👁🗨 Marcus Stanley: La stratégie de sécurité nationale "schizophrène" de Biden
La Maison-Blanche affirme que nous avons besoin d'une coopération internationale, mais veut encore décider qui fait partie ou non du club mondial.
👁🗨 La stratégie de sécurité nationale "schizophrène" de Biden
📰 Par Marcus Stanley, le 12 octobre 2022
L'administration Biden a enfin publié sa stratégie de sécurité nationale tant attendue, le premier document de ce type depuis 2017.
Il est étonnamment schizophrène, oscillant - parfois presque phrase par phrase - entre des promesses ambitieuses de mener une coopération mondiale pour relever les défis transnationaux, et la représentation d'un monde de rivalités quasi inextricables. L'impression générale est celle d'un establishment de politique étrangère qui semble saisir toute la nécessité de la coopération internationale, mais qui semble aussi impuissant à se laisser porter par des courants qui pourraient diviser le monde d'une manière qui rendrait cette coopération impossible.
Cela reflète le parcours de l'administration Biden elle-même. Le président Biden est entré en fonction en promettant de recentrer la politique étrangère sur les besoins de la classe moyenne américaine, de diriger la coopération mondiale contre la crise climatique et de réduire les conflits dans les points chauds du globe. Il prévoyait de réintégrer l'accord nucléaire avec l'Iran afin de réduire les tensions dans ce pays, et entendait maintenir la coopération avec la Chine dans certains domaines clés, même si l'administration poursuivait la majeure partie de la tendance de l'administration Trump à une "concurrence stratégique" acharnée avec la Chine.
La Maison Blanche Biden a même cherché à établir une relation "stable et prévisible" avec la Russie. Sa première grande décision de politique étrangère a été de désengager les États-Unis de leur occupation militaire de l'Afghanistan, vieille de deux décennies.
Deux ans plus tard, le monde semble plutôt vaciller au bord d'une nouvelle guerre froide, avec tous les dangers et les coûts que cela implique. La coopération entre la Chine et les États-Unis est gelée en raison d'une série apparemment sans fin de provocations réciproques, notamment au sujet de Taïwan, et le propre parti du président le pousse à être encore plus agressif.
Pendant ce temps, les négociations visant à rétablir l'accord sur le nucléaire iranien s'enlisent et, lors de son voyage au Moyen-Orient cet été, Biden a semblé brandir une menace de guerre. En Ukraine, après avoir contribué à contrecarrer de manière décisive la tentative initiale de Poutine de conquérir le pays, Washington semble satisfait de s'installer dans un conflit long et vicieux, sans chercher à trouver d'issue diplomatique.
Alors que nos principaux alliés en Europe et au Japon soutiennent les États-Unis contre la Russie et la Chine, de nombreuses nations importantes du Sud, dont certaines des plus grandes démocraties du monde en Inde et au Brésil, ne se sont pas associées aux États-Unis pour dénoncer catégoriquement l'invasion russe. En outre, la rhétorique de l'administration Biden est passée d'une "politique étrangère pour la classe moyenne" à des appels à une confrontation potentiellement apocalyptique entre "démocraties et autocraties".
La Stratégie nationale de sécurité tente de résoudre la quadrature du cercle et d'harmoniser le désir d'un ordre mondial plus coopératif qui profite à la classe moyenne américaine avec le conflit mondial émergent entre les blocs dirigés par la Chine et la Russie d'une part, et les États-Unis et leurs alliés d'autre part. Elle plaide en faveur d'une coopération mondiale, y compris avec la Chine, pour relever les défis transnationaux, et prend clairement conscience des dangers de la voie dans laquelle nous nous trouvons. Mais le document nie toute volonté d'alimenter la division du monde et, par endroits, tente de revendiquer le soutien aux souverainetés nationales dans un monde multipolaire que la Chine se présente généralement comme le défenseur de cette cause :
" La confrontation entre les États-Unis et les plus grandes autocraties du monde suscite un certain malaise dans de nombreuses zones du monde. Nous comprenons ces préoccupations. Nous voulons également parer à un avenir où la concurrence se transforme en un monde de blocs rigides. Nous ne cherchons pas le conflit ou une nouvelle guerre froide. Nous essayons plutôt d'aider chaque pays, quelle que soit sa taille ou sa force, à exercer la liberté de faire des choix qui servent ses intérêts. C'est là une divergence essentielle entre notre vision, qui vise à préserver l'autonomie et les droits des États moins puissants, et celle de nos rivaux, qui ne le fait pas."
Apparemment, consciente également des aspects potentiellement conflictuels et peu pragmatiques du cadre "démocratie contre autocratie" qui structure par ailleurs une grande partie du document, l'administration tend même la main de la fraternité aux "pays qui n'embrassent pas les institutions démocratiques mais dépendent néanmoins d'un système international fondé sur des règles et le soutiennent". Sans grande définition de ce que signifie "fondé sur des règles", cela ressemble à un signal indiquant que nous sommes prêts à abandonner notre idéalisme putatif lorsque les pays jouent le jeu avec nous.
Mais en fin de compte, ces efforts ne sont pas convaincants. À ce stade, pour inverser le cours de la division mondiale, il faudra dépenser un véritable capital politique pour faire évoluer les politiques qui alimentent une spirale inquiétante d'escalade des conflits dans le monde. Rien ici, par exemple, ne permet d'envisager une issue diplomatique ou pacifique au conflit ukrainien qui pourrait préserver la paix et la sécurité de nos alliés européens.
Dans le cas de la Chine, une reconnaissance abstraite de l'importance de la Chine dans l'ordre mondial, et de la nécessité d'une certaine forme de coopération se dégage. Mais cela va de pair avec des accusations répétées selon lesquelles la Chine a l'intention de remodeler agressivement l'ordre mondial de manière dommageable et illibérale, ce qui nuira aux intérêts américains et à la paix mondiale. Il semble peu probable que cela modifie la spirale descendante des relations sino américaines. Elle n'est pas non plus entièrement crédible pour une communauté mondiale qui sait que la Chine n'a envahi qu'un seul pays depuis 1979 alors que les États-Unis se sont engagés directement dans un conflit violent avec des dizaines de pays au cours de la même période.
La Stratégie nationale de sécurité reflète au moins une certaine prise de conscience des dangers des divisions mondiales et de la nécessité de coopérer. Mais le défi de passer de cette prise de conscience à un véritable changement de direction reste entier.