👁🗨 Merz joue avec le feu
“Nombreux sont ceux à repenser siècle dernier, où l'Allemagne a tenté deux fois d’imposer son hégémonie militaire, et des terribles conséquences pour le monde” a déclaré Sergueï Lavrov.
👁🗨 Merz joue avec le feu
Par Patrick Lawrence / Original publié sur ScheerPost, le 31 mai 2025
BERLIN — À peine entré en fonction depuis quelques semaines, le nouveau chancelier allemand Friedrich Merz agite déjà la capitale allemande avec ses inquiétudes quant au danger croissant d'une troisième guerre mondiale. Alors que les Allemands appréhendent une telle perspective, les Russes, eux, la dénoncent ouvertement.
Dans une série de récentes déclarations, notamment à la télévision allemande, Merz a failli déclarer son intention d'autoriser la fourniture de missiles balistiques de fabrication allemande à l'Ukraine, et ce sans restreindre leur utilisation par le régime de Kiev pour attaquer le territoire russe. Pour Moscou, c'est une ligne rouge, comme Merz ne peut manquer de le savoir. On rapporte, notamment via un présentateur de télévision et blogueur moscovite, Ruslan Ostashko, que des missiles Taurus auraient déjà été expédiés de Schrobenhausen, la ville bavaroise où ils sont fabriqués, et que Kiev attend maintenant l'autorisation de Berlin pour les utiliser.
Citant une source “de l'entourage de Zelensky”, Ostashko rapporte que le BND et le MI6, les services secrets allemands et britanniques, ont supervisé les livraisons de Taurus. Mais cette question est extrêmement sensible et les informations rapportées par Ostashko n'ont pas encore été confirmées officiellement. Il pourrait reproduire le genre de fuites intentionnelles que les bellicistes utilisent couramment pour manipuler l'opinion publique et éviter la controverse tout en menant imprudemment une nation vers la guerre. Le responsable de Kiev pourrait vouloir encourager la dynamique allemande sur la question des Taurus. Ces pratiques sont courantes à Kiev et à Washington, notamment depuis que le régime Biden a multiplié et perfectionné les livraisons d'armes aux Ukrainiens après avoir provoqué l'intervention russe il y a trois ans. Mais en ce moment critique, la provenance ou la véracité de ces informations ne peut être ni confirmée ni infirmée.
La prudence du gouvernement Merz revêt une importance particulière pour le chancelier s'il entend fomenter les hostilités avec la Russie comme il le prévoit sans que son gouvernement de coalition divisé s'effondre.
“Il n'y a plus aucune restriction quant à la portée des armes livrées à l'Ukraine”, a-t-il déclaré à la télévision allemande le 26 mai, “ni de la part des Britanniques, ni des Français, ni de notre part, ni des Américains”.
Après une rencontre avec Volodymyr Zelensky à Berlin deux jours plus tard, Merz a annoncé que l'Allemagne financera la production d'armes longue portée en Ukraine, là encore sans aucune restriction quant à leur utilisation. Merz et le président ukrainien s'apprêteraient à signer un accord d'armement à grande échelle.
Merz procède pas à pas, comme on dit. Mais la simple intention de déployer les Taurus constitue déjà une escalade téméraire et provocatrice de l'implication de l'Allemagne dans la guerre par procuration que mène l'Occident contre la Russie. Ce sont les missiles balistiques les plus puissants dont dispose l'Occident. Avec une portée de 500 kilomètres, ils sont capables d'atteindre Moscou depuis le territoire ukrainien, et les Ukrainiens auront besoin de personnel allemand pour les faire fonctionner. Les Allemands fourniront également des données de ciblage depuis un site encore inconnu en Allemagne.
Voilà pourquoi le prédécesseur de Merz, Olaf Scholz, a refusé d'envoyer des missiles Taurus aux Ukrainiens. Voilà pourquoi Merz parle souvent et fermement de soutenir l'Ukraine sans limiter l'utilisation des armes fournies par l'Allemagne, tout en s'abstenant prudemment de nommer le Taurus. Voilà pourquoi, chaque fois que le chancelier laisse entendre clairement qu'il autorisera bientôt des livraisons de Taurus à Kiev, les sociaux-démocrates, le parti de Scholz et partenaire de coalition de Merz, déclarent publiquement que la politique officielle sur la question des Taurus reste inchangée. Si Merz se soucie de l'opinion publique, il sait que les électeurs allemands sont fermement opposés au déploiement des Taurus en Ukraine.
Voilà aussi pourquoi le déploiement du Taurus sur le sol ukrainien suscite une telle agitation à Moscou. On ne saurait exagérer l'importance que les Russes accordent à cette question. Andreï Kartapolov, qui dirige la commission de la défense à la Douma, a averti le 29 mai que la Russie pourrait riposter si l'Allemagne livre le Taurus à l'Ukraine, et il n'est pas le seul à évoquer une réponse musclée de la Russie. Dans un article d'opinion publié la veille sur la chaîne d'information russe RT, sa rédactrice en chef Margarita Simonyan, a suggéré que la Russie devra attaquer Berlin si l'Allemagne envoie les Taurus en Ukraine et que Kiev les tire sur des cibles russes. Mme Simonyan n'occupe pas un poste comparable à celui de M. Kartapolov dans la hiérarchie, mais elle traduit bien l’état d’esprit actuel de nombreux Moscovites.
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Comme vous l'avez peut-être remarqué, le président Trump n'a cessé de s'exprimer récemment sur les récentes attaques de drones et de missiles russes contre des villes ukrainiennes.
“Ce que Vladimir Poutine ne comprend pas, c'est que sans moi”, a-t-il déclaré l'autre jour sur son réseau social Truth Social, “la Russie aurait déjà subi des répercussions très graves, je veux dire VRAIMENT GRAVES. Il joue avec le feu !”
Il s'agit bien sûr d'une fanfaronnade à la Trump. Mais elle a suscité cette réponse sur X de Dmitri Medvedev, vice-président du Conseil de sécurité russe et président russe par intérim :
“Concernant les propos de Trump sur Poutine qui ‘joue avec le feu’ et les ‘choses vraiment graves’ qui pourraient arriver à la Russie, je ne connais qu'une seule chose VRAIMENT MAUVAISE : la Troisième Guerre mondiale. J'espère que Trump en est conscient !”
Encore un indicateur du climat qui règne à Moscou.
Trump, vous l'avez également vu, subit d'énormes pressions de plusieurs parts, notamment, mais pas uniquement, des Démocrates du Capitole, des médias libéraux et des bellicistes républicains historiques tels que le sénateur Lindsey Graham, pour qu'il abandonne toute idée d'un accord négocié pour l'Ukraine et se joigne à Merz et aux autres dirigeants européens pour imposer encore plus de sanctions à la Russie. Les propos de Trump s'adressaient davantage à eux qu'à quiconque à Moscou. L'argument présenté à Trump est que, puisque la Russie continue à faire la guerre en l'absence de cessez-le-feu, cela prouve que Moscou ne veut pas négocier la paix.
À ce stade, plus rien n'a de sens – dans le discours officiel occidental.
Dmitri Medvedev met en garde contre le danger d'un conflit mondial, et on peut désormais lire – une vieille rengaine éculée – que Moscou a menacé de déclencher la Troisième Guerre mondiale. Mercredi, Sergueï Lavrov, le ministre russe des Affaires étrangères, a proposé la date du 2 juin pour la prochaine série de pourparlers de paix avec l'Ukraine, à nouveau à Istanbul. Il doit annoncer dans la semaine la proposition détaillée de Moscou pour des pourparlers en vue d'un règlement du conflit. Mais non, les Russes ne veulent que la guerre.
Merz et d'autres dirigeants européens se prétendent partisans de la paix, mais imposent de nouvelles sanctions aux Russes. Et on peut compter sur le déploiement des Taurus, qui commencera manifestement dès que Merz jugera que la voie politique est libre.
Demandez-vous pourquoi Merz et ses collègues “centristes” de Paris et de Londres se livrent à cette campagne belliciste de sanctions – dans une précipitation remarquable – alors que les pourparlers entre Moscou et Kiev laissent entrevoir une première lueur d'espoir depuis trois ans.
La réponse est évidente. L'Occident a perdu la guerre par procuration que les États-Unis et leurs vassaux européens ont provoquée en février 2022 – c'est désormais un fait avéré – et, dans un déni ultime, l'Alliance atlantique cède au besoin irrépressible de la prolonger bien au-delà du seuil où elle aurait pu encore avoir un sens. Le péché de Donald Trump – enfin, parmi tant d'autres, mais c'est une autre histoire – est son refus de se prêter à cette lâche mascarade.
Friedrich Merz ne fait que rendre cette mascarade plus dangereuse.
Le belliciste Merz est bien connu pour sa russophobie obsessionnelle. La question que se posent désormais de nombreux Allemands est de savoir jusqu'où il est prêt à aller pour provoquer une confrontation militaire avec la Fédération de Russie — si tant est que provoquer des hostilités ne soit pas son intention. Merz a fait grand cas de sa visite en Lituanie le 22 mai pour célébrer le premier déploiement à l'étranger de troupes de la Bundeswehr depuis la Seconde Guerre mondiale.
“La Russie représente une menace pour nous tous”, a-t-il déclaré à Vilnius, la capitale lituanienne. “Nous nous protégeons contre cette menace”.
Là encore, la réalité est diamétralement opposée. Un siècle d'histoire le montre bien. Et il serait bon de rappeler que les Russes perçoivent les ambitions militaires de Merz, notamment sa détermination apparente à intensifier le soutien militaire de l'Allemagne à l'Ukraine, à travers le prisme de l'histoire. C'est ainsi qu'il faut avant tout comprendre la gravité avec laquelle Moscou aborde la question des missiles Taurus et, selon moi, l'intensité de la riposte potentielle.
Le 28 mai, Sergueï Lavrov s'est exprimé lors d'une conférence sur la sécurité à Moscou et a fait référence au déploiement en Lituanie, alors que Merz a rapporté son intention de fournir à Kiev les missiles tant convoités.
“Nombreux sont ceux à repenser au siècle dernier, où l'Allemagne a tenté deux fois d’imposer son hégémonie militaire, et des terribles conséquences pour le monde”, a-t-il déclaré.
Traduit par Spirit of Free Speech
Patrick Lawrence, correspondant à l'étranger pendant de nombreuses années, principalement pour l'International Herald Tribune, est critique des médias, essayiste, auteur et conférencier. Son nouveau livre, Journalists and Their Shadows, est désormais disponible chez Clarity Press. Son site web est Patrick Lawrence. Soutenez son travail via son site Patreon.
https://scheerpost.com/2025/05/31/patrick-lawrence-war-in-our-time/
Très dangereux 😖😖😖😖