👁🗨 Même les fantômes pleurent à Gaza
Faites que je sois Superman, et je n'attaquerai personne, même pacs eux qui se vantent de renvoyer Gaza à “l'âge de pierre”. Je ne ferai qu'arrêter les obus avant qu'ils ne tuent les enfants de Gaza.
👁🗨 Même les fantômes pleurent à Gaza
Par Haidar Eid, le 31 octobre 2023
Je suis sur les ruines d'une maison dans la ville de Gaza, et je regarde l'horizon.
Il y a très probablement la dépouille d'un mort sous les décombres. Le corps de quelqu'un qui n'a pas pu réagir à une “alerte'“ israélienne.
Ces “alertes” consistent en plusieurs obus d'artillerie, de missiles tirés par un drone de reconnaissance, suivis d'un autre missile tiré par un F-16, un avion de combat fabriqué aux États-Unis. Un cadeau d'une superpuissance au peuple palestinien.
Israël avait l'habitude de qualifier certains avertissements de “coups sur le toit”, à savoir tirer sur une maison pour annoncer l'imminence d'une attaque plus massive. La politique du “coup sur le toit” semble avoir été abandonnée.
Dans cette maison vivait une femme avec son mari, leurs trois fils et leurs trois filles. Ils avaient également accueilli des parents du nord de la bande de Gaza après qu'ils aient été déplacés.
Aujourd'hui, la maison et les familles qui y vivaient et y trouvaient refuge ont disparu à jamais.
La maison voisine est “plus chanceuse”. Son propriétaire l'inspecte avec étonnement.
Sa voisine pleure en voyant tout ce qu'elle avait jadis possédé réduit en ruines, parce que le président américain estime qu’“Israël a le droit de se défendre”.
Se défendre contre qui ? Des terroristes ?!
Si Israël continue à tuer à ce rythme, le nombre officiel de morts atteindra bientôt 10 000. Environ 40 % étaient des enfants.
Tous des terroristes.
Faites de moi un Superman
Je rêve que mon fantôme est là, devant les ruines d'une autre maison d'Al-Rimal. Al-Rimal était autrefois un quartier tranquille et sage de la ville de Gaza.
Mon fantôme tape sur l'épaule d'une de mes étudiantes à l'université - une étudiante brillante - et lui offre un mouchoir en papier pour essuyer ses larmes. Il embrasse son père et porte sa petite sœur, qui pleure en cherchant leur mère sous les décombres.
Les fantômes ne pleurent pas. Mais mon fantôme est une exception.
Cet incident devra être rapporté comme celui du “premier fantôme chagrin de l'histoire”.
Mon fantôme chantonne pour la jolie femme assise sur un bloc de pierre au milieu de ce qui fut un jour une maison. Une maison qui contenait des rêves, des espoirs et des désirs.
Mon fantôme essuie ses larmes et pleure avec elle.
Mon fantôme médite sur la douleur de la naissance.
Mon fantôme se rend au camp de réfugiés de Nuseirat.
À Nuseirat, mon fantôme entend le roucoulement d'une colombe venant du sud, de Khan Younis. La colombe raconte l'histoire d'un autre foyer.
Ce foyer, c'est celui d'une femme. Une femme qui a des sentiments pour toi et pour qui tu as des sentiments.
Elle est vous, et vous êtes elle. Il n'y a plus de frontières. Plus de séparations.
Quand la maison est détruite, quelque chose meurt en vous.
Une petite fille crie : “Où est ma maman ?”
“Où est mon papa ?”
La fillette passe à côté des décombres d'une autre maison. Les décombres où s'était posée la colombe qui roucoulait.
J'essaie de me ressaisir et je n'y parviens pas.
Mon ombre refuse de réintégrer mon corps. Mon fantôme se rebelle contre son maître.
Le jour de Laylat-al-Qadr - la nuit du destin [ndr : l'une des nuits de la fin du mois du Ramadan, considérée comme bénie] - ma prière fut : “Oh mon Dieu, fais que je devienne Superman pendant ces massacres. Je ne demande rien d'autre, ô Dieu miséricordieux”.
Faites que je puisse devenir Superman, et je n'attaquerai aucun Israélien, qu'il soit soldat ou civil. Je ne serai agressif ni envers Benjamin Netanyahou ni envers Itamar Ben-Gvir.
Je ne serai même pas agressif envers Benny Gantz, qui s'est vanté de renvoyer Gaza à “l'âge de pierre” avec tous les massacres qu'il a orchestrés en 2014.
Et je ne représenterai aucune menace, ni pour Joe Biden, ni pour Rishi Sunak.
Je ne ferai qu'intercepter les obus avant qu'ils ne tuent les enfants de Gaza.
Mon fantôme décide de prendre congé. Il disparaît à jamais.
Haidar Eid est éducateur et chroniqueur indépendant à Gaza. Twitter : @haidareid
https://electronicintifada.net/content/even-ghosts-weep-gaza/39461