đâđš Massacres, viols, pillages & destruction : comment IsraĂ«l dissimule les preuves du nettoyage ethnique de 1948
âIl y avait 61 corps. 3 cas de viol, un Ă lâest de Safed, fille de 14 ans, 4 hommes tuĂ©s par balle. Ils ont coupĂ© les doigts dâun dâentre eux avec un couteau pour lui voler une bagueâ.
đâđš Massacres, viols, pillages & destruction : comment IsraĂ«l dissimule les preuves du nettoyage ethnique de 1948
Par Hagar Shezaf, le 16 mai, 2025
Les Palestiniens font face Ă une âguerre de la mĂ©moireâ visant Ă effacer toute trace de la Nakba. Depuis le dĂ©but de la derniĂšre dĂ©cennie, les Ă©quipes du ministĂšre de la DĂ©fense ont fouillĂ© les archives locales et retirĂ© un grand nombre de documents historiques afin de dissimuler les preuves de la Nakba.
Source : Haaretz, 5 juillet 2019, republié à l'occasion du 77e anniversaire de la Nakba.
Il y a quatre ans, lâhistorienne Tamar Novick a Ă©tĂ© choquĂ©e par un document quâelle a trouvĂ© dans le dossier de Yosef Vashitz, du dĂ©partement arabe du parti de gauche Mapam, dans les archives Yad Yaari Ă Givat Haviva. Le document, qui semblait dĂ©crire les Ă©vĂ©nements qui ont eu lieu pendant la guerre de 1948, commençait ainsi :
âSafsaf [ancien village palestinien prĂšs de Safed] â 52 hommes ont Ă©tĂ© capturĂ©s, ligotĂ©s les uns aux autres, une fosse a Ă©tĂ© creusĂ©e et ils ont Ă©tĂ© abattus. 10 Ă©taient encore en train de convulser. Des femmes sont venues, implorant notre pitiĂ©. TrouvĂ© corps de 6 hommes ĂągĂ©s. Il y avait 61 corps. 3 cas de viol, dont un Ă lâest de Safed, fille de 14 ans, 4 hommes tuĂ©s par balle. Ils ont coupĂ© les doigts dâun dâentre eux avec un couteau pour lui voler une bagueâ.
Lâauteur poursuit en dĂ©crivant dâautres massacres, pillages et abus perpĂ©trĂ©s par les forces israĂ©liennes pendant la guerre dâindĂ©pendance dâIsraĂ«l.
âIl nây a pas de nom sur le document et on ne sait pas trĂšs bien qui en est lâauteurâ, dĂ©clare Tamar Novick Ă Haaretz. âCe document est incomplet. Jâai trouvĂ© cela trĂšs troublant. Je savais quâen trouvant un tel document, jâavais la responsabilitĂ© de clarifier ce qui sâĂ©tait passĂ©â.
Le village de Safsaf, en Haute GalilĂ©e, a Ă©tĂ© capturĂ© par les forces de dĂ©fense israĂ©liennes lors de lâopĂ©ration Hiram Ă la fin de lâannĂ©e 1948. La colonie de Moshav Safsufa a Ă©tĂ© Ă©tablie sur ses ruines. Au fil des ans, des allĂ©gations ont Ă©tĂ© faites selon lesquelles la SeptiĂšme brigade aurait commis des crimes de guerre dans ce village. Ces accusations sont Ă©tayĂ©es par le document trouvĂ© par Novick, qui nâĂ©tait pas connu des universitaires auparavant. Cela pourrait Ă©galement constituer une preuve supplĂ©mentaire que les hauts gradĂ©s israĂ©liens Ă©taient informĂ©s de ce qui se passait en temps rĂ©el.
Novick a dĂ©cidĂ© de consulter dâautres historiens au sujet du document. Benny Morris, dont les livres constituent les textes de base de lâĂ©tude de la Nakba â la âcalamitĂ©â, comme les Palestiniens dĂ©crivent lâĂ©migration massive des Arabes du pays pendant la guerre de 1948 â lui a dit quâil avait lui aussi trouvĂ© des documents similaires dans le passĂ©. Il se rĂ©fĂ©rait aux notes prises par Aharon Cohen, membre du ComitĂ© central du Mapam, sur la base dâun exposĂ© donnĂ© en novembre 1948 par IsraĂ«l Galili, lâancien chef dâĂ©tat-major de la milice de la Haganah, qui est devenue lâIDF (Forces de dĂ©fense dâIsraĂ«l, ou Tsahal). Les notes de Cohen dans cette affaire, publiĂ©es par Morris, indiquaient :
âSafsaf : 52 hommes attachĂ©s avec une corde. JetĂ©s dans une fosse et abattus. 10 ont Ă©tĂ© tuĂ©s. Les femmes ont implorĂ© pitiĂ©. Il y a eu 3 cas de viol. Pris et relĂąchĂ©s. Une fille de 14 ans a Ă©tĂ© violĂ©e. 4 autres ont Ă©tĂ© tuĂ©es. Bagues (volĂ©es au) couteauâ.
La note de bas de page de Morris (dans son ouvrage fondateur La naissance du problĂšme des rĂ©fugiĂ©s palestiniens, 1947-1949) indique que ce document a Ă©galement Ă©tĂ© trouvĂ© dans les archives Yad Yaari. Mais lorsque Novick est revenue examiner le document, elle a Ă©tĂ© surprise de dĂ©couvrir quâil nâĂ©tait plus lĂ .
âAu dĂ©but, jâai pensĂ© que Morris nâavait peut-ĂȘtre pas Ă©tĂ© prĂ©cis dans sa note de bas de page, quâil avait peut-ĂȘtre fait une erreur, se rappelle Novick. Il mâa fallu du temps pour envisager la possibilitĂ© que le document ait tout simplement disparuâ.
Lorsquâelle a demandĂ© aux responsables oĂč se trouvait le document, on lui a rĂ©pondu quâil avait Ă©tĂ© placĂ© sous clĂ© Ă Yad Yaari, sur ordre du ministĂšre de la DĂ©fense.
Depuis le dĂ©but de la derniĂšre dĂ©cennie, les Ă©quipes du ministĂšre de la DĂ©fense ont fouillĂ© les archives locales et retirĂ© des trombes de documents historiques pour les mettre sous clĂ©. Mais ce ne sont pas seulement des documents relatifs au projet nuclĂ©aire dâIsraĂ«l ou aux relations extĂ©rieures du pays qui sont transfĂ©rĂ©s dans des coffres-forts : des centaines de documents ont Ă©tĂ© dissimulĂ©s dans le cadre dâun effort systĂ©matique visant Ă dissimuler des preuves de la Nakba.
Le phĂ©nomĂšne a Ă©tĂ© dĂ©tectĂ© pour la premiĂšre fois par lâInstitut Akevot, consacrĂ© Ă la recherche sur le conflit israĂ©lo-palestinien. Selon un rapport Ă©tabli par lâinstitut, lâopĂ©ration est menĂ©e par Malmab, le dĂ©partement secret de la sĂ©curitĂ© du MinistĂšre de la DĂ©fense (le nom est un acronyme hĂ©breu pour âdirecteur de la sĂ©curitĂ© de lâinstitution de DĂ©fenseâ), dont les activitĂ©s et le budget sont secrets. Le rapport affirme que Malmab a retirĂ© des documents historiques illĂ©galement et sans autorisation, et que dans certains cas, il a scellĂ© des documents qui avaient Ă©tĂ© prĂ©alablement approuvĂ©s pour publication par le censeur militaire. Certains des documents qui ont Ă©tĂ© placĂ©s dans des coffres-forts avaient dĂ©jĂ Ă©tĂ© publiĂ©s.
Une enquĂȘte de Haaretz a rĂ©vĂ©lĂ© que Malmab a dissimulĂ© des tĂ©moignages de gĂ©nĂ©raux de lâarmĂ©e israĂ©lienne au sujet du meurtre de civils et de la dĂ©molition de villages, ainsi que des preuves de lâexpulsion de BĂ©douins au cours de la premiĂšre dĂ©cennie de lâEtat dâIsraĂ«l. Des conversations menĂ©es par Haaretz avec des directeurs dâarchives publiques et privĂ©es ont rĂ©vĂ©lĂ© que le personnel du service de sĂ©curitĂ© avait traitĂ© les archives comme leur propriĂ©tĂ©, menaçant dans certains cas les directeurs des archives eux-mĂȘmes.
Yehiel Horev, qui a dirigĂ© Malmab pendant deux dĂ©cennies, jusquâen 2007, a reconnu auprĂšs de Haaretz quâil avait Ă©tĂ© lâinstigateur du projet, qui est toujours en cours. Il soutient quâil est logique de dissimuler les Ă©vĂ©nements de 1948, car leur rĂ©vĂ©lation pourrait engendrer des troubles au sein de la population arabe du pays. InterrogĂ© sur lâintĂ©rĂȘt de retirer les documents dĂ©jĂ publiĂ©s, il a expliquĂ© que lâobjectif est de saper la crĂ©dibilitĂ© des Ă©tudes sur lâhistoire du problĂšme des rĂ©fugiĂ©s. Selon Horev, une allĂ©gation faite par un chercheur qui est appuyĂ©e par un document original nâest pas la mĂȘme chose quâune allĂ©gation qui ne peut ĂȘtre prouvĂ©e ou rĂ©futĂ©e du fait de lâinaccessibilitĂ© du document.
Le document que Novick cherchait aurait pu renforcer le travail de Morris. Au cours de lâenquĂȘte, Haaretz a en effet pu trouver la note de service dâAharon Cohen, qui rĂ©sume une rĂ©union de la Commission politique du Mapam sur le thĂšme des massacres et expulsions en 1948. Les participants Ă la rĂ©union ont appelĂ© Ă coopĂ©rer avec une Commission dâenquĂȘte chargĂ©e dâenquĂȘter sur les Ă©vĂ©nements. Lâun des cas examinĂ©s par le comitĂ© concernait des âactions gravesâ menĂ©es dans le village dâAl-Dawayima, Ă lâest de Kiryat Gat. Un participant a mentionnĂ© Ă cet Ă©gard la milice souterraine du Lehi, alors dissoute. Des actes de pillage ont Ă©galement Ă©tĂ© signalĂ©s :
âA Lod et Ramle, Ă Beâer Sheva, il nây a pas le moindre magasin [arabe] qui nâait Ă©tĂ© cambriolĂ©. La 9Ăšme Brigade parle de sept (magasins pillĂ©s), la 7Ăšme Brigade de huit.
âLe partiâ, dit le document vers la fin, âest opposĂ© aux expulsions si elles ne sont pas nĂ©cessaires sur le plan militaire. Il existe diffĂ©rentes approches concernant lâĂ©valuation de la nĂ©cessitĂ©. Et le mieux est dâobtenir plus de prĂ©cisions. Ce qui sâest passĂ© en GalilĂ©e â ce sont des actes nazis ! Chacun de nos membres doit rapporter ce quâil saitâ.
La version israélienne
Lâun des documents les plus fascinants sur lâorigine du problĂšme des rĂ©fugiĂ©s palestiniens a Ă©tĂ© rĂ©digĂ© par un officier du Shai, le prĂ©curseur du service de sĂ©curitĂ© du Shin Bet. Il explique pourquoi le pays a Ă©tĂ© vidĂ© de tant de ses habitants arabes, en sâattardant sur la situation de chaque village. CompilĂ© fin juin 1948, il sâintitulait âLâĂ©migration des Arabes de Palestineâ.
Lire une traduction du document ici (en anglais)
Ce document a servi de base Ă un article que Benny Morris a publiĂ© en 1986. AprĂšs la parution de lâarticle, le document a Ă©tĂ© retirĂ© des archives et rendu inaccessible aux chercheurs. Des annĂ©es plus tard, lâĂ©quipe de Malmab a rĂ©examinĂ© le document et a ordonnĂ© quâil reste classĂ© secret. Ils ne pouvaient pas savoir que quelques annĂ©es plus tard, des chercheurs dâAkevot trouveraient une copie du texte et le prĂ©senteraient aux censeurs militaires â qui ont autorisĂ© sa publication sans condition. Aujourdâhui, aprĂšs des annĂ©es de dissimulation, lâessentiel du document est rĂ©vĂ©lĂ© ici.
Le document de 25 pages commence par une introduction qui approuve sans rĂ©serve lâĂ©vacuation des villages arabes. Selon lâauteur, le mois dâavril
âĂ©tait excellent quant Ă lâaugmentation de lâĂ©migrationâ, tandis que le mois de mai âa Ă©tĂ© bĂ©ni avec lâĂ©vacuation dâun maximum dâendroitsâ. Le rapport aborde ensuite âles causes de lâĂ©migration arabeâ.
Selon le rĂ©cit israĂ©lien qui a Ă©tĂ© diffusĂ© au fil des ans, la responsabilitĂ© de lâexode dâIsraĂ«l incombe aux politiciens arabes qui ont encouragĂ© la population Ă partir [comme si cela pouvait justifier lâexpropriation, lâaccaparement et lâinterdiction du retour de ces populations, remplacĂ©es par des colons Juifs, voire la destruction de leurs villages]. Cependant, dâaprĂšs ce document, 70% des Arabes sont partis Ă cause des opĂ©rations militaires juives.
Lâauteur anonyme du texte classe par ordre dâimportance les raisons du dĂ©part des Arabes. La premiĂšre raison est
âLes actes dâhostilitĂ© directe des Juifs contre les lieux de peuplement arabesâ. La deuxiĂšme raison Ă©tait lâimpact de ces actions sur les villages voisins. TroisiĂšmement, il y avait les âopĂ©rations des groupes dissidentsâ, câest-Ă -dire les clandestins de lâIrgoun et du Lehi (organisations terroristes juives). La quatriĂšme raison de lâexode arabe Ă©tait les ordres donnĂ©s par les institutions et les âgangsâ arabes (le document dĂ©crit tous les groupes de combattants arabes comme des âgangsâ) ; la cinquiĂšme raison Ă©tait âles opĂ©rations de âconseilâ des Juifs (guerre psychologique) visant Ă inciter les habitants arabes Ă fuirâ ; et le sixiĂšme facteur Ă©tait âles ultimatums dâĂ©vacuationâ.
Lâauteur affirme que
âsans aucun doute, les opĂ©rations hostiles ont Ă©tĂ© la cause principale du dĂ©placement de la populationâ. En outre, âles haut-parleurs en langue arabe ont prouvĂ© leur efficacitĂ© lorsquâils Ă©taient utilisĂ©s correctementâ.
En ce qui concerne les opĂ©rations de lâIrgoun et du Lehi, le rapport observe que
âde nombreux habitants des villages de GalilĂ©e centrale ont commencĂ© Ă fuir aprĂšs lâenlĂšvement des notables de Sheikh Muwannis [un village au nord de Tel Aviv]. Les Arabes ont appris quâil ne suffit pas de conclure un accord avec la Haganah et quâil y a dâautres Juifs [câest-Ă -dire les milices dissidentes] quâil faut redouterâ.
Lâauteur note que les ultimatums de dĂ©part ont surtout Ă©tĂ© utilisĂ©s en GalilĂ©e centrale, mais moins dans la rĂ©gion du mont Gilboa.
âNaturellement, cet ultimatum, comme lâeffet du âconseil amicalâ, est venu aprĂšs une certaine prĂ©paration du terrain par le biais dâactions hostiles dans la rĂ©gionâ.
Une annexe au document dĂ©crit les causes spĂ©cifiques de lâexode de chacune des dizaines de localitĂ©s arabes :
Ein Zeitun : ânotre destruction du villageâ Qeitiya : âharcĂšlement, menace dâactionâ Almaniya : ânotre action, beaucoup de mortsâ Tira : âconseils juifs amicauxâ AlâAmarir : âaprĂšs des vols et des meurtres commis par les dissidentsâ Sumsum : ânotre ultimatumâ Bir Salim : âattaque de lâorphelinatâ Zarnuga : âconquĂȘte et expulsionâ
MĂšche courte
Au dĂ©but des annĂ©es 2000, le Centre Yitzhak Rabin a menĂ© une sĂ©rie dâentretiens avec dâanciennes personnalitĂ©s publiques et militaires dans le cadre dâun projet visant Ă documenter leur activitĂ© au service de lâEtat. Le bras long de Malmab sâest Ă©galement emparĂ© de ces interviews. Haaretz, qui a obtenu les textes originaux de plusieurs des entretiens, les a comparĂ©s aux versions qui sont maintenant disponibles pour le public, aprĂšs que de larges pans dâentre eux aient Ă©tĂ© classĂ©s secret dĂ©fense.
Il sâagit, par exemple, de parties du tĂ©moignage du gĂ©nĂ©ral de brigade Aryeh Shalev sur lâexpulsion de lâautre cĂŽtĂ© de la frontiĂšre des habitants dâun village quâil a appelĂ© âSabraâ. Plus tard dans lâentrevue, les phrases suivantes ont Ă©tĂ© supprimĂ©es :
âIl y a eu un problĂšme trĂšs sĂ©rieux dans la vallĂ©e. Il y avait des rĂ©fugiĂ©s qui voulaient retourner dans la vallĂ©e, dans le Triangle [une concentration de villes et villages arabes dans lâest dâIsraĂ«l]. Nous les avons expulsĂ©s. Je les ai rencontrĂ©s pour les persuader de ne pas vouloir cela. Jâai des documents Ă ce sujetâ.
Dans un autre cas, Malmab a dĂ©cidĂ© de dissimuler ce segment dâun entretien que lâhistorien Boaz Lev Tov a menĂ©e avec le major-gĂ©nĂ©ral rĂ©serviste Elad Peled :
Lev Tov : Nous parlons dâune population composĂ©e de femmes et dâenfants
Peled : Tous, tous. Oui.
Lev Tov : Vous ne faisiez aucune distinction (entre les hommes et les femmes/enfants) ?
Peled : Le problĂšme est trĂšs simple. Câest une guerre entre deux populations. Ils sortent de leurs maisons.
Lev Tov : Si la maison existe, ils ont un endroit oĂč retourner ?
Peled : Ce ne sont pas encore des armĂ©es, ce sont des gangs. Nous sommes aussi des gangs. Nous sortons de la maison et retournons dans la maison. Ils sortent de la maison et y retournent. Câest tantĂŽt leur maison, tantĂŽt la nĂŽtre.
Lev Tov : Les scrupules sont lâapanage de la gĂ©nĂ©ration la plus rĂ©cente ?
Peled : Oui, aujourdâhui, (il y a plus de scrupules). Quand je mâassois dans un fauteuil et que je pense Ă ce qui sâest passĂ©, toutes sortes de pensĂ©es me viennent Ă lâesprit.
Lev Tov : Il nây avait aucun scrupule Ă lâĂ©poque ?
Peled : Ecoutez, laissez-moi vous dire quelque chose dâencore moins avouable, quelque chose de cruel Ă propos du grand raid Ă Sasa [village palestinien en Haute GalilĂ©e]. Le but Ă©tait en fait de les dissuader, de leur dire : « Chers amis, le Palmach [les troupes de choc de la Haganah] peut atteindre nâimporte quel endroit, vous nâĂȘtes en sĂ©curitĂ© nulle part. » CâĂ©tait le cĆur du peuplement arabe. Mais quâavons-nous fait ? Mon peloton a fait sauter 20 maisons avec tout ce quâelles contenaient.
Lev Tov : Pendant que les gens y dormaient ?
Peled : Je suppose que oui. Ce qui sâest passĂ© lĂ -bas, câest que nous sommes entrĂ©s dans le village, nous avons posĂ© une bombe Ă cĂŽtĂ© de chaque maison, puis Homesh a sonnĂ© de la trompette, parce que nous nâavions pas de radio, et câĂ©tait le signal [que nos forces] devaient partir. On fait marche arriĂšre, les sapeurs restent, ils actionnent les dĂ©tonateurs, câest primitif. Ils ont allumĂ© la mĂšche ou actionnĂ© le dĂ©tonateur et toutes ces maisons ont disparu.
Un autre passage que le ministÚre de la Défense a voulu cacher au public provient de la conversation du Dr Lev Tov avec le major général Avraham Tamir :
Tamir : Je servais sous Chera [le gĂ©nĂ©ral de division Tzvi Tzur, futur chef dâĂ©tat-major de lâIDF], et jâavais dâexcellentes relations avec lui. Il mâa donnĂ© une libertĂ© dâaction totale â ne me posez pas de questions â et jâai Ă©tĂ© responsable des hommes et des opĂ©rations pendant deux dĂ©veloppements dĂ©coulant de la politique de Ben-Gourion. Un dĂ©veloppement fut lâarrivĂ©e de rapports au sujet de marches de rĂ©fugiĂ©s revenant de Jordanie vers les villages abandonnĂ©s [en Palestine]. Ensuite, Ben-Gourion Ă©tablit comme politique que nous devions dĂ©molir [les villages] pour quâils nâaient nulle part oĂč revenir. Câest-Ă -dire, tous les villages arabes, dont la plupart se trouvaient dans [la zone couverte par] le Commandement Central, la plupart dâentre eux.
Lev Tov : Ceux qui étaient encore debout
Tamir : Ceux qui nâĂ©taient pas encore habitĂ©s par des IsraĂ©liens. Il y avait des endroits oĂč nous avions dĂ©jĂ installĂ© des IsraĂ©liens, comme Zakariyya et dâautres lieux. Mais la plupart dâentre eux Ă©taient encore des villages abandonnĂ©s.
Lev Tov : Qui étaient encore debout ?
Tamir : Oui. Il fallait quâil nây ait pas dâendroit oĂč ils puissent revenir, alors jâai mobilisĂ© tous les bataillons du gĂ©nie du Commandement central, et en 48 heures, jâai dĂ©truit tous ces villages. Point final. Il nây avait plus dâendroit oĂč ils auraient pu revenir.
Lev Tov : Vous lâavez fait sans hĂ©sitation, jâimagine.
Tamir : Sans hĂ©sitation. CâĂ©tait la politique. Jâai mobilisĂ© les effectifs et Ă©quipements requis, et jâai fait ce quâil y avait Ă faire.
Des tombereaux de documents enfermés dans des coffres-forts
Le coffre-fort du Centre de recherche et de documentation Yad Yaari se trouve au sous-sol. Dans la chambre forte, qui est en fait une petite piĂšce bien sĂ©curisĂ©e, se trouvent des piles de caisses contenant des documents classifiĂ©s. Les archives abritent les documents du mouvement Hashomer Hatzair, du mouvement des kibboutz Haâartzi, de Mapam, de Meretz et dâautres organismes, tels que Peace Now.
Le directeur des archives est Dudu Amitai, qui est Ă©galement PrĂ©sident de lâAssociation des archivistes israĂ©liens. Selon Amitai, le personnel de Malmab a rĂ©guliĂšrement visitĂ© les archives entre 2009 et 2011. Le personnel des archives raconte que des Ă©quipes du dĂ©partement de la sĂ©curitĂ© â deux retraitĂ©s du ministĂšre de la DĂ©fense nâayant aucune formation dâarchivistes â se prĂ©sentaient deux ou trois fois par semaine. Ils cherchaient des documents selon des mots-clĂ©s tels que ânuclĂ©aireâ, âsĂ©curitĂ©â et âcensureâ, et ont Ă©galement consacrĂ© Ă©normĂ©ment de temps Ă la guerre dâindĂ©pendance et au sort des villages arabes dâavant 1948.
âEn fin de compte, ils nous ont soumis un rĂ©sumĂ© disant quâils avaient trouvĂ© quelques douzaines de documents sensiblesâ, dit Amitai. âNous ne dĂ©montons gĂ©nĂ©ralement pas les dossiers, donc des douzaines de dossiers, dans leur intĂ©gralitĂ©, se sont retrouvĂ©s dans notre coffre-fort et ont Ă©tĂ© retirĂ©s des documents accessibles au publicâ.
Un dossier peut contenir plus de 100 documents.
Lâun des dossiers qui a Ă©tĂ© scellĂ© concerne le gouvernement militaire qui a contrĂŽlĂ© la vie des citoyens arabes dâIsraĂ«l de 1948 Ă 1966. Pendant des annĂ©es, les documents ont Ă©tĂ© conservĂ©s dans la mĂȘme chambre forte, inaccessible aux chercheurs. RĂ©cemment, suite Ă une requĂȘte du Professeur Gadi Algazi, historien de lâUniversitĂ© de Tel Aviv, Amitai a examinĂ© le dossier lui-mĂȘme et a dĂ©cidĂ© quâil nây avait aucune raison de ne pas le desceller, malgrĂ© lâavis de Malmab.
Selon Algazi, plusieurs raisons pourraient expliquer la dĂ©cision de Malmab de garder le dossier secret. Lâune dâentre elles porte sur lâun des documents qui y est contenu, une annexe secrĂšte Ă un rapport dâun ComitĂ© qui a examinĂ© le fonctionnement du gouvernement militaire. Le rapport traite presque entiĂšrement des luttes pour la propriĂ©tĂ© fonciĂšre entre lâĂtat et les citoyens arabes, et aborde Ă peine les questions de sĂ©curitĂ©.
Une autre possibilitĂ© est un rapport de 1958 du ComitĂ© ministĂ©riel qui a supervisĂ© le gouvernement militaire. Dans lâune des annexes secrĂštes du rapport, le colonel Mishael Shaham, un officier supĂ©rieur du gouvernement militaire, explique que lâune des raisons pour ne pas dĂ©manteler lâappareil de la loi martiale est la nĂ©cessitĂ© de restreindre lâaccĂšs des citoyens arabes au marchĂ© du travail et dâempĂȘcher la reconstruction des villages dĂ©truits.
Une troisiĂšme explication qui pourrait expliquer la volontĂ© de maintenir ce dossier secret concerne un tĂ©moignage historique inĂ©dit sur lâexpulsion des BĂ©douins. A la veille de la crĂ©ation de lâEtat dâIsraĂ«l, prĂšs de 100 000 BĂ©douins vivaient dans le NĂ©guev. Trois ans plus tard, leur nombre est tombĂ© Ă 13 000. Durant les annĂ©es qui ont prĂ©cĂ©dĂ© et suivi la guerre dâindĂ©pendance, un certain nombre dâopĂ©rations dâexpulsion ont Ă©tĂ© menĂ©es dans le sud du pays. Dans un cas, des observateurs des Nations Unies ont signalĂ© quâIsraĂ«l avait expulsĂ© 400 BĂ©douins de la tribu Azazma et citĂ© des tĂ©moignages au sujet de tentes incendiĂ©es. La lettre qui apparaĂźt dans le dossier classifiĂ© dĂ©crit une expulsion similaire effectuĂ©e aussi tard quâen 1956, comme lâa racontĂ© le gĂ©ologue Avraham Parnes :
âIl y a un mois, nous avons visitĂ© [le cratĂšre] Ramon. Les BĂ©douins de la rĂ©gion de Mohila sont venus nous voir avec leurs troupeaux et leurs familles et nous ont demandĂ© de partager leur repas. Jâai rĂ©pondu que nous avions beaucoup de travail Ă faire et que nous nâavions pas le temps. Lors de notre visite cette semaine, nous nous sommes Ă nouveau dirigĂ©s vers Mohila. Au lieu des BĂ©douins et de leurs troupeaux, il y avait un silence mortel. Des dizaines de carcasses de chameaux Ă©taient dispersĂ©es dans la rĂ©gion. Nous avons appris que trois jours plus tĂŽt, lâarmĂ©e israĂ©lienne avait « *** » les BĂ©douins, et que leurs troupeaux avaient Ă©tĂ© dĂ©cimĂ©s â les chameaux par des tirs, les moutons avec des grenades. Un des BĂ©douins, qui a commencĂ© Ă protester, a Ă©tĂ© tuĂ©, les autres se sont enfuisâ.
Le témoignage poursuit :
âDeux semaines plus tĂŽt, on leur avait ordonnĂ© de rester lĂ oĂč ils Ă©taient pour le moment, aprĂšs quoi on leur avait ordonnĂ© de partir, et pour accĂ©lĂ©rer les choses, 500 tĂȘtes ont Ă©tĂ© abattues... Lâexpulsion a Ă©tĂ© exĂ©cutĂ©e âefficacementâ.â
La lettre poursuit en citant ce quâun des soldats a dit Ă Parnes, dâaprĂšs son tĂ©moignage :
âIls ne partiront pas avant quâon ait *** leurs troupeaux. Une jeune fille dâenviron 16 ans sâest approchĂ©e de nous. Elle avait un collier de perles de serpents en laiton. On a dĂ©chirĂ© le collier et chacun de nous a pris une perle en souvenirâ.
La lettre a Ă©tĂ© originellement envoyĂ©e au DĂ©putĂ© Yaakov Uri, du Mapai (prĂ©curseur du Parti travailliste), qui lâa transmise au ministre du DĂ©veloppement Mordechai Bentov (Mapam).
âSa lettre mâa choquĂ©â, a Ă©crit Uri Bentov. âCe dernier a fait circuler la lettre parmi tous les ministres du Cabinet en Ă©crivant : âJe suis dâavis que le gouvernement ne peut tout simplement pas ignorer les faits qui y sont relatĂ©sâ.
Bentov a ajoutĂ© quâĂ la lumiĂšre du contenu Ă©pouvantable de la lettre, il a demandĂ© aux experts en matiĂšre de sĂ©curitĂ© de vĂ©rifier sa crĂ©dibilitĂ©. Ils avaient confirmĂ© que le contenu âest bien, de maniĂšre gĂ©nĂ©rale, conforme Ă la vĂ©ritĂ©â.
Lâexcuse nuclĂ©aire
Câest au cours du mandat de lâhistorien Tuvia Friling en tant quâarchiviste en chef dâIsraĂ«l, de 2001 Ă 2004, que Malmab a effectuĂ© ses premiĂšres incursions archivistiques. Ce qui a commencĂ© comme une opĂ©ration visant Ă empĂȘcher la fuite de secrets nuclĂ©aires, dit-il, est devenu, avec le temps, un projet de censure Ă grande Ă©chelle.
âJâai dĂ©missionnĂ© aprĂšs trois ans, et câest lâune des raisons pour lesquelles jâai dĂ©missionnĂ©â, explique le professeur Friling. âLa classification du document sur lâĂ©migration des Arabes en 1948 est prĂ©cisĂ©ment un exemple de ce que jâapprĂ©hendais. Le systĂšme de stockage et dâarchivage nâest pas une branche des relations publiques de lâĂtat. Sâil y a quelque chose que tu nâaimes pas, câest la vie. Une sociĂ©tĂ© saine apprend aussi de ses erreursâ.
Pourquoi Friling a-t-il permis au ministĂšre de la DĂ©fense dâavoir accĂšs aux archives ? La raison, dit-il, Ă©tait lâintention de permettre au public dâaccĂ©der aux documents dâarchives en les publiant sur Internet. Au cours des discussions sur les implications de la numĂ©risation du matĂ©riel, on sâest inquiĂ©tĂ© du fait que les rĂ©fĂ©rences dans les documents Ă âun certain sujetâ seraient rendues publiques par erreur. Le sujet, bien sĂ»r, est le projet nuclĂ©aire dâIsraĂ«l. Friling insiste sur le fait que la seule autorisation que Malmab a reçue Ă©tait de rechercher des documents Ă ce sujet.
Mais lâactivitĂ© de Malmab nâest quâun exemple dâun problĂšme plus large, note Friling :
âEn 1998, la confidentialitĂ© des [documents les plus anciens des] archives du Shin Bet et du Mossad a expirĂ©. Pendant des annĂ©es, ces deux institutions ont dĂ©daignĂ© lâarchiviste en chef. Quand jâai pris la relĂšve, ils ont demandĂ© que la confidentialitĂ© de tout le matĂ©riel soit prolongĂ©e [de 50] Ă 70 ans, ce qui est ridicule â la plupart du matĂ©riel peut ĂȘtre rendu accessible au publicâ.
En 2010, la pĂ©riode de confidentialitĂ© a Ă©tĂ© portĂ©e Ă 70 ans ; en fĂ©vrier dernier, elle a Ă©tĂ© portĂ©e Ă 90 ans, malgrĂ© lâopposition du Conseil supĂ©rieur des archives.
âLâĂtat peut imposer que certains de ses documents restent confidentiels, dit M. Friling. La question est de savoir si le prĂ©texte de la sĂ©curitĂ© nâagit pas comme une sorte de couverture. Dans bien des cas, câest dĂ©jĂ devenu une blagueâ.
Selon Dudu Amitai, du centre dâarchives de Yad Yaari, la confidentialitĂ© imposĂ©e par le ministĂšre de la DĂ©fense doit ĂȘtre contestĂ©e. Au cours de son exercice, rĂ©vĂšle-t-il, lâun des documents placĂ©s dans la chambre forte Ă©tait un ordre donnĂ© par un gĂ©nĂ©ral de lâarmĂ©e israĂ©lienne, lors dâune trĂȘve pendant la guerre dâindĂ©pendance, pour que ses troupes sâabstiennent de viols et de pillages [ce qui indique quâils Ă©taient monnaie courante]. Amitai a maintenant lâintention de passer en revue les documents qui ont Ă©tĂ© dĂ©posĂ©s dans la chambre forte, en particulier les documents de 1948, et de rendre public tout ce quâil pourra.
âNous le ferons avec prudence et responsabilitĂ©, mais en reconnaissant que lâĂtat dâIsraĂ«l doit apprendre Ă gĂ©rer les aspects les moins reluisants de son histoireâ.
Contrairement Ă Yad Yaari, oĂč le personnel du ministĂšre ne se rend plus, Ă Yad Tabenkin, les documents du centre de recherche et de documentation du Mouvement du Kibboutz-Uni sont toujours scrutĂ©s attentivement. Le directeur de ce centre dâarchives, Aharon Azati, est parvenu Ă un accord avec les Ă©quipes de Malmab selon lequel les documents ne seront transfĂ©rĂ©s dans la chambre forte que sâil est convaincu que cela est justifiĂ©. Mais Ă Yad Tabenkin Ă©galement, Malmab a Ă©largi ses recherches au-delĂ du domaine du projet nuclĂ©aire pour y inclure des entretiens menĂ©s par le personnel des archives avec dâanciens membres du Palmach, et a mĂȘme parcouru mĂ©ticuleusement des documents sur lâhistoire des colonies dans les territoires occupĂ©s.
Malmab a, par exemple, manifestĂ© de lâintĂ©rĂȘt pour le livre en hĂ©breu âUne dĂ©cennie de discrĂ©tion : la politique de colonisation des Territoires de 1967 Ă 1977â, publiĂ© par Yad Tabenkin en 1992 et rĂ©digĂ© par Yehiel Admoni, directeur du dĂ©partement de lâĂ©tablissement de lâAgence juive pendant la dĂ©cennie en question. Le livre mentionne un plan dâinstallation de rĂ©fugiĂ©s palestiniens dans la vallĂ©e du Jourdain et le dĂ©racinement de 1 540 familles bĂ©douines de la rĂ©gion de Rafah, dans la bande de Gaza, en 1972, y compris une opĂ©ration qui comprenait lâobturation de puits par lâarmĂ©e israĂ©lienne. Ironiquement, dans le cas des BĂ©douins, Admoni cite ce propos de lâancien ministre de la Justice Yaakov Shimshon Shapira:
âIl nâest pas nĂ©cessaire dâaller trop loin dans la logique sĂ©curitaire. LâĂ©pisode bĂ©douin nâest pas un chapitre glorieux de lâĂtat dâIsraĂ«lâ.
Selon Azati,
âNous nous dirigeons de plus en plus vers un resserrement des rangs. Bien que nous vivions une Ăšre dâouverture et de transparence, il y a apparemment des forces qui poussent dans la direction opposĂ©eâ.
Confidentialité illégale
Il y a un an environ, la conseillĂšre juridique des Archives nationales, Maitre Naomi Aldouby, a rĂ©digĂ© un avis intitulĂ© âDossiers clos sans autorisation dans les archives publiquesâ. Selon elle, la politique dâaccessibilitĂ© des archives publiques est du ressort exclusif du directeur de chaque centre dâarchives.
MalgrĂ© lâopinion dâAldouby, dans la grande majoritĂ© des cas, les archivistes qui ont Ă©tĂ© confrontĂ©s Ă des dĂ©cisions dĂ©raisonnables de Malmab nâont pas soulevĂ© dâobjections â câest-Ă -dire jusquâen 2014, lorsque le personnel du ministĂšre de la DĂ©fense est arrivĂ© aux archives de lâInstitut de recherche Harry S. Truman de lâUniversitĂ© hĂ©braĂŻque de JĂ©rusalem. A la surprise des visiteurs, le directeur de lâĂ©poque, Menahem Blondheim, a rejetĂ© leur demande dâexamen des archives â qui contiennent des collections de lâancien ministre et diplomate Abba Eban et du gĂ©nĂ©ral de division de rĂ©serve Shlomo Gazit.
Selon Blondheim,
âje leur ai dit que les documents en question dataient de plusieurs dĂ©cennies et que je ne pouvais imaginer quâil y ait un problĂšme de sĂ©curitĂ© qui justifierait de restreindre leur accĂšs aux chercheurs. En rĂ©ponse, ils ont demandĂ© : âEt sâil y avait ici un tĂ©moignage selon lequel des puits ont Ă©tĂ© empoisonnĂ©s pendant la guerre dâindĂ©pendance ?â Jâai rĂ©pondu : âDans ce cas, les responsables devraient ĂȘtre traduits en justiceââ.
Le refus de Blondheim a conduit Ă une rencontre avec un haut fonctionnaire du ministĂšre, mais cette fois-ci, lâattitude quâil a rencontrĂ©e Ă©tait diffĂ©rente et des menaces explicites Ă son encontre ont Ă©tĂ© formulĂ©es. Finalement, les deux parties sont parvenues Ă un accord.
Benny Morris nâest pas surpris de lâactivitĂ© de Malmab.
âJe suis au courantâ, a-t-il affirmĂ©. âPas officiellement, personne ne mâen a informĂ©, mais je mâen suis rendu compte quand jâai dĂ©couvert que des documents que jâavais vus par le passĂ© Ă©taient dĂ©sormais scellĂ©s. Il y avait des documents des archives de lâarmĂ©e israĂ©lienne que jâai utilisĂ©s pour un article sur Deir Yassine, et qui sont maintenant scellĂ©s. Quand je suis arrivĂ© aux archives, on ne mâa plus permis de voir les originaux, et jâai donc signalĂ© dans une note de bas de page [de lâarticle] que les Archives dâĂtat mâavaient refusĂ© lâaccĂšs aux documents que jâavais publiĂ©s 15 ans auparavantâ.
Lâaffaire Malmab nâest quâun exemple parmi dâautres de la lutte menĂ©e pour lâaccĂšs aux archives en IsraĂ«l. Selon le directeur exĂ©cutif de lâInstitut Akevot, Lior Yavne,
âLes archives de lâarmĂ©e israĂ©lienne, qui sont les plus considĂ©rables dâIsraĂ«l, sont presque hermĂ©tiquement scellĂ©es. Seulement 1% des documents est accessible. Les archives du Shin Bet, qui contient des documents dâune immense importance, sont totalement fermĂ©es, Ă lâexception dâune poignĂ©e dâentre eux.â
Shraga Peled, 91 ans, qui, au moment du massacre de Deir Yassine, était au service d'information de la Haganah, a rapporté qu'il a été envoyé au village avec une caméra pour documenter ce qu'il y avait vu.
âQuand je suis arrivĂ© Ă Deir Yassine, la premiĂšre chose que j'ai vue Ă©tait un grand arbre auquel Ă©tait attachĂ© un jeune arabe. Et cet arbre a Ă©tĂ© brĂ»lĂ© dans un incendie. Ils l'y avaient attachĂ© et l'avaient brĂ»lĂ©. Je l'ai photographiĂ©â,
raconte-t-il. Des cadavres avaient Ă©tĂ© entassĂ©s et brĂ»lĂ©s, puis enterrĂ©s pour que la Croix-Rouge ne les dĂ©couvre pas : s'agissant de femmes et de vieillards, ils ne pouvaient ĂȘtre prĂ©sentĂ©s comme des combattants. Peled affirme Ă©galement avoir photographiĂ© de loin ce qui ressemblait Ă quelques dizaines d'autres cadavres recueillis dans une carriĂšre adjacente au village. Il a remis le film Ă ses supĂ©rieurs, dit-il, et depuis, il n'a pas vu les photos.
Probablement parce que les photos font partie du matĂ©riel visuel qui reste cachĂ© Ă ce jour dans les archives des forces armĂ©es d'IsraĂ«l et du ministĂšre de la DĂ©fense, dont l'Ătat interdit toujours la publication. La Haute Cour de justice a Ă©tĂ© saisie Ă ce sujet il y a une dizaine d'annĂ©es par Neta Soshani, qui rĂ©alisait un film sur le massacre de Deir Yassine.
L'Etat a expliquĂ© que la publication des images Ă©tait susceptible de nuire aux relations extĂ©rieures de l'Etat et au ârespect dĂ» aux mortsâ (une visite au mĂ©morial de Yad Vashem, consacrĂ© aux victimes de la Shoah, laisserait croire qu'IsraĂ«l a plus de respect pour les victimes palestiniennes que pour les victimes juives, exposĂ©es sans aucune pudeur...). En 2010, aprĂšs avoir vu les photos, les juges de la Cour suprĂȘme ont rejetĂ© la requĂȘte, gardant le matĂ©riel loin du regard du public.
Un rapport rĂ©digĂ© par lâancien archiviste en chef des Archives dâEtat, Yaacov Lozowick, lorsquâil a pris sa retraite, fait rĂ©fĂ©rence Ă lâemprise des institutions de la DĂ©fense sur les archives du pays. Il y Ă©crit :
âUne dĂ©mocratie ne doit pas cacher les informations au prĂ©texte quâelles risquent dâembarrasser lâĂtat. Dans la pratique, les instances sĂ©curitaires en IsraĂ«l et, dans une certaine mesure, celles des relations extĂ©rieures, interfĂšrent avec le dĂ©bat [public]â.
Les partisans de la dissimulation ont avancé plusieurs arguments, précise Lozowick :
âLa rĂ©vĂ©lation des faits pourrait fournir Ă nos ennemis un bĂ©lier contre nous et affaiblir la dĂ©termination de nos amis ; elle risque dâagiter la population arabe ; elle pourrait affaiblir les arguments de lâĂtat devant les tribunaux ; et ce qui est rĂ©vĂ©lĂ© pourrait ĂȘtre interprĂ©tĂ© comme des crimes de guerre israĂ©liensâ. Mais, reprend-il, âtous ces arguments doivent ĂȘtre rejetĂ©s. Câest une tentative de cacher une partie de la vĂ©ritĂ© historique afin de construire une version plus convenableâ.
Ce que dit Malmab
Yehiel Horev a Ă©tĂ© le gardien des secrets du pouvoir sĂ©curitaire pendant plus de deux dĂ©cennies. Il a dirigĂ© le dĂ©partement de la sĂ©curitĂ© du ministĂšre de la DĂ©fense de 1986 Ă 2007 et sâest naturellement tenu Ă lâĂ©cart des projecteurs. Ă son crĂ©dit, il a maintenant acceptĂ© de parler franchement Ă Haaretz du projet de censure des archives.
âJe ne me souviens pas quand ça a commencĂ©, dit Horev, mais je sais que câest moi qui ai commencĂ©. Si je ne me trompe pas, ça a commencĂ© quand les gens ont voulu publier des documents des archives. Nous avons dĂ» mettre en place des Ă©quipes pour examiner tout le matĂ©riel sortantâ.
Haaretz : DâaprĂšs les conversations avec les directeurs dâarchives, il est clair quâune bonne partie des documents sur lesquels la confidentialitĂ© a Ă©tĂ© imposĂ©e ont trait Ă la guerre dâindĂ©pendance. La dissimulation des Ă©vĂ©nements de 1948 fait-elle partie de lâobjectif de Malmab ?
Horev : Quâentend-on par âune partie de lâobjectifâ ? Le sujet est examinĂ© en fonction dâune approche visant Ă dĂ©terminer sâil pourrait nuire aux relations Ă©trangĂšres dâIsraĂ«l et Ă lâinstitution de la DĂ©fense. Tels sont les critĂšres. Je pense quâils sont toujours pertinents. Il nây a pas eu de paix depuis 1948. Je me trompe peut-ĂȘtre, mais Ă ma connaissance, le conflit israĂ©lo-arabe nâa pas Ă©tĂ© rĂ©solu. Donc oui, il se peut que des sujets problĂ©matiques subsistent.
Lorsquâon lui demande en quoi de tels documents peuvent ĂȘtre problĂ©matiques, Horev parle de la possibilitĂ© dâagitation parmi les citoyens arabes du pays. De son point de vue, chaque document doit ĂȘtre Ă©tudiĂ© minutieusement et chaque affaire tranchĂ©e au cas par cas, en fonction dâune analyse des risques et des bĂ©nĂ©fices.
Haaretz : Si les Ă©vĂ©nements de 1948 nâĂ©taient pas connus, nous pourrions effectivement nous dire que cette approche est peut-ĂȘtre la bonne â la question mĂ©riterait dâĂȘtre posĂ©e. Mais ce nâest pas le cas. De nombreux tĂ©moignages et Ă©tudes ont Ă©tĂ© publiĂ©s sur lâhistoire du problĂšme des rĂ©fugiĂ©s. Quel est lâintĂ©rĂȘt de cacher des choses ?
Horev : La question est de savoir si câest prĂ©judiciable ou non. Câest un sujet trĂšs sensible. Tout nâa pas Ă©tĂ© publiĂ© sur la question des rĂ©fugiĂ©s, et il y a toutes sortes de rĂ©cits. Certains disent quâil nây a pas eu de fuite du tout, seulement une expulsion. Dâautres disent quâil y a eu un exode volontaire. Ce nâest pas tout noir ou tout blanc. Il y a une diffĂ©rence entre la fuite volontaire et ceux qui disent avoir Ă©tĂ© expulsĂ©s de force. Câest une histoire diffĂ©rente. Je ne peux pas dire maintenant si cela mĂ©rite une confidentialitĂ© totale, mais câest un sujet qui doit absolument ĂȘtre discutĂ© avant quâune dĂ©cision soit prise sur ce quâil faut publier.
Haaretz : Depuis des années, le ministÚre de la Défense impose la confidentialité sur un document détaillé qui décrit les raisons du départ de ceux qui sont devenus réfugiés. Benny Morris a déjà publié des écrits sur ce document, alors quelle est la logique de le garder caché ?
Horev : Je ne me souviens pas du document dont vous parlez, mais si Morris en a citĂ© un extrait et que le document lui-mĂȘme nâest pas accessible, alors ses propos ne sont pas Ă©tayĂ©s. Sâil disait : âOui, jâai le document en ma possessionâ, personne ne pourrait sây opposer. Mais sâil dit que ce document existe quelque part sans pouvoir le produire, ce quâil dit est peut-ĂȘtre vrai et peut-ĂȘtre faux. Si le document Ă©tait dĂ©jĂ entre les mains du public et Ă©tait scellĂ© dans les archives, je dirais que câest absurde. Par contre, si quelquâun a citĂ© ce document mais quâil reste confidentiel, ça fait une diffĂ©rence considĂ©rable pour ce qui est de la validitĂ© des preuves quâil a citĂ©es. »
Haaretz : Dans ce cas, il sâagit du chercheur le plus citĂ© sur la question des rĂ©fugiĂ©s palestiniens.
Horev : Le fait que vous parliez dâun « chercheur » ne mâimpressionne pas. Je connais des universitaires qui racontent des bĂȘtises sur des sujets que je connais de A Ă Z. Quand lâEtat impose la confidentialitĂ©, les travaux publiĂ©s sont affaiblis, car les documents en question ne sont pas en leur possession.
Haaretz : Mais cacher des documents rĂ©fĂ©rencĂ©s sur des notes de bas de page dans des livres publiĂ©s, nâest-ce pas une tentative de verrouiller la porte de lâĂ©curie aprĂšs que les chevaux se soient Ă©chappĂ©s ?
Horev : Je vous ai donnĂ© un exemple montrant que ce nâest pas forcĂ©ment le cas. Si quelquâun Ă©crit que le cheval est noir, si le cheval nâest pas Ă lâextĂ©rieur de lâĂ©curie (et que celle-ci est fermĂ©e), vous ne pouvez pas prouver quâil est vraiment noir.
Haarezt : Selon certains avis juridiques, lâactivitĂ© de Malmab dans les archives est illĂ©gale et non autorisĂ©e.
Horev : Si je sais quâune archive contient des documents classĂ©s secrets, je suis habilitĂ© Ă dire Ă la police dây aller et de les confisquer. Je peux aussi faire appel aux tribunaux. Je nâai pas besoin de lâautorisation de lâarchiviste. Sâil y a des documents secrets, jâai le pouvoir dâagir. Ecoutez, câest la politique en vigueur. Les documents ne sont pas scellĂ©s sans raison. Mais malgrĂ© tout, je ne vous dirai pas que tout ce qui est scellĂ© lâest Ă 100% Ă bon escient.
Le ministĂšre de la DĂ©fense a refusĂ© de rĂ©pondre Ă des questions spĂ©cifiques concernant les conclusions de cette enquĂȘte et sâest contentĂ© de la rĂ©ponse suivante : âLe directeur de la sĂ©curitĂ© de lâinstitution de DĂ©fense agit en vertu de sa responsabilitĂ© de protĂ©ger les secrets de lâĂtat et ses actifs de sĂ©curitĂ©. Le Malmab ne donne pas de dĂ©tails sur son mode dâactivitĂ© ou ses missionsâ.