đâđš Luis SonzĂĄlo Segura: Requiem pour Julian Assange - qui est dĂ©jĂ mort
Le Royaume Uni, son bourreau, les USA, Le Parrain. Dans les démocraties occidentales, on peut parler de tout sauf des démocraties occidentales. Entre autres, parce que Julian Assange est déjà mort.
đâđš Requiem pour Julian Assange - qui est dĂ©jĂ mort
đ° Par Luis SonzĂĄlo Segura, le 8 janvier 2021
Julian Assange est dĂ©jĂ mort. Et les morts ne reviennent jamais dans le monde des vivants. Julian Assange ne le pourra jamais. Une situation qui ne change pas, Ă©tant donnĂ© qu'elle est irrĂ©versible, car la juge Vanessa Baraitser du tribunal pĂ©nal d'Old Bailey a refusĂ© lundi 4 janvier de l'extrader vers les Ătats-Unis, estimant qu'il est "prouvĂ©" qu'il serait soumis Ă l'isolement, et que cela augmenterait le risque de suicide. Elle ne fait pas revivre le mort, ne rachĂšte pas son bourreau, l'Europe, et ne pardonne pas non plus au commanditaire du crime, les Ătats-Unis. Cela montre juste que les AmĂ©ricains violent si sauvagement les droits de l'homme que mĂȘme pour les tribunaux britanniques, le risque d'extrader Assange est une Ă©vidence.
La preuve de l'absence de changement substantiel se trouve du cĂŽtĂ© du ministĂšre public britannique, qui a prĂ©venu qu'il ferait appel du refus d'extradition en reprĂ©sentant les intĂ©rĂȘts amĂ©ricains, ce qui est d'ailleurs le grand paradigme du Royaume-Uni et de l'Europe, puisqu'ils reprĂ©sentent des intĂ©rĂȘts qui ne sont pas les leurs, mais ceux de leur maĂźtre. Ceux des Ătats-Unis. C'est le cas depuis 1945. Et ce qui perdure, hĂ©las.
En effet, Julian Assange a Ă©tĂ© condamnĂ© Ă la mort sociale en 2010, lorsque sa persĂ©cution mondiale a commencĂ©, et a Ă©tĂ© exĂ©cutĂ© au vu et au su de tous en 2012, alors qu'il Ă©tait rĂ©fugiĂ© dans l'ambassade d'Ăquateur. Depuis lors, il ne sait plus ce qu'est la libertĂ© ou une vie ordinaire. Et il ne le saura jamais.
En 2019, l'acte d'accusation initial en SuĂšde s'Ă©tant estompĂ©, personne ne pouvait nier l'Ă©vidence : Julian Assange Ă©tait mort et les Ătats-Unis de GuantĂĄnamo, d'Iran-Contra, de Condor et d'Abu Ghraib avaient ordonnĂ© son exĂ©cution.
LâannĂ©e 2010 a vu la publication des premiers grands scandales de WikiLeaks, en activitĂ© depuis 2007, notamment des documents amĂ©ricains classifiĂ©s des guerres d'Irak et d'Afghanistan dans lesquels on a vu un hĂ©licoptĂšre amĂ©ricain abattre plus de dix civils Ă Bagdad, dont des journalistes de Reuters ; et, bien sĂ»r, le Cablegate, avec plus de 700 000 documents diplomatiques exposant le comportement criminel des Ătats-Unis publiĂ©s simultanĂ©ment aux Ătats-Unis, au Royaume-Uni, en Allemagne, en France et en Espagne. Jusqu'Ă ce que les AmĂ©ricains lancent un coup de semonce pour y mettre un terme, et que des mĂ©dias comme El PaĂs en Espagne cessent de publier l'information jusqu'Ă la rendre progressivement rĂ©siduelle.
Et cette annĂ©e-lĂ , en 2010, une accusation d'inconduite sexuelle et de viol a Ă©tĂ© portĂ©e en SuĂšde. Une plainte pour laquelle, Ă©trangement, les SuĂ©dois, presque comme s'ils le regrettaient, ont cessĂ© de poursuivre Assange en 2017 alors qu'il se trouvait Ă l'ambassade d'Ăquateur Ă Londres. Un prĂ©lude Ă l'abandon de l'affaire en 2019. Parce que l'accusation avait dĂ©jĂ atteint son but : condamner publiquement Assange. Pour salir, semer le doute, et crĂ©er suffisamment de controverse pour dĂ©tourner l'attention du vrai crime et des criminels.
C'est alors que l'acte d'accusation initial suĂ©dois s'est Ă©vaporĂ©, que personne n'a pu nier l'Ă©vidence, que la vĂ©ritable accusation d'Assange Ă©tait WikiLeaks; son vĂ©ritable procureur, Le Parrain amĂ©ricain ; et le vĂ©ritable acte d'accusation, une vendetta ordonnĂ©e et orchestrĂ©e. Il Ă©tait alors clair que Julian Assange Ă©tait mort et que les Ătats-Unis de GuantĂĄnamo, d'Iran-Contra, de Condor et d'Abu Ghraib avaient ordonnĂ© son exĂ©cution.
LE FUITEUR EN FUITE
De plus, non seulement le fait d'ĂȘtre enfermĂ© pendant si longtemps a Ă©tĂ© une terrible mort sociale, mais, comme c'est souvent le cas avec les divulgateurs de corruption, et Assange est sans doute le plus remarquable d'entre eux, il a Ă©galement subi un dĂ©versement de rumeurs d'une crĂ©dibilitĂ© douteuse sur sa conduite Ă l'ambassade. Des informations sur lui jouant avec un ballon, faisant du scooter, se lavant plus ou moins, ayant des relations sexuelles... Toutes ces informations ont Ă©tĂ© publiĂ©es dans les plus grands mĂ©dias du monde, dans le seul but de le dĂ©crĂ©dibiliser. Est-ce que le fait qu'Assange se lave plus ou moins peut vraiment faire l'objet d'une information dans un journal sĂ©rieux ? Il est clair que la publication de ces informations poursuivait le mĂȘme objectif que l'accusation d'inconduite sexuelle et de viol : la vengeance.
Les Ătats-Unis, le Royaume-Uni et l'Europe l'ont condamnĂ© dans ce mĂȘme Londres oĂč Augusto Pinochet a Ă©tĂ© protĂ©gĂ©. Ces pays sont plus soucieux de la santĂ© d'un dictateur sanguinaire que de celle d'un journaliste dont la contribution historique est au niveau des plus grands.
Ăvidemment, aprĂšs la lapidation multiple et incandescente, nous retrouvons la main noire de l'AmĂ©ricain. En 2019, on a appris qu'une sociĂ©tĂ© espagnole fondĂ©e par un ancien militaire, David Morales, basĂ©e Ă Jerez de la Frontera (Cadix), dans le sud de l'Espagne, espionnait illĂ©galement Julian Assange, ce qui a permis de stocker illĂ©galement des heures d'enregistrements, de faire des rapports sur WikiLeaks et de saisir des donnĂ©es personnelles telles que les empreintes digitales, les donnĂ©es graphologiques, les photographies de passeport ou les numĂ©ros de tĂ©lĂ©phone portable des visiteurs d'Assange. Actuellement, le juge espagnol chargĂ© de l'enquĂȘte, JosĂ© de la Mata, ne peut poursuivre l'affaire car les Ătats-Unis et le Royaume-Uni l'en empĂȘchent, puisqu'ils ne corroborent pas les informations du principal tĂ©moin, d'oĂč Ă©merge l'ombre de The Shadowserver, une sociĂ©tĂ© de sĂ©curitĂ© amĂ©ricaine liĂ©e au gouvernement des Ătats-Unis.
MAIS JULIAN ASSANGE EST DĂJĂ MORT
Mais, de toute façon, Julian Assange est dĂ©jĂ mort parce que mĂȘme s'il gagne, et ce ne sera pas facile, il a perdu, il perd et il perdra. Il a perdu dix ans de sa vie, qui en comptera bien d'autres ; il a perdu son prestige sur fond d'informations diffamatoires provenant de grands mĂ©dias se comportant comme des mĂ©dias sensationnalistes ; et, surtout, il a perdu son avenir.
Exhiber la mort sociale d'Assange a deux fonctions principales : faire peur aux futurs lanceurs d'alerte ou divulgateurs de corruption, et marquer les limites de la liberté d'expression et du journalisme.
Car quel est l'avenir de Julian Assange ? MĂȘme s'il sort indemne du dernier - et du prochain - assaut amĂ©ricain, il sera un cadavre social : il ne pourra pas avoir d'emploi normal, il ne pourra pas mener une vie normale, il ne pourra pas aller au cinĂ©ma comme une personne normale, il ne pourra pas dĂźner ou boire un verre de vin comme une personne normale, il ne pourra pas voyager normalement. MĂȘme s'il survit, Julian Assange est mort. Les Ătats-Unis, le Royaume-Uni et l'Europe l'ont condamnĂ© dans le mĂȘme Londres oĂč ils ont protĂ©gĂ© Augusto Pinochet. Les Ătats-Unis, le Royaume-Uni et l'Europe sont plus prĂ©occupĂ©s par la santĂ© d'un dictateur sanguinaire que par celle d'un journaliste dont la contribution historique est Ă l'Ă©gal des plus grands.
Toutefois, le plus grave n'est pas l'impitoyable exécution sociale d'Assange ou les dommages physiques et psychologiques qui lui ont été infligés, mais plutÎt le fait que condamner et exécuter socialement Julian Assange n'est rien de plus que condamner et exécuter le journalisme et la liberté d'expression. Mais est-ce que ça compte ? Bien sûr que oui : afficher la mort sociale de Julian Assange a deux fonctions principales : faire fuir les futurs lanceurs d'alerte ou divulgateurs de corruption ou de malversations étatiques face au sort qui leur est réservé, et marquer les limites de la liberté d'expression et du journalisme. Dans les démocraties occidentales, on peut parler de tout sauf des démocraties occidentales. Entre autres choses, parce que Julian Assange est déjà mort.
* Luis Gonzalo Segura est un militaire et écrivain espagnol. Ce capitaine de l'armée espagnole, souvent comparé à l'Américain Edward Snowden, a été emprisonné pendant deux mois, de juillet à septembre 2014, aprÚs la publication de son livre gratuit intitulé Un paso al frente, qui révélait et dénonçait de graves irrégularités commises au sein de l'armée espagnole.
https://insurgente.org/luis-gonzalo-segura-requiem-por-julian-assange-ya-esta-muerto/