours des deux derniĂšres dĂ©cennies, IsraĂ«l s'est activement implantĂ© dans le dispositif sĂ©curitaire africain. Sous couvert de âlutte contre le terrorismeâ, il a mis en place des rĂ©gimes d'espionnage et de surveillance du Kenya au Nigeria. Des institutions telles que le MASHAV, qui prĂ©tendent promouvoir le dĂ©veloppement, ont en rĂ©alitĂ© un double objectif : Ă©tendre le soft power tout en implantant des structures de contrĂŽle israĂ©liennes.
Le Galilee Institute, par exemple, recrute des responsables africains dans des programmes qui combinent formation en gestion et paradigmes du renseignement, créant ainsi des réseaux d'élite formés pour favoriser la vision du monde israélienne.
Les entreprises cybernétiques israéliennes, en particulier le groupe NSO, ont exporté des logiciels espions invasifs tels que Pegasus à des gouvernements répressifs afin de traquer les dissidents et les militants.
AprÚs l'opération Al-Aqsa Flood, ces opérations se sont intensifiées, avec des rapports faisant état de services de renseignement qui traquent la diaspora palestinienne et les mouvements de l'Axe de la résistance à travers l'Afrique.
Des portails économiques pour une domination stratégique
L'activité économique israélienne en Afrique n'est pas du simple commerce. Il s'agit d'un outil stratégique de contrÎle. En Afrique de l'Est, Tel-Aviv domine les secteurs des infrastructures, de l'agriculture et de la santé. En Afrique de l'Ouest, ses entreprises infiltrent les secteurs de l'irrigation, de l'exploitation miniÚre et de la logistique.
Cette expansion Ă©conomique sert plusieurs objectifs. Elle permet Ă IsraĂ«l de rĂ©duire son isolement international en se forgeant une lĂ©gitimitĂ© grĂące aux alliances africaines. Elle renforce la sĂ©curitĂ© de l'Ătat d'occupation en facilitant l'immigration juive en provenance d'Afrique et en aidant Ă surveiller les factions de la rĂ©sistance opĂ©rant dans la rĂ©gion.
Sur le plan gĂ©ostratĂ©gique, elle garantit Ă IsraĂ«l l'accĂšs Ă des couloirs maritimes stratĂ©giques, en particulier le dĂ©troit de Bab al-Mandab, la Corne de l'Afrique et l'Afrique orientale, qui borde la mer Rouge et l'ocĂ©an Indien. Enfin, elle facilite l'exploitation des abondantes ressources naturelles de l'Afrique â notamment le diamant, l'uranium et les terres agricoles â tout en sapant la solidaritĂ© historique entre pays arabes et africains, en particulier dans la rĂ©gion du bassin du Nil.
La nouvelle ruée vers l'Afrique : anciennes puissances, nouveaux agendas
Tout en renforçant son emprise, Tel-Aviv doit faire face Ă une concurrence fĂ©roce. La Corne de l'Afrique reste le point de tension gĂ©opolitique du continent. Elle marque en effet le point d'entrĂ©e dans la mer Rouge, artĂšre vitale des Ătats du golfe Persique, par oĂč transite 40 % du commerce mondial du pĂ©trole.
La Russie Ă©tend son influence de l'Ăthiopie au Soudan. En ĂrythrĂ©e, elle investit dans le renforcement des capacitĂ©s militaires conjointes et l'accĂšs naval. En Somalie et au Soudan du Sud, elle tire parti de l'extraction des ressources et du vide politique. Le soutien croissant de Moscou, voire de TĂ©hĂ©ran, au Soudan et en ĂrythrĂ©e repose sur la rupture entre Khartoum et Asmara d'une part, et Washington d'autre part.
La Chine s'est implantĂ©e grĂące au commerce, avec un volume atteignant 167,8 milliards de dollars au premier semestre 2024, ainsi qu'Ă des projets d'infrastructure et Ă une base navale Ă Djibouti. En Ăthiopie, elle finance des mĂ©gaprojets Ă©nergĂ©tiques tels que le barrage de Grand Renaissance. La diplomatie discrĂšte de PĂ©kin associe l'exploitation miniĂšre en ĂrythrĂ©e Ă des projets pĂ©troliers au Soudan du Sud.
Les Ătats du golfe Persique, sous l'Ă©gide des Ămirats arabes unis, exploitent leurs investissements portuaires et leurs acquis fonciers agricoles au Nigeria et au Liberia sous couvert de sĂ©curitĂ© alimentaire. AprĂšs les accords d'Abraham, la coordination entre les Ămirats et IsraĂ«l s'est intensifiĂ©e, en particulier dans la Corne de l'Afrique, oĂč les deux pays cherchent Ă contenir l'influence iranienne et turque.
La Turquie, pour sa part, s'est solidement implantée en Somalie grùce à des bases d'entraßnement militaire et au développement portuaire, et continue de tirer parti d'outils de soft power tels que l'aide humanitaire, la solidarité musulmane et les contrats de construction pour étendre sa présence en Afrique de l'Est et de l'Ouest.
L'Iran, bien que de maniĂšre moins visible, a progressivement Ă©tabli des relations sĂ©curitaires et Ă©conomiques de l'ĂrythrĂ©e au Sahel. Son rapprochement avec l'AlgĂ©rie et la Tunisie marque un pivot stratĂ©gique en Afrique du Nord, dans le droit fil de son programme plus vaste de l'Axe de la rĂ©sistance.
L'équilibre fragile de l'Afrique dans un monde multipolaire
L'Afrique ressemble aujourd'hui Ă un Ă©chiquier oĂč les puissances Ă©trangĂšres s'affrontent jusqu'Ă l'Ă©chec et mat. La mainmise multiforme d'IsraĂ«l â diplomatique, militaire, Ă©conomique â ne fait pas figure d'exception. Il croise et bĂ©nĂ©ficie souvent des intĂ©rĂȘts du Golfe persique, de l'Occident et mĂȘme de la Chine.
Mais cette prĂ©sence reste fragile, tributaire de rĂ©gimes corruptibles et de perspectives de normalisation. Les Ătats africains, quant Ă eux, sont loin d'ĂȘtre passifs. Ils sont en train de se recalibrer, de trouver l'Ă©quilibre entre leurs anciennes allĂ©geances et les nouvelles opportunitĂ©s, conscients que dans un ordre mondial en pleine mutation, leur souverainetĂ© est l'enjeu ultime.
Traduit par Spirit of Free Speech
https://thecradle.co/articles/israels-expanding-shadow-in-africas-great-game